Chapitre 21 - Meos - Les esprits empoissonnés par des chimères voient doubles

Gale tire délicatement le rideau sur l’antichambre, avant d’inviter Sage et Meos à entrer dans la tente, éclairée par la lueur d’un petit brasier incandescent. Sage salue respectueusement de la tête, avant de constater avec surprise un jeune homme, bien bâti, grand mais pas géant, vêtu d’un simple short noir, criant à l’agonie. Ses extrémités, sous contrôle, Gol à la tête, Galgot au bras droit, et Gale qui reprend rapidement sa place et lui saisit les jambes. Son épaule gauche est arrachée, l’os exposé, baignant dans une flaque de sang, stagnante, pustulée de bulles blanchâtres, dans le creux d’une toile de fortune.

 

« Vous n’avez pas fait les premiers soins ? s’étonne Sage.

– On avait juste de l’essence apaisante », réponds Gale en indiquant une fiole similaire à ce qu’a donné Sage au vieil homme pour sa femme.

 

Sage lance son sac par terre, et commence à en sortir tissus, outils et fioles par volée, tandis que Meos s’approche lentement, présidant la scène. Les rideaux de séparations avec les autres tentes se soulève par le bas, exposent des petits yeux curieux rasant leur chute, avant qu’une voix résonne.

 

« Allez jouer ailleurs, hurle Galgot, si je vous attrape ! Il vous arrivera le même sort ! »

 

Les rideaux retombèrent inerte, avec les bruits de peur d’enfants qui s’éloignent, alors que la victime plaide, les larmes aux yeux.

 

« S’il vous plaît, je veux pas être infecté. Sauvez-moi. »

 

Sage, concentrée, dépose un tissu imbibé sur le visage de la victime, puis indique à Gol de le tenir ferme, avant de s’appliquer à dépecer, à l’aide d’un petit couteau, la chair pendante autour de l’os et en écarter les nerfs. Le corps convulse, mais elle reste imperturbable, et enchaîne avec un fil et des aiguilles. Elle recoud la plaie, en aspergeant abondamment d’un liquide visqueux, d’une autre fiole, qui se solidifie comme une croûte rouge, qui noircit graduellement au contact de l’air. La tension retombe, et le corps se calme. Sage tente de se lever, mais ses genoux ne suivent pas, elle bascule en arrière avant d’être soutenu par Garo qui lui murmure.

 

« Ça va ? C’est pas Meos qui t’aurait retenu.

– Ça va, ça va. Je pense que je vais rester assise pour le moment. »

 

Gol, Galgot, et Gale relâchent leur emprise, remercient Sage de la tête, qui réciproque le geste.

 

« Je… suis… vivant… » gémit le jeune homme, avec difficulté, en essayant d’ôter le tissu asséché avec son faible souffle.

 

Gol s’empresse de lui soutenir le cou, pour l’aider à se redresser, et retire le tissu. Le jeune homme inspecte ses membres un par un, retardant l’inévitable. Enfin, il confronte l’absence de son bras gauche, en caressant du bout des doigts les bosses et fissures de la croûte, du haut de son épaule jusqu’au milieu de son torse. Il serre les dents, retient ses larmes, plaide une conclusion.

 

« Est-ce que je suis infecté ?

– C’est inévitable, je suis désolé, réponds fermement Sage

– Impossible ! Vous mentez ! » exclame-t-il en la jurant des yeux.

 

Sage prend une poignée de sa chair sanglante, et peau déchirée, s’approche au niveau de l’antichambre, et tends son bras à l’extérieur. Son visage fronce de douleur au rythme de crépitements. Garo s’apprête à bondir pour la secourir, mais elle l’en empêche. Finalement, elle s’avance vers la victime, s’assoie à ses côtés, et lui montre sa boule de chair, fumante, cuite, craquante, qu’elle laisse tomber dans la flaque de sang, par lambeaux.

 

« Mais il y a un espoir ? dit-il en regardant Meos, larmoyant.

– Une rumeur, continue-t-elle avec la même fermeté.

