Chapitre 22

En pénétrant dans le laboratoire, les compagnons contemplèrent avec étonnement les installations et équipements ultramodernes qui se déployaient autour d’eux. Ils se trouvaient dans une vaste salle carrée sans fenêtres dont le plafond était truffé de puissantes lampes blanches, de détecteurs de fumées et de bouches d’aération élaborées. Tout un pan de mur était occupé par une rangée de hottes de laboratoire, destinées à la manipulation de produits toxiques. Sous certaines hottes, des fumées oranges formaient des volutes menaçantes visibles derrière les vitres transparentes. Grâce aux épais carreaux de verre qui empêchaient l’échappement des fluides, le risque d'inhalation des gaz produits par les réactions chimiques était limité. 

 

Dans le fond, des éviers et une douche avaient été aménagés sur la gauche pour se laver ou se rincer en cas d’éclaboussement par des substances dangereuses. De l’autre côté, une batterie d’extincteurs était suspendue au-dessus du sol pour éteindre un départ de feu inattendu.

 

Derrière une porte de verre, se trouvait une deuxième salle pour le stockage des produits. Des étagères couvertes de bouteilles parfaitement triées, rangées et étiquetées couraient jusque dans le fond de la pièce. En face, un établi en métal chromé servait à la préparation et la purification des réactifs et à la stérilisation du matériel. Des étuves laissaient échapper des flots de vapeur et des ondes de chaleur aspirées par des hottes filtrantes. Des balances ultra précises complétaient l’installation à côté de centrifugeuses de dernière génération. 

 

Sur le mur qui faisait face à celui des hottes, des expériences étaient menées par des automates positionnés sur des chaînes robotisées. 

 

Le centre de la salle était occupé par des paillasses. Elles étaient couvertes de documentation, de verrerie, et de matériels divers. Des appareils de mesure fonctionnaient en continu. Ils étaient reliés à des ordinateurs dont les ventilateurs ronronnaient dans la chaleur ambiante.

 

Indifférent à l’extrême sophistication de son laboratoire qui stupéfiait les compagnons, Haddi fit un pas vers l’avant en direction de Jahangir sans même regarder ses alliés qui venaient d’entrer dans la salle. 

 

Les deux sorciers se faisaient face et se regardaient l’un l’autre droit dans les yeux en silence. Chacun d’eux semblait guetter le premier geste d’hostilité de la part de l’autre, prêt à réagir. Mais Jahangir n’avait pas la liberté de bouger et Haddi était à bout de forces.

 

Jahangir avait la réputation de lever le bras et de tendre la main pour lancer ses sorts meurtriers. C’est ainsi que Zanzar et Spitz l’avaient vu lancer la boule de feu sur les deux armées. Puisqu’ils ne pouvaient se mouvoir ni l’un ni l’autre, les compagnons devinèrent que les deux sorciers étaient en train de s’affronter mentalement. 

 

– Qu’as-tu fait de mon beau laboratoire, Personne ? rugit soudain Jahangir toujours coincé dans un carcan invisible. Quelle est cette mascarade où tu me reçois ? Cette salle ne ressemble en rien au merveilleux endroit où je t’ai fabriqué.

– Je l’ai reconstruit, Jahangir. A ma convenance, répondit sèchement Haddi. Et comme tu peux le constater, ce n’est pas une illusion.

– Tu ne sais que reconstruire, éructa Jahangir. Partout où tu vas, partout où tu te trouves, tu recrées le passé. C’est tout ce que tu sais faire.

– Je dois recréer ce qui était beau et qui a été perverti par des mains et des cerveaux malades. Mais je ne reconstruis pas à l’identique, répliqua Haddi. J’ai modernisé ton vieux laboratoire avec du matériel actuel.

– Tu n’avais pas le droit d’interpréter mon œuvre, apostropha Jahangir. Elle avait été détruite, tant pis ! Nul n’avait le droit de la recréer à son idée. Surtout pas toi.

– Si je ne sais que reconstruire, toi tu ne sais que détruire, dit Haddi, ignorant les insultes de Jahangir. Détruire est contraire à mon éthique,  

– Mais tu mens ! s’écria Jahangir. Qu’as-tu fait de Coloratur et de Bourg-sur-la-Sauldre ?

– Certes. Cependant, il était impératif de rétablir un peu de beauté dans ces lieux corrompus et viciés, admit Haddi. Mais tu as fait bien pire.

– Allons, tu veux me faire croire que tu as des sentiments humanistes. La vérité, c’est que tu cherches à dominer le monde avec des idées tordues d’un autre temps, rétorqua Jahangir. Et qu’as-tu fait pour sauver les océans qui se meurent, toi qui te targues de préserver la planète ? Tu ne trouves plus rien à dire ?

– C’est mon grand regret, Jahangir. Je n’ai pas eu le temps ni la force de le faire car tu es venu me combattre dès que j’ai commencé à reconstruire. J’ai dû employer toute mon énergie pour lutter contre toi au lieu de me consacrer à restaurer ce qui avait été abîmé.

– Tu mens encore, reprit Jahangir. Souviens-toi, tu as avoué que tu étais revenu pour te venger de moi.

– C’est vrai, mais ce n’était pas mon premier objectif, répondit Haddi. Après des siècles de réflexion, c’est la beauté des choses qui m’importait et non pas ta personne. 

– Balivernes ! Tu viens même de trouver le moyen de libérer tes esclaves de la forêt secrète pour qu’ils viennent te seconder dans ta folie, remarqua Jahangir. Alors n’essaie pas de me faire croire que tu es un esthète écologiste.

– Tu te trompes, Jahangir, et tu ne vois pas la vérité, soupira Haddi. Mais cela n’a aucune importance, l’essentiel est qu’ils soient là. Ils vont m’aider à te vaincre et à te faire disparaître pour toujours, toi et ta volonté de domination.

 

Plus il parlait, plus Haddi s’épuisait. Il avait mis ses dernières forces dans la reconstitution du laboratoire. Pourquoi avait-il dépensé toute son énergie pour un acte aussi inutile ? Le combat aurait pu tout aussi bien se dérouler dans un laboratoire en ruines. D’où provenait ce dernier besoin d’élégance ? Etait-ce son chant du cygne ? Voulait-il mourir dans un décor digne de lui par pure vanité ?

  

– Et nous voici face à face pour l’ultime combat, dit Jahangir. Pour l’instant je suis ton prisonnier, le combat ne serait pas à armes égales. Mais je ne vais pas me laisser faire, je vais rétablir l’équilibre que tu as détruit.

 

A ces mots, le magicien immobile émit un cri de rage et se mit à hurler. Sa voix terrible retentit dans tout le laboratoire et le son se répercuta sur tous les murs, renvoyant l’écho à l’infini comme une obsession.

 

– Marjolin, où que tu sois, libère-moi !

 

Marjolin était resté derrière la console dans la petite salle du château car il ne voulait pas être mêlé au terrible affrontement. Grâce aux écrans de contrôle, il pouvait suivre tout ce qui se passait dans le laboratoire sans être inquiété. Depuis le début des hostilités, il n’avait pas eu l’intention de délivrer son maître de l’enchantement lancé par Haddi. Mais dans la voix de Jahangir, il entendit une menace à laquelle il ne sut pas résister. Jahangir avait peut-être le moyen de l’anéantir à distance. Il n’osa pas désobéir. Il parcourut les divers écrans de la console jusqu’à ce qu’il découvre le bouton pour exécuter une formule d’annulation du sort d’entrave. Il hésita encore un instant puis appuya sur le bouton.

