Sur le pont, c’est l’effervescence malgré l’heure très matinale. Après des semaines de recherches, de demandes d’autorisations, d’organisation minutieuse, de repérages par satellites, on a enfin trouvé la zone des épaves. Le jour n’est pas encore tout à fait levé. Quatre hommes expérimentés s’apprêtent à plonger, bouteilles d’oxygène dans le dos, combinaisons de plongée, palmes aux pieds. Elles gisent par quarante mètres de fond. Les rejoindre est délicat.
Le professeur Stevenson et le capitaine Fauvette espèrent plus que tout être sur le bon site. Un travail de longue haleine est en passe d’être révélé, là-dessous. Hugh Stevenson est un archéologue expérimenté, spécialisé dans les recherches sous-marines depuis quinze ans. Diplômé de l’université de Floride, élevé au bord de la mer, passionné de marine à voile, la quarantaine approchante, il se retrouve ainsi à la tête de l’expédition la plus enthousiasmante qu’il n’ait jamais vécue. Il a une stature de surfer qui a abandonné l’entraînement depuis longtemps, le corps un peu lourd. Ses cheveux longs et fins laissés à l’abandon, blondis par le soleil entourent un visage plein et rond aux yeux bleus rieurs. Il observe les quatre plongeurs qui ajustent leur équipement en croisant les doigts mentalement.
Le capitaine Fauvette, lui, est français, marin depuis cinq générations, né d’une famille bretonne. Du moins, c’est ce qu’il sait jusqu’alors. Brun aux yeux noirs, le cheveu fourni, en bataille, le marcel gris trop grand et déchiré sur un torse musclé, la quarantaine avancée et le teint bronzé, ses yeux pétillent de malice et d’intelligence. Il a le sens de la mer, ce qui rassure chaque fois ses clients scientifiques qu’il accompagne. Depuis qu’il a choisi de naviguer avec son propre navire, pour son propre compte, il s’épanouit au contact de gens passionnés, comme lui, de la mer et de ses légendes. Aujourd’hui, avec son Argonaute, un bateau aux moteurs puissants munis d’une grande plate-forme étudiée pour les recherches sous-marines, il emmène archéologues et autres chercheurs de la mer avec le plus grand plaisir. Lorsque les quatre plongeurs basculent à l’eau avec les pouces en l’air en signe de départ, Jacques Fauvette les encourage d’un clin d’œil, accoudé à la dunette de son poste de pilotage. Le professeur, lui, tout près d’eux, appuyé au bastingage, les regarde plonger. Il ne reste plus qu’à attendre une bonne nouvelle.
Hugh est passionné de légendes marines depuis toujours. D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours baigné dans des histoires ayant, de près ou de loin, à voir avec la mer. Tout petit, son père lui racontait des histoires de pirates. Ses parents avaient un voilier. Ils faisaient fréquemment des croisières que ce soit aux Antilles, aux Caraïbes ou aux Bahamas. Adolescent, il faisait à la fois du surf et des régates de voiles en équipe. Puis, plus aguerri, il a même tenté une fois une régate en solitaire. Cela s’est soldé par une cuisante défaite. Il s’est alors attaché à ses études d’archéologue, sagement installé dans sa chambre d’universitaire. C’est là qu’il rencontre sa femme, Molly, elle aussi passionnée d’archéologie. Elle planchait à l’époque sur l’antiquité chinoise et en faisait sa thèse de doctorat. Puis, plus tard, il s’est intéressé aux hauts faits des héros de la mer, confortablement installé dans sa maison sur pilotis surplombant les backwaters de Floride.
Entre la bibliothèque de Miami et la sienne, aidé de sa femme ralliée à sa cause, ils tentent tous deux, année après année, de décrypter le vrai du faux d’une légende que son père lui racontait quand il était petit : les pirates des Caraïbes et plus particulièrement celle de Jack Sparrow. Ils avaient un code, rédigé par Bartholomew Roberts, et il avait une succession de gardiens, notamment un dénommé Teague Sparrow. Celui-ci avait un fils, Jack, surnommé partout la Terreur des Sept Mers. Ses hauts faits de batailles sont restés dans les mémoires de génération en génération. Il avait un navire, le Black Pearl, réputé le plus rapide des océans. Ce navire, cité dans quantité de livres de comptes de l’ex-Compagnie des Indes comme étant LE navire à abattre, est aussi cité dans des ouvrages de légendes marines et sur certains livres de bord retrouvés ici et là. Tous en parlent comme d’un navire imbattable et d’un capitaine incroyable dont les pouvoirs de persuasion confinaient à la diablerie. Le professeur Stevenson a suivi ses traces partout dans le monde, retrouvant des bribes d’information de la Chine aux Caraïbes en passant par les archipels de l’océan Indien et de ceux du Pacifique. Datant minutieusement toutes les traces véritables, la chronologie du parcours du navire l’a finalement amené ici, dans les Bahamas, entre Nassau et Harbord Island. Les faits parlent de sa dernière bataille qui lui aurait été fatale. Les carnets de bord du Scavenger indiquent clairement l’endroit. Il semblerait qu’il ait été témoin de son naufrage avec le Seabourne, un navire anglais appartenant à la Compagnie des Indes. Les circonstances ne sont pas précises mais il était indiqué le lieu, l’événement et aussi un étrange phénomène survenu après la bataille rapportée dans le livre comme étant une dernière diablerie du capitaine Sparrow ; un rayon arc-en-ciel et un navire fantôme. Certes, l’histoire est fascinante, mais en tant que scientifique, le professeur Stevenson préfère s’attacher à une recherche rationnelle : trouver des traces tangibles de l’existence du Black Pearl. Un navire trois mâts aux voiles carrées entièrement noir filant dix-huit nœuds en remontant au pré, à cette époque de la marine à voile et de l’âge d’or de la piraterie, il faut avouer que ça laisse rêveur. C’est lorsqu’il a découvert, un jour, un parchemin chinois sur lequel étaient dessinés les plans de reconstruction de la proue du Black Pearl qu’il a envisagé sérieusement de partir à sa recherche.
Molly Stevenson est assise à la table de la radio en contact permanent avec les plongeurs. Devant elle, un micro, des écrans de contrôle transmettant ce que filment les caméras de plongée, elle suit attentivement le chemin parcouru par les quatre hommes grenouille. Elle est professeur, elle aussi. Sa thèse de doctorat sur l’antiquité chinoise l’a rendue célèbre dans le tout le campus pour avoir été l’une des meilleures soutenances, à l’époque. Aujourd’hui, son minois bronzé par des mois de grand air sous le soleil des Caraïbes, a transformé la jeune fille studieuse en femme rompue aux expériences les plus difficiles en milieu marin, c’est une femme à la quarantaine épanouie et riche d’une vie pleine de passion pour son métier. Tout semble bien se dérouler pour l’instant, mais toujours pas d’épave en vue. Patience. Les courants sont forts à cet endroit et il se peut que la zone à couvrir soit particulièrement importante.
