Chapitre 19 - Une légende naît mais ne meurt jamais

Par vefree
Notes de l’auteur : Dernier chapitre avant l'épilogue. Tout se joue ici pour Jack, désormais. Je ne vous en dis pas plus.
Bonne lecture.
 
 

 

        Les jours se succèdent sur l’océan à naviguer, cap sur les Caraïbes. Les alizés, cléments, portent le Black Pearl et son équipage de pirates vers leur destination aussi sûrement que l’est la détermination de son capitaine ; voguer tant et plus, quoiqu’il en coûte. Ils reviennent au fief. La nouvelle figure de proue en avant, réputé revenu aux mains de la Terreur des Sept Mers, le Black Pearl, plus légendaire que jamais, impressionne les navires marchands croisant sa route et ne luttent même plus. Ils préfèrent négocier leur reddition. Facile. Vraiment trop facile...

C’est bien ainsi qu’il l’imaginait, mais cela semble trop beau pour être vrai. La Fontaine de Jouvence est telle qu’elle donne l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes. Jack, le mordant plus que jamais aiguisé, ses yeux bruns brillants d’un nouvel horizon, rien ne semble vouloir entamer une vitalité de vingt ans, devrait-il combattre au fer et par le feu des canons la Compagnie des Indes toute entière. Il se trouve d’une santé inégalée, restant des heures à la barre sans fatiguer, mangeant peu, d’une humeur égale et enthousiaste. Dans le secret de la cabine du capitaine, se déroulent des effusions à nulles autres pareilles, tendant plus vers l’amour transcendé que vers la fornication, vers le partage plus que la possession. Intimement plus experts de jour en jour, Christa et Jack parviennent à sublimer ce qui, pour d’autres, ne seraient que de vulgaires parties de jambes en l’air.

Peu de temps après le Cap Vert, la corvette à triple rangée de canons, le Pride Of The King, fleuron de la Marine royale d’Angleterre, réputée pour son invincibilité, s’est vue envoyée par le fond de deux ou trois coups de canons à peine. La brume aidant, le Black Pearl a surgi dans son sillage, ajusté ses tirs meurtriers et, sans sommation ni pourparler, une fois à sa hauteur, a transpercé la coque de part en part au ras de la ligne de flottaison, ne lui laissant aucune chance de s’en sortir. Mus par un désir de vengeance attisé par les monstrueuses démonstrations d’élimination systématique des réfractaires à l’impérialisme, Jack et Christa, de concert, accompagnés de leur équipage, défendent leur liberté becs et ongles.

Peu après une courte escale dans un petit port des Bahamas pour faire du ravitaillement, un navire, plus téméraire que les autres, s’approche sans signaler son identité. Sa longue-vue en main, Jack soupçonne l’ennemi juré, une fois de plus. Au loin, le trois-mâts carrés aux voiles blanches déployées sous le vent, progresse inexorablement pour croiser la route du Black Pearl. Ses misaines et trinquettes carguées, ses sabords ouverts, seuls quelques hommes dans les haubans, tout semble indiquer le branle-bas de combat. Alors, Jack se met à hurler comme un stentor en repliant sa longue-vue.

- BRANLE-BAS DE COMBAT, moussaillons ! Magnez-vous et dites bonjour à la mort !... BRANLE-BAS DE COMBAAAT !

Pourquoi a-t-il dit ça, soudain ? Cela lui est sorti de la bouche sans même réfléchir et maintenant, quelque chose n’est plus pareil. Mais quoi ? Le pont se met à fourmiller d’hommes affairés. Qui, calibre les canons de pont, qui fait rouler des tonneaux de poudre, qui pousse une caisse de boulets, qui pare les crochets d’abordage dans la précipitation générale.

Christa, qui a entendu Jack hurler de la cabine, se prépare, non sans hésitation, pour le combat. Elle enfile un corsaire, une chemise, boucle une ceinture à sa taille, passe un fourreau à son épaule, se chausse de bottes à grands revers, respire un grand coup pour se donner du courage et sort sur le pont, sabre et pistolet en mains. Depuis la traversée de l’Atlantique et l’île de leur amour naissant, elle a appris à se battre, même si c’est à son cœur défendant. Elle ne peut oublier la tuerie sur son île, dans le temple, où elle en est ressortie seule survivante. Elle gardera toujours ce traumatisme gravé au fond d’elle. Estimant que si elle doit désormais vivre aux côtés de Jack et lutter pour sa vie, autant que ce soit comme lui ; en pirate. Au cours des précédents assauts, elle s’est battue avec fougue et toute l’énergie dont elle est capable. Persistant à s’améliorer dans les combats au corps à corps, elle a fini par trouver un tant soit peu de maîtrise. Elle a beau n’avoir jamais fait ça de sa vie, les circonstances ne laissent pas le choix si on veut rester en vie plus longtemps.