 

Aussitôt la gangue qui emprisonnait Jahangir disparut. Le magicien apparut grandi et plus méchant que jamais. Juliette et Selma avaient pointé les rameaux de l’arbre pour créer autour du groupe un halo protecteur. Mais Jahangir les ignora. Il ne s’intéressait qu’à Haddi. 

 

– Je me suis incarné dans ce qui avait subsisté du corps de Zeman, dit Haddi. Je sais que je vais mourir ici, dans quelques instants, foudroyé par toi, Jahangir. Je n’ai pas réussi ma mission, je n’ai pu l’accomplir que partiellement. Juliette, donne-moi l’anneau que tu as trouvé dans les ruines du palais. Si je ne passe pas cette bague bleue à mon annulaire, je ne disparaîtrai jamais tout à fait. Mon esprit vagabondera entre le néant et le réel en faisant le bien et le mal sans discernement. Cela ne peut pas être.

 

Juliette fouilla dans ses poches à la recherche du petit coffret et le donna à Urbino car elle ne voulait pas lâcher le rameau de l’arbre. Urbino ouvrit la boîte et sortit la bague bleue qui s’y trouvait cachée depuis des millénaires. Juliette accrocha la bague au bout de la branche de l’arbre qu’elle tendit à Haddi. Le magicien se saisit de l’anneau qu’il enfila à son doigt.

 

Aussitôt, les forces semblèrent revenir à Haddi. Il se redressa et se mit à grandir. Face à Jahangir, il n’avait plus l’air d’être prêt à mourir. Désormais, les sorciers étaient tous les deux de même stature. Ils ressemblaient à des bêtes sauvages ivres de haine qui allaient se battre jusqu’à la mort de l’un d’entre eux.  

 

Jahangir ne pouvait plus se contenir, il avait attendu assez longtemps. Il lança le premier sort mortel, un jet d’acide vert qui vint éclabousser Haddi. Mais Haddi était redevenu Ynobod et le fluide toxique s’écoula sur lui sans dommage. Cette première attaque déclencha une pluie de sorts atroces que les deux sorciers s’échangèrent sans pitié. Ils se déchaînèrent l’un contre l’autre en lançant des flammes mystiques, de la foudre frénétique, des étoiles dévorantes, des éclats de cristal, des lames tranchantes, des pointes tournoyantes, des flèches empoisonnées, des griffes pénétrantes. Rien ne semblait les atteindre. Alors, comme ces sorts n’étaient pas suffisamment destructeurs, ils passèrent à un niveau supérieur en amplifiant la magie et poursuivirent avec des éclairs exaltés, des explosions de cendres incandescentes, des tempêtes étouffantes, du blizzard cosmique, des bulles d’acide perforantes et des hurlements d’esprits insoutenables. Ils se métamorphosèrent plusieurs fois en monstres hideux, boursouflés et crachant du venin. Haddi privilégia les corps de serpents couverts d’écailles étincelantes et Jahangir les animaux aquatiques aux tentacules gluantes. Quand ils eurent épuisé leur panoplie de sorts et une grande partie de leur énergie, ils se calmèrent progressivement et reprirent leur forme normale. 

 

Les compagnons médusés avaient assisté à ce déferlement de cruauté inutile. Ils n’avaient rien pu faire, la lutte ne concernait que ces deux ennemis qui se battaient vainement à mort et les avaient écartés de leur règlement de compte personnel. Mais soudain, alors que rien ne le présageait, Ynobod s’écroula sur le sol et resta immobile, sans vie. Juliette s’approcha de lui tout en restant sous la protection de l’arbre. Jahangir la regardait avec une grimace sardonique. 

 

– Il est mort, dit-il avec insolence. Enfin !

 

Juliette se pencha vers le sorcier inerte étendu sur le sol et tâta son poul. Il n’y avait plus rien, plus aucune pulsation. La bague bleue avait joué son rôle. D’ailleurs elle était devenue noir comme du jais. Un sourire d’éternité était apparu sur le visage tourmenté d’Ynobod. Il avait définitivement quitté le monde des vivants comme il l’avait prévu, mais bien avant d’avoir accompli les missions qu’il s’était fixées. Il s’était éteint à l’endroit même où il était mort des milliers d’années auparavant. Et où par la force de sa volonté il avait réussi à revenir du royaume des défunts pour réparer le monde.

 

La disparition d’Ynobod avait jeté un froid glacial dans le laboratoire. Devant la sidération des compagnons, Jahangir avait cessé pendant quelques minutes de lancer ses sorts mortels. Cependant il devait éliminer ses ennemis avant de poursuivre son objectif de conquête de l’univers car ils se mettraient toujours en travers de sa route. Après le moment suspendu où nul ne bougeait plus, Jahangir se reprit soudain. Il leva la main et s’apprêta à reprendre le combat.          

 

Trophime, qui l’avait surveillé pendant les quelques instants de calme, le vit se préparer à anéantir ses amis. Sans réfléchir, le plantigrade bondit hors de la bulle de protection et se jeta sur le magicien. Il le fit basculer par terre en mordant cruellement le bras qui allait donner la mort et en déchirant profondément la chair avec ses griffes. Jahangir incanta aussitôt un sort létal. Il le lança de sa main encore valide sur l’ours qui s’écroula sans vie. Le magicien allait se relever quand Eostrix ulcéré se jeta sur lui et lui creva les yeux. 

 

Toujours étendu sur le sol, Jahangir poussa un hurlement terrible de douleur et se mit à jeter des sorts dans tous les sens, sans discernement. Feu, acide et lames tranchantes volaient dans toutes les directions, détruisant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le laboratoire ne tarda pas à se trouver en plein chaos. Juliette et Selma maintenaient la bulle de protection autour du groupe. L’enveloppe était criblée d’impacts et menaçait de se lézarder à tout instant sous la violence de l’assaut. 

 

– Nous devons nous séparer, dit Adriel. Nous sommes trop vulnérables si nous restons groupés.

 

Juliette et Selma renouvelèrent chacune une bulle de protection autour d’elles et se déplacèrent dans la salle. Elles se servaient des branches de l’arbre pour conjurer les sorts de Jahangir et réduire son énergie. Les garçons sortirent de l’enveloppe et se dispersèrent dans le laboratoire. 

 

Giotto attaquait Jahangir au corps à corps en prenant soin de rester derrière les mains du magicien. Jahangir avait réussi à se redresser mais il tournait sur lui-même comme une toupie aveugle, entraînant Giotto dans son tourbillon. Son bras blessé par Trophime saignait abondamment.

 

– Marjolin ! hurlait-il, où es-tu ? Viens m’aider, je ne vois plus rien !

