Thalion avait passé les derniers jours des vacances de Samhain avec les fantômes dévastés de perdre leurs privilèges, et les Delacroix qui le soignaient et lui apprenaient de nouveaux sorts de magie verte plus efficaces. Couplées à son entraînement de magie divine, ses vacances étaient loin d’avoir été reposantes. Au moins, il avait été trop occupé pour penser à Eris ou à ses parents.
Les cours avaient repris, et Thalion n’était pas mécontent de retrouver Cally et Nohan. Ce dernier était assis par terre dans la salle de classe, essayant de raisonner son familier qui refusait de l’écouter. Le servan se grattait l’oreille, nullement attentif aux dires de son maître, un sourire ingénu figé sur ses lèvres. Autour d’eux, leurs camarades s’affairaient avec leur propre familier plus ou moins ouvert à l’échange. M. Trèz circulait entre les groupes, aidant à amadouer les créatures les plus récalcitrantes. L’heure d’aujourd’hui portait sur les liens que les invocateurs tissaient avec les invoqués. Selon le professeur, bien connaître son familier et entretenir une bonne relation avec lui était essentiel, permettant un partenariat plus fiable et efficace. Tous les élèves s’appliquaient à apprivoiser leur compagnon pour éviter un problème en cas de sollicitation, sauf Thalion et Cally.
Les deux magériens étaient assis contre le mur, les chaises et les tables flottants au plafond pour faire de la place, un ouvrage de théories barbants ouvert sur les jambes. Même si M. Cowen avait convaincu M. Trèz que Nécros n’était pas réellement apparu, l’enseignant refusait de le laisser repasser sur le cercle d’invocation, craignant le genre de créature qui pourrait survenir. Ne souhaitant pas réduire en poussière le déni de M. Trèz si Nécros réapparaissait, Thalion s’était résigné à finir l’année sans familier et à se contenter d’observer les autres apprendre par la pratique. Quant à Cally…
— Toujours rien ? l’interrogea le maudit.
Elle secoua la tête, dépitée. Sa situation était presque pire que celle de Thalion. Lui avait eu un résultat et une explication. La magérienne n’avait ni l’un ni l’autre. Peu importe le nombre de fois qu’elle effectuait le processus d’invocation, aucune créature magique ne se présentait à elle. Sans familier ni solution, elle était relayée au rang de spectatrice, comme lui.
— M. Trèz ne comprend pas le souci, mais j’ai vu la pitié dans son regard. Il pense qu’aucune créature ne veut travailler avec moi. Je les répugne tant que ça ?
Ses yeux embués de larmes scintillèrent. Sa peine froissa le cœur de Thalion. Par réflex, il avait d’abord pensé être le fautif, que le lien de Cally avec lui faisait fuir les créatures, mais si ça avait été le cas, Nohan n’aurait pas pu pactiser avec le servan. Ne sachant comment lui remonter le moral, le maudit chercha plutôt une réponse à son problème.
— Ils sont peut-être intimidés…
— Par quoi ? Mon charisme ? Mon autorité ?
Thalion eut le plus grand mal à réprimer son sourire, qui se transforma en fou rire nerveux lorsqu’il croisa le regard larmoyant de la jeune fille. Le genre de fou rire inopportun et irrépressible qui survenait en plein enterrement. La blesser était la dernière chose qu’il souhaitait, mais connaissant Cally, la probabilité que ces deux raisons soient la cause était faible.
— Tu te moques de moi alors que t’es censé me réconforter ! lui reprocha-t-elle en reniflant.
— Ce n’était pas mon intention, vraiment, se justifia-t-il après s’être calmé. Autre chose doit les bloquer, qui ne dépend sûrement pas de toi.
Les épaules de Cally s’affaissèrent. Son attention dériva vers ses camarades qui passaient tous un bon moment, sauf Camille qui se prenait le chou avec son diablotin. Nohan s’amusait de la danse de son lutin jusqu’à ce que la fée de Léosus le rejoigne, provoquant l’hilarité des deux magériens. Thalion sentit l’aigreur ronger son estomac et l’amertume envahir sa bouche. Il comprenait la morosité de Cally qui observait Aglaé, fascinée par les plantes que faisait pousser son nain.
— On a qu’à s’amuser que tous les deux. Tous seuls, dans notre coin, suggéra Thalion.
Cally afficha une moue dubitative.