Elle rejoint Jack et sa longue-vue sur le gaillard d’arrière. Ils observent ensemble le navire approcher. Le Seabourne présente son flan bâbord, tous sabords armés. Celui-ci, plus qu’à quelques encablures, hisse enfin ses couleurs et, sans surprise, affiche le bleu de la Compagnie des Indes. Jack répond pour la forme et fait hisser le sien ; noir à tête de mort et petit moineau rouge. La bataille est déclarée.

 

- A VOS CANONS !!! hurle Jack. PAREZ À TIRER !!

Encore quelques houles sous le vent et l’ennemi sera à portée de tir. Deux hommes par canon, les autres aux grappins, tous tapis et prêts à en découdre.

- Tous les canons............. FEU !! hurle, alors, Jack. FEU À VOLONTÉ !!

Et, dans un grand fracas assourdissant, le Black Pearl tonne de tous ses canons. Immédiatement répliqué par ceux de l’ennemi qui ne s’en laisse pas compter. Les tirs sont destructeurs. Les voiles partent en lambeaux, les bois déchiquetés, certains mâts brisés. Sous la puissance des tirs, les premiers morts gisent ou sombrent dans l’océan. Gibbs récupère le grappin du pauvre bougre décapité près de lui et se met à hurler, lui aussi.

- A vos grappins, pirates ! Parés à l’abordage !

Mais, il reste encore un peu de temps avant qu’il ne soit possible d’aborder. Les tuniques rouges tonnent tant et plus, réduisant le flan bâbord du Black Pearl en charpie. Les pirates répliquent avec agressivité. Mais, il manque désormais quelques canons, réduits en miettes par les tirs précis de la Compagnie des Indes. Avant qu’il ne soit temps d’en venir au corps à corps, Jack galvanise ses troupes.

- Hauts les cœurs, hommes de la liberté !! hurle-t-il du haut du gaillard d’arrière encombré de débris de toutes sortes. Le capitaine Turner et son Hollandais Volant ne viendront pas pour vous mais pour ces eunuques en perruques poudrées que vous aurez passés par le fil du sabre !!! A L’ABORDAAAAAAGE !!!

Et, dans un hurlement prodigieux à faire dresser les poils, les pirates saisissent des cordages et se balancent à l’assaut de l’ennemi. L’abordage est meurtrier. Les sabres tranchent. Les pistolets transpercent. Les boulets continuent de foudroyer les bois, les voiles et les chairs sans distinction. On occis à qui mieux mieux. Murtogg ne résiste pas au sabre sans pitié d’un soldat. Mais, ce dernier est embroché furieusement dans le dos par Mullroy, ne supportant pas la perte soudaine de son compagnon de toujours. Les corps tombent de toutes parts. Jack, lui, observe la tuerie attentivement, perché sur les haubans de son navire. Nanthan est aussi dans la mêlée. Il se bat comme un beau diable, pour faire honneur à son pirate de père. Pendant ce temps, Christa, en retrait, jetant un œil rapide sur l’horizon au-delà de la bataille, s’avise d’une nouvelle donne dans l’échiquier maritime.

- Jack ! ... Jack ! fait-elle, en lui tirant la manche et en tendant son sabre au bout de son bras pour lui montrer un navire qui s’approche. Je crois que nous avons une nouvelle visite...

Mais, à peine a-t-il le temps d’apercevoir ledit navire qu’une nouvelle salve de tirs déchire encore le flan du Pearl, secouant dangereusement les attaches de l’ensemble. Jack, déséquilibré, se retient de justesse aux enfléchures en poussant un juron. Christa a glissé, elle aussi, se retrouvant les jambes entre les roues d’un canon. Celui-ci, l’arrimage en partie sectionné, risque à tout moment de rouler. Gibbs, non loin, la voit soudain en grand danger, mais un soldat surgit dans son dos pour lui flanquer une estafilade furieuse du bras jusqu’aux reins. Stoppé dans son élan pour porter secours à Christa, il hurle de douleur. Certains crochets d’abordage et leurs cordages, mis à mal par les secousses des tirs, cèdent en fouettant mortellement tout ce qui se trouve sur leur passage. Du même coup, les deux navires bord à bord se distendent, coupant toute retraite de part et d’autre. Dans l’intervalle, Christa réussit, seule, à se dégager des roues meurtrières du canon avec seulement quelques ecchymoses. Jack, de son côté, parvient à se rétablir et poser ses bottes sur le pont ferme. Le temps pour le capitaine de constater que Christa est sauve et que le Black Pearl prend l’eau, l’affaire est alarmante.