Pendant ce temps, Jacques Fauvette est parti se restaurer au réfectoire. Les petits matins chargés, ainsi, de perspectives aussi ambitieuses ont le don de lui creuser l’estomac, contrairement à d’autres pour qui, l’idée même de chercher un trésor, a plutôt l’effet de leur couper l’appétit. Muni d’un bon bol de café chaud, d’une brioche au sucre et de céréales, il remonte sur la dunette s’installer confortablement à son poste de pilotage face au lever du soleil derrière les vitres de sa cabine ouverte. L’air est doux et agréable. La mer est juste un peu houleuse, mais pas trop. Un seul moteur est en route et marche en sourdine, deux ancres abîmées pour permettre à l’Argonaute de rester en place malgré le courant. Ses yeux noirs faisant la navette de l’horizon à son bol de café où il trempe sa brioche, Jacques est perdu dans ses pensées. Inutiles et futiles pensées qui sautent d’une idée à l’autre sans vraiment de cohérence. Peu importe, d’ailleurs, il n’y a rien d’autre à faire. Soudain, sans vraiment comprendre ce qu’il voit, une petite boule sombre flottant sur l’eau attire son attention. Au loin, dans le prolongement du levé de soleil, il y a comme une... un ballon. Non. Non, ce n’est pas un ballon, un flotteur, alors... non... on dirait qu’il y a deux bras qui s’agitent autour. Figé dans son mouvement, la bouche ouverte prête à mordre dans sa brioche dégoulinante de café, les yeux rivés sur les bras qui s’agitent au loin, il s’interroge. Prestement, il enfourne une bouchée de brioche, pause son petit-déjeuner sur un siège à côté et saisit le micro sur le tableau de commande.
- Mo’y !?! fait-il, la bouche pleine. Molly, ils ont des problèmes là-dessous, ou quoi ? Pourquoi j’en vois un qui est remonté, là-bas ?
Dans le haut-parleur, Molly lui répond :
- Quoi ?! ... Non ! Tout va bien. Ils sont tous les quatre au fond, là.... ils cherchent toujours. Pourquoi ? C’est quoi, le problème ?
- Bah, je ne comprends pas, y’a un type dans l’eau qui agite les bras... à l’Est. Regarde toi-même.
Silence dans le haut-parleur. Jacques sort la tête par une fenêtre à l’Est pour regarder à l’étage du bas où se trouve Molly. Puis, il voit Hugh, au bastingage et lui fait signe de regarder à l’Est.
- Hugh ! Regarde ! ... On dirait qu’il y a un homme à la mer...
Environ à une centaine de mètres de l’Argonaute, il y a bien un homme en train de se noyer. Hugh fait signe, alors à des hommes sur le pont de sortir l’annexe et d’aller le chercher d’urgence. Deux hommes s’exécutent. La petite embarcation mise à l’eau, ils filent plein moteur jusqu’à lui. Jacques, Molly et Hugh observent attentivement le sauvetage. Un homme a hissé le corps dans l’annexe et l’installe tant bien que mal, pendant que l’autre relance le moteur et fait demi-tour prestement. Revenue bord à bord, le temps que Jacques descende de son poste de pilotage, on a étendu le corps d’une jeune femme inanimée sur le pont. Molly est allée prévenir le médecin du bord qui revient chargé d’un équipement de réanimation d’urgence. Il s’agenouille près d’elle et tâte son pouls à la gorge. Avec des gestes précis et maintes fois répétés, il tente le bouche à bouche pour la ranimer. Puis, le massage cardiaque fait de plusieurs pressions rythmées des mains l’une sur l’autre sur le thorax. Et encore le bouche à bouche... massage cardiaque... Rien. Le corps livide de la jeune femme est sans réaction.
- Il faut la choquer, dit soudain le médecin d’une voix ferme. Poussez-vous !
Tous s’éloignent un peu pour laisser le champ libre aux gestes du médecin. Il déchire la chemise de la jeune femme, mettant à nu sa poitrine, déballe le défibrillateur, le met en tension et règle l’intensité. Il pose les deux sabots de chaque côté de son cœur.
- Attention !.... dégagez !!
La violente décharge électrique soulève rudement son buste le temps d’une seconde et retombe mollement. A peine deux secondes plus tard, brusquement, elle recrache l’eau de ses poumons, se met à tousser et respirer bruyamment. Le médecin la fait alors basculer sur le côté pour qu’elle puisse cracher et reprendre son souffle sans s’étouffer. Elle est sauvée. Ceux qui l’entourent reprennent le sourire. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, la jeune femme pose enfin les yeux sur ceux qui l’entourent. Elle semble apeurée et désorientée. Tout ces regards inconnus penchés sur elle la font se recroqueviller sur elle-même. Elle se redresse brusquement et serre les lambeaux de sa chemise sur sa poitrine.
- Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? s’écrie-t-elle d’une petite voix tremblante.
Le capitaine Fauvette s’agenouille près d’elle en prenant un ton calme et posé.
- Rassurez-vous, mademoiselle, nous ne vous voulons aucun mal, lui fait-il doucement. Nous vous avons trouvée en mer en train de vous noyer. Nous vous avons sauvée. Comment vous appelez-vous ?
Pendant que Molly se défait de sa veste pour la mettre sur les épaules de la naufragée, elle observe craintivement tous ceux qui sont autour d’elle et un peu plus loin, l’étrange navire de fer sur lequel elle se trouve. Le désespoir se lit sur son visage et ses yeux turquoise se mettent à briller de larmes retenues. Ce n’est plus le même monde. Et elle ne comprend rien à ce qui se passe.
- Où suis-je ? demande-t-elle, la voix remplie de chagrin.
- Vous êtes sur l’Argonaute, en pleines Bahamas, lui répond le capitaine, séduit, mine de rien, par la beauté de la jeune femme qui reprend quelques couleurs. Et je me présente, je suis le capitaine Fauvette. Je commande ce navire. Vous.... vous ne vous rappelez pas d’où vous venez ? Que faisiez-vous ici, en pleine mer, seule ?
- Je... je ne sais pas, répond-t-elle, au désespoir. Je ne sais pas ce que je fais là.
- Comment vous appelez-vous ? redemande Jacques.
- Christa.
- Christa... répète-t-il. Christa, comment ?
- Christa... c’est tout. Juste Christa.
- Vous êtes bahaméenne ?
- Non !