 

Imperturbable, Marjolin voyait son maître en position de faiblesse absolue. Il ne bougeait pas de sa place devant la console et regardait le combat se dérouler sous ses yeux. Parfois il appuyait sur un bouton pour amplifier un sortilège ou au contraire le conjurer, selon son bon vouloir. C’était presque un jeu pour lui. Puis il s’aperçut que Zanzar ne cessait de se placer devant Juliette pour la protéger des effets des sorts de Jahangir et il enragea. 

 

Les rameaux de l’arbre réduisaient la violence des enchantements que lançait le sorcier. Les compagnons réussissaient la plupart du temps à esquiver les effets que Jahangir incantait à l’aveugle. Lorsqu’il parvenait par hasard à atteindre quelqu’un en jetant un sortilège maléfique, l’effet de la formule avait été atténué grâce au pouvoir de l’arbre. Urbino se précipitait de tous côtés pour soigner les blessures et les brûlures. Grâce à sa vitesse de déplacement, il réussissait à passer entre les gouttes d’acide et les étincelles pour venir panser les plaies. Le grand corps inerte de l’ours gênait néanmoins la mobilité des combattants et Jahangir se cognait sans cesse contre le plantigrade. Urbino ne parvenait pas à croire que Trophime était mort. De temps à autre, en passant à côté de l’ours, il versait dans sa gueule entrouverte quelques gouttes d’une potion de guérison avec l’espoir que l’animal se réveillerait.

 

La lutte dura longtemps. L’affrontement était ponctué par les interventions à distance de Marjolin qui relançait le combat dès que celui-ci baissait d’intensité. Les compagnons se relayaient pour ne pas s’épuiser. Zanzar, Spitz et Adriel maniaient leurs dagues avec dextérité et attaquaient Jahangir tour à tour Mais ils n’étaient pas encore parvenus à affaiblir le magicien. Jahangir semblait avoir des ressources inépuisables. Eostrix voletait et survolait la tête du magicien, donnait des coups de becs en passant et lançait des cris perçants dans ses oreilles. Le sorcier avait perdu son bonnet rond et la peau lisse de son crâne était ensanglantée. Les hurlements d’Eostrix le faisaient tressaillir et le rendaient fou. 

 

De temps en temps, quand il retrouvait un peu d’énergie, Jahangir essayait de se transformer en fumée noire pour s’enfuir. Mais Selma et Juliette veillaient et annulaient systématiquement ses tentatives grâce au pouvoir de l’arbre. Jahangir finit par s’épuiser à force de lutter seul contre les compagnons. Cependant, il ne voulait toujours pas céder et continuait à se battre comme un diable.  

 

Les sorts violents qu’il lançait commençaient à venir à bout de la résistance du laboratoire. Les murs se lézardaient, le plafond se parsemait de fissures qui formaient des zigzags de plus en plus grands, et les lumières s’éteignaient les unes après les autres. Il faisait très sombre dans la salle maintenant, il était devenu difficile d’y distinguer quoi que ce soit. Même Marjolin, penché sur les écrans de la console, ne voyait plus rien. Mais il entendait des craquements de plus en plus sinistres, ils signifiaient que le laboratoire était en train de se désintégrer. 

 

Brusquement, il eut peur que le plafond fragilisé ne s'effondre sur Juliette. C’en serait fini de ses rêves romantiques. Il ne savait même pas s’il aurait encore le courage de jouer du théorbe si elle mourait. Alors il décida de jouer le tout pour le tout. Il incanta un sort de téléportation programmé sur la console et sortit tous les protagonistes qui se trouvaient dans le laboratoire. Il les transporta dans la cour du château, les morts comme les vivants.

 

Ils se retrouvèrent à l’air libre, hébétés par ce revirement inattendu. 

 

Marjolin était intervenu à temps car à peine eut-il fait sortir les combattants du laboratoire que la dalle qui retenait le plafond se fendilla et s’affaissa. Les murs qui n’étaient plus soutenus se rompirent sous le poids en surplomb. Toute l’officine et son contenu de haute technologie implosèrent et s’écroulèrent sens dessus dessous. Des gaz délétères s’échappèrent des hottes brisées et se répandirent partout. Des tonnes de pierres et de gravats mêlées du magma de matière fondue par les sorts de feu et d’acide s’amoncelèrent et se figèrent, comme collées irréversiblement. La pièce, désormais plongée dans l’obscurité, ressemblait à s’y méprendre à ce qu’elle avait été pendant des siècles et des millénaires. Il ne subsistait aucun espace vide pour que l’air y circule, et tout à l’intérieur du laboratoire avait été écrasé.

 

Dans la cour du château, Jahangir devenu aveugle ne comprenait pas où il se trouvait. Il sentait seulement qu’il était dehors à cause du vent frais qui soulageait ses blessures. Il se recroquevillait de plus en plus sur lui-même et rapetissait. Il avait parfois un sursaut et se redressait triomphant … pour mieux retomber plus bas quelques instants plus tard. La puissance des sorts qu’il avait lancé depuis le début du combat avait beaucoup diminué. Après le combat féroce contre Ynobod et celui contre les compagnons où le pouvoir de l’arbre n’avait cessé de contrecarrer sa magie, il n’avait plus de force mentale et plus d’énergie. Il finit par se laisser tomber à genoux, à moitié couché sur le corps d’Ynobod qui se trouvait devant lui. Il s’agrippa au bras de son ennemi.

 

– Marjolin ! s’écria-t-il en levant la tête, tu m’as trahi, tu m’as abandonné.

 

Dans la petite pièce, Marjolin éclata de rire, soulagé par cette déclaration. Alors il rassembla ses idées, se concentra sur la fin qu’il avait préparée pour Jahangir et fit défiler les écrans jusqu’à ce qu’il puisse afficher la formule qu’il avait choisie. Il regarda une dernière fois celui qui l’avait méprisé et torturé sans jamais reconnaître son intelligence et posa son doigt sur le bouton. Il eut un ultime rictus et peut-être un petit pincement au cœur en pensant qu’il ne battrait plus jamais Jahangir aux échecs … puis il appuya sur le bouton.

 

Un éclair jaillit du sol, là où se trouvait le magicien immobile. Jahangir fut soulevé dans les airs comme un vulgaire fétu de paille. Des étincelles explosèrent tout autour de lui et retombèrent en pluie de feu comme un feu d’artifice. Tandis qu’il continuait à s’élever toujours plus haut vers le ciel, une boule de feu apparut comme surgie du néant  sous le corps du magicien. Elle accéléra la vitesse de propulsion de Jahangir en direction de la stratosphère à la manière d’une roquette et le projeta dans l’espace. En quelques secondes il avait disparu de la surface de la planète, lui et tous ses maléfices, entraînant dans sa mise en orbite le corps déchiqueté d’Ynobod auquel il s’était raccroché.   

 

Au pied de la falaise de Coloratur, Lamar avait suivi depuis sa conque la trajectoire de la fusée précédée par des projections d’étincelles. Il vit partir l‘éclair de feu depuis l’intérieur du château puis regarda la boule de feu se matérialiser et se diriger vers le ciel. Aux hurlements qu’il entendit provenir de la forteresse, il devina que Jahangir venait d’être envoyé dans l’espace. Il ne pouvait pas concevoir un autre scénario. Il ne savait pas comment cela s’était produit, mais il comprit que son vieil ennemi avait quitté le monde. Il ne savait pas ce qu’il était advenu de Haddi.