Pendant ce temps, et presque simultanément, tels des rapaces sur les mourants, l’autre navire approche battant pavillon noir, alors que surgit des flots le Hollandais Volant et sa cohorte de morts-vivants. Sur l’autre navire pirate, on s’apprête à profiter de la manne. L’homme qui porte fièrement son grand chapeau à plumes, reconnaissable entre tous, et qui observe de son œil affûté la scène meurtrière, domine le gaillard d’arrière de toute sa hauteur. Son équipage, aux ordres, s’apprête visiblement à tirer dans le tas. Le Scavenger..... Quel fichu nom de circonstance ! Ça lui va si bien de se pointer ainsi dans le sillage du Hollandais Volant et grappiller sur les plaies des combattants ! Une étincelle noire brille dans l’œil de Jack alors qu’il reconnaît son ex-second, Hector Barbossa. Non loin, le Hollandais Volant met en panne, tout ruisselant des abysses. Will, à la barre du Seigneur des Océans, observe la scène, le regard impassible, la stature intemporelle et juvénile, la malédiction assumée. Il ne prend pas part à la canonnade.

Il faut choisir. Jack réfléchit très vite. Trois solutions, et toutes mènent à la mort. Laquelle sera la moins pire ? Sombrer avec son Black Pearl et dire bonjour à Will pour aller retrouver maman ? Se noyer, en somme... Le fil vengeur du sabre de Barbossa ?... parce que, cette fois, il ne lui laissera aucune chance. Ou alors, un simulacre de vie maudite sur le Hollandais Volant ?... Et Christa ? Que pourrait-il lui offrir après ça ? Que deviendra-t-elle ?

Pas le temps de décider. Will apparaît en se matérialisant sur le pont tout près de lui. Un sursaut et une grimace au coin de la lèvre l’accueillent. Décidément, il ne se fait toujours pas à ses apparitions intempestives.

- Si tu es venu pour recruter, Will, je réfléchis encore, lui fait Jack d’un ton railleur.

- Mes respects, Capitaine Sparrow ! lui répond Will, la mine désabusée. Réfléchis vite parce que ton navire est en train de couler.

- Je sais ! répond-t-il, contrarié. Ne me bouscule pas, tu veux !

Sur le Seabourne, Nanthan, Pintel, Ragetti et d’autres se défendent tant et plus. Mais, leur nombre se réduit dangereusement devant l’efficacité des lames et des mousquets de la Marine Royale.

- On dirait que la chance t’a abandonné, Jack, continue Will.

Contrarié, Jack ne répond rien. Il réfléchit toujours. Barbossa n’a toujours pas tiré un seul coup de canon, ce qui le perturbe d’autant plus. Christa, non loin des deux hommes, a trouvé maille à partir avec un soldat et ferraille agressivement. Elle parvient sans trop de difficulté à se débarrasser de son adversaire en l’acculant au bastingage avec son sabre sur la gorge et en le faisant basculer par-dessus bord. Pendant ce temps, sur le Seabourne, les derniers pirates préfèrent sauter à l’eau plutôt que de finir aux mains de l’ennemi. Jack est dépité. Il regarde Christa, l’air désolé.

- J’ai une place pour toi, Jack, lui propose Will d’une voix neutre.

L’intéressé se tourne vers Will d’une pièce et répond spontanément.

- Jamais sans elle !

- Comment .... elle ? demande Will en regardant la jeune femme, surpris. Alors... tu aimes vraiment quelqu’un, Jack ?

Il ne répond rien, un instant, gêné. Mais, le petit rictus dépité et sincère, accompagné d’un petit haussement d’épaules coupable, qu’il lui adresse marque l’évidence.

- Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis, semble-t-il s’excuser. J’ai besoin d’elle.

- Tu me fais marcher, Jack, lui fait Will. Qu’est-ce que tu manigances, encore ?

- Mais.... Rien !

Soudain, le Black Pearl émet un craquement sinistre et se met à pencher dangereusement tribord. Dans le mouvement, tout le monde se retient comme il peut à quelque chose. Christa, par chance, bénéficie du basculement pour voir un autre soldat s’empaler tout seul sur son sabre et tomber sur elle. Une petite esquive rapide, elle évite de justesse de chuter avec lui et attrape un cordage. Le grand mât, déjà bien émoussé à la base par les salves, ne résiste pas. Le bois en charpie rompant irrémédiablement, il s’écroule lourdement sur le Seabourne, lui aussi finalement, en mauvaise posture. Sur le Scavenger, qui, enfin, canonne généreusement l’ennemi par bâbord, on hurle la victoire facile et on hisse les survivants à bord. Gibbs, défait, se précipite vers son capitaine.

- Jack ! Qu’est-ce qu’on fait ? Le Black Pearl va couler, l’implore-t-il, désespéré.

- Va rejoindre Barbossa avec ceux qui restent, lui répond-t-il d’un ton grave. Allez, va !

- Mais !...