- D’où êtes-vous, alors ?
- Je ... je suis de ...
Tout se met à s’embrouiller dans sa tête. Elle revoit en pensée le temple au large de Cochin, là où elle a vécu pratiquement toute sa vie. De vagues souvenirs des rizières du village où elle est née. Ses parents... Les prières... L’arrivée de Jack et de Nanthan pendant la tuerie sur l’île. Ce grand voyage à bord du Black Pearl. Et puis le regard de Jack quand il lui faisait l’amour... Comment ce qu’elle voit devant elle peut être réel, plus réel que ce qu’elle vient de vivre ces derniers mois, toutes ces années, même ? Elle observe ces visages inconnus tour à tour, la tourelle de fer juste derrière eux, ces objets étranges qui gisent non loin... Quelle importance ? Quelle importance cela peut-il avoir de savoir d’où elle vient ?
- Je suis de nulle part, finit-elle par prononcer, comme si elle se parlait à elle-même. J’étais seulement sur le Hollandais Volant avec Jack, et...
A ces mots, Hugh et Jacques ouvrent de grands yeux étonnés.
- Pardon ? fait Hugh, incertain d’avoir bien compris.
- Le Hollandais Volant, vous avez dit ? ajoute Jacques qui n’en croit pas ses oreilles.
Molly se penche à son tour vers la naufragée, silencieuse, mais le regard interrogateur. A-t-elle bien entendu ce qu’elle a entendu ?
- Vous avez bien dit le Hollandais Volant ? redemande Hugh pour être certain.
Christa les regarde encore, chacun, sans comprendre leur intérêt soudain. Elle répond d’une petite voix incertaine :
- Oui, j’étais sur le Hollandais Volant. Pourquoi ?
Tous trois se regardent en silence pour confirmer qu’ils ont bien tous entendu la même chose. Puis, Hugh se penche plus près de la jeune femme et lui dit :
- Le Hollandais Volant est un navire mythologique. Il n’existe pas vraiment.
- Bien sûr que si, il existe ! affirme-t-elle. C’est le navire des morts. J’étais dessus avec Jack et son capitaine, William Turner, et ...
- Vous étiez sur le Hollandais Volant ? Mais quand ? re-demande Hugh.
- ... Mais... là... il n’y a pas longtemps... avant que je ne me noie, tente-t-elle de répondre, sans vraiment comprendre. Enfin... je ne sais pas... je ne sais pas depuis combien de temps je suis dans l’eau. Quand c’est arrivé, le soleil se couchait et là, il se lève. ... Je ne sais pas... je ne sais pas...
- Qu’est-ce qui est arrivé ? C’était où ? questionne encore Hugh.
- Je vous dis que je n’en sais rien ! dit-elle d’un ton désespéré, en regardant au loin, cherchant vainement un élément, un signe rassurant. Je ne sais pas ce que je fais là ...
Molly, sentant que la jeune femme s’épuise d’émotion, coupe la conversation.
- Je crois que Christa a besoin de repos et de recouvrer ses esprits tranquillement. Toutes ces questions la troublent beaucoup trop. Je propose de l’emmener se reposer un moment et nous reprendrons cette conversation plus tard, vous voulez bien ?...
Les hommes approuvent et se redressent, bien que leur curiosité ait été passablement excitée.
- Oui, tu as raison, fait Hugh. Qu’elle se repose. Nous avons à faire dans l’immédiat.
Pendant que Molly aide Christa à se relever et l’emmène à l’intérieur, les deux hommes partagent la nouvelle.
- Comment est-ce possible ? interroge Jacques en regardant Hugh tout excité.
- A ma connaissance, le Hollandais Volant n’est cité dans la légende que comme un navire fantôme dont l’équipage maudit doit naviguer jusqu’au jugement dernier. Au même titre que le monstre du Lock Ness, ceci n’est pas plus avéré. La dernière fois que j’en ai lu quelques lignes c’était justement dans le livre de bord du Scavenger, le dernier navire à avoir vu le Black Pearl couler... étrange.
- C’est pour le moins très très étrange, tout ça...
- Plutôt, oui !
- Mais, allons prendre des nouvelles de nos plongeurs. Depuis le temps, ils doivent avoir des choses à nous dire...
Tous deux se rendent à la cabine radio. Hugh s’installe au micro et scrute les écrans de contrôle. Il appuie sur le petit bouton rouge qui ouvre la communication.
- Comment ça va en bas, les gars ? Donnez-nous de bonnes nouvelles ! fait-il le ton enthousiaste.
Dans le haut-parleur, une voix crachotante se fait entendre.
- Eh bien, c’est pas trop tôt ! Qu’est-ce que vous foutiez, là-haut ? Ça fait cinq minutes que j’essaie de vous contacter ?
- Désolé, Matt, nous avons eu un contretemps. Nous en parlerons quand vous serez remontés. Alors ? Quoi de neuf ?
- Nous sommes sur les épaves. Elles sont bien là ! Nous cherchons maintenant à vérifier si ce sont bien celles que nous cherchons...
Hugh et Jacques se font un gros clin d’œil silencieux et se frappent mutuellement les poings pour marquer leur victoire. Puis, Hugh appuie de nouveau sur le bouton du micro.
- Bravo, les gars ! C’est une excellente nouvelle. Nous attendons que vous nous confirmiez que ce sont bien les bonnes.
A cet instant, Molly revient, elle aussi, dans la cabine radio et, devant leur mine radieuse, elle comprend que tout va bien et qu’ils sont sur la bonne piste.
- C’est vraiment le Black Pearl, en dessous ? demande-t-elle, impatiente.
- On ne sait pas encore. Ils cherchent une preuve, répond Hugh.
- Comment va notre naufragée ? demande Jacques à Molly.
- Je l’ai allongée dans la cabine à côté de la nôtre. Elle semble complètement à côté de ses pompes. On dirait qu’elle ne connaît rien de notre univers. Ses vêtements semblent vraiment venir d’une autre époque. Ces tissus ne se sont font plus, de nos jours... Et puis, elle avait le fourreau d’une arme blanche... C’est vraiment étrange.
- Ce qui est étrange, dit Jacques, c’est que nous sommes ici depuis hier soir et que nous n’avons vu aucun navire passer ici. Comment a-t-elle pu se retrouver toute seule en pleine mer à cet endroit ? Les courants ne sont pas assez forts pour l’y avoir amenée de plus loin et, même si ça avait été le cas, elle aurait dû se noyer dans l’intervalle...- Oui, je suis d’accord, répond Molly. Ceci est vraiment un grand mystère.Dans le haut-parleur qui crachouille, le plongeur s’écrie :
- On l’a ! On l’a ! C’est bien le Black Pearl ! Je suppose que nous trouverons le Seabourne juste à côté.