 

Accoudés au bastingage de Mormor, Angus et Fergus avaient eux aussi assisté au spectacle pyrotechnique mais ils étaient bien loin d’imaginer ce qui avait pu se passer dans le château. Ils attendaient le retour de Zanzar pour reprendre la mer et trouvaient qu’il tardait un peu trop à revenir.

 

Marjolin toujours penché sur sa console savourait la mort de Jahangir. Il ne cessait de visualiser dans sa tête la courbe tracée par la boule de feu dans le ciel. Quand il reprit ses esprits après la joie intense qu’il savourait encore, il regarda sur son écran la cour du palais. Où était donc Juliette ? Elle était saine et sauve, c’était l’essentiel. Alors qu’il la repéra au milieu de ses compagnons, il vit Zanzar s’approcher d’elle, presqu’à la toucher. Adriel ne la regardait pas, il était bien trop occupé avec Selma et Urbino à soigner l’ours. Marjolin pensait que l’ours était mort, mais il avait peut-être simplement été blessé. Enfin le problème n’était pas l’ours mais ce pirate qui voulait outrageusement séduire Juliette. Il se trouvait beaucoup trop près d’elle. Quant à elle, elle souriait à ce flibustier sans scrupules qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour écarter Adriel et prendre sa place. Zanzar était un rival plus complexe qu’Adriel, il ne se laissait pas tromper facilement, il était bien trop rusé. S’il réussissait à atteindre son objectif, Marjolin aurait beaucoup de mal à l’éloigner de Juliette.  Alors le magicien, jaloux comme un tigre, en eut rapidement assez. Il n’allait pas continuer à supporter un pareil affront de la part d’un assassin et d’un voleur. Il décida d’en finir tout de suite. Il chercha sur sa console un sort mortel et dès qu’il l’eut trouvé et sélectionné, il appuya sur le bouton d’un doigt vengeur. Sans avertissement, Zanzar fut simultanément foudroyé par un éclair de glace.

 

Il s’écroula sur le sol devant Juliette. Aussitôt Urbino accourut pour le soigner, mais il ne put le réanimer. Stupéfaits par la violence et la soudaineté de la mort de Zanzar, les compagnons s’étaient rassemblés en silence autour de son corps sans vie. Il devenait noir de minute en minute, comme s’il se carbonisait. Les beaux traits de Zanzar et son son expression farouche se ratatinèrent. Bientôt son cadavre ne fut plus qu’une chose informe qui se transforma peu à peu en poussière, comme une momie qui aurait été sortie de son sarcophage et se serait désintégrée à l’air libre. Un coup de vent emporta les restes de Zanzar, comme s’il n’avait jamais existé. 

 

Selma qui s’était précipitée vers Zanzar quand il était tombé, vit son beau pirate disparaître. Quelques larmes coulèrent sur ses joues. Tous les compagnons étaient sidérés par ce qui venait de se passer. Ils avaient compris que Marjolin était à l’origine de ce meutre gratuit. Car Jahangir n’était plus là et seul le magicien expert encore en vie avait pu porter le coup mortel à Zanzar. 

 

Depuis le début, Marjolin avait mené le combat à distance comme il l’entendait. Il s’était débarrassé de Jahangir et il venait d’en faire autant avec Zanzar. Les compagnons accusèrent à haute voix Marjolin d’avoir exécuté le pirate traîtreusement. Zanzar n’avait pas pu se défendre contre une attaque qui était venue par surprise. Marjolin était conspué pour sa lâcheté et tous le détestaient. 

 

Humilié par le mépris des compagnons alors qu’il avait fait disparaître le pire des magiciens pour le bien de l’humanité, Marjolin se replia sur lui-même. C’était une créature ambiguë, capable des pires atrocités et cependant susceptible et sensible aux critiques. Il prit la console et se téléporta chez Juliette. Après un dernier regard sur l’échoppe et l’atelier de réparation des instruments, Marjolin s’approcha du théorbe qu’il prit dans les bras. Il attrapa aussi le soubassophone cabossé qu’il passa autour de lui. Il avait toujours aimé la forme de cet énorme instrument.

 

– Direction Astarax, murmura-t-il le cœur serré en récitant la formule magique. Je retourne à la maison.

 

Pendant ce temps, dans la cour du château, les secours s’organisaient. Urbino était retourné auprès de Trophime. Depuis qu’il avait perçu un infime battement du cœur chez l’ours, il savait qu’il allait le guérir. Il prenait sans cesse le pouls de l’animal pour s’assurer qu’il était toujours en vie tout en lui prodiguant des soins intensifs avec la pimpiostrelle. Enfin Urbino vit ses efforts récompensés, Trophime commença à bouger un peu. Sa respiration devint plus régulière, son pouls d’abord très faible augmenta et se stabilisa. 

 

Tandis qu’Urbino s’acharnait à sauver l’ours, Giotto était à côté de son ami et frottait son museau contre celui de Trophime. Comme s’il lui transmettait des messages de soutien. Pendant ce temps, Adriel et Spitz déverrouillèrent le pont levis et l’abaissèrent pour sortir de la cour du château. Juliette et Selma les suivirent et tous les quatre retournèrent à la petite boutique. Dans les ruelles, les habitants sortaient des maisons et se réunissaient sous les porches en échangeant des paroles de joie. Une sorte de gaieté émanait des visages, comme si chacun se réjouissait d’être libéré après un long emprisonnement.   

 

Juliette poussa la porte de son échoppe et soupira d’aise. Rien n’avait changé. L’intérieur de son petit magasin était resté identique à ce qu’il avait toujours été. Il ne manquait que le théorbe, elle le vit tout de suite. Juliette murmura qu’elle n’aurait jamais voulu conserver cet instrument car il avait été vicié par Marjolin. C’était finalement un soulagement qu’il l’eût emmené avec lui. Ainsi, la disparition du théorbe coïncidait avec l’exil de Marjolin. Juliette n’aurait plus peur de le croiser à chaque coin de rue chaque fois qu’elle sortirait de chez elle.

 

– Maintenant qu’il est parti se cacher, que Jahangir a été éjecté par la planète et qu’il emporté avec lui ce qui restait de Haddi, que Zanzar est mort, dit-elle, tout semble fini. Nous n’avons plus d’ennemis à craindre. Nous allons pouvoir réinstaller l’atelier de réparation et remonter tous les instruments et les outils que j’avais cachés dans la cave, sous le plancher.

– Reprendre la vraie vie, ajouta Selma.

– Je vais m’installer ici avec toi, fit Adriel, pour te protéger et parce que je n’ai pas d’autre maison, nulle part ailleurs où aller.

– Tu es ici chez toi, répondit Juliette en lui prenant les mains avec un grand sourire. Nous aurons tant de choses à nous raconter, tant de souvenirs. Et j’ai besoin d’aide pour remettre ma boutique en route. En fait, vous êtes tous ici chez vous !

– Je t’aiderai, bien sûr, murmura Adriel avec un éclat joyeux dans les yeux. Mais tout est à reconstruire à Coloratur, je trouverai bien un chantier pour travailler. Le château a déjà été restauré par Ynobod, mais il reste tant à faire ! Tout se lézarde dans les maisons et menace de s’écrouler.