- Va ! insiste Jack sans bouger, toujours accroché à son cordage et les pieds calés contre un morceau d’escalier. Adieu, l’ami. Et bon vent !

Gibbs observe Jack avec des yeux soudain brillants, comprenant que c’est vraiment la fin. Le visage empli de chagrin, il ne peut croire à ce que Jack a décidé.

- Jack, non ! nie-t-il, la voix cassée. Tu ne vas pas couler avec lui. Viens ! Viens aussi ! Tu as toujours su fuir quand il le fallait. ... Jack !

Grave et impassible, Jack ne bouge pas. Will observe et attend, silencieux. Christa, elle, s’approche d’eux en s’agrippant à la pente. Tous le regardent, inquiets. Le temps semble suspendu pendant un long silence et le navire qui sombre inexorablement. Christa parvient à le rejoindre. Elle l’implore du regard de prendre la bonne décision. Insiste encore en lui saisissant le bras et cherchant dans ses prunelles sombres un élément de réponse.

- Jack, s’il-te-plaît.... dit-elle d’une toute petite voix.

Et puis, elle ajoute d’un ton désespéré en voyant qu’il ne réagit toujours pas :

- Qu’est-ce que tu comptes faire ?..... Jack...... je t’en prie !... finit-elle, d’une voix brisée.

Il semble plongé définitivement dans une sombre image de lui-même. Amer, déçu, rompu, impuissant, repentant, tout ce qu’il est ou a été lui saute à la figure sans ménagement. Une peur sourde se fait jour en lui. La vraie... Le monstre tapi dans l’ombre. Son monstre. Il le connaît déjà. Il l’a déjà côtoyé maintes fois. On ne s’y habitue pas. Pourtant, il est là... Antinea le lui avait montré avec toutes les protections dues aux structures. Il sait qu’il ne s’en débarrassera jamais.

Sauf...

Dans ses yeux qui regardent enfin Christa, se lit alors le dernier espoir, sa seule issue. Elle scrute autant qu’elle peut, sonde son âme dans son regard, le sursaut de vie et d’amour qu’elle espère tant. Il a trouvé en elle toute la force qu’il peut espérer. Puis, il se tourne vers le capitaine du Hollandais Volant.

- Will, emmène nous, décide-t-il, soudain.

- Quoi .... vous deux ?

- Oui. Nous deux, confirme Jack, décidé. Allez, en route, en route !

- Mais, je ne peux pas, Jack. Vous êtes vivants.

- Fais ça pour nous, Will. Je t’en prie. Emmène-nous.

Will ne comprend pas très bien, mais il accepte sous le regard ferme et insistant de son ami. Pourquoi pas, après tout... Naviguer tel un navire ordinaire pendant quelques miles n’a jamais fait de mal au Seigneur des Océans. Le jour n’est pas terminé, alors....

Sa décision est prise. Jack s’approche de Gibbs et lui tend une main.

- Gibbs, bon vent à toi, lui fait-il avec un demi-sourire amical. Je compte sur toi pour raconter à tous ce qui s’est passé ici.

Eclatant en sanglots, son cher second se jette dans ses bras pour l’embrasser une dernière fois.

- Oh, Jack, tu vas me manquer, tu sais ! pleure-t-il sur son épaule.

- Dis-toi que je ne suis qu’un ruffian qui a encore fui ses responsabilités, lui dit-il, ému, lui aussi, en lui tapotant le dos, pour tenter de le consoler.

- Je ne t’oublierais jamais, c’est sûr, sanglote encore Gibbs, des chaudes larmes coulant dans sa barbe. Tu es le plus grand pirate de tous les temps, Jack !

Soudain, de gros clapotis bouillonnants finissent d’engloutir aux trois-quarts la carcasse désarticulée du Black Pearl. Plus le temps de s’étendre en reconnaissance.

- Il ne faut plus rester là, maintenant, insiste Will. Allez...... En route !