— Si tu as une occupation plus intéressante que ces manuels qui ne consiste pas à martyriser M. Trèz ni ne finit en bagarre avec Camille, je suis toute ouïe.
Le silence de Thalion répondit pour lui. Enfin, les propositions de la jeune fille n’étaient pas exactement ce qu’il avait en tête. Il songeait simplement à faire renverser le pot de sel déposé sur le bureau ou à innocemment siffler un air supposé attirer les mauvais esprits pour faire une blague à l’enseignant superstitieux. Quant à Camille, le magérien avait certes cessé de le harceler et s’était excusé, mais Thalion ne le laissait pas tranquille pour autant. Il n’hésitait pas à le railler, et la façon dont le diablotin lui menait la vie dure donnait une bonne matière aux sarcasmes. De toute façon, les piques verbales, c’était le seul moyen de communication des deux adolescents.
Frustré d’être devancé, le maudit grommela :
— J’oubliais que je discutais avec une fille qui lit des dictionnaires pour se divertir…
Les joues de Cally rosirent, piquée au vif. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait référence à leur première véritable discussion dans le salon de l’académie, notamment pour ses paroles blessantes, mais il ne lui avait jamais reparlé de sa passion pour les encyclopédies.
— J’aime découvrir de nouveaux mots, se défendit-elle. Notre langue est tellement belle ! Je prends plaisir à enrichir mon vocabulaire et à découvrir des termes dont j’ignorais l’existence.
— Pourtant, quand on discute, ton langage n’est pas plus diversifié que le mien.
— Je m’adapte pour que tu puisses me comprendre sans me dévisager dès que je sors un mot inconnu à ton lexique pauvre.
Thalion ricana en refermant l’ouvrage sur ses genoux. Il appréciait lorsque Cally, plutôt sage et discrète, tenait tête. C’était plus amusant.
— Dans ce cas, je te propose un jeu qui va te permettre de faire la démonstration de ton savoir et nourrir mon esprit simplet : je vais te poser des questions et tu dois me répondre avec un mot censé m’être inconnu. Si ce n’est pas le cas, tu as perdu, et si tu réussis jusqu’à ce que le jeu se termine, tu gagnes.
Cally prit le temps d’y réfléchir, comme si elle redoutait un piège.
— Okay, finit-elle par accepter. Le perdant a un gage, je suppose ?
— Il faut bien pimenter un peu les choses. Alors, première question : ton mot préféré.
— Hm… Psithurisme. C’est le bruissement des feuilles dans le vent.
Pendant plusieurs minutes, Thalion enchaîna les questions, appréciant mettre au défi la magérienne tout en apprenant de nouveaux mots. S’il était d’humeur poétique ou avait l’envie de paraître plus intelligent qu’il ne l’était vraiment, les mémoriser lui servirait. Quant à Cally, elle finit par se détendre et à se prendre au jeu, un léger sourire ourlé sur les lèvres.
— Le plus jolie mot selon toi.
— Une mélopée. Il désigne un chant triste et monotone.
— Le mot qui te fait rire.
— Mortecouille.
— Pardon ?
Elle rit devant l’ait ahuri de Thalion. Il ne s’attendait pas à une réponse de ce genre de la part de Cally.
— J’adore la réaction qu’il provoque, expliqua-t-elle. Contrairement à ce qu’il laisse penser, il n’a rien de vulgaire. Cette expression était utilisée au Moyen-Age pour marquer l’étonnement.
— J’adore. J’ai hâte de l’utiliser pour voir la tête des autres.
Ils échangèrent un regard complice. Grâce à ce jeu, le temps s’écoula plus vite qu’escompté. Ils avaient complètement délaissé leurs manuels qui jonchaient le sol. L’heure touchait à sa fin, et Thalion ne parvenait pas obtenir victoire. Soit son vocabulaire était vraiment minable, soit Cally avait un réservoir lexical inépuisable.
— Le mot qui décrit le mieux ton état, lança-t-il après un instant de réflexion.
Cally devint mutique pendant un moment, l’expression assombrit.
— Kenopsia, répondit-elle finalement. On l’utilise pour décrire un endroit calme et abandonné après avoir été grouillant de monde pendant un temps. J’ai l’impression d’éprouver cette sensation de vide angoissant depuis le départ d’Eris.
