Chapitre 21

Pointant les branches de l’arbre vers l’avant, le groupe s’avança lentement vers le hall éclairé. A peine eurent-ils mis un pied à l’intérieur du palais que toutes les lumières s’éteignirent. L’immense salle dont ils n’avaient vu qu’une image fugace fut plongée dans l’obscurité. Seuls les yeux jaunes d’Eostrix brillaient dans le noir. Des formes gigantesques les menaçaient dans l’ombre tout autour d’eux.

 

– Impossible de savoir où se trouve le léopard, murmura Adriel.

– Il peut nous sauter dessus à chaque instant, répliqua nerveusement Spitz. Nous ne savons pas s’il est amical ou sauvage.

– Nous sommes protégés par la bulle, dit Selma pour se rassurer.

 

Juliette frotta l’extrémité du rameau de l’arbre avec sa main et une faible lueur apparut, comme une petite flamme au bout d’une torche. Selma fit de même. Bientôt la clarté forcit et forma des halos lumineux autour des branches. Ils purent enfin distinguer ce qui les entourait. Les silhouettes effrayantes étaient d’énormes colonnes de marbre qui entouraient un escalier à double révolution. Des meubles de grande taille étaient disposés un peu partout le long des murs. Le sol de l’immense pièce était couvert d’un carrelage à damiers noir et blanc. Un peu plus loin, la silhouette sauvage du léopard, couchée par terre, semblait les attendre. 

 

Ils n’avaient pas envie d’approcher le fauve, mais Juliette les enjoignit à le faire. A peine eurent-ils fait quelques pas en direction de l’animal que celui-ci se leva et marcha devant eux.

 

– Il nous fait signe pour que nous le suivions, dit Adriel.

– Mais de quel côté est-il ? interrogea Juliette, avec nous ou avec Jahangir ?     

– A ce stade, impossible de le savoir, répondit Adriel. Pour l’instant, lui emboîter le pas est notre seule alternative.

– Est-il raisonnable de le suivre s’il nous emmène dans un piège dont nous ne pourrons pas nous sortir ? demanda Selma.

– Nous sommes protégés par l’arbre, intervint Zanzar d’un ton assuré qui surprit Juliette. Ne perdons pas de temps à nous poser des questions inutiles et avançons.

 

Adriel sentit l’urgence dans la voix de Zanzar. Le pirate devait éprouver des sensations que lui-même ne ressentait pas. Son affinité avec son ami Haddi lui faisait peut-être penser que talonner le léopard était la bonne solution. Zanzar avait certainement raison de vouloir aller de l’avant.

 

– Allons-y, dit Adriel et les compagnons se mirent en route.

 

Devant eux ils entendaient le léopard qui feulait dans le noir. Trophime marchait de son allure chaloupée, en exagérant le balancement de son grand corps lourd. Giotto était collé contre la cuisse d’Urbino dont les mains étaient posées sur des fioles dans ses poches, prêt à agir au moindre bruit suspect. Ils étaient tous le qui vive. Après leurs nombreuses quêtes et les longues distances parcourues, leurs corps étaient entraînés. Leurs démarches étaient devenues souples et silencieuses. 

 

Ils s’engagèrent à la suite du fauve dans un large couloir. Des torches éteintes étaient suspendues de chaque côté sur les murs. Lorsque Juliette et Selma passèrent devant chacune d’entre elles avec leurs rameaux incandescents, des flammes jaillirent en haut des flambeaux. Bientôt tout le corridor fut illuminé. Adriel marchait en tête, attentif aux mouvements du léopard qui se trouvait loin devant eux. Grâce au puissant éclairage, il eut le temps de le voir obliquer à droite et disparaître. 

 

Puis toutes les torches s’éteignirent en même temps et le couloir fut plongé à nouveau dans le noir, à l’exception des branches de l’arbre qui continuèrent à diffuser leur lumière. 

 

– Le léopard a tourné vers la droite, dit Adriel pour prévenir ses compagnons.

 

Ils poursuivirent leur avancée jusqu’à la bifurcation où le léopard avait disparu. Ils marchèrent environ une dizaine de mètres avant de tomber sur un cul-de-sac.

 

– Le premier piège de Jahangir, s’exclama Spitz en tremblant un peu, la main sur la dague qui pendait le long de sa jambe. 

 

Urbino s’approcha des murs et commença à frapper doucement pour détecter un bruit creux. Aucun son particulier ne parvint à ses oreilles. Alors Selma et Juliette se regardèrent et tendirent en même temps leur rameau devant elles. Le mur se déchira comme un vulgaire papier tendu et un nouveau couloir apparut devant leurs yeux. Cette fois, il n’était pas décoré ni peint comme auparavant. Les parois étaient brutes et rugueuses. Ils empruntèrent le corridor.