- Bravo, les gars ! s’écrie Hugh en appuyant sur le bouton rouge du micro. Qu’est-ce qui vous a mis sur la piste ?
- Sur la figure de proue... il y a une inscription... « Black Pearl, my always love »... c’est écrit dessus...
Hugh et Jacques se regardent avec un sourire victorieux, trop heureux d’avoir abouti. Les travaux de relevés et d’extraction vont pouvoir commencer. Pendant que Hugh suit la remontée en paliers des plongeurs, Jacques part s’inquiéter de la santé de la naufragée.
Celle-ci, assise sur la couchette avec un mog de thé fumant, habillée de frais avec des vêtements de Molly, elle le regarde entrer le visage fermé.
- Comment vous sentez-vous ? s’inquiète-t-il en restant planté, debout, devant elle.
- Je survivrais, répond Christa, laconique.
- Je l’espère sincèrement, vous savez, dit Jacques. Sachez, encore une fois, que nous ne vous voulons aucun mal. Mais, nous avons besoin de savoir d’où vous venez, vous comprenez. Vous devez avoir des proches qui sont en train de vous chercher... Peut-être auriez-vous un nom, des coordonnées à nous donner pour que nous les rassurions ? Ils doivent certainement s’inquiéter...- Des coordonnées ? fait Christa, sans comprendre. Personne ne me cherche, continue-t-elle, en portant à deux mains son mog à ses lèvres, le regard toujours perdu.
- Je suis sûr du contraire, tente Jacques, en faisant un pas en avant. Que faisiez-vous l’instant d’avant ? Je veux dire... avant de vous retrouver ainsi seule dans l’eau ?
- Je vous l’ai dit : j’étais avec Jack sur le Hollandais Volant.
Craignant d’être tombé sur une schizophrène mythomane évadée d’on ne sait où, il la regarde étrangement. Il décide pourtant de jouer les compatissant.
- Et ce Jack dont vous parlez... il doit bien avoir un téléphone ? On pourrait l’avertir...
- Un quoi ? questionne Christa derrière son mog sans comprendre. L’avertir comment ? Il n’est plus de ce monde...
- Vous voulez dire... qu’il est mort ?
- Oui... dit-elle toujours le regard ailleurs. Il y a eu cette lumière intense qui a envahi tout son corps, progressivement... et puis, soudain, un immense rayon arc-en-ciel comme un éclair... et après, je me suis retrouvée dans l’eau... Jack n’est plus de ce monde, c’est certain.
- Mais...
Jacques, incrédule, ne sait s’il faut prendre la chose au sérieux. Il décide tout de même de poursuivre son questionnement sur le même ton et la même logique.
- ... Mais... le navire a-t-il coulé ? ... Je ne comprends pas. Sur le Hollandais Volant, vous n’étiez pas seulement tous les deux, n’est-ce pas ?
- Il n’a pas coulé, continue Christa, toujours le regard dans le vide. C’est le navire des morts. Il est éternel. Il y avait son capitaine... William Turner... et son équipage... tous des morts-vivants... ils sont retournés dans les abysses... et moi ... et moi... je suis maintenant nulle part...
Jacques secoue la tête d’incompréhension, mais continue tout de même à l’interroger.
- Vous n’êtes pas nulle part. Vous êtes ici, aux Bahamas et nous sommes le vendredi 25 mai 2013. Comment savez-vous que ce... le Jack, dont vous parlez, là, est vraiment mort ? ... Vous dites n’avoir vu que de la lumière... entouré de lumière... enfin... Il y a eu une explosion ? A-t-il eu une crise cardiaque ? Etait-il vieux ? L’a-t-on tué ?
Christa, aux questions, fait un petit sourire adorable qui éclaire son visage. Le regard toujours perdu dans ses pensées, elle répond à son interlocuteur sans vraiment s’adresser à lui mais plutôt à elle-même.
- Jack a compris combien aimer est rédempteur... libérateur... Il a juste gagné la Fontaine de Jouvence... l’éternité... la lumière... Jack Sparrow a gagné l’éternité...
Jacques grimace de surprise et d’incompréhension en inclinant la tête sur le côté. La seule chose qu’il ait compris c’est le nom qu’elle a prononcé.
- Vous avez dit Jack Sparrow, c’est ça ? lui demande-t-il, intrigué.
- Jack Sparrow, oui... confirme-t-elle en le regardant enfin.
- Vous étiez, il y a quelques instants avec Jack Sparrow ? .... re-demande Jacques pour être sûr.
Christa fait oui de la tête avec un air émerveillé.
- C’était un homme merveilleux ! s’exclame-t-elle avec un large sourire qui la rend très belle.
Jacques, un peu sonné se recule un peu et cherche un siège pour s’asseoir. On lui en a fait, des farces, mais, alors, celle-là, elle est grosse comme un paquebot de croisière ! Il finit par trouver de quoi poser sa carcasse alourdie de surprise et s’installe de nouveau en face de Christa en grimaçant. On va voir si elle fabule complet, la jolie fille, ou si c’est une espionne à la solde du gouvernement Bahaméen, se dit-il dans une pensée de défi.
- Attendez... attendez ! fait-il, tout haut, un doigt tendu en avant, cherchant à comprendre et en lui intimant de bien vouloir être sérieuse un moment. Qu’est-ce que vous connaissez de Jack Sparrow ? Qui est-il pour vous ?
- Eh bien, c’est le capitaine du Black Pearl, un pirate, répond-t-elle intriguée par la question. On dit de lui qu’il est la légendaire Terreur des Sept Mers, mais en fait, c’est un homme charmant, ajoute-t-elle le visage radieux.
Puis, elle se rembrunit soudain.
- Il était... se corrige-t-elle.
- Mais ... ça, vous auriez pu tout aussi bien le lire dans un livre, fait Jacques en la regardant toujours aussi intrigué.
Puis, il insiste et penche le buste vers elle.
- ... Mais, qui êtes-vous vraiment ? lui demande-t-il les sourcils froncés et les yeux sombres.
- Je m’appelle Christa, je vous l’ai dit, répond-t-elle, un tantinet agacée. J’étais une initiée de Shiva sur une île, au large de Cochin. Un jour, on a tué tous mes compagnons du temple. Et Jack et son fils sont arrivés. Ils m’ont sauvée et emmenée sur le Black Pearl où je suis restée.... et où j’ai aimé Jack jusqu’à la fin. Ça vous pose un problème ?!!
Sans bouger de sa position, Jacques accuse ses paroles. Il fait un effort pour répondre sans trembler.