Une dernière poignée de mains à Gibbs, éploré, avec un clin d’œil complice qui se veut un assentiment rassurant et Jack se tourne vers Will avec Christa qu’il prend par la main. Pendant que le Black Pearl coule inexorablement, Gibbs plonge et nage pour rejoindre le Scavenger. Etrangement, le Hollandais Volant s’est approché de manière à venir tout près et accueillir ses nouveaux passagers. Le Seabourne, lui, alors qu’il est la proie des flammes provoquées par les derniers coups de canons rageurs du Scavenger, entraîné dans sa chute par le grand mat du Black Pearl resté en partie lié à sa base, achève aussi de sombrer définitivement dans un bouillonnement d’eau et de fumée. Lorsque Will, Jack et Christa prennent pied sur le pont, c’est pour observer les restes du Black Pearl, son mat de beaupré et sa figure de proue sombrer debout lentement. Les traits du demi-sourire de Shaani sculptés avec soin sur le bois noir de son navire semblent lui adresser un dernier clin d’œil espiègle et amoureux que seul le lien que Jack avait avec elle peut interpréter. Sa chute, un instant retenue au niveau du buste par les flots bouillonnants, semble vouloir retenir un adieu interminable. Jack est incapable de la quitter des yeux. Son regard perdu, entre deux eaux, ou entre deux mondes, n’appartient plus à personne, pas même à lui. L’objet de sa vie s’en va. Un dernier regard. Un dernier salut. Un dernier souffle. L’océan ne rend rien. Il le sait. Il est de la même veine que lui. Un dernier clapotis et c’est fini. Le Black Pearl a sombré. Sans lui, cette fois. Il n’y aura plus d’antre pour le retrouver.Le Hollandais Volant s’éloigne doucement du lieu de la bataille, ses voiles déployées. Il file vers le couchant. Le Scavenger, lui, prend une route plus Nord-Ouest. A son bord, Nanthan fait connaissance avec son nouveau capitaine, Hector Barbossa, et il doit lui expliquer ce que lui-même ne comprend pas ; son père est là-bas et il ne reviendra plus jamais. Les autres pirates, qui connaissent le capitaine au chapeau à plumes, tentent vainement des explications scabreuses ou superstitieuses qui lui font hausser les épaules et lever les yeux au ciel. Jack est un poltron. Mais, il est aussi teigneux quand il s’agit de son statut de capitaine. Et même s’il paraît plus jeune qu’avant et invincible, comme le disent ses survivants, ce n’est pas une raison pour décider d’aller braver la mort en direct. Il est monté à bord du Hollandais Volant pour ravir la place de Will et reviendra les hanter au gré de ses caprices. Ce à quoi Gibbs lui réplique que c’est impossible, puisqu’il faut pour cela qu’il embroche son cœur et que c’est Elizabeth qui le détient. Bref, aucune idée ne tient la route et personne ne comprend la décision du capitaine Sparrow. Barbossa, lassé d’entendre encore parler de ce satané pirate, s’en retourne se préoccuper de ses prisonniers. Les tuniques rouges vont passer un sale quart d’heure.

Will s’approche enfin de Jack et Christa, tous deux à observer l’horizon, près du bastingage.

- M’expliqueras-tu enfin pourquoi tu as voulu venir ici, Jack ? lui demande Will calmement.

L’intéressé se tourne vers lui, une expression étrange sur le visage. Il observe Will avec un air triste teinté d’une lueur d’espièglerie. Christa, à ses côtés, regarde aussi le capitaine du Hollandais Volant comme si elle voyait réellement la mort dans ses plus beaux atours. Les yeux tristes de Will sous son bandana vert, sa cicatrice sur sa poitrine dans sa chemise ouverte, tout en lui évoque le déchirement et la vie perdue. Jack semble pourtant certain d’avoir pris la bonne décision, mais la peur lui noue les tripes. Puis, il tourne à nouveau son regard vers l’horizon.

- J’ai toujours voulu savoir ce que ça faisait de passer de l’autre côté, répond-t-il enfin à Will avec un petit air bravache.

- Tu le connais déjà en partie, semble-t-il, lui réplique Will. Je me trompe ?

- Je veux dire... derrière l’horizon... là-bas. S’il n’y a plus d’antre... qu’y a-t-il, alors ?

- Jack, ne joue pas à ce petit jeu-là avec moi. Je sais très bien que tu as plus peur de la mort que de toi-même.

- C’est plus fort que moi, s’excuse-t-il sur le même ton. N’est-ce pas normal de s’intéresser à celle qui vous court après tous les jours ? Je l’ai toujours fuit, en pensant qu’elle ne me rattraperait pas si j’allais plus vite qu’elle. Aujourd’hui, je sais qu’elle m’attend et que j’ai des arguments pour lui parler. Je veux savoir ce qu’elle me veut.

- Elle veut ce qu’elle veut à tous, Jack. Je suis désolé, mais je ne peux rien faire pour toi. Il semble qu’une force qui t’appartient désormais t’empêche de l’atteindre. Je ne pourrais t’y emmener comme j’emmène les autres.

- Ce n’est pas grave, répond-t-il, accoudé au bastingage le regard perdu sur l’horizon. Emmène-nous quelque part jusqu’à la fin du jour.

- Je vous dépose sur la prochaine terre venue, conclut Will en s’éloignant.

Puis, il se ravise et revient pour s’adresser à la jeune femme qui se tient près de Jack.

- Nous n’avons pas encore été présenté, je crois... lui adresse-t-il avec un petit signe de tête.

- Non, c’est vrai, lui répond-t-elle, bien que le faisant, elle hésite tout de même à lui tendre la main. Je m’appelle Christa.