 

Un peu plus loin, ils pénétrèrent dans une vaste salle occupée en son centre par un énorme aquarium. Des plantes aquatiques fluorescentes en éclairaient l’intérieur tout en ondoyant. Des formes grises évoluaient dans l’eau glauque et opaque. Zanzar s’approcha des vitres à peine transparentes.

 

– Des requins ! s’exclama-t-il.

 

Il y en avait de plusieurs tailles et de différentes espèces dont certaines, archaïques, remontaient à la préhistoire. Ils venaient écraser leurs gueules hérissées de plusieurs rangées de dents pointues sur les plaques de verre. Leur peau rugueuse raclait les bords internes de l’aquarium et laissaient des traces lorsqu’ils tournaient en rond. Ils furent bientôt tous agglutinés sur le devant du bassin, leurs nageoires et leurs queues remuant vivement l’eau et soulevant des nuages de la boue qui couvrait le fond. Le spectacle était horrible et effrayant. 

 

– Quittons cette salle, il n’y a rien à en attendre, dit Adriel. Cette vision de bêtes prisonnières dans un trop petit bocal est malsaine. 

– Peut-on faire quelque chose avec l’arbre ? demanda Juliette.

– Ne prenons pas de risque inutile, intervint Zanzar. Adriel a raison.

 

Ils poursuivirent leur quête. A peine furent-ils passés dans la pièce suivante où se trouvait un escalier qui menait vers un étage supérieur qu’un craquement sinistre retentit. Puis des bruits d’explosion, de chocs et de vitres brisées se propagèrent en cascade, suivis par le gargouillis d’un énorme jet d’eau. Alors qu’ils grimpèrent les marches en courant pour échapper au désastre, le flot de l’aquarium éclaté se répandit sur le sol et se mit à monter. Les corps des poissons morts dérivèrent au milieu des herbes aquatiques et des éclats de verre en laissant des traces rouges. 

 

Les compagnons atteignirent le palier au moment où l’eau s’arrêta de s’élever. Quelques requins qui avaient résisté au choc de l’éclatement de l’aquarium nageaient encore dans les eaux sales. Leurs ailerons dorsaux apparaissaient par intermittence au-dessus de la surface de l’onde. Leurs allers et retours provoquaient des vagues menaçantes. 

   

Ils ne s’attardèrent pas. Une seconde volée de marches mena le groupe à l’étage supérieur. Un long couloir desservait une série de portes toutes closes. Les murs étaient nus et sinistres, comme ceux d’une prison. D’ailleurs, lorsqu’ils avancèrent le long du corridor, ils virent que les portes avaient des vitres en plexiglas et des barreaux. Chaque pièce était une geôle et tous les cachots contenaient un seul prisonnier assis sur un banc. Ce n’était pas une créature réelle mais un hologramme. Tous les prisonniers étaient identiques, c’était la même personne qui était emprisonnée des milliers de fois. Car le couloir semblait se prolonger à l’infini. 

 

Alors que les compagnons regardaient le personnage qui se reproduisait de cellule en cellule, celui-ci releva la tête et les regarda dans les yeux. 

 

– Je ne suis personne, articulait-il péniblement et l’écho dans les geôles voisines répétait sans cesse cette phrase comme un mantra ou une idée fixe.

 

La créature ressemblait à s’y méprendre à Jahangir, mais son visage très laid était fendu d’une longue cicatrice. Vêtu d’une robe grise et coiffé d’un bonnet, il avait des yeux opaques et sans expression. 

 

– C’est Ynobod, murmura Zanzar, avant qu’il ne soit mort et abandonné par Jahangir il y a des milliers d’années.

– Nous savons où nous sommes désormais. Ici, c’est le royaume de Jahangir, dit Adriel. Il se joue de nous selon son bon plaisir. Il nous fait voir les pires cauchemars pour nous impressionner. D’abord les requins, ensuite l’explosion et maintenant son pire ennemi quand il était encore son esclave.

– Où est Haddi ? demanda Juliette.

– Pour l’instant, il n’est nulle part, répondit Adriel. Nous devons continuer à progresser dans ce dédale où Jahangir veut nous perdre. Et ne pas nous perdre.

– Comment quitter ce couloir maudit où nous nous sommes engagés ? interrogea Spitz. Nous ne pouvons pas reculer, l’eau a envahi les couloirs et il reste des requins.

– Ce couloir n’a pas de fin, ajouta Selma. Nous devons repartir en arrière et traverser l’eau glauque pour en sortir.

– Vous avez raison, dit Adriel. Nous sommes tombés dans un piège. Jahangir nous a acculé dans ce couloir et nous devons en sortir à tout prix.

 

La mort dans l’âme, ils firent demi tour et reprirent le chemin de l’escalier. L’eau continuait à bouillonner au niveau du palier inférieur et les squales tournaient en rond. Leurs corps effilés effleuraient la surface et parfois une tête émergeait en découvrant une gueule ouverte sur des dents effilées.

 

– Nous sommes coincés, dit Spitz. Notre poursuite s’arrête là, à moins que l’un d’entre nous ait le courage d’affronter les requins.