– Une rumeur ne naît pas sans fondements, interrompt Gol, n’importe quel villageois, qui a vu le corps de Meos reposé dans le chariot, le condamnait du regard. Le seul miracle était qu’il soit en un seul morceau. Qu’avez-vous fait ? lance-t-il avec insistance.

– Rien.

– Ce jeune homme a frôlé la mort ! Donnez-lui de l’espoir ! hausse Gol.

– Je n’ai pas ce pouvoir.

– Vous avez cette responsabilité. »

 

Sesa entre brusquement par l’antichambre, confuse par la scène.

 

« Excusez-moi, coupe-t-elle, mais j’ai vu une boule de chair, flottante, dégoulinante, me saluer, avant de bouillir à la lumière avec un filet de fumée sanglant. Je voulais m’assurer que je n’étais pas entrain d’halluciner.

– Évidemment, renchéri Gol, Mer vous a à l’œil.

– Aidez-moi ! supplie la victime.

– Ça suffit ! » cri Sage, qui se lève afin de capter l’attention de tout le monde, avant de délivrer ses mécontentements.

 

« De un ! elle s’adresse à la victime. Être infecté n’est pas une fatalité. Manquer un bras n’est pas une fatalité. Tant que vous vivez vous trouverez un chemin qui vous correspondra. Penser que c’est impossible est une insulte aux autres aventuriers, qui ont continué à vivre, mais aussi envers vous-même. Ne vous sous-estimez pas ! »

 

« De deux ! elle s’adresse à Gol. Je suis consciente de ma responsabilité, mais aussi de mes capacités. Je peux donner de l’espoir, mais jamais en dehors de mes capacités. Ces faux espoirs finissent toujours par s’accumuler, la réussite condamne l’abandon, l’échec encourage l’enchère, et les esprits empoissonnés par des chimères voient doubles. Moi, je peux uniquement soigner le corps. »

 

Le jeune homme sèche ses larmes de sa main droite, puis toussote entre petits éclats de rire et pic de douleurs.

 

« Ne pas me sous-estimer ! C’est une tournure plutôt ironique. J’ai vécu mon enfance à la couronne, observé mes parents travailler dans les forges, estropiés avec le temps, dégoûté, téméraire, j’ai choisi de devenir garde. Mais sans expérience, ni vote, il est difficile d’y accéder directement. Alors j’ai choisi le chemin des aventuriers, à la frontière du Croc. Et me voilà, estropié, infecté, la seule place qui pourra m’accepter est ici, ou bien les forges souterraines, près de mes parents.

 

Sage s’agenouille à ses côtés.

 

« N’abandonnez pas ! Je n’ai pas suffisamment de pouvoir, de connaissances, mais cela changera. Je vous jure que dès que j’ai un remède, vous serez le premier à le recevoir.

– Merci », répond le jeune homme, avant de faiblir une dernière fois. Dépossédé de ses dernières forces, il sombre dans un lourd sommeil.

 

Gale retire la toile sanglante, tandis que Galgot porte la victime avec délicatesse, comme une princesse.

« On va le déposer dans sa tente, et on revient pour manger », dit Gale en saluant tout le monde.

 

Ils quittent la tente par un rideau adjacent.

 

Gol et Garo retirent leur voile, les plient avec précaution, exposent leur corps d’une pâleur semblable aux infectés, vêtus d’un simple short. Garo dresse une table, ravive le brasier, et sort des vivres d’un coin de la tente. Gol s’approche de Sage, l’air hésitant, cherchant à se faire pardonner.

 

« Je m’excuse pour mon comportement. Vous devez savoir à quel point ces rumeurs me perturbent plus que tout autre personne.

Une femme passe par le rideau, le corps exposé, pâle, couverte de bandelette pour supporter et estomper son ventre grossit.

– Je profite de votre présence, plus tôt que d’habitude, et vous remets ma femme entre vos mains, dit-il. Ne me donnez pas un espoir, mais si vous en avez le pouvoir. Permettez à mon futur enfant de pouvoir vivre, sous la lumière. »

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