- Oui. Ça me pose un problème, répond-t-il, sans changer d’expression. Ça me pose un problème, parce que, figurez-vous, ... puisqu’on en est aux révélations de la quatrième dimension, que ce bateau et son équipage, sur lequel vous êtes actuellement, sont précisément en train de chercher sous l’eau, par quarante mètres de fond, l’épave de ce fameux Black Pearl, qui a coulé voici presque deux siècles et demi !! Alors, oui, ça me pose un sérieux problème de chronologie, jolie demoiselle !! Donc, soit vous êtes une fabulatrice de talent, soit, vous vous foutez de moi effrontément, soit...
Devant le visage décomposé de Christa, il n’ose ajouter son troisième soupçon, qui, visiblement, n’est pas plus sensé que les deux autres. Elle semble véritablement sincère et ébranlée. Il pose une main qui se veut rassurante sur son bras.
- Je suis désolé, fait-il en adoucissant la voix. Loin de moi l’idée de vous ... de ne pas vous croire, mais ... admettez que ce que vous me dites est pour le moins étonnant. Vous dites avoir vécu les derniers instants de Jack Sparrow avec lui, il y a seulement quelques heures à peine ?...
- Oui, fait-elle, en baissant la tête.
- Et comment le Black Pearl a-t-il coulé, alors ? demande-t-il, spontanément avec un petit ton de défi, curieux de voir si l’affabulatrice venue de nulle part se prendra les pieds dans le tapis.
- Le Seabourne, un navire de la Compagnie des Indes, est venu défier ouvertement le Black Pearl en pleine mer. Nous l’avons pris d’assaut. Mais, pendant la bataille, le Scavenger est arrivé. Et, aussitôt après, le Hollandais Volant venait réclamer ses morts. Le Seabourne était fortement armé et le Black Pearl n’a pas résisté à la canonnade. Même si nous nous sommes très bien battus, c’est le Scavenger qui a achevé le Seabourne. Les deux navires se sont disloqués ensemble, et ils ont coulé ensemble. Jack et moi, nous nous sommes réfugiés sur le Hollandais Volant. Les autres pirates survivants sont allés sur le Scavenger. La bataille s’est terminée là.
Muet, Jacques ouvre la bouche et la referme sans prononcer un mot. Incroyable ! .... véritablement incroyable ! Il déglutit bruyamment et tend un doigt en face de Christa.
- Ecoutez, ma jolie, lui dit-il en la fixant droit dans les yeux. Votre histoire est insensée, mais comme c’est trop beau pour ne pas y croire, j’ai envie de dire qu’on va faire comme si c’était vrai. Ok ? Alors, je vais aller retrouver mes collègues. Je vais leur raconter toute votre histoire et lorsque nous remonterons le Black Pearl du fond de la mer, je vous demande de collaborer à nos recherches et nous raconter tout en détails. Ça vous va ?
Elle le regarde aussi par-dessus son mog sans rien dire, semblant étudier le personnage profondément. Cet homme est intriguant... un petit air de déjà vu, si on enlève son incrédulité d’homme rationnel. Puis, elle lui répond sur un ton pincé :
- Vous pouvez très bien ne pas me croire, capitaine Fauvette, et m’obliger à participer dans vos sondages abyssaux, ça ne m’enlèvera pas de l’idée que ce monde n’est pas le mien et que je n’ai rien à y faire.
- Ecoutez, fait Jacques, je ne suis pas spécialiste de la quatrième dimension et je n’ai aucune idée de comment vous faire revenir à votre époque. Donc, j’ai bien peur que vous soyez bien obligée de vous faire à celui-ci.
Puis, il se lève et sans autre mot, sort de la cabine en refermant la porte derrière lui.
La présence de Christa sur l’Argonaute et de son histoire fait l’effet d’une révolution au sein de l’équipage. Hugh et Molly n’osent espérer des révélations les plus folles sur le légendaire Jack Sparrow. Les plongeurs, revenus enthousiastes de leur expédition, n’en croient pas leurs oreilles. Quant aux autres hommes et femmes de l’équipe de recherche ou de service, chacun y va de sa plaisanterie ou de son imagination la plus débridée ; le pirate Jack Sparrow ne se payait pas n’importe qui, comme nana ! Tous ont envie d’y croire et sont aux petits soins pour la belle naufragée.
Le lendemain du sauvetage, tout le monde est sur le pont pour la première plongée de relevés topographiques. Un maximum de plongeurs est à la tâche, ainsi qu’un robot spécialement étudié pour ce travail. Une longue et fastidieuse besogne commence et cela dure plusieurs jours. Christa suit la chose en retrait, désarçonnée par autant de technologie et d’objets bizarres. Plusieurs jours plus tard, Hugh lui montre le journal de bord du Scavenger. Elle découvre un très vieux livre, corné, dont la couverture de cuir noir déchirée et élimée par endroits menace de rompre. Hugh le manipule devant elle sur une table avec grande précaution. Il lui montre quelques écrits au sujet de Jack Sparrow et du Black Pearl. Le seul aspect du livre indique qu’elle a véritablement changé d’époque.
- L’auteur de ces écrits est un certain Hector Barbossa, dit Hugh. Vous le connaissez ?
- Moi, non, répond Christa. Mais, Jack et son équipage le connaissaient très bien. Je leur ai entendu raconter qu’il était le second de Jack bien des années avant et qu’ils ne s’appréciaient pas parce qu’il lui avait volé son Black Pearl deux fois. Le Scavenger semblait une nouveauté, par contre. Et il a mis du temps à venir au soutien de Jack pendant la bataille. Mais, je doute que ça ait changé quoi que ce soit, d’ailleurs. Notre sort en était jeté...
- Pourquoi dites-vous cela ? demande Hugh, intrigué.
- Le Seabourne avait déjà méchamment amoché le Pearl. Ça n’aurait donc rien changé.
- Connaissez-vous le capitaine du Seabourne ?
- Non. Et d’ailleurs, je crois que Jack non plus. Il nous a attaqué de front et sans sommation. Il a tout juste levé ses couleurs au dernier moment. Quand Jack a constaté que c’était la Compagnie des Indes, il a vu rouge.
- Et bien, je vais enfin pouvoir vous apprendre une chose, Christa, dit Hugh, une main à plat sur le livre de bord. Le capitaine du Seabourne faisait partie des prisonniers du Scavenger. Il se nommait le capitaine Milton Gillette.
- Est-il devenu pirate après ça, ou alors, a-t-il été tué ? demande Christa.
- Le livre ne le dit pas. Il semble que le capitaine Barbossa n’était pas très scrupuleux sur ce genre de détail. Par contre, il a particulièrement apprécié détailler la fin du Black Pearl... comme s’il voulait qu’on se souvienne...
