Chapitre 22 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'espère que ce chapitre vous plaira ! Bonne lecture ! :-)

- Et c’est ainsi que j’ai commencé mon entrainement avec Tellin pour acquérir une force qui, je croyais, me faisait défaut, déclaré-je.

Je me tais un instant pour comprendre le sens des paroles que je viens de dire. Au fond, Luna avait raison depuis le début. Tellin n’a jamais cherché à m’aider, mais en me jugeant plus maligne que tout le monde, je me suis rendue compte trop tard que j’avais moi-même causé ma propre chute. Je déglutis pour humidifier ma gorge qui est si sèche. 67 me fixe toujours sans bouger si bien que j’ai parfois eu l’impression qu’elle s’était endormie les yeux ouverts. Je m’apprête à reprendre mon récit quand elle me coupe.

- C’est étrange comme prénom Tellin. C’est pas beau.

Encore une fois, elle arrive à me déstabiliser avec ses questions sorties de nulle part. Je souris sans joie.

- C’est parce que c’est son nom de famille.

- Pourquoi est-ce que tu l’appelles comme ça alors ? Luna, Magda, même ce Hans qui semble un idiot, tu utilises leur prénom, enfin c’est ce que je crois, remarque-t-elle en étant plus hésitante sur la fin.

Je ne devrais, mais cela m’amuse quelque peu que 67 traite mon compagnon de la sorte. Il est vrai que notre première rencontre à Hans et à moi n’a pas été des plus amicales et pour une fois je n’étais pas la plus fautive. Je redeviens rapidement sérieuse en me rappelant la demande de mon interlocutrice. Je soupire.

- Effet, confirmé-je. À la suite d’un… malentendu, je me suis refusée à employer son prénom. Au début de nos séances en commun, Tellin était un excellent professeur avec moi. À la fois strict et correct, attentif à mes moindres erreurs, compréhensif face à mes échecs, il était humain. Malheureusement, ces moments ont été de courtes durées et il a commencé à espérer plus de moi.

J’ai de grandes difficultés à cacher mon écœurement au moment où je me remémore ce cours où tout a basculé. Lors d’un banal exercice, ses gestes sont devenus déplacés et particulièrement oppressants. J’ai d’abord pensé mal interpréter et ai tenté de me dégager gentiment, mais il ne s’est pas arrêté, au contraire ça a empiré. Ce n’est que quand il m’a embrassée que j’ai compris le vrai sens des paroles de Luna. Il va profiter de tes faiblesses pour que tu sois douce comme un agneau quand il souhaitera te mettre la main dessus. Je l’ai repoussé et au moment où j’ai croisé son regard, j’ai eu peur. Peur de ce qu’il pouvait faire de moi.

- L’appeler par son nom a été une manière pour moi d’instaurer une distance entre nous. Par-là, j’ai voulu lui faire comprendre qu’il n’avait rien à attendre de moi. J’étais prête à accepter son amitié, mais c’était tout.

Inutile de préciser que pour lui c’était hors de question. Toutefois, il a eu beau insister, je n’ai jamais cédé, sauf une fois. Cela a été la fois de trop. En lui offrant mon corps, il a cru que désormais je lui appartenais alors qu’en fait je me servais de lui juste un instant pour oublier les horreurs que j’avais commises pour mon père. Malheureusement, ce relâchement de ma part s’est retourné contre moi. De cette nuit passée ensemble, notre relation n’a fait que se dégrader pour atteindre un point de non-retour avec l’élimination de Hans, mon compagnon, son rival, l’homme qui lui a volé sa propriété.

 

J’ignore combien de temps j’ai continué à raconter mon histoire à 67. Cela pourrait faire des jours comme seulement quelques heures. J’arrive finalement à la dernière partie avec notre fuite et notre échec. Je suis soulagée de constater que ma voix ne tremble pas quand j’annonce la mort de Hans à 67. La sentence de mon partenaire représente le couperet qui met fin à mon récit. À l’instant où je me tais enfin, c’est comme si mes forces me quittaient. Je roule mollement sur le dos et ne bouge plus. C’est silencieuse que je contemple le plafond au-dessus de moi dans l’attente d’une réaction de ma voisine. Toutefois, le temps a beau s’écouler, rien ne se passe. Étonnée par cet étrange calme, je me retourne sur moi-même pour porter mon attention sur elle et c’est quelque peu ébranlé que je découvre les larmes qui ruissellent le long de ses joues.

- C’est tri… triste, renifle-t-elle. Je suis tell… tellement déso…lée.

- Tu n’as pas à l’être, lui assuré-je d’une voix douce.