Un lourd silence tomba sur eux. Thalion avait l’impression de sentir son poids sur ses épaules. Il n’avait jamais évoqué la trahison d’Eris avec elle. C’était un sujet tabou, en quelque sorte. Mentionner le prénom de leur ancienne meilleure amie revenait à mettre en lumière son absence, à raviver les émotions qui gonflaient dans leur poitrine jusqu’à les étouffer. Mais, malgré l’intensité de sa relation avec Eris et l’importance que Thalion lui accordait, ses racines n’étaient pas aussi profondément ancrées que pour Cally.
Thalion n’en avait jamais parlé avec elle alors c’était elle qui, accompagnée de Nohan, l’avait tiré de la pénombre de sa chambre. Et lui, qu’avait-il fait pour elle ? Avait-il seulement cherché à savoir comment elle allait ? Les autres le soutenaient dans ses soucis, et lui ne faisait qu’abuser de leur aide sans se soucier du reste. Ses problèmes et ses traumatismes n’excusaient pas son égocentrisme.
Décidé à chasser ce sentiment de honte, il observa Cally dont le regard se perdait dans le vide. Un ruban en soie gris perle attachait ses cheveux bruns et dégageait son visage terni par la tristesse.
— Elle te manque, devina-t-il.
— Pas toi ?
Thalion poussa un long soupire. Réfuter serait un grossier mensonge. Eris avait compté pour lui. Ils ne pouvaient effacer leurs souvenirs communs de sa mémoire et ne retrouverait probablement jamais une relation comme celle-ci avec quelqu’un. Cette marque indélébile brûlante ne faisait qu’accentuer sa douleur et son amertume. Il lui avait fait confiance et elle s’était jouée de lui. Il ne pouvait regretter une personne qui l’avait trahi sans remord.
— Disons que la rancune est plus forte, conclut-il. Je ne pardonne pas si facilement, surtout quand on m’approche dans l’unique but me planter un couteau dans le dos ensuite.
— Sauf que moi, je connais Eris depuis nos huit ans. J’ai grandi avec elle, nous avons traversé les années ensemble. Ses intentions te concernant sont sûrement apparues à la fin de notre scolarité à l’école Louvia, voire l’été qui précède notre entrée à l’académie. Autrement dit, je ne peux pas remettre en cause la sincérité de notre amitié. Je… Elle n’aurait peut-être pas tourné ainsi si j’avais été un meilleur soutien, si…
— Tu n’as pas à t’en vouloir, la coupa-t-il. Tu ne pouvais pas savoir.
— Mais nous nous connaissions mieux que quiconque, nous passions tout notre temps ensemble. J’aurais dû comprendre. Si j’avais été plus attentive, j’aurais pu l’empêcher de prendre ce chemin là…
— Tu n’es pas une super héroïne, Cally. Les beaux discours, ça ne marche que dans les films, surtout face aux personnes comme Eris. Qu’elle ait tué pour son objectif prouve sa détermination. Quoi que tu aurais pu dire ou faire, ça n’aurait rien changé.
— Peut-être, mais au moins, j’aurais tenté. Après tout ce qu’elle a fait pour moi, elle méritait que je tende la main vers elle plutôt que de la laisser sombrer seule. Je lui devais bien ça.
Thalion contempla les yeux rouges et la profonde culpabilité qui imprégnait les traits du visage de son amie, sans savoir quoi dire. Il ne soupçonnait pas en elle une telle reconnaissance pour sa meilleure amie. Si le cœur du maudit souffrait d’une plaie sanguinolente qui peinait à se refermer, celui de Cally n’affichait qu’un trou béant. La place qu’avait occupé Eris depuis leur rencontre à l’école Louvia.
Le silence qui les enveloppait était semblable à un nuage gris qui enténébrait l’atmosphère encore légère quelques instants plus tôt. Thalion se gratta la nuque, mal à l’aise. Il avait souhaité soutenir Cally, mais il avait l’impression de l’avoir rendu encore plus triste.
— J’ai dit que ça ne fonctionnait que dans les films, mais je n’ai jamais vu personne essayer en vrai, déclara-t-il pour se rattraper. On sera amenés à revoir Eris. Qui sait si tes mots la toucheront à ce moment-là…
La magérienne lui jeta un regard, peu convaincue.
— Tu le penses vraiment ou tu cherches seulement à me réconforter ?
— Cally, soupira-t-il avec une gravité feinte. Tu ne peux pas simplement apprécier mes efforts pour te redonner espoir ? Je ne suis pas d’une nature optimiste, je te rappelle.