– Et toi Selma, demanda Juliette, que veux-tu faire ?

– Je pense retourner à Vallindras, dit Selma. C’est là d’où je viens et les montagnes me manquent.

 

Selma ne voulait pas avouer que depuis la disparition de Zanzar, elle n’avait plus qu’une envie, s’isoler et oublier sa peine de l’avoir perdu. Bien qu’il ne l’eût jamais regardée, il était celui qu’elle avait considéré dès le premier instant comme l’homme idéal, avec lequel elle aurait voulu parcourir le monde et les océans. Hélas, ce rêve n’aurait jamais lieu. Elle soupira, le coeur gros. Malgré toute sa discrétion, elle ne réussit pas à tromper la sensibilité de Juliette qui avait tout deviné depuis bien longtemps déjà.

 

A cet instant, Spitz fit irruption dans l’échoppe accompagné par Urbino.

 

– Trophime est sauvé, s’écrièrent-ils en même temps. Venez-nous aider à le transporter, il faut le mettre à l’abri ici chez Juliette pour continuer à le soigner.

– Il revient de loin, ajouta Urbino. Giotto monte la garde, il ne craint rien. Je crois qu’il restera handicapé au début, car le sort lancé par Jahangir a détruit des centres nerveux.

– Il n’y a rien que la pimpiostrelle ne sache soigner, rétorqua Juliette. Avec le temps, il retrouvera sa mobilité.

– Je ferai tout pour ça, dit Urbino. Je mettrai en oeuvre tout ce que Zeman m’a appris et j’y arriverai.

 

Ils repartirent tous pour le château et Juliette emprunta un chariot à un voisin pour transporter l’ours.

 

Rassurés sur le retour de la paix dans la ville, ils marchèrent joyeusement le long des remparts, franchirent le pont levis et se retrouvèrent dans la cour du palais. Trophime fut hissé sur la charrette et ramené dans l’échoppe. Il était encore incapable de se lever et restait très faible. Mais il ouvrait souvent la gueule et tous avaient l’impression qu’il souriait. Ils l’étendirent sur la couverture qui masquait la roue de fer. Ils espéraient secrètement que l’esprit de Zeman avait imprégné le tissu et favoriserait la guérison de Trophime.

 

L’ours s’endormit presque aussitôt tandis que les compagnons préparèrent un festin car ils avaient très faim. Ils s’installèrent autour d’une table improvisée sur la place de la fontaine et furent bientôt rejoints par d’autres habitants. Des tréteaux et des planches furent amenés et une joyeuse ambiance régna dans la ville haute. Chacun apportait une petite douceur et les tables se remplirent de délicieux plats et boissons. Qu’il était agréable de partager ce festin en racontant les aventures incroyables qui venaient de se dérouler ! Primrose et Alberine entendirent le bruit de la fête mais n’osèrent pas se montrer. Tout le monde les détestait à Coloratur.

 

Quand la nuit tomba, les instruments de musique surgirent et les musiciens s’accordèrent pour jouer quelques airs entraînants. Certains eurent envie de danser. Il y avait bien longtemps que les habitants de la ville haute n'avaient pas éprouvé cette sensation de légèreté. 

 

Juliette et Adriel s’écartèrent un peu des festivités et retournèrent à l’échoppe. Trophime respirait paisiblement sur la couverture. Ils montèrent dans la tour pour se pencher à la fenêtre et regarder le paysage. Il ne faisait pas tout à fait noir et les lumières du port brillaient au loin. Autour de Coloratur où il avait jadis fait si chaud se dressait une forêt profonde. Il montait des arbres et de la terre, une fraîcheur et des odeurs de renouveau. Une brise fantasque agitait les ramures et le bruit des feuillages qui s’agitaient faisait une musique harmonieuse. Les violons et les tambours de la fête résonnaient depuis la place de la fontaine et se mêlaient à la rumeur du vent. 

 

– Allons voir l’arbre de paix, celui que j’ai planté dans le jardin du palais, dit Juliette.

 

Ils descendirent et prirent le chemin du château. Désormais le pont levis restait baissé et la herse relevée. Rien n’interdisait les promenades nocturnes dans la cour du palais. Ils se dirigèrent vers le puissant arbre qui s’élevait dans le jardin. 

 

– Il a détruit les maléfices qui régnaient ici, dans le palais et dans le parc, poursuivit Juliette. Par son pouvoir immense il a rétabli la paix là où il n’y avait que le chaos. Je suis même certaine qu’il a aidé à la guérison de Trophime. Car il était mort, n’est-ce pas ?

– Je le crois, répondit Adriel d’un ton rêveur. Je pense à ce lieu où vivait mon ancêtre Clotaire. C’est un lieu chargé d’histoires, de légendes, où la magie a toute sa place. Un lieu sacré.

– Oui. C’est une chose merveilleuse que Haddi ait rendu à cet endroit toute sa beauté et son caractère céleste. 

 

Juliette fouilla dans ses poches et déposa dans le sol qu’elle creusa légèrement un peu plus loin une graine qu’elle avait ramassée dans la forêt ancienne. 

 

– Tu es bien certaine de ce que tu fais ? demanda Adriel intrigué. 

– Non, mais si l’arbre de paix ne veut pas que cette graine se reproduise, il ne la laissera pas pousser. Regarde ! s’exclama Juliette.

 

Une petite pousse verte venait de sortir du sol et grandissait à vue d’oeil. Ses branches se déployaient déjà et s’harmonisaient avec celle du géant que Juliette avait planté. C’était un arbre très différent, qui poussait en hauteur pour aller chercher la lumière quand le soleil reviendrait le lendemain matin. 

 

– Ici l’arbre de paix ne se reproduit pas pour former une forêt, dit Juliette. Il a choisi un parc où il peut régner seul, s’épanouir et montrer toute sa beauté. Il a accepté la présence d’un autre arbre près de lui. Deux arbres, ce n’est pas une forêt, mais c’est pour l’arbre de paix l’occasion de se lier avec une autre espèce qui a une autre histoire. A l’image de Haddi qui recréait le passé, l’arbre de paix accueille un arbre ancien et lui fait une place d’honneur. Je trouve que c’est un geste universel. 

– Tu connais bien les arbres désormais, constata Adriel.

– L’arbre m’a donné un peu de son pouvoir de vision, expliqua Juliette. Mais pour le reste, il garde ses secrets. Je sais simplement que les arbres communiquent entre eux d’une manière qui nous est étrangère, mais nous devons respecter leurs échanges comme ils respectent les nôtres. 

– Rentrons maintenant, fit Adriel, la fête doit être finie. Allons nous reposer, la journée a été très longue. Demain sera un autre jour.

 

Juliette mit sa main dans celle d’Adriel et ils s’éloignèrent en direction du pont-levis. 

 

Dans l’échoppe, ils trouvèrent leurs amis endormis. Urbino s’était étendu sur le sol contre Trophime et Giotto. Spitz s’était enroulé dans une couverture par terre et Selma avait retrouvé sa couchette dans la petite chambre en haut de la tour. A côté d’elle, Eostrix s’était perché sur la fenêtre et ne dormait que d’un oeil. Juliette et Adriel sourirent et fermèrent la porte de leur chambre. 