- Le Black Pearl était un navire fantastique. Vous l’auriez vu filer sous le vent avec Jack aux commandes, dit Christa, le regard plein de beaux souvenirs. On aurait dit qu’ils étaient en train de faire l’amour avec l’océan...
- Que n’aurais-je donné pour voir ça de mes yeux... fait Hugh, le regard plein d’envie.
- Jack était un marin hors pair. Il n’avait pas son pareil pour composer avec les éléments.
- A quoi ressemblait-il ? demande encore le professeur. .... je veux dire... physiquement ... nous n’avons aucune gravure de lui. Enfin, si, mais aucune ne correspondent entre elles. Il y a des incohérences.
Christa regarde le professeur étrangement.
- Jack ne ressemblait à rien, au premier abord, dit-elle, la voix grave. C’est juste un pirate parmi les autres... habillé ... en fait, il portait sur lui sa vie entière. Dans ses cheveux, à ses ceintures, à ses doigts, sur son corps... et même son foulard... surtout son foulard ! ... vissé sur la tête, comme une deuxième peau, sans parler de son tricorne... Impossible de le lui faire enlever, même pour faire l’amour.
- Le tricorne ?
- Non, le foulard... le bandana, quoi... ses cheveux étaient longs et ... très emmêlés. Cela faisait comme des cordages et il en avait tressé une partie. Il avait plein de breloques et de perles qui pendaient dans ses cheveux aussi... et même un os. Un tibia d’élan, je crois... quelque chose comme ça. Il pendait sur le côté de son visage. Il avait aussi deux petites tresses dans sa barbe, où il avait glissé des perles, et une moustache. Une vraie quincaillerie ambulante !
- Brun ? Roux ? Blond ?
- Brun. Et grand ! Un peu comme vous... à quelque chose près. Et les yeux maquillés...
- Les yeux maquillés ??
- Oui. ... du noir autour des yeux. Pour se protéger du soleil.
- Ah oui ! ... comme la peuplade berbère.
- Peut-être, je ne sais pas. On pouvait tout lire, dans ses yeux. Ils étaient sombres... presque noirs. On y lisait autant l’amour que la haine, l’espoir et le désespoir, l’espièglerie autant que la tristesse. En fait, il était très beau.
- Vous l’aimiez, n’est-ce pas ?
- Plus que tout au monde.
- Pourquoi ?
- Pourquoi ? ... Vous pouvez rationaliser l’amour, vous ? Je l’ai aimé, c’est tout.
- Pardon de vous demander ça, mais .... était-il un bon amant ? ... on dit de lui qu’il avait un problème avec les eunuques, mais qu’il avait un nombre incalculable de maîtresses...- D’après vous ?... lui retourne-t-elle la question, énigmatique.
A cet instant, un homme entre dans la cabine du QG chantier où ils se trouvent.
- Chef ! Les plongeurs ont remonté des petites pièces du Black Pearl. Ça devrait vous intéresser...
Sautant sur ses pieds, Hugh s’empresse d’aller voir.
- Venez, Christa, lui dit-il en sortant. Votre avis nous sera certainement précieux.
Et ils suivent l’homme jusqu’au pont où deux plongeurs viennent de remonter. Ils se sont libérés de leur bouteille d’oxygène et ont déposé au sol un coffre de bois sculpté et incrusté de petits coquillages. Avec moult précautions, on ouvre le coffre en faisant sauter la serrure avec un crochet en métal. A l’intérieur, peu d’eau y a pénétré, laissant pratiquement intacts les rouleaux de parchemin qui s’y trouvent. Tels les chasseurs de trésor qu’ils sont, les yeux rivés sur l’objet comme une convoitise longtemps espérée, tous penchés au-dessus du coffre, ils observent les mains de Hugh qui déroule un des parchemins. Soudain, Christa s’écrie en bousculant tout le monde, rattrapant le parchemin des mains de Hugh et protégeant le coffre de son corps.
- Non ! Non ! Ne regardez pas ça. Non ! C’est à moi. Rien qu’à moi !
- Mais !? .... fait Hugh, déséquilibré et intrigué. Qu’est-ce qui vous prend ?
- Ce sont des dessins que j’ai fait, dit-elle, en serrant le coffre contre elle. Certains me sont très personnels. Je ne veux pas que vous les regardiez.
- Vous pourriez nous en laisser juge, non ? s’insurge Jacques.
- Non ! affirme-t-elle. Ils sont à moi. Moi, seule serait juge de ce qui est montrable.
Désarçonnés par autant de véhémence, tous, les yeux braqués sur elle avec leur intense curiosité, ils ne savent comment insister pour qu’elle leur dévoile son trésor.
Jacques, plus aventureux que les autres, pose une main insistante sur son épaule.
- Je vous en prie, Christa, lui dit-il. Il y en a au moins un qui est montrable... Qu’avez-vous dessiné ?
- Jack et moi .... ce n’est pas montrable, je vous dis, dit-elle en déroulant un parchemin avec précaution sans que les autres puissent le voir.
Elle le repose dans le coffre et en déroule un autre dans un silence général. Puis, un autre et un autre, cherchant visiblement un dessin en particulier.
- Voilà. Celui-là, vous pouvez le voir, dit-elle en tendant le rouleau à Hugh.
Sans se faire prier, il le saisit et l’ouvre immédiatement.
- C’est le portrait de Jack, n’est-ce pas ? demande-t-il en fixant le dessin intensément. Il est comme vous me l’avez décrit tout à l’heure.
- Je l’ai dessiné aussi fidèle que possible.
- Je l’imaginais plus moche que ça... fait Hugh en considérant le dessin avec un sourire. Toutes ces breloques... en effet, on dirait une vraie quincaillerie ambulante !
Tous se penchent sur le dessin par-dessus l’épaule du professeur avec grande curiosité. Jack Sparrow prend enfin forme humaine à leurs yeux, sous les traits dessinés sur un parchemin. Pendant que les autres se délectent à admirer la trouvaille, Christa plonge dans les parchemins en les ouvrant les uns après les autres. Que de souvenirs ! .... de si délicieux souvenirs ... Et puis, à la vue d’un des dessins, elle se dit qu’après tout, ils n’y verraient probablement pas tout ce qu’elle y voit mais seulement la surface de la chose.
- Tenez, leur dit-elle en leur tendant un autre rouleau. Celui-ci, vous pouvez le voir.
Hugh s’en saisit avec avidité et le déroule. Il observe attentivement et ses sourcils se froncent d’interrogation.
- Vous êtes hindoue ? lui demande-t-il
- Bouddhiste, corrige-t-elle.