– Non, nous n’allons pas renoncer, s’écria Urbino qui ne comprenait pas qu’ils puissent s’arrêter sans même avoir cherché à trouver une issue à leur problème.

– Regardez ! s’écria Selma en pointant son doigt. On aperçoit une tâche sombre sous l’eau. C’est peut-être une sorte de trappe. Mais impossible de l’atteindre pour savoir ce que c’est.

 

Comme Urbino et contrairement à Selma et Spitz, Juliette ne s’avouait pas vaincue. Elle s’approcha du bord de l’onde et tendit le rameau de l’arbre droit devant elle. Petit à petit, le niveau de l’eau s’abaissa jusqu’à ce qu’une porte apparut sur le côté, le long des marches. Le recul de l’eau entraîna les requins vers le fond et libéra le passage. Tous se penchèrent vers le portillon, synonyme d’une échappatoire à leur situation. 

 

– Allons-y ! s’écria Juliette, nous avons peut-être peu de temps pour passer.

 

Ils se précipitèrent sur les marches glissantes au risque de tomber et de glisser dans l’eau. La porte s’ouvrit difficilement mais ne put résister longtemps aux assauts de Trophime. Ils se faufilèrent derrière rapidement et refermèrent aussitôt le battant lorsque tous furent à l’abri. Derrière eux, ils entendirent l’eau gargouiller et remonter dès que le pouvoir de l’arbre cessa de la repousser. Des bruits de griffures sur le métal de la porte leur parvinrent tandis qu’ils s’éloignaient dans un nouveau couloir. Les requins étaient revenus. Ils devaient rayer le portillon avec leurs dents pointues. 

 

Peu désireux de s’attarder, les compagnons s’éloignèrent aussitôt. Ils parcoururent le nouveau couloir découvert derrière le panneau noyé sous l’eau. Le corridor montait en pente douce et aboutissait à un nouveau palier. Un escalier en colimaçon en partait, qui semblait s’élever dans une tour ronde. 

 

– Nous tromperions-nous à nouveau si nous grimpions ces marches ? murmura Adriel. Y aurait-il un autre chemin ?

– Comment le savoir sans essayer ? répondit Juliette.

– Nous risquons de nous retrouver bloqués une nouvelle fois, dit Spitz.

– Oui, mais nous nous en sommes sortis indemnes, répliqua Selma.

– Nous avons toujours le pouvoir de l’arbre avec nous, ajouta Juliette.

 

A peine eurent-ils prononcé ces mots que l’air autour d’eux se mit à vibrer. Tout devint flou et commença à tourner comme dans un manège. L’illusion dura quelques instants puis le décor se stabilisa. Mais tout avait changé. Ils ne se trouvaient plus dans la pièce sans fenêtre d’un château. Ils étaient au cœur d’une forêt tropicale enfouie profondément dans une fosse karstique géante. Elle était peuplée d’arbres anciens qui s’élevaient à près de quarante mètres pour aller chercher de la lumière. Les plantes d'ombre qui n’avaient pas besoin de grandes quantités de lumière pour se développer étaient aussi hautes qu’eux. La faune était riche, composée d’espèces archaïques et d’organismes du sol qui n’existaient nulle part ailleurs. Isolée au fond du gouffre, la forêt n’avait pas subi les changements climatiques du reste du monde et avait évolué de manière indépendante depuis des millions d’années.

 

Les compagnons se retrouvaient prisonniers dans une forêt préhistorique, cachée au fond d’un gouffre sombre où la lumière du soleil pénétrait à peine. Il n’y avait probablement aucun moyen d’en sortir. Il leur fallait se rendre à l’évidence. Affronter Jahangir se révélait à chaque seconde être un combat infernal, Ils n’avaient pas le niveau pour se confronter à lui et à sa magie, même en disposant des pouvoirs de l’arbre de paix. Ils avaient sous estimé leur ennemi et pour l’instant, Haddi ne les avait pas aidés. Ils payaient maintenant le prix de leur inconséquence..    

 

– Où sommes-nous ? gémit Spitz, quelle est cette diablerie ?

– il y a des grottes partout autour de nous, s’écria Selma qui se refusait à perdre espoir. Nous devons essayer de sortir coûte que coûte de ce gouffre en parcourant les cavités.

– Sans nourriture, sans carte, sans savoir où nous allons ni où nous arriverions si par chance nous réussissions à avancer ? répliqua Zanzar en haussant les épaules. Allons, il faut le reconnaître, Jahangir est beaucoup plus fort que nous. Il nous a éjectés de son château et il va pouvoir faire ce qu’il veut désormais. Nous sommes hors jeu.

-- Voilà ce qui va se passer maintenant. Jahangir éliminera d’abord Haddi, puis prendra possession du château et enfin s’érigera en maître de l’univers. Il a gagné, poursuivit Spitz, dépité lui aussi.

