Garo mène la marche. Ses bottes frappent le sol nerveusement le long de la voie principale, en direction du cordon de tentes des Aventuriers, qui sert de barrage entre le village et la forêt. Il est suivi par Meos, accoudé par Sage, et Sesa, derrière à griffonner. Un vieil homme, patient, les regarde arriver, debout, sur le bord de la voie, à l’entrée d’une bâtisse. À l’approche, sa nervosité rampe jusqu’au bout de ses mains, noircies par les flammes.
« Un des nôtres a frôlé la mort, explique Garo. Ses signes vitaux sont devenus stables après que le choc l’ait assommé, mais j’ai peur qu’à son réveil, l’anxiété…
– Médecin ! Médecin Sage, Sage, interpelle le vieil homme.
– Désolé, mais c’est une urgence, coupe Garo sans s’arrêter.
– Attends, rejoint Sage, calmement en s’approchant du vieil homme pour lui porter son écoute.
– Ma femme est alitée, depuis quelques cycles, ça s’est empiré, elle gémit de douleur, elle n’entend pas quand je l’appelle.
– Sûrement la fatigue », coupe Garo en penchant la tête avec intimidation, incitant le départ.
Sage fouille son sac, déchire un carré de tissu avant de l’imbiber du liquide translucide d’une petite fiole, avant de le tendre au vieil homme, et repartir immédiatement.
« Recouvrez son visage avec. Ça lui permettra de se reposer. Je reviens ! »
Le vieil homme salue, et accoure, avec la difficulté de l’âge, tenant le précieux tissu bercé dans ses paumes de mains, dans sa bâtisse.
« Encore un couple âgé qui a quitté la couronne, mentionne Garo avec mépris. Ils arrivent par vagues, cherchant un nouveau départ, en vain… On ne fait plus d’arrêt, prévient-il.
– Je comprends, dit Sage avec fermeté. Cependant, je dois m’occuper de tous les villageois.
– Je m’occuperai de les prévenir de ton retard, ajoute Sesa. Un petit recueil de tous leurs soucis t’aidera à ne pas perdre de temps sur le retour.
– Sesa ! s’enjoue Sage. Qu’est-ce que je ferais sans toi !
– Sur ce, je pars en tournée. On se revoit chez les aventuriers ! » annonce-t-elle, avec un léger timbre de satisfaction, avant de faire marche arrière, et repartir en direction des bâtisses éparpillées le long de la voie.
Garo rechigne sous son masque, avant de relancer Sage.
« J’aurais pu t’aider, aussi, sur le retour.
– Toi ? rigole Sage, Sûrement ! Si quelqu’un a besoin de remboîter une épaule, ou briser des os, je t’appelle sur le champ !
– Pas comme ça…
– Oui, oui. J’ai compris. »
Entrecoupé par les bruits de pas, le silence s’affaisse. Les tentes s’imprègnent d’une sobre majesté à leur approche. Garo relance la discussion.
« Tu ne prends pas d’apprenti ?
– On ne m’en propose pas, et comme tu le remarques, j’ai très peu d’opportunités pour en chercher un.
– Tu acceptes les candidatures spontanées ?
– Qui ?
– Moi !
– Toi ? rigole-t-elle, Où veux-tu en venir ?
– Je suis fatigué d’attendre… »
Garo s’arrête, et cherche une réaction sur le visage serein de Sage. Rattrapé par la conscience, gêné par la pause silencieuse, il repart de plus belle, à plus haute voix.
« Des armes ! Des cycles que l’on a rien des forges. Nos rangs sont en sous effectifs par rapport à la zone qui s’agrandit, à chaque déforestation. Évidemment, lorsque tu fais la somme des deux, tu obtiens plus de blessés. On a besoin de plus de médecins… mais il n’y a que toi. »
Sage ralentit le pas. Prise d’un songe, elle échange des regards entre Garo et Meos. L’anxiété rodait toujours sur sa tempe. La perte d’un être cher inhibait sa vision du futur, un futur démis de plaisance. La fatigue l’avait anesthésié, tel l’état d’ébriété d’une immortalité fallacieuse, mais ces quelques paroles résonnaient différemment. Meos, sur son visage inerte, elle y vit pour la première fois une page blanche. Un reflet propre à elle, une facette de l’espoir que voyaient des enfants qui nouaient leurs mains à ses doigts.
« Il y a aussi Meos, dit Sage recomposée.
– Comment ?
– Il sera mon apprenti.
– Lui ?
– Il paraît inaccessible, mais il est conscient, il apprend, et il m’accompagne tout le temps.
– Je doute. Il m’a pas l’air bien accueillant.
– Tu parles de toi ? Un géant voilé qui peut écraser un crâne d’une pichenette, rigole-t-elle avant reprendre sérieusement. Je comprends ta volonté de devenir médecin, cependant, et tu en es conscient, tout le monde n’est pas prêt à accepter d’être soigné par un maudit des ronces, infecté », conclue-t-elle avec un ton dédouanant toute offense.
Ils reprennent tous les deux le chemin en silence, saluent les gardes à la sortie du village, puis arrivent à l’entrée de la tente, de laquelle s’échappent des cris de douleurs. Une silhouette sombre ouvre l’antichambre de la tente.
« Qu’est-ce qui vous a pris autant de temps ! exclame Gale, Entrez ! »