- Capitaine William Turner, se présente-t-il en prenant sa main respectueusement. Votre témérité à accompagner cet homme n’a pas d’égale, lui répond Will, admiratif, en lui baisant la main.

- Je n’ai pas de témérité, réplique-t-elle, modestement. Ma tâche, c’est d’aimer ce forban qui est un homme bien, quoi qu’on en dise, et de l’accompagner partout où il veut que j’aille avec lui.

Will sourit à demi en jetant un œil sur Jack toujours tourné vers l’horizon.

- Il a toujours eu beaucoup de chance, dit-il à demi ironique. Les femmes à ses pieds... L’éternité pour en profiter...

- C’est vrai, tu as raison, dit Jack en se tournant vers lui et gardant un coude appuyé, le regard fier. Au fond, j’ai obtenu ce que je voulais... La Fontaine de Jouvence... Christa me l’a offerte.

- Je m’en doutais... fait Will. Depuis l’antre de Davy Jones, tu ne cours qu’après ça. Et maintenant ?

- Maintenant ? Je vais vivre avec elle pour l’éternité, dit-il en fixant Christa d’un regard amoureux.

Will considère alors le couple d’un regard admiratif, mais la petite étincelle triste qui brille dans ses yeux évoque la déchirure de son amour si loin. Il reste encore huit ans avant de revoir Elizabeth... Les épaules basses, il s’en retourne alors silencieusement donner ses ordres, laissant Jack tout à son amour.

Quelques instants plus tard, Jack s’éloigne à l’avant du navire. Christa, un moment seule, hésite à le rejoindre. Quel espoir reste-t-il ? ... Quelle ironie du sort ! La vie est décidément sans pitié. Quel autre choix peut-on faire lorsque seul l’essentiel se présente, là, ici, maintenant ? Rien qu’eux deux et l’horizon. De toute évidence, rien d’autre ne compte à ses yeux que ce pirate. Mourir est la dernière des solutions envisageables. Elle le rejoint. Ils restent ainsi longtemps sans rien se dire, juste à regarder dans la même direction, en suivant le rythme de la houle, l’un contre l’autre. Le soleil de fin d’après-midi est encore chaud sous ces latitudes, et ses rayons encore intenses. Il n’y a plus rien à faire qu’à écouter, humer, apprécier un silence qui en dit déjà long. Ils se connaissent désormais parfaitement. Chaque inspiration de l’un est l’expiration de l’autre et inversement. A tout instant, leurs énergies se parlent, se caressent, s’harmonisent, s’éloignent et se retrouvent avec autant d’aisance que le font le ciel et la mer. Les mots sont inutiles, les paroles envolées, les dialogues futiles. Tout se passe dans le silence entre leurs deux corps. Leurs esprits sont en communication directe. Leur âme en parfaite harmonie. Le temps s’étire et il n’a plus d’importance. Christa sait ce qu’il ressent, alors. Elle sait aussi ce qu’elle doit faire. Elle se tourne vers lui doucement en posant sa main dans sa chemise ouverte, sur son coeur. Elle capte son regard et l’invite du sien à l’apaisement. Puis, elle rompt le silence.

- Veux-tu que nous nous occupions de tes démons, là, tout de suite ?

- Je veux surtout ne plus penser, répond-t-il, tristement. J’ai tout perdu. Je n’ai plus que toi et ton Amour.

- Tu as la Fontaine de Jouvence, Jack. Tu as à la fois l’abondance du monde et à la fois rien. Tu as l’éternité et, à la fois, tu n’as pas de temps pour toi. Tout est là, à ta disposition. Tu peux accepter de tout prendre ou rien du tout. En fait, tu es libre.

- Libre... répète Jack, hébété, comme sonné de trop d’événements d’un seul coup.

- Encore plus libre qu’avant, oui, ajoute Christa d’une voix douce. Tu n’as plus de navire, plus d’équipage, ... et même plus d’attache, nulle part...

- Si, toi, fait Jack.

- Moi, je ne suis là que de passage dans ta vie. Je ne suis pas une attache. Tu le sais aussi. Je peux m’en aller quand je veux. Et toi aussi.

- Que va-t-il nous arriver, alors ? demande Jack, perdu.

- Nous n’existons pas réellement. Pourquoi voudrais-tu qu’il nous arrive quelque chose ?

- Si ! Là, maintenant, réplique Jack, pragmatique. Il va bien se passer quelque chose. Ça ne peut pas rester ainsi. Qu’allons-nous devenir ?

- Que veux-tu, Jack ? Qu’est-ce que tu veux, là, maintenant ?

Il la regarde un long instant, semblant chercher tout au fond de lui une réponse. Du tréfonds de son ventre, la peur sourde est toujours là. Elle le pousse à lui faire cette réponse qui, en d’autres circonstances pourrait paraître si belle, mais qui, là, prend soudain une autre portée bien plus triste.