 

Le lendemain matin quand les compagnons s’éveillèrent, la maison sentait bon le pain grillé et la tarte aux figues. Selma s’était levée de bonne heure et avait investi la cuisine. Elle avait pétri et cuit des brioches pour tout le monde. Tour à tour, les dormeurs vinrent prendre leur petit déjeuner. Chacun avait réfléchi à son avenir pendant la nuit. 

 

Tout en versant les tasses de thé et en servant les parts de gâteaux, Selma avoua qu’elle voulait retourner à Vallindras pour devenir guide de montagne. Les habitants qui avaient fui Bourg-sur-la-Sauldre avant le séisme et s’étaient réfugiés dans les hauteurs avaient dû reconstruire un village. Elle était certaine que le parc allait rouvrir et qu’elle pourrait y travailler. Elle se languissait de vivre dans la nature sauvage. Elle allait prendre le bateau le jour même pour regagner son pays. Elle remporterait avec elle quelques pieds de pimpiostrelle qu’elle ferait pousser en secret pour guérir les entorses et les meurtrissures des promeneurs. Et surtout là-bas, dans l’immensité des montagnes, elle pourrait panser ses blessures et oublier Zanzar. Seule Juliette comprit cette dernière motivation.

 

Spitz parla à son tour, la bouche pleine de pain chaud. Il avait des aspirations politiques, il voulait s’impliquer à Coloratur pour la sauvegarde des espaces naturels et de la faune. La notoriété et la légitimité qu’il avait acquises grâce au rôle qu’il avait tenu dans la libération de la ville seraient un argument en sa faveur. Il disposait déjà d’une certaine célébrité auprès des habitants grâce à sa facilité à s’exprimer et à créer des relations. Les dirigeants de Coloratur feraient sûrement appel à lui. Jeune et ambitieux, il avait enfin gagné la confiance en lui qui lui avait toujours manqué et se projetait dans un avenir constructif. Il n’oubliait pas ses débuts difficiles, son agressivité et son absence de scrupules. D’abord, il devrait trouver le moyen de compenser sa cruauté envers les animaux et les êtres faibles. Il s’était promis de retourner voir le couple âgé qui l’avait recueilli orphelin. Il voulait se faire pardonner par eux. Les souffrances infligées par Jahangir et la sagesse de l’arbre l’avaient fait mûrir et il se comportait désormais en adulte. Il était sur le chemin pour devenir une bonne personne.  

 

Tous éclatèrent de rire devant son sérieux mais le félicitèrent pour son implication. 

 

– Tu pourrais devenir le maire de Coloratur ! s’exclama Adriel.

– Pourquoi pas ? rétorqua Spitz en rougissant.

– Et toi Urbino ? questionna Adriel. Tu es un guérisseur désormais grâce à l’enseignement de Zeman. Mais tu viens d’ailleurs. Veux-tu repartir ?

– Je n’ai pas de pays où aller, répondit Urbino. Là d’où je viens, c’est le grand nord, il n’y a rien ni personne qui m’attende. Ici, vous êtes là, mes amis. Je pense aller dans la montagne vivre près du chalet d’Outrebon et d’Alathea, avec Giotto et Trophime. Tous les deux ont besoin de la nature, de grands espaces pour courir et se nourrir. Tout comme moi. Là-bas, je soignerai ceux qui viendront me voir. Car je ferai pousser des plantations de pimpiostrelle en altitude. Dans mon petit coin isolé, je pourrai faire des expériences et créer de nouvelles potions. Il y a tant de choses à faire, je ne saurai pas où donner de la tête.

– Ta réputation en tant que soigneur a déjà fait le tour de Coloratur, s’écria Juliette. Elle ne fera que grandir.

– Ceux de ma tribu n’attendront pas pour venir te voir, dit Adriel, Outrebon et Alathea se chargeront de transmettre la bonne nouvelle de bouche à oreille. 

– Tout semble se mettre en place. Mais comment les choses vont-elles évoluer ici à Coloratur ? demanda Juliette.

– Hélas, l’industrialisation va reprendre, soupira Spitz. Il me faudra contenir les ambitions des plus acharnés. Il faut préserver l’oeuvre de Haddi. 

– Je crois que l’arbre de paix sera ton allié, affirma Juliette, il ne laissera pas la situation se dégrader une nouvelle fois.

– Puisses-tu avoir raison, soupira Spitz.

 

Après le petit déjeuner, les compagnons décidèrent de descendre à la plage pour voir Lamar. Ils prirent le chemin du bord de mer et longèrent le sentier abrupt au milieu de la pente herbue jusqu’au pied de la falaise. Lamar, prévenu par Juliette, les attendait dans son char. La nacre délicate étincelait au soleil et les vaguelettes venaient mourir sur les rondeurs de la conque. Les dauphins s’agitaient dans l’écume, impatients de repartir et de voler au-dessus de l’eau.  

 

Les compagnons racontèrent tout ce qui s’était passé au roi des mers. Ils parlaient tous en même temps et Lamar dut se fâcher. Il ne comprenait rien à tous ces bavardages, il voulait qu’une seule personne reprenne tout dès le début. Enfin, à force de répétitions et d’exclamations, il réussit à connaître toute l’histoire. Époustouflé, il caressait sa barbe frisée, faisant tomber une pluie de coquillages minuscules autour de lui. Ces récits confirmaient ce qu’il avait deviné intuitivement en voyant la boule de feu traverser la stratosphère. Son vieil ennemi Jahangir avait quitté la terre, il avait du mal à l’admettre. Ils étaient presque aussi vieux l’un que l’autre, ils avaient vécu des aventures si anciennes que tout le monde les avait oubliées. Il se sentait tout bizarre, presque abandonné. Mais lorsqu’il se remémora les vicissitudes du magicien, il soupira d’aise et sourit. 

 

Quand il demanda aux compagnons ce qu’ils imaginaient pour leur avenir, Selma lui expliqua qu’elle voulait repartir pour Vallindras. Lamar proposa de l’emmener, mais elle refusa, elle prendrait le bateau. Elle lui rappela qu’il avait beaucoup de choses à faire pour sauver les océans et qu’il devait désormais y consacrer tout son temps.

 

– C’est vrai, dit Lamar, je dois m’y mettre maintenant. Je vais m’occuper de la flore marine.

– En t’occupant de la flore, tu t’occuperas également de la faune, ajouta Spitz.

 

Spitz, Urbino, Juliette et Adriel lui racontèrent également ce qu’ils comptaient faire désormais. Lamar approuvait leurs choix et leur humanité. Puis vint le moment de se séparer. Juliette et Selma donnèrent à Lamar une grande quantité de graines de l’arbre de paix pour planter sous la mer. 

 

– Une forêt sous-marine ne va pas tarder à pousser, s’écria Juliette. Les choses vont changer aussi au fond des océans. Et voici des graines de la forêt ancienne, tu peux les planter aussi.