– Il faut d’abord qu’il vainque Haddi, protesta Selma. Ce n’est pas gagné d’avance.

– Il est en pleine forme, il a Marjolin et désormais Haddi est seul et très diminué, fit Adriel qui baissait un peu les bras.

– Il nous suffit de regagner la mer, et Lamar viendra nous chercher. Il nous ramènera à Coloratur, dit Juliette qui ne voulait encore croire à la possibilité d’une issue favorable.

– Tu es très optimiste. Mais comment allons-nous regagner la mer ? murmura Zanzar.

– Si nous réussissons à revenir à Coloratur et refaisons la même chose une seconde fois en nous réintroduisant dans le château, Jahangir nous éliminera purement et simplement, répliqua Spitz. Il faut agir autrement.

– Pourquoi nous a-t-il préservés et envoyés dans ce lieu isolé ? demanda Urbino. Il aurait pu nous anéantir tout de suite.

– Nous avons le pouvoir de l’arbre qui nous protège, répondit Juliette. 

– Et puis il n’a pas de temps à perdre avec nous. Il a lancé un sort économique pour se débarrasser rapidement de nous. Son objectif, c’est Ynobod, fit Adriel.

– Jahangir s’est bien moqué de nous. Nous avons été ridicules, dit encore Zanzar avec amertume.

 

Adriel et Urbino parlaient peu. Ils réfléchissaient sans cesse. Pour eux, le combat contre Jahangir n’avait pas commencé. Ils avaient déjà perdu une bataille, mais jamais ils ne renonceraient à leur mission. Eostrix qui était avec eux s’était déjà envolé vers le haut du gouffre. Il cherchait un chemin pour sortir de la forêt archaïque.   

 

– La meilleure solution serait d’annuler le sort de téléportation de Jahangir et de nous retrouver dans le château, se disait Juliette. Mais je ne sais pas comment m’y prendre. Pour commencer, je vais planter une graine de l’arbre de paix dans le sol pour pouvoir monter au sommet de la canopée et voir où nous sommes. Depuis le début, l’arbre m’a aidée, il va continuer.

 

Cependant Juliette restait partagée. Elle s’était écartée du groupe et gardait la petite graine dans sa main au fond de sa poche. Elle la faisait rouler doucement entre ses doigts.

 

– Que veux-tu faire ? lui demanda Adriel en la voyant indécise.

– Je voulais planter une graine de l’arbre de paix, mais je ne crois pas que je puisse le faire, répondit Juliette.

– Je suis d’accord avec toi, intervint Urbino qui parlait peu souvent depuis leur départ. Il ne faut pas que nous polluions cette forêt ancienne avec nos traces. Nous ne devons rien laisser derrière nous pour ne pas abîmer la beauté sauvage de ce lieu qui n’a pas changé depuis des millions d’années. Nous ne sommes que de passage.

– C’est ce que je pensais, avoua Juliette. Mais alors, que devons-nous faire ?

 

Ils restaient là, immobiles, à écouter les bruits de la forêt qui ne ressemblaient pas tout à fait à ceux des sous-bois qu’ils traversaient habituellement. Comme s’ils se trouvaient dans un autre monde, ils éprouvaient la sensation vertigineuse de partager quelques instants d’une autre vie, indépendante et différente, qui s’écoulait autour d’eux. Ils ne se sentaient pas le droit de fouler le sol vierge et le temps leur parut tout à coup suspendu. Mais qu’allaient-ils pouvoir imaginer pour sortir de ce lieu isolé en respectant cette conviction  ?

 

Tandis qu’ils s’interrogeaient vainement sur leur devenir, les événements se précipitaient à Coloratur. Lorsque Jahangir et Marjolin s’étaient téléportés après la destruction des armées ennemies par la boule de feu, ils s’étaient retrouvés devant le pont-levis relevé du château. Jahangir n’avait pas eu l’intention d’aller voir Esmine ou ses cousines. Désormais, il entendait agir seul car la présence des sorcières ne ferait que retarder ses plans. Comme il était intelligent, Marjolin pourrait peut-être lui rendre service, c’est pourquoi il l’avait emmené avec lui.

 

– Ynobod a installé une protection magique autour des remparts qui nous empêche de pénétrer à l’intérieur de la forteresse, avoua Marjolin. La téléportation nous a déposés ici et non pas dans la cour du château.

– Je ne veux pas l’entendre, grinça Jahangir entre ses dents. Rien, non rien ne doit nous empêcher d’entrer dans le palais. Fais ce qui est nécessaire pour que nous passions de l’autre côté des murs. Et très vite.

– Impossible, ô mon maître, murmura Marjolin qui ne voulait faire aucun effort pour aider Jahangir, la magie d’Ynobod est beaucoup plus puissante que la mienne. Je ne peux pas outrepasser sa volonté.

– Je ne sais pas ce que tu deviendrais sans moi, gronda Jahangir. Tu es réellement bon à rien. Moi je sais ce que je peux faire sans toi.