Sa réplique arracha un sourire à la jeune fille.
— Ah bon ? Je n’avais pas remarqué, ironisa-t-elle.
— C’est normal. Mon aptitude inégalée pour remonter le moral compense.
Cette fois-ci, Cally rigola.
— C’est la meilleure blague de la journée.
— Je vais faire semblant de n’avoir rien entendu.
Le sourire ourlé sur les lèvres de Cally redonnait de l’éclat à son visage obscurci par le chagrin. Le nuage gris avait disparu, emportant avec lui la lourdeur de l’atmosphère. Satisfait d’avoir rempli sa mission, Thalion profita du silence confortable qui s’était installé, jusqu’à ce que la voix de M. Trèz retentisse.
— Le cours se termine dans dix minutes ! Refaites le plein de contrats et dites au revoir à vos familiers.
Une agitation mécontente secoua les élèves qui auraient préféré passer une heure de plus à s’amuser. Au vu de leurs airs dépités, ils avaient tous pris plaisir à affermir leurs liens. Malgré les protestations et leur contrariété, ils procédèrent à la réitération du contrat. Dans ce cas-là, ils n’utilisaient pas de papier trempé dans de l’eau-de-lune car le but d’était pas d’effectuer un nouveau pacte, mais une feuille ensorcelée. Pour éviter à l’invocateur de réaliser l’enchantement runique à chaque fois pour invoquer son familier, il était possible de simplement déchirer un morceau de papier sur laquelle les deux partis avaient apposé leurs empruntes. Pour cette raison, des petites réserves étaient souvent faites. Toutefois, en faire un n’était pas facile selon le caractère de la créature, alors plusieurs… Thalion se délectait de voir Nohan ronchonner auprès du servan entêté et Camille râler des taquineries de son diablotin.
Peu à peu, les familiers disparaissaient un par un jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des adolescents qui rouspétaient ou s’extasiaient de cette expérience. À l’image des autres élèves, Thalion et Cally se relevèrent en ramassant leurs manuels laissés à l’abandon. La jeune fille rejoignit Aglaé qui lui détailla avec fierté les prouesses de son nain. Quant à lui, il migra vers Nohan qui accueillit sa présence en souriant.
— Ah, Thalion ! T’as vu comme mon servan est doué ?
— En danse, oui. En magie, pas trop.
— Il est timide, c’est pour ça, le défendit Nohan.
— Il n’en fait qu’à sa tête, surtout, intervint Léosus.
— Rappelle-toi que Nohan et lui se ressemblent énormément, surenchérit Thalion.
Les deux magériens pouffèrent devant la moue vexée de leur ami.
— Vous exagérez. Je suis loin d’être aussi obtus, bougonna-t-il.
— Encore heureux ! Si tu persistais à vouloir marcher sur tes mains et non sur tes pieds, nous ne serions pas amis, remarqua le maudit.
— Au moins, ça serait divertissant, objecta Léosus. D’ailleurs, Thalion, tu ne t’es pas trop ennuyé ?
La contrariété de Nohan s’effaça, remplacée par un air soucieux. Thalion feignit le désarroi le plus total.
— Si, Terriblement. Mais quand la jalousie me déchirait en deux, je regardais Camille qui était malmené par son familier et je me sentais tout de suite mieux.
Léosus éclata de rire tandis que Nohan jeta un coup d’œil au concerné présent juste à côté d’eux, dont le visage était éraflé de griffures.
La mine grincheuse, Camille grommela :
— Je hais ce diablotin.
— Tu ne devrais pas, suggéra le maudit. Il t’a fait une remise en beauté remarquable.
Le magérien roula des yeux pendant que Thalion ricana.
— Tu peux te moquer, mais moi, je n’ai pas passé l’heure à lire des théories soporifiques.
— Je n’ai pas fait que ça…
— On a joué à un jeu et j’ai gagné ! s’enthousiasma Cally en les rejoignant, accompagnée d’Aglaé.
— Tu as un gage, alors ? demanda Nohan à Thalion.
Le perdant fit la moue, contraint d’accepter sa défaite malgré sa frustration.
— Ouais… Je lui dois un souhait.
Camille et Léosus posèrent chacun une main sur les épaules de la magérienne, un air conspirateur sur le visage.
— Si t’es en manque d’inspi, on peut te donner des idées… lui proposa le premier.