- Je veux juste partager encore un moment avec toi...  fait-il simplement.

Alors, silencieusement, elle le prend par la main et fait quelques pas jusqu’au centre du gaillard d’avant.  Tous deux savent quoi faire. Il s’assoit à même le pont, les jambes repliées et elle vient s’asseoir sur lui, tout contre son torse, glissant ses jambes de part et d’autre de ses hanches et ils s’enlacent tendrement. Fermant les yeux pour mieux ressentir l’autre et se caler sur sa respiration, ils s’unissent encore une fois, dans la plus pure harmonie des cœurs, dans une prière des corps, leurs gonades en communion. Leurs énergies se mêlant progressivement, dans une seule et même respiration, les contraires s’assemblent et deviennent à la fois deux et un. Toutes les pensées inutiles disparaissent comme par enchantement. Puis, ils se regardent dans les yeux, profondément, puisant dans le regard de l’autre ce qu’il veut bien y trouver. Les beaux yeux turquoise de Christa, si translucides sous la lumière rasante du soleil qui descend se coucher, s’effacent soudain dans une hideuse face monstrueuse, grimaçante et cadavérique. Jack ne peut retenir sa frayeur même s’il sait déjà que ce qu’il voit n’est que ce monstre intérieur insupportable. Tout ça n’est qu’une illusion de plus. Mais, il ne bouge pas. Ce serait perdre toute chance ultime. Le seul moyen de gagner cette bataille contre lui-même est d’accepter la vision. Accepter qu’il soit là, aussi. Il sent Christa sur lui soudain se mettre à trembler imperceptiblement. Le monstre s’efface de son visage et c’est à nouveau elle. Dans ses yeux se lisent alors le plus beau des Amours. Ses lèvres s’ouvrent légèrement et dans un souffle de voix transie elle prononce des paroles dont il ne saisit qu’un seul mot : Shiva ! ... mon Shiva, a-t-elle dit. Alors, il écarquille les yeux de surprise. Il fait le lien, soudain, avec les prédictions de la vieille chinoise. C’est bien elle. C’est donc bien Christa, l’élue de son cœur si encore cela faisait un doute. Cette Shaakti tant espérée, il la tient dans ses bras. Le simple fait de comprendre cela ainsi, si brusquement, tout son corps se détend et s’apaise. La peur disparaît. Enfin, il se donne le droit de s’abandonner entièrement. Rasséréné, éperdu, même, dans un flot d’Amour incommensurable, il serre encore plus fort celle qui lui donne sans attendre de retour. Toute cette joie qu’il ressent soudain tel un torrent qui l’emporte. Enfin, libre !! Son corps tout entier se met à trembler aussi à l’unisson. Dans l’esprit de Jack, il n’y a plus qu’un grand vide rempli de tous les possibles. Une vacuité totale. La plus pure des compréhensions se fait jour en lui. Le monde n’est que lumière pure, ainsi. Plus rien n’existe. Tout est illusion...

Will est à la barre du Hollandais Volant, son père à ses côtés. Au loin, le soleil s’apprête à toucher l’horizon. Ils fixent ensemble la fin du jour, admirant chacun ce rare moment terrestre. C’était si commun pour eux, autrefois. Aujourd’hui, c’est un instant précieux, car dans le monde des morts, la lumière est toute autre. Puis, le soleil rejoint l’horizon. Ou alors, est-ce le contraire ? Les deux se mêlent dans un mouvement inexorable, l’un ascendant, l’autre descendant dans un camaïeu de lumières enflammées. Alors qu’il ne reste du soleil qu’un vague petit arc doré noyé dans l’horizon, de l’avant du navire, s’élève vers le ciel un mince rayon arc-en-ciel extrêmement lumineux. Les deux hommes, à la barre, ont à peine le temps de le remarquer que soudain, en lieu et place du mythique rayon vert, c’est un rayon arc-en-ciel qui se produit alors, faisant instantanément disparaître le Hollandais Volant et son équipage du monde des réalités terrestres.

Sur le Scavenger qui fait voile vers Tortuga, Nanthan écarquille les yeux de surprise alors qu’il aperçoit le Hollandais Volant, au loin, disparaître sous un fantastique rayon arc-en-ciel.

- Vous avez vu ?!! Vous avez vu ?!! s’écrie-t-il en tendant un bras vers l’Ouest en s’adressant aux hommes près de lui. Le rayon !... Le Hollandais Volant a disparu !!

Gibbs est là et a vu ce qui s’est passé.

- Oui, bonhomme, lui répond-t-il accusant aussi la surprise. Autrefois, on aurait pu voir un rayon vert... Mais on peut supposer que comme ton père était là-bas il n’est pas étranger à sa transformation.