– Merci, merci, murmurait Lamar ému. Ces graines-là, je les déposerai dans les fosses profondes, là où vivent les êtres préhistoriques. Vous savez, sans Jahangir, la vie a un peu perdu de son sel, mais c’est sans doute mieux ainsi. Je recherche parmi mes sujets celui qui pourra prendre ma place. Cependant je dois avouer que le choix s’avère impossible, personne n’est intéressé.

– Tu régneras encore longtemps, dit Adriel. Il ne peut y avoir qu’un seul roi des mers, tes sujets l’ont compris.

– Le crois-tu vraiment ? fit modestement Lamar. Sous l’eau, les requins sont venus me trouver. Ils sont satisfaits d’être enfin débarrassés de Jahangir qui voulait s’imposer à eux. Il avait déjà commencé à éliminer ceux qui s’opposaient à lui et réfléchi à créer un squale qui serait devenu sa créature dans les fonds marins.   

– Mais d’où lui venait ce lien avec les requins ? demanda Adriel.

– C’est une longue histoire, répondit Lamar. Un jour, Jahangir a failli mourir et il s’est miraculeusement régénéré grâce au requin qui l’avait avalé. Depuis ce moment, après avoir détesté se déplacer pendant des millénaires, il s’est découvert la passion des voyages subaquatiques. Il pensait que je l’ignorais, mais mes sujets m’ont récemment informé de ses délires. Rien ne lui plaisait davantage que de visiter mon palais détruit et imaginer qu’il allait prendre ma place.

– Et le continent de plastique ? fit Spitz qui était devenu sensible à tout ce qui touchait la planète.

– Un groupe de sorciers réfléchit à la fin de ce magma infâme qui détruit mon royaume et prend des proportions de plus en plus gigantesques, soupira Lamar. Mais nul n’a encore trouvé le moyen de réduire ou de faire disparaître cette abominable excroissance. Quelques araignées sont même déjà revenues le repeupler après la mort d’Alizarine. Tous ces sorciers fabriquent des concepts mais n’ont aucun pragmatisme, ils se contentent de penser. A l’image d’Esmine, ils ont plein de bonnes intentions mais ça ne va plus loin.

– Alors ça ne progresse pas sur ce problème, gémit Spitz.

– Non, ça stagne, hélas, murmura Lamar. Même la magie semble incapable de résoudre cette aberration.

– Et a-t-on essayé de planter un arbre de paix sur le continent de plastique ? interrogea Juliette ? 

 

Personne ne répondit. Qui aurait le courage désormais de s’approcher de la soupe gluante et des monticules grouillants pour venir déposer une graine, maintenant que Zanzar n’était plus là pour piloter Mormor ?

 

– C’est juste, il faudrait le faire, avoua Lamar. 

– Alors faisons-le, répliqua Juliette. Lamar, tu peux le faire.

– Oui Lamar, tu peux le faire, insista Spitz.

– Je vais le faire, répondit Lamar sans plaisir.

 

Ce n’était pas de la lâcheté de sa part, mais il avait le sentiment que les choses étaient allées si loin qu’elles étaient devenues irréversibles, quelles que soient les bonnes volontés qui voudraient s’emparer du problème pour le résoudre. Maintenant qu’il s’était engagé, Lamar ne pourrait pas revenir en arrière. Il se tourna vers Urbino.

 

– Urbino, je voudrais partager avec toi quelque chose qui me trotte dans la tête, dit-il pour passer à un sujet moins lourd. Ne crois-tu pas que Haddi avait mis un peu de son âme dans Trophime ? Je me suis aperçu que l’ours guéri te regarde sans cesse. Haddi avait-il envoyé Trophime pour vous accompagner dans votre voyage vers les pyramides rouges ? Ce n’est pas impossible. Il me semble qu’il a laissé un peu de lui-même dans Trophime. 

– Tu as sans doute raison, acquiesça Urbino en frottant énergiquement la fourrure du plantigrade qui se trouvait à côté de lui. Haddi avait sûrement établi un lien entre l’ours et lui. Cet ours est si intelligent, il ne lui manque que le langage.

 

Trophime approuva d’un grognement tandis que Giotto lui répondit d’un aboiement.

 

Au loin, ils virent passer Mormor qui naviguait paisiblement le long des côtes. Angus et Fergus avaient dû se résoudre à la disparition de leur capitaine. Le bateau leur appartenait maintenant. Ils avaient décidé de faire du cabotage autour d’Odysseus. A l’avant de Mormor, fièrement perché sur la proue, Eostrix lissait ses plumes qui frémissaient au vent. L’oiseau était de nouveau en voyage, sans que nul ne sache pourquoi il avait choisi de partir avec les marins.  

 

Les compagnons firent de grands gestes en direction du petit bateau et les marins leur répondirent joyeusement. Eostrix leur tourna le dos et esquissa une sorte de sourire avec son bec crochu, ses yeux jaunes à moitié clos. 

 

– De temps en temps Eostrix passera me voir, dit Lamar. C’est un éternel nomade. Nous regarderons ensemble le ciel et les étoiles, là où se trouvent Jahangir et Haddi maintenant. Ce sera un sujet inépuisable de réflexion entre nous. Et maintenant mes amis, je vous laisse et je retourne à mes plantations. J’ai fort à faire pour diriger mon royaume. Tenez, voici un dernier cadeau de Jahangir. Il était resté au fond de mon char, mais je n’en veux pas. Prenez-le et gardez-le en souvenir de toute cette aventure. Quant à moi, je veux oublier définitivement le magicien immobile.

 

A ces mots, Lamar tendit à Adriel les débris du drone de Jahangir qu’il avait ramassé après la bataille des deux armées. Soulagé de se débarrasser de l’oiseau de métal, il éclata de son rire tonitruant. Puis il fit un geste bref de la tête car il détestait les adieux, se retourna vers l’horizon et lança son quadrige en direction de la haute mer. Les dauphins qui piaffaient d’impatience depuis longtemps s’envolèrent au-dessus de l’écume des vagues. Le trident de Lamar étincela un court instant en croisant un rayon de soleil, et tout de suite après, la conque disparut dans les creux de la houle. 

 

Les compagnons se dirigèrent alors vers le port de Coloratur où Selma devait prendre le bateau pour l’embouchure de la Sauldre et Vallindras. La navette ferait une escale à Astarax. Ils virent monter une vieille femme mal fagotée à bord, suivie par Primrose et Alberine. Le déguisement d’Esmine ne trompa personne. Les trois sorcières portaient des sacs de voyage rebondis en tapisserie. Ils menaçaient de faire sauter leurs serrures tant ils étaient remplis. Devant l’hostilité des habitants après la disparition de Haddi et de Jahangir, elles préféraient s’éloigner de Coloratur où elles n’étaient pas les bienvenues. Spitz soupira d’aise en les voyant s’installer sur le pont. Il était content que la ville soit débarrassée d’elles et de leurs machinations. Selma était moins satisfaite et se dirigea vers le pont supérieur pour les éviter. Elle emportait avec elle quelques graines de l’arbre de paix qu’elle planterait à Astarax pendant les quelques minutes d’escale. Ce serait leur maigre contribution à la réhabilitation de la ville martyre, si toutefois l’arbre consentait à pousser et peupler la région de forêts.

 

Le bateau quitta bientôt le quai et les derniers compagnons reprirent le chemin de la ville haute. 