Et puis, voulant malgré tout se justifier, elle ajoute :
- Enfin, mes dessins se veulent bouddhistes mais ils ne sont pas très représentatifs des canons de l’art de mon culte. Je m’y suis essayée mais ce n’est pas réussi. Je l’ai fait alors que j’étais en méditation active. Je ne connais que quelques aspects techniques de ce genre de dessin et c’est tout. Ce n’est que de l’intuition, en fait.
Tout au fond du coffre, Christa y redécouvre un objet qu’elle avait enfoui dedans il y a très longtemps. Elle avait oublié qu’il s’y trouvait, mais en le tenant de nouveau en main, d’autres souvenirs remontent à la surface. Soudain, Jacques, en voyant l’objet dans sa main, s’approche et s’agenouille près d’elle les yeux rivés sur la chose, semblant le reconnaître.
- J’ai déjà vu ça quelque part, dit-il en fixant le morceau de corail sculpté que Christa tient dans la main.
- Ça ? fait Christa en regardant les yeux sombres de Jacques. C’est impossible, c’est Nanthan qui l’a sculpté pour Jack et moi. Ça devait être un manche de couteau, mais il n’a pas trouvé de lame adéquate. Alors, il me l’a donné ainsi, parce qu’il estimait que sa valeur ne se trouvait que dans ce qu’il avait sculpté et pas dans son usage.
- Qui est Nanthan ? demande Jacques.
- Le fils de Jack.
- Il a survécu à la bataille ?
- Oui. Il a embarqué sur le Scavenger au moment du naufrage. Pourquoi ?
- Je ne sais pas.... fait Jacques, l’esprit soudain troublé et tentant de rassembler ses souvenirs. Je ne sais pas, mais c’est extrêmement...
Le capitaine se lève brusquement, file à toute vitesse à l’intérieur et revient un instant plus tard avec un couteau dans la main. Il s’agenouille de nouveau devant Christa et approche le couteau du manche sorti du coffre. En les comparant, il semble évident qu’ils sont de la même fabrication. Les motifs sculptés sont les mêmes. Difficile de les imiter ou de les imaginer tant le dessin est particulier. L’un est fait dans du corail rouge, l’autre dans du blanc. Ils ont chacun le motif d’un couple enlacé en partie avalé par un énorme poisson. Les ciselures sont de la même main.
- Vous voyez, j’ai le même, fait Jacques troublé. C’est le même que le vôtre.
- D’où tenez-vous le vôtre, alors ? demande Christa.
- Il me vient de ma famille. C’est mon père qui me l’a transmis. Il le tenait de mon grand-père et lui-même de son père... Ils étaient tous pêcheurs. Ils s’en servaient pour vider les poissons.
- Serait-ce possible que... commence Hugh, intrigué par l’association d’idée.
- On ne peut confondre les dessins. Ce sont bien les mêmes, dit Jacques, comme pour se le confirmer.
- Nanthan était pêcheur, aussi, confirme Christa.
- Il n’était pas un pirate ? demande Hugh.
- Il l’est devenu, corrige-t-elle. Un peu comme moi, d’ailleurs. Mais, il était pêcheur à la base. J’ai connu sa mère et lui avant de connaître Jack. Ils ont vécu un moment au temple où je vivais, avant que les problèmes ne surviennent les uns derrière les autres...
- Où est-il né ? demande Jacques.
- Dans l’archipel des Seychelles, je crois. Sa mère fut une des rares femmes que Jack ait vraiment aimée. Il m’a expliqué qu’il en avait fait dessiner les traits sur sa nouvelle figure de proue après une bataille dévastatrice. C’est là que Nanthan a fait la connaissance de son père. Sa mère est morte de maltraitances. Ils avaient été faits prisonniers par la Compagnie des Indes. Nanthan était jeune et fort. Il a résisté. Mais, pas sa mère. Elle est morte peu après qu’il l’ait retrouvée. A partir de là, le père et le fils ont fait route ensemble.
- ... et on peut supposer que Nanthan a fait sa vie quelque part et il a eu des enfants qui ont eu des enfants, et ...
Jacques prononce ces paroles, perdu dans le fil de ses pensées, qui, soudain prennent un sens tout autre.
- ... et me voilà avec un couteau familial à l’identique d’un autre... fait de la même main... une main de marin... ici... venu de l’histoire du Black Pearl... alors.... alors, serais-je un descendant de Jack Sparrow ?
Tous regardent Jacques comme s’ils découvraient quelqu’un d’autre, cherchant dans ses traits une ressemblance avec le dessin ou tout autre signe caractéristique. Troublés, il semble évident, en tous cas, que la découverte des épaves va faire date dans les mémoires de tout ces chasseurs de légendes. Et pendant qu’ils sont plongés dans de profondes réflexions, un homme dans la tourelle s’écrie :
- Les ballons sont remontés ! Les ballons sont remontés !
En effet, les premières grosses pièces des navires sont en train de refaire surface. Les énormes ballons blancs gonflés d’air ont permis aux plongeurs de faciliter leur travail et d’émerger sans trop d’efforts la légende des pirates des Caraïbes. La grue mécanique prend ensuite le relais et hisse un morceau du mât de beaupré et la figure de proue du Black Pearl jusque sur le pont devant les yeux fascinés de toute l’équipe des chercheurs et de Christa. Ainsi qu’ils l’avaient présumé, le Black Pearl est véritablement impressionnant, même sous une couche conséquente de sédiments et de coquillages. Jacques, levant les yeux vers le visage figé de la figure de proue, observe étrangement celle qu’il envisage maintenant comme sa grand-mère au cinquième degré. Son couteau de pêcheur dans les mains, il ne peut détacher son regard d’une telle révélation, fût-elle insensée et difficilement vérifiable. Une recherche généalogique par l’ADN, peut-être ? Il a tellement cherché longtemps, tant de passion a-t-il mit dans cette quête, que, pourquoi pas, après tout ?... Dans son cœur, il sent, il croit, il ressent la plus évidente filiation, tout au moins affective, avec le légendaire Jack Sparrow. Jacques Fauvette, capitaine de l’Argonaute, chercheur de trésors, marin depuis cinq générations, exhume du tréfonds de lui-même un air triomphateur qu’il fredonne :
Yo ho... quand sonne l'heure,
Hissons nos couleurs.
Hissez ho, l'âme des pirates
Jamais ne mourra...
Par contre ce Jacques, déjà c'est trop évident, ne serait-ce qu'à cause de son prénom, mais bon admettons que justement ce soit un clin d'œil. J'aurais eu envie qu'il s'en doute, j'aurais eu envie que le black pearle soit l'unique trésor qu'il ai cherché et ce, soit pour la raison que justement il s'en doute, soit en tout cas que ce ne soit pas un hasard, que quelque chose l'a poussé à le chercher justement. Et peut être pourquoi pas, ses compagnon qui bossent pour le trouver aussi pourrait être des descendant etc…
Mais se retrouver par hasard l'arrière petit fils à je ne sais pas combien de degrés de justement la personne dont il cherche ce trésor ça me semble un peu trop facile et pas très réel, enfin je sais pas, je trouve ça presque dommage.