- Mais, alors... bafouille Nanthan ne comprenant qu’à moitié. Mais, alors, le navire des morts l’a emporté?

- Ça, on peut le supposer, mais on n’en sait vraiment rien. On dit qu’un rayon vert, c’est une âme qui revient de l’au-delà. Mais, je n’ai jamais entendu parler d’un rayon arc-en-ciel, ni vu jusqu’à maintenant. Alors, qui sait ?...

- Ça ne peut-être que Jack Sparrow, moi, j’dis, fait Pintel, impressionné.

- Oui, moi aussi, confirme Ragetti son seul œil encore fixé sur l’endroit du rayon. C’est Jack Sparrow qui a fait ça. Il est déjà mort une fois et là, son âme va venir nous hanter pour l’éternité.

- Oui ! Il était à nul autre pareil, renchérit Pintel. Il va revenir nous hanter.

- Assez ! Cessez vos superstitions, s’exaspère Barbossa en s’approchant d’eux. Jack Sparrow n’était qu’un ruffian, un fieffé pirate qui aimait les femmes et c’est tout ! Je ne veux plus entendre parler de lui.

Nanthan s’approche alors de Barbossa et lui demande :

- Alors, si vous ne voulez plus entendre parler de mon père, qu’allez-vous faire de moi ?

Le capitaine Barbossa fixe Nanthan de ses petits yeux perçants.

- C’est ma foi vrai, sacrebleu ! Que vais-je faire d’un rejeton de Sparrow ? s’écrie-t-il.

Gibbs qui prend fait et cause pour le jeune homme s’avance devant Barbossa et lui dit :

- Il n’est pas du tout comme lui, capitaine. Pas du tout, je vous assure. Il.... il n’a pas son pareil pour pêcher. C’est un véritable pêcheur, vous savez. Avec lui, on ne manquera pas de poissons, c’est sûr. Et la piraterie, ce n’est pas vraiment son truc.... le commandement, tout ça... non, non... c’est certain.

Pintel et Ragetti, renchérissent. C’est un brave petit gars, approuvent-ils de la tête. Puis, soudain, Jack, le singe de Barbossa, qui se trouvait assis sur l’épaule de son maître, file à toute vitesse, dans un petit cri strident et vient se percher sur celle de Nanthan avec force grimaces et montrant toutes ses dents. Avec ses pattes avant, il lui entoure la tête dans un geste affectueux tout en lui masquant les yeux. Ça ne manque pas de faire rire toute l’assistance et désespère le capitaine qui se voit obligé de céder à l’approbation générale et en particulier de son petit animal protégé.

- Et bien gardons le pêcheur Sparrow ! Vous l’aurez voulu ! s’écrie-t-il en s’éloignant avec un geste de dépit.

 

 

o0o0o

 

Sonnée, les réflexes en alerte, l’adrénaline déversée dans ses veines, Christa ouvre brusquement les yeux. L’eau est froide. Surnager, garder la tête hors de l’eau. La houle est ample. Autour d’elle, ce n’est que l’immensité de l’océan à perte de vue et une lumière d’aurore à peine pointée sur l’horizon.

Elle se souvient, soudain. Juste un instant, avant le rayon lumineux. Les yeux de Jack qui la regardaient avec cet air incroyable et puis.... tout s’est mis à briller d’un coup. Lui, surtout. Une lumière étrange... et ensuite, fulgurante. Elle comprend, soudain. Des émotions mêlées la submergent, alors.

- Oh, Jack !! s’écrie-t-elle dans un sanglot à moitié joyeux, éperdue d’émotions mêlées... Tu l’as vraiment trouvée ...

Elle boit la tasse, s’étouffe, tousse, crache, bat des jambes et des bras... des larmes salées se mêlent à l’océan et son corps se maintient difficilement à flot.Le visage à peine hors de l’eau, emplie encore de cet immense amour, elle pleure à la fois de joie et peine. Jack est parti rejoindre les bodhisattvas de l’univers.

Le jour arrive, alors que l’instant d’avant dans les bras de Jack, le jour finissait. Elle est seule. Perdue dans l’immensité de l’océan.

 

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dominosama
Posté le 09/01/2013
J'ai pas tut compris il faudra sand doute que je relise se passage.
La fin de Jack, naaaaan j'y crois pas >_<!
Et puis elle, elle meurt noyée transqullement dans l'océan pendant que lui il va au nirvana ? Nan mais c'est pas très juste hein !
vefree
Posté le 09/01/2013
Disons que la justesse se situe à un autre niveau de compréhension. Nan, oui, je sais, pour Jack, c'est.... oui bizarre, mais c'est voulu.
Je vais te répondre plus précisément à ton dernier commentaire. Enfin, je vais essayer... 
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