 

Aussitôt le magicien lança quelques formules pour annuler le sort d’Ynobod. Mais pas plus que Marjolin, il ne parvint à franchir la bulle de protection érigée par Ynobod. Il finit par se transformer en fumée noire. Les volutes s’élevèrent dans le ciel à la recherche d’un interstice dans la protection ou d’un défaut de fabrication. Dès qu’il trouva une faiblesse dans l’enveloppe magique, Jahangir se glissa sous la matière transparente, pénétra à l’intérieur de la bulle et reprit sa forme normale lorsqu’il descendit dans la cour. 

 

Debout devant le pont levis, il tendit la main vers la grande porte de bois qui s’ouvrit en grinçant. La herse se releva, les chaînes se déroulèrent toutes seules et le tablier descendit lentement pour poser son extrémité de l’autre côté des douves. Marjolin traversa le pont à toute vitesse, il savait qu’il ne devait pas traîner pour ne pas agacer son maître. Dès qu’il fut passé, le pont levis se referma automatiquement. Marjolin rejoignit Jahangir qui l’attendait au milieu de la cour. 

 

– Voilà, nous sommes dans la place, s’exclama Jahangir. Tu vois, ce n’était pas compliqué, tu aurais pu le faire. Mais je sais que tu es incapable d’avoir une bonne idée. Tu es intelligent mais pas autant que moi. Désormais, il n’y a plus de protection au-dessus du château. Je viens de faire exploser la bulle créée par Ynobod. C’était un jeu d’enfant tant le sort était facile à annuler. Et maintenant nous allons pénétrer dans le palais. Que de souvenirs reviennent dans ma mémoire en évoquant le bon temps passé entre ces murs. J’ai vécu des expériences incroyables dans ce château ! En quelque sorte, c’est ici que j’ai forgé ma puissance et mon savoir.

 

Ecoeuré par cette autosatisfaction dégoulinante, Marjolin ne disait rien. Il suivit Jahangir qui marcha d’un bon pas vers le porche du palais. Ils pénétrèrent dans le hall et Jahangir dessina un grand arc avec l’un de ses bras. Aussitôt la grande pièce s’éclaira. Marjolin admira la décoration baroque et l’architecture des grandes colonnes aux chapiteaux sculptés, tandis que Jahangir ne leur jeta pas même un regard. Il se dirigea résolument vers un couloir qui s’ouvrait dans le fond du hall. Arrivé au bout du corridor, il emprunta un petit escalier en colimaçon à moitié dissimulé derrière de lourdes tentures de velours cramoisi.

 

– Heureusement que je connais bien les lieux, s’exclama-t-il. Je peux me déplacer sans difficultés dans ce dédale de couloirs prétentieux. Ynobod a si peu d’imagination qu’il a tout recréé à l’identique. Alors je ne suis absolument pas perdu entre ces murs !

 

Il parcourut quelques couloirs avant de pousser une porte et d’entrer dans une pièce vide. C’était une petite salle ronde construite dans une tour. Des meurtrières laissaient passer une faible lumière, peu éclairante de jour comme de nuit.  

 

– Voilà, dit-il. Je vais installer ici mon QG et mettre en place quelques illusions qui empêcheront les éventuels curieux de venir perturber mon combat contre Ynobod. Voyons voir … Un jeu de lumière …

 

Jahangir fit quelques gestes de sa main dans l’air. Une console transparente se matérialisa au milieu de la salle et le magicien se positionna devant.

 

– Il y a eu beaucoup de progrès technologiques depuis la mort d’Ynobod. Je ne suis pas certain qu’il en connaisse toutes les subtilités. Pour ma part, je me suis laissé instruire par quelques experts dénichés à Astarax. C’est extrêmement commode de piloter mes illusions grâce à ce pupitre que j’emmène partout avec moi. 

 

En disant cela, Jahangir se mit à pianoter sur l’un des écrans devant lui.

 

– Tiens tiens ! voici nos poursuivants ! s’écria-t-il en visualisant sur un autre écran les compagnons qui venaient de pénétrer dans la cour du château. 

– Ils sont déjà arrivés à Coloratur ? s’exclama Marjolin.

– Il faut croire que oui, fit Jahangir. Nous avons perdu beaucoup de temps à pénétrer dans la cour. Pourtant nous avons évité d’aller voir Esmine et les sorcières pour justement aller plus vite. Le temps s’écoulerait-il plus lentement pour nous ?

 

Une idée germait dans la tête de Jahangir. Il pensait que Marjolin ne maîtrisait peut-être pas si bien que cela la téléportation et qu’ils avaient mis beaucoup plus de temps que prévu pour se retrouver devant le pont-levis. L’idée lui vint aussi que Marjolin faisait tout son possible pour le retarder et l’empêcher d’atteindre son objectif. 