— Par exemple, tu peux lui demander de te faire un massage aux pieds…
Cally gloussa tandis que Thalion s’insurgea en chassant cette mauvaise influence autour d’elle. Il ne souhaitait pas que leur sournoiserie contamine la bonté de son amie et le mette dans une situation inconfortable, même si c’était le but d’un gage…
Ensemble, ils quittèrent la salle de classe et circulèrent dans les couloirs bondés. Ils purent constater l’avantage que c’était d’avoir Thalion parmi eux puisqu’on se poussait pour le laisser passer, leur permettant de se déplacer sans difficulté.
L’heure suivante était consacrée aux options. Aglaé et Camille les quittèrent pour leur cours d’art. Nohan et Léosus avaient faélien, et Cally et Thalion, astronomie. Pendant leur discussion, ils discutèrent de banalités.
— T’as pas fait tes devoirs ? s’exclama Nohan en fixant Léosus.
— Non, j’ai passé tous mon temps sur les exos de magie rouge. Ça devrait aller, même si elle m’interroge, je m’en sors bien à l’écrit.
— Sauf que c’est des exercices de phonétique…
— Quoi ?! Mais on était à fond sur la grammaire !
— C’est à cause de toi, rappelle-toi. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même.
Léosus pesta en sortant son manuel pour consulter en vitesse les exercices. Devant la perplexité de Thalion et Cally, Nohan leur fournit quelques explications pour éviter qu’ils ne se sentent exclu.
— Il a demandé l’autorisation pour aller aux toilettes pendant le cours, en faélien évidemment, comme l’exigeait la prof. Mais la prononciation faélienne est très compliquée, si bien qu’on peut facilement se tromper et modifier le sens des mots…
— Je ne sais pas ce que je lui ai dit et Nohan refuse de me le dire, mais toute la classe était morte de rire. La prof, elle, est devenue cramoisie et m’a grondé pendant quinze minutes sur l’importance de la phonétique… ajouta Léosus.
Nohan se mordit la lèvre, probablement pour se retenir de rire.
— Je ne veux pas répéter une telle chose, mais garde en tête de mieux prononcer le mot « toilette », et de faire attentions aux syllabes…
— Si t’es si bon en phonétique, file-moi un coup de mains pour les exos, l’interrompit Léosus, vexé.
— Je ne t’aiderai pas parce qu’une certaine personne à côté de moi devient hilare dès que je parle faélien, et que je n’ai pas envie de subir son fou rire moqueur.
— Ah, tu dois sûrement parler de Cally, intervint Thalion en feignant l’innocence.
La magérienne protesta devant ses fausses accusations et le maudit ignora le regard accusateur de Nohan. Qu’y pouvait-il si entendre la voix de son meilleur ami émettre des sons sans queue ni tête le faisait autant rigoler ?
Léosus secoua la tête, réprobateur.
— Regarde ce que ta présence provoque, Thalion. Tu nuis à l’altruisme de Nohan.
Malgré le ton exagérément sévère, Léosus jeta un coup d’œil au jeune homme pour s’assurer qu’il ne prenne pas sa phrase au sérieux. Thalion ricana. Il fréquentait suffisamment Léosus maintenant pour savoir quand il plaisantait ou non. Néanmoins, une pensée vint s’insinuer dans les failles de son esprit, se demandant s’il n’y avait pas un fond de vérité dans ces mots. Si Léosus ne le pensait pas, d’une façon ou d’une autre.
— Tiens, c’est pas Liam, de la classe des Jetins, là-bas ? s’étonna Léosus. Il se débrouille bien en faélien, apparemment ! Je vous laisse, Nohan, je te rejoins en classe. Cally, Thalion, on se voit plus tard !
Sans leur laisser le temps de répondre, il fonça vers le garçon aux cheveux roux qui parut d’abord intimidé avant que Léosus ne le mette à l’aise. En l’observant, Thalion ressentit une pointe de jalousie. Jamais il ne pourrait se montrer aussi sociable, d’une part, parce que c’était loin d’être sa personnalité, et d’autre part, car les gens ne réagiraient pas aussi bien.
— J’envie la sociabilité de Léosus, soupira Cally. Pouvoir sympathiser avec toute l’école, ça doit être cool.
Thalion fit la moue. Bien que sa capacité soit désirable, il ne s’imaginait pas discuter avec autant de monde. Trop épuisant. Il ne voyait pas l’intérêt de s’ouvrir à autant de personne et de devoir gérer un tas de conversations différentes qui lui causeraient plus de stress qu’autre chose.