Bien sûr on peut le voir comme une farce du destin, j'ai rien contre mais j'aimerais du coup, que tout dans la vie de ce jacques l'ai poussé justement vers cela. C'est peut-être le cas mais c'est en tout cas dommage que ça ne soit pas dit.
Parce que là on a juste envie de dire "ha bha oui, foooorcement fallait que ce soit un des membres de ceux qui le recherchent... "
Ensuite un autre truc m'a posé problème, cette nana vient de 2 siècles et demi avant et ils comprennent absolument tout ce qu'elle dit ! Désolé mais si je rencontre une personne même française d'il y a deux siècles et demi il y a de grande chance pour que je ne pipe mots de ce qu'elle me racontera, de la même manière que je pige rien à ce que raconte les canadiens (les vrais pas ceux de la TV). L'accent change, les mots et les langues évoluent bref, là ils ne devraient pas comprendre tout ce qu'elle raconte, en tout cas pas tout ou on devrait parler d'un certain accent ou tout au moins de mots qu'on a plus ou pas l'habitude d'entendre. Rien que ma mère n'utilise pas le même argot que moi alors il y a deux siècles et demi ! J'ai revu dernièrement une vidéo de moi à 17 ans ou mon frère ne pouvait pas sortir une phrase sans dire "la tête de ma mère" même si je pige tout ce qu'il dit c'était y'a seulement un peu plus de 20 ans, je me rend compte du temps qui a passé. De plus elle n'est pas native du lieu, enfin si je me souviens bien.
Dernière chose qui m'a gênée, que ces gens découvrent des choses, des souvenirs et éprouvent cette sorte de trouble qu'on a devant des vieilles choses qui nous parlent du passé ok, mais je ne comprends pas bien la réaction de Christa qui elle vient normalement tout juste de quitter Jack, pour elle ces parchemins ne sont pas si lointain que ça finalement, enfin même si ça fait des mois qu'elle ne les a pas vu, ce ne sont pas des "souvenirs" au vrai sens du terme, c'est pas assez vieux dans sa tête. Si elle se doute qu'elle ne reverra pas Jack et donne a ces objets, ces dessins une signification plus forte, c'est plus du chagrin, (sans l'attachement peut-être juste un regret de ne pas le revoir) mais pas cette sorte de "regard en arrière" comme ci elle tombait sur un journal intime d'une personne qu'elle a perdu depuis 10 ans.
Après toutes ses critiques, désolé, j'espère que tu ne le prendras pas mal, je trouve que c'est vraiment une bonne idée (oui quand même ^^").
D'ailleurs, ton point de vue sur Jacques est intéressant et il mérite que je m'y penche dessus si je décide un jour d'améliorer cette histoire. Pour moi, oui, Jacques se trouvait finalement fortuitement, enfin un bon peu quand même, face à ses origines alors que les scientifiques qu'il transportait s'intéressaient, eux, au Black Pearl et son histoire. Mais je voulais aussi qu'il y ait une correspondance entre son passé et son métier de navigateur. Il ne pouvait donc être à la fois capitaine de navire et chercheur. Ou alors, il aurait fallu qu'il soit chasseur de trésor à la petite semaine, resquilleur des infos des scientifiques qu'il pourrait cotoyer. Oui... ça, ça aurait pu. C'est vrai, je l'avais vu un peu comme "une farce du destin", comme tu dis. Bref, avec ça, j'ai de quoi méditer. Quant au prénom, certes, je plaide coupable, c'est de la grosse ficelle très entendue.
Ensuite, pour Christa et la barrière des langues et tout et tout, c'est depuis le début de l'histoire, une grosse flemmardise de ma part ; j'avais pas envie de me heurter une question de langage, craignant que ça étire encore plus les dialogues. A Cuba, en Grèce, aux Seychelles, à Singapour... Donc, oui, ils auraient dû avoir de la difficulté à la comprendre. Pour ce qui est de sa réaction quand elle retrouve ses dessins, tu as une vision intessante sur sa psychologie, mais ce n'est pas ainsi que je l'interprétais. C'est en effet un peu comme son journal intime et elle n'a juste pas envie que d'autres yeux qu'elle ne se posent sur ces choses. Elle sait exactement ce qui est arrivé à Jack et sait pertinamment, non seulement qu'elle ne le reverra jamais, mais qu'elle se trouve dans un monde qu'elle ne connaît absolument pas. Ce qui fait qu'elle ne peut éprouver de chagrin car il est parti là où tout être spirituellement élevé, comme toute sa vie le lui a enseigné, désire aller. Au contraire, elle est très heureuse pour lui. Reste maintenant à gérer pour elle un nouveau présent totalement inconnu. Mais ça, l'histoire ne le raconte pas. Donc, s'il y a un sentiment qu'elle peut éprouver face à tout ça, c'est du regret d'en avoir fini avec le bonheur qu'ils se procuraient l'un l'autre. Je comprend que pour toi ça peut manquer de sentiments, mais c'est un peu exprès au regard des compréhensions spirituelles qu'ils avaient atteint tous les deux. Si elle ne l'a pas suivi dans son élévation, c'est qu'elle avait tout simplement une autre destinée que lui. Je te laisse libre d'imaginer ce qui pourra lui arriver ensuite.
Je comprend quand même que tu sois déçue par cette fin car elle ne représente pas l'amour ordinaire, tel que la plupart des gens le conçoivent. Pourtant, je l'ai voulu ainsi ; parler d'un Amour spirituellement élevé. Cette histoire contient plusieurs niveaux de lecture et j'ai conscience que certains de mes lecteurs ne peuvent pas tout saisir d'un coup. Je suis heureuse que tu te sois interrogée sur certains aspects des choses. Tu es l'une des rares à avoir osé demander. Donc c'est bien. En plus, tu es aussi l'une des rares à être allée jusqu'au bout. Bravo. J'espère juste que cette fin n'est pas trop amère pour toi. Qui sait, je te souhaite qu'un jour, les expériences de ta vie te mènent à comprendre le destin de Jack et Christa et que tu comprendras mieux pourquoi je l'ai racontée ainsi.
Je dois donc te remercier chaleureusement, Domino, pour ta lecture et tes commentaires fidèles, si vivants et contrastés. Comme mon histoire, en fait. Merci beaucoup.
Biz Vef'