 

– Toi, se dit-il, tu ne perds rien pour attendre. Tu joues les innocents, mais tu me mets constamment des bâtons dans les roues. Attends que je n’aie plus besoin de toi, et je me débarrasserai enfin de ta présence qui m’incommode depuis si longtemps.

 

Jahangir reprit la programmation des illusions en se penchant à nouveau vers l’écran de sa console.

 

– Voyons, je mets un aquarium à requins dans cette pièce ici. Excellent ! dit-il en ricanant dans sa barbe. Ooooh ! ils n’ont pas aimé du tout ! Et je vais me faire plaisir … une hallucination avec la vraie figure d’Ynobod … quand il était Personne. Il était si laid avec sa balafre. Une juste punition pour une peccadille. Mais quand même. Voilà. Ils font demi-tour, ils ont compris qu’ils ne pourraient jamais aller jusqu’au bout. Et pour finir, je les éjecte dans un lieu si secret et si lointain que j’en suis débarrassé jusqu’à la fin des temps. Une forêt oubliée. C’est du grand art ! Ah, ils ne sont pas près de revenir nos poursuivants !

 

Jahangir riait tout seul de ses farces qui n’amusaient que lui. Marjolin restait de marbre à le regarder manipuler sa console avec dextérité. A son grand regret, Marjolin était bien obligé de constater que Jahangir était vraiment très fort. Il avait réussi à éliminer les alliés d’Ynobod pour se retrouver seul contre son ennemi. Mais Marjolin réalisa soudain avec horreur que Juliette faisait partie des poursuivants. Elle avait été exilée par Jahangir et il ne la reverrait jamais.

 

– Bon, maintenant que nous avons éloigné les gêneurs, il nous faut trouver la cachette d’Ynobod, reprit Jahangir. Comme il n’a aucune imagination, je suppose qu’il se terre là où se trouvait mon ancien laboratoire. C’est très étrange de penser que je vais y retourner. 

– Après tant de temps écoulé depuis la mort d’Ynobod, sauras-tu en retrouver le chemin, ô maître ? demanda Marjolin d’une voix onctueuse.

– Tout a été enterré sous des tonnes de gravats, gémit Jahangir. Je ne sais pas comment me faufiler jusque là où se trouvait mon officine. 

– Et si tu te transformes en fumée, ne peux-tu pas te glisser jusqu’à l’endroit ? proposa Marjolin.

– Bien sûr je le peux. Mais cela ne sera pas suffisant pour le combat contre Ynobod, répondit Jahangir. Je ne crois pas que je pourrai reprendre ma forme normale une fois arrivé là-bas. Il me faut de la place pour lancer mes sorts, j’ai besoin de recul. Et dans ce trou, tout est compact. Mais je crois que tu as raison, je devrais faire un premier tour pour voir l’état dans lequel se trouve mon laboratoire. Ce sera un crève-cœur, car il a été entièrement détruit. 

– Ainsi tu pourras repérer le meilleur trajet pour t’y rendre, ajouta Marjolin. Et vérifier qu’Ynobod s’y trouve.

– Oui, il me faut pratiquer un passage où je pourrai me glisser jusqu’au laboratoire. Impossible d’incanter quand je deviens fumée, soupira Jahangir. La magie a ses limites. 

– Essaie de trouver le chemin, ensuite nous creuserons un tunnel, dit Marjolin.

– Je crois que je vais y aller maintenant, fit Jahangir dont l’impatience était presque tangible. Tu vas m’attendre ici et je reviendrai te chercher.

 

Marjolin fit une grimace qu’il parvint à cacher en tournant la tête. Mais Jahangir avait eu le temps de voir le rictus sur les lèvres de sa créature. Il s’avança vers la porte de la petite pièce qu’il entrouvrit. Puis son corps s’évapora et se métamorphosa en une fumée noire qui disparut. Marjolin resta interdit dans la salle, ne sachant que faire en attendant le retour de son maître. Jahangir avait laissé la console en place. Marjolin s’approcha et commença à pianoter sur les surfaces tactiles. Grâce à son intelligence, il comprit rapidement le fonctionnement intuitif du pupitre et suivit la progression de Jahangir sous forme de fumée sur l’écran.

 

Jahangir ondoya le long des couloirs et des pièces qu’il connaissait par cœur. Tous ses souvenirs lui revenaient au fur et à mesure qu’il parcourait les lieux. Il ressortit du palais par le porche du hall et se dirigea vers les écuries, sur la droite. Il y pénétra sans attendre et longea les boxes où ne se reposait aucun cheval. Puis il ondula jusqu’à la pièce suivante où il bifurqua sur la gauche. A sa grande surprise, il réalisa que la porte qui donnait sur les caves et les tunnels où il avait créé son laboratoire avait été réparée. Derrière le battant sous lequel il se glissa, il n’y avait plus de gravats ni de poussière accumulée, mais des couloirs éclairés qui descendaient vers les profondeurs. Comme autrefois. Comme lorsqu’il avait conçu son antre. Ynobod avait reconstitué les lieux à l’identique, avant qu’ils fussent détruits. C’était presque inconcevable. Ynobod l’invitait à venir se battre contre lui sans effort. Par acquis de conscience, Jahangir descendit le long d’innombrables marches qu’il reconnaissait toutes. Il ondoya dans des corridors taillés dans la pierre avant d’arriver devant une porte fermée. Derrière cette porte il devinait une vive lumière blanche, une coupole de verre dépoli qui garnissait le plafond, un décor de paillasses et d’étagères couvertes de verrerie, tous ses rêves qui avaient failli se réaliser … Avisant le trou de la serrure, il s’y faufila et ressortit de l’autre côté. 