— Au moins, ça nous permet d’être tous les trois. C’est devenu plus rare qu’avant, remarqua Nohan.
Effectivement, Léosus et Aglaé s’étaient rajouté au groupe, et Camille s’incrustait de temps à autre. Comme ils étaient tous dans la même classe, ils n’étaient pas souvent séparés.
— J’avoue que ça me manque un peu, parfois, confessa son ami.
— Moi aussi.
Thalion regretta ses mots lorsque les deux magériens stoppèrent aussi leur marche.
— Je vous interdit de…
— Nohan, on est le combien ? le coupa Cally. Il faut graver ce jour dans notre mémoire.
— Tu as raison, affirma-t-il. Je crois bien que c’est la première fois que Thalion avoue apprécier notre seule présence.
Thalion râla en se remettant à avancer d’un bon pas, comme pour fuir sa gêne.
— C’est simplement plus agréable d’être en petit comité, se justifia-t-il. Et puis, dans cette configuration, je n’ai pas à répéter ce que me dit Apocryphos.
— Oh, mortel. Ne m’utilise pas comme excuse.
Ses amis s’esclaffèrent tandis que Thalion regrettait déjà le silence dans son esprit. Il appréciait tout de même que le dieu partage automatiquement sa parole à Nohan et Cally quand ils étaient tous les trois, leur permettant de comprendre ses réactions. Toutefois, que la déité s’abstienne de partager ses commentaires décrédibilisant à son égard ne serait pas de refus.
— Toujours en train de chipoter… marmonna Apocryphos. Va t’entraîner à l’Arbre-monde si tu veux te plaindre, je t’écouterai sans rien dire.
L’amusement qui égayait le visage de Nohan et Cally s’effaça, remplacé par des mines soucieuses. À leur retour, Thalion avait dû les mettre au courant pour ses découvertes sur l’Arbre-monde et ses nouveaux entraînements, tâchant de souligner ses prouesses et ses progressions. N’importe qui serait admiratif d’un ami capable de maîtriser la magie divine, uniquement utilisée par les dieux. Eux s’étaient immédiatement inquiétés pour les conséquences, et après avoir tourné autour du pot, Thalion leur avoua pour les répercussions. Heureusement, grâce à Aglaé et Rosalyne, il soignait parfaitement ses blessures, désormais. Nohan avait été furieux le reste de la journée contre Apocryphos qui le poussait dans cette démarche, sans pour autant oser exprimer clairement son mécontentement, avant de finalement s’y résoudre, comme Cally. En revanche, ils tenaient à l’accompagner lors des entraînements en fin de journée.
S’ils étaient impressionnés de le voir pratiquer et s’efforçaient de le féliciter lorsqu’il s’améliorait, Thalion ne pouvait ignorer leur regard peiné lorsqu’il finissait. Le même qu’ils affichaient en ce moment en fixant ses mains gantées.
— Dis… Ça te dérange de les porter en permanence ? l’interrogea Cally.
Thalion observa ses mains recouvertes par le tissu blanchâtre.
— Je dirais que non, on s’y habitue. La matière est agréable, j’oublie carrément que je porte des gants, parfois. Ce qui est embêtant, c’est plutôt leur symbolique…
Thalion s’arrêta, pensif. Plantés au milieu du couloir, ses amis fixaient ses mains, l’air sombre. Thalion ne savait si c’était dû au danger que pouvait représenter son toucher, ou du chagrin qu’ils éprouvaient pour lui.
— Au lieu de faire une tête d’enterrement, dépêchez-vous d’aller en cours, vous allez être en retard et je n’ai pas envie de subir un sermon qui ne m’est pas adressé.
Thalion ronchonna intérieurement contre Apocryphos, même s’il n’avait pas tort. Ils se remettaient en marche quand une silhouette transparente dotée d’une tresse surgit du mur pour s’arrêter devant lui. Samhain étant passé, la présence froide des fantômes n’était plus perceptible par les vivants, donc Nohan et Cally s’étonnèrent lorsqu’il se stoppa soudainement.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Nohan avant de comprendre en le voyant fixer le vide devant lui. Oh…
— Me revoilà ! s’exalta Fantômette. Je viens t’annoncer qu’après avoir exploré de fond en comble les sous-sols, j’ai enfin retrouvé les archives ! Alors, prêt pour une petite balade nocturne ?