 

– Comment feras-tu pour t’installer ? demanda Adriel à Urbino.

– Outrebon et Alathea m’aideront à construire une cabane dans la montagne, au milieu des arbres. Après notre aventure, je veux vivre dans la forêt. Giotto et Trophime me tiendront compagnie, répondit Urbino en caressant la fourrure du loup qui marchait à ses côtés. Je suis un solitaire. Et je deviendrais un membre de ta tribu. D’adoption bien sûr.

– Tu fais déjà partie de la tribu, murmura Adriel tandis qu’un large sourire éclaira le visage du jeune garçon.  

 

Revenu dans l’échoppe, Urbino ramassa ses affaires, fit des adieux rapides car il avait l’intention de revenir souvent à Coloratur. Il se mit en route en direction du chalet d’Outrebon et d’Alathea avec Trophime et Giotto. Il ramenait avec lui les trois chevaux qui avaient joui de leur liberté au sommet de la falaise. Il chevauchait l’un d’eux, qui était suivi par les deux autres. La roue de fer de Zeman avait été accrochée sur l’une des montures. Elle serait bientôt suspendue dans le chalet, puis ailleurs quand il partirait vivre seul. Elle pourrait même retrouver son rôle d’enseigne s’il ouvrait une officine dans la montagne. Il n’avait encore rien décidé. Le loup et l’ours bondissaient autour des chevaux. Urbino constata avec un sourire que l’infirmité de Trophime avait disparu. 

 

Juliette et Adriel restèrent seuls dans leur maison.

 

– Nous avons du travail nous aussi, dit Juliette, mais nous commencerons demain.

 

Lorsqu’ils s’éveillèrent le matin suivant, ils s’aperçurent qu’il ne faisait pas beau. C’était la première fois depuis des années. Le ciel était gris et les nuages lourds. Une petite bruine venue de la mer mouillait les maisons et une odeur d’humidité montait des ruelles sombres. Accoudés à la fenêtre de la tour, Juliette et Adriel regardaient la forêt dense au pied de la colline. Elle était noyée dans la brume en contrebas. Les feuilles des arbres jaunissaient et le vent les emportait. Elles tournoyaient au-dessus de la cime des arbres puis retombaient lentement. Il faisait frais, même froid. Pendant la nuit, de la neige était tombée sur les sommets des montagnes au loin. 

 

– C’est l’automne, dit Juliette.

– Il y a des saisons maintenant, ajouta Adriel en se réjouissant. Le climat a bien changé par ici. Bientôt ce sera l’hiver. Tu te rends compte ? Nous aurons peut-être de la neige à Coloratur !

 

Juliette ne disait rien pour ne pas alerter Adriel, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que Marjolin ne la laisserait pas en paix. Elle s’était rendue compte qu’il avait   emporté le théorbe mais aussi le soubassophone cabossé. Elle était certaine qu’il était fou. De son côté, Adriel avait la même inquiétude. Ils avaient tout à craindre de ce magicien sans scrupules et sans cœur. Il était peut-être même pire que ne l’avait été Jahangir. 

 

– Je garderai toujours une branche de l’arbre près de moi pour me protéger de lui, pensait Juliette. 

– Je serai toujours là pour toi Juliette, je me battrai pour te protéger contre Marjolin, se disait Adriel en serrant les poings.

 

De l’autre côté de l’océan, quelqu’un frappa à la porte de la maison de Jahangir où s’était installé Marjolin. Esmine pénétra dans le couloir, suivie par ses cousines. Jahangir n’étant plus là, la sorcière avait décidé de choisir une nouvelle proie pour ses réaliser ses ambitions. Elle s’approcha de Marjolin pour le charmer. 

 

– Tu ne joues plus de musique ? murmura la sorcière en tournant autour de Marjolin.

– J’ai remisé mes deux théorbes, répliqua ce dernier qui n’avoua pas que ces instruments lui rappelaient trop Juliette. Je n’avais plus envie d’entendre leurs sons. J’apprends le soubassophone. Veux-tu que je te joue un air ?

– Non merci, répondit Esmine. Tu as échangé les cordes pincées contre le cuivre, c’est beaucoup moins harmonieux et beaucoup plus sonore. Décidément, non.

– Comme tu voudras, fit Marjolin. Peut-être préfèrerais-tu une partie d’échecs ?

– Sans façon, rétorqua Esmine.

– Une boisson ? ajouta Marjolin.

– L’horrible breuvage que voulait m’offrir Jahangir ? demanda Esmine.

– Absolument, murmura Marjolin avec un sourire amusé.

– Maintenant que tu n’as plus de concurrence, c’est toi qui es en tête de la liste pour devenir le maître de l’univers, dit Esmine en regardant Marjolin droit dans les yeux.

– Balivernes ! s’écria le magicien dont les lunettes bleues avaient glissé le long de son nez.

– Tu parles comme lui, balbutia Esmine en pâlissant.

– Je parle comme lui et comme lui je pense que tu m’exaspères. Rentre chez toi, Esmine, j’ai à faire pour me préparer à devenir le maître de l’univers.

 

En entendant ces mots, Esmine et ses cousines eurent un soupir de soulagement. Les affaires n’étaient finalement pas si mauvaises que cela, il y avait toujours de l’espoir que les choses s’améliorent dans le bon sens. Marjolin avait repris le flambeau, tout allait pour le mieux. Les trois sorcières se firent des sourires entendus, s’inclinèrent et quittèrent la maison pour regagner prestement leur logis. Elles sauraient revenir aux moments opportuns pour faire leurs petites affaires. Marjolin referma la porte derrière elles et descendit dans le laboratoire au sous-sol. Il déposa sur une table la console de Jahangir qu’il manipulait si bien et qui avait été l’outil de sa vengeance. Il l’avait rapportée du château de Coloratur comme son trophée. 

 

Il ne savait pas encore comment il allait s’y prendre pour occuper son temps et son avenir. Il avait été prétentieux avec tout le monde. Car au fond, il n’aimait rien tant que sa tranquillité. Il aurait seulement voulu trouver un nouvel adversaire pour jouer aux échecs. Il savait qu’il ne retournerait jamais voir Juliette, cela lui briserait le cœur. Pour les heures difficiles, il avait son théorbe et son soubassophone qu’elle avait réparés avec ses mains de fées. Ce serait sa plus grande consolation de jouer de ces instruments. Peut-être un jour aurait-il plus d’ambition, mais ce serait sûrement dans plusieurs millénaires. 

 

– Le pire, pensait-il avec amertume, serait qu’Adriel soit un bon joueur d’échecs.

 

Depuis l’espace, l’esprit de Jahangir avait rejoint l’esprit d’Ynobod. Il regardait Marjolin et enrageait comme à son habitude.

 

– Reste calme, dit Ynobod. Le bon côté de notre situation, c’est que d’ici je peux contempler mes reconstructions et que tu peux enfin prétendre être le maître de l’univers.

– Marjolin est une si grande déception pour moi, répondit Jahangir. Mon regret, c’est de ne pas avoir eu le temps de faire un ultime voyage pour aller narguer Lamar. J’aurais voulu pouvoir naviguer sous l’eau une dernière fois, métamorphosé en requin. 

 

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