 

Mais de l’autre côté de la porte, rien ne ressemblait à ce qu’ii avait imaginé. L’endroit était sombre, seule une pâle lumière diffuse l’éclairait. C’était un véritable chaos de pierres brisées, de magma fondu et d’éclats de verre, de bois et de métaux. Il n’y avait pas un atome de place pour bouger ni pour se déployer. Jahangir se retourna et essaya de retrouver le trou de la serrure par lequel il était venu. Mais le trou avait été bouché. Il était prisonnier sous la terre, précisément là où Ynobod avait passé des siècles à attendre d’avoir suffisamment de forces pour refaire surface.

 

Incapable de parler, incapable de se matérialiser, Jahangir éprouva soudain une colère terrible qu’il ne pouvait pas exprimer. Il semblait presque que la fumée noire allait se mettre à bouillir. Alors Ynobod se mit à parler.

 

– Te voici Jahangir. Tu es venu tout seul te jeter dans la gueule du loup. Comme toujours, tu fonces tête baissée dans les pièges sans réfléchir. Je n’ai même pas eu besoin de faire quoi que ce soit, et tu es à ma merci. Mais je ne suis pas un lâche, nous allons nous battre loyalement, comme deux sorciers. Je vais te laisser un petit espace pour que tu puisses te réincarner en un tout petit Jahangir, juste pour te permettre de parler. 

 

Aussitôt, Jahangir se matérialisa dans une minuscule poche d’air. Il n’était pas plus gros qu’une poupée. L’endroit était si inconfortable que le magicien dut s’asseoir par terre car il n’y avait pas suffisamment de place pour qu’il reste debout.

 

– Tu es bien seul, Ynobod, dit Jahangir qui ne pouvait pas s’empêcher d’attaquer son ennemi verbalement alors qu’il était en position de faiblesse.

– Je ne suis pas seul, répondit Ynobod. Mes amis sont en route pour m’apporter leur aide. Aux dernières nouvelles, ils ont pénétré dans le château par la petite porte des remparts.

– Eh bien tu ne sais pas tout, fit Jahangir avec satisfaction. Ils n’ont pas été si malins que tu crois. Ils ont été abusés par mes illusions. Je les ai téléportés dans une forêt ancienne, perdue au fond d’un gouffre. Tu ne les reverras jamais.

 

Marjolin écoutait le dialogue entre Jahangir et Ynobod. Il était si tendu et furieux contre son maître qu’il avait presqu’oublié que Juliette se trouvait désormais dans un endroit secret inaccessible. En se penchant sur la console, il tritura les écrans jusqu’à ce qu’il trouve celui où il pouvait voir la jeune femme. Elle était là, perdue dans une jungle hostile, essayant désespérément de trouver une solution pour sortir de cette situation inextricable. Son cœur se serra. C’est alors qu’il vit sur l’écran un bouton sur lequel était écrit ‘annuler le sort’. Les mots se mirent à clignoter devant ses yeux, humides derrière les lunettes bleues.

 

– J’ai le moyen de la sauver, se dit-il. Mais je sauve aussi les autres. Tant pis, je me vengerai de cet Adriel plus tard. 

 

Avant d’appuyer sur le bouton pour annuler le sort, il observa les compagnons qui piétinaient sans savoir que faire dans la forêt tropicale. La chouette préhistorique était perchée sur l’épaule de Juliette. Il y avait ce pirate vêtu de noir qui avait résidé dans le camp militaire de Jahangir, Zanzar. Il dévorait Juliette des yeux, quelle impudence ! Et les deux gamins, Spitz et Urbino. Urbino paradait avec son loup. Il s’était échappé de la prison du camp ! Comment avait-il fait ? C’était un exploit. Et d’où venait cet ours qui était avec eux ? Il vit aussi l’autre fille qui se trouvait dans l’échoppe de Juliette, Selma. C’étaient eux les alliés d’Ynobod ? Tout ceci était ridicule. Comment ces gens qui n’avaient aucun pouvoir magique pourraient lutter contre Jahangir ? Il allait devoir isoler Juliette pour que Jahangir ne la tue pas. Car Jahangir les tueraient tous sans distinction. D’un seul sort létal. Enfin s’il y arrivait car il n’avait pas réussi à éliminer Zanzar ni Spitz avec la boule de feu. 

 

Sans plus attendre, Marjolin appuya son doigt sur le bouton de l’écran et annula le sort de téléportation. De l’autre côté du monde, le décor de la forêt tropicale se mit à vaciller, puis vibra et devint totalement flou. Les compagnons perdirent l’équilibre dans ce paysage qui ne ressemblait plus à rien. Puis petit à petit l’environnement cessa de tourner et d’osciller, les images devinrent plus nettes et soudain ils se retrouvèrent dans la cour du château de Coloratur.

 

– Un miracle s’est produit ! s’écrièrent-ils presque tous ensemble sans y croire. Avons-nous rêvé ?    

– Non, nous n’avons pas rêvé, dit Juliette en montrant une poignée de graines qu’elle avait ramassées par terre dans la forêt. En voici la preuve. 

 

Elle laissa glisser les graines dans une de ses poches et caressa les plumes d’Eostrix qui ne quittait plus son épaule.

 

– Eostrix, montre-nous le véritable chemin, murmura-t-elle à l’oiseau. Tu le connais, toi, tu es déjà venu. Ne nous laissons plus abuser par des illusions. Aide-nous à ne pas nous tromper cette fois. 

 

L’oiseau s’envola aussitôt et se dirigea vers une grande porte cochère à la droite du porche d’entrée du château.

 

– Suivons-le, s’écria-t-elle. Il va nous mener à Ynobod   

 

Ils se mirent à courir derrière l’oiseau et pénétrèrent à sa suite dans les écuries. Eostrix continuait à voler devant eux vers l’entrée d’une cave située au-delà des boxes vides. Trophime donna un coup d’épaule et fit voler en éclat la porte fermée. Derrière, des marches s’enfonçaient dans le sol. L’escalier était éclairé, ils purent continuer à courir. En bas, ils empruntèrent un couloir puis un autre puis encore un autre. Eostrix ne savait plus où donner de la tête, il avait regagné l’épaule de Juliette. Ils longèrent des murs couverts d’humidité et évitèrent des pièges grossiers, bifurquèrent à droite et à gauche au hasard, firent demi tour quand ils étaient certains de s’être trompés et repartirent en sens inverse. A force de tourner dans le dédale de tunnels, ils finirent par arriver devant une porte close. 

 

Giotto s’assit devant et se mit à hurler. Zanzar frappa du poing sur le battant.

 

– Haddi, mon ami es-tu là ? hurla-t-il.

 

Sa voix profonde retentit dans les tunnels qui partaient depuis la porte dans plusieurs directions. Rien ne bougea, aucun son ne parvint de derrière le battant. 

 

Soudain, la porte s’ouvrit brusquement, comme mue par un automatisme. Elle se rabattit vers l’intérieur en claquant contre le mur. Devant eux se dressait un laboratoire, violemment éclairé par une lumière blanche qui tombait du plafond. C’était probablement l’ancienne officine de Jahangir mais, contrairement à ce qu’ils imaginaient, ce n’était pas une ruine. Sous l’éclat aveuglant des spots lumineux, il semblait avoir été intégralement restauré et être flambant neuf. 

 

Jahangir, qui avait repris sa taille normale, se tenait debout devant Haddi, toujours vêtu de sa cape rouge et de ses bijoux brillants.

 

– Enfin vous voici, nous vous attendions ! dit Jahangir qui avait l’air d’avoir retrouvé sa superbe. Ynobod a été vexé par l’une de mes remarques. Quand je suis arrivé, le laboratoire était totalement chaotique. Je lui ai dit qu’il était en très mauvais état et Ynobod n’a pas supporté mon ironie. Vexé, il l’a aussitôt reconstruit. Ha ! ha ! ha !

– Jahangir exagère toujours, riposta Ynobod. Moi aussi je sais créer des illusions, c’est toi qui me l’a enseigné. J’ai simplement dissipé l’apparence trompeuse.

– Balivernes ! s’écria Jahangir avec un petit rire moqueur et même triomphant. Je sais reconnaître la différence entre le rêve et la réalité. C’est ma spécialité. 

 

En face de lui, Haddi semblait fatigué, il était ratatiné sur lui-même, montrant l’image d’un fantôme qui est allé au bout de sa vie et n’en a plus pour longtemps. Les compagnons se tournèrent alors vers Jahangir. En le regardant de plus près, ils s’aperçurent qu’il était entravé. Ses bras inertes pendaient le long de son corps et son buste raide était immobile comme celui d’une statue. Sa tête paraissait coincée dans une minerve transparente qui l’empêchait de tourner le cou à droite ou à gauche. Ses épaules semblaient maintenues en arrière par des mains invisibles. Ainsi, la première phrase qu’il avait prononcée avait peut-être une toute autre signification qu’une simple  provocation.

 

Comme toujours avec Jahangir, il était difficile de savoir à quoi s’en tenir.

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