J’ai beau paraitre sereine, les émotions se bousculent en moi. Je ressens soudain un brusque élan de sympathie envers cette fille. Si nous n’étions pas séparés, je pense que je l’aurais serré contre moi.

- Comment fais-tu pour être si détachée ? me demande-t-elle entre deux hoquets.

Un sourire vraisemblablement amer se dessine sur mes lèvres.

- Peut-être parce que je commence enfin à l’accepter, mentis-je.  

- Eh bien, pas moi ! s’exclame-t-elle en s’essuyant le nez avec son bras rependant au passage une coulée de morve tout le long.

Ses mots me percutent violemment et c’est une main tremblante que je pose sur ma poitrine où je peux sentir les battements de mon cœur bouleversé. Par son cri, elle clame tout fort, ce que je passe mon temps à nier. Et pourtant, j’ai beau me mentir, je suis incapable de reconnaitre que mon compagnon ne soit plus de ce monde. Je soupire. Seulement, que je veille ou non, il faudra bien un jour que j’admette la vérité. Hans n’est plus là. Je reporte mon attention sur ma voisine qui continue à pleurer. Une profonde gratitude s’empare de moi. Je me mets un peu plus à plat ventre pour glisser mon bras à travers la trappe. Étant trop court, il ne parvient qu’à atteindre le milieu du couloir. 67 comprenant mon geste s’empresse de faire de même. Nos doigts s’entremêlent et je suis surprise de la douce chaleur que dégage sa peau, à moins que ce soit la mienne qui soit glacée. Hans m’avait une fois fait la remarque. Froid aux mains, chaud au cœur, m’avait-il dit avant de m’embrasser. Sur le coup, ne connaissant pas cette expression, j’avais ri un peu bêtement. Ce n’est que quand il me l’a expliquée que j’ai vraiment été touché par ses mots. Ma main resserre son étreinte sur celle de 67. Une certitude s’impose à moi. Je ne veux pas la lâcher. Comme une lueur dans ce cauchemar, sa naïveté et sa franchise presque enfantines me redonnent foi. Je regrette de plus en plus les pensées immondes que j’ai eues envers elle. Je la croyais insensible, elle est tout le contraire. C’est juste qu’elle n’est pas en mesure de comprendre ce qui l’entoure. Je croise son regard humide et ressens le soutien qu’elle tente vainement de me transmettre. Je presse davantage ses doigts dans les miens.

- Je suis certaine qu’il aurait été heureux de te connaitre, murmuré-je.

- Il avait l’air gentil.

Une nostalgie, mélangeant regrets et de reconnaissances, m’enveloppe.  

- Il l’était, affirmé-je dans un souffle. Si au départ, on ne se supportait pas, j’ai fini par comprendre que jamais je n’avais rencontré quelqu’un de plus honnête et affectueux que lui.

Il comptait tant pour moi. Je repense à ses paroles, à ses sourires quand il me regardait, à ses inquiétudes et colères me concernant, mais aussi à ses caresses et à ses baisers lors de nos moments d’intimité. Dans un geste mécanique, je frotte ma bouche comme si cela pouvait faire resurgir son souvenir, le goût de sa peau, la douceur de ses lèvres. 67 me sort de ma léthargie au moment où elle m’appelle.

- Elena.

- Qu’est-ce qu’il y a ? m’enquiers-je évasivement encore plongé dans le passé.

- Merci de m’avoir raconté tout ça. Je t’ai dit des choses affreuses et pourtant tu as accepté de rester avec moi.

Ses yeux sont désormais secs et me fixent avec sérieux. C’est avec une pointe de tristesse que je reviens définitivement dans le présent pour lui porter tout mon intérêt et lui réponds avec gravité.

- Ce serait plutôt à moi de m’excuser et de te remercier de m’avoir écouté. Je t’ai jugée sans te connaitre, alors qu’en réalité nous sommes pareilles. Toi non plus, tu n’as pas eu le choix de vivre ici.

Ses doigts commencent à devenir moites et à humidifier ma main. Ce n’est pas le plus agréable, toutefois pour rien au monde, je ne souhaiterais perdre ce contact.

- Tu sais, moi aussi, j’ai un secret, m’apprend-elle de but en blanc. J’aimerais beaucoup que tu le connaisses.

Je suis surprise par ses paroles si bien que c’est en le remarquant que je constate que j’ai arrêté de respirer. Je me détends et l’instant d’après, un sourire se dessine sur mes lèvres.

- Je serai très honorée que tu te confies à moi.

Elle se tait avant de poursuivre :

- Quand on s’est rencontré, je t’ai dit que j'étais 67. Ce n’est pas tout à fait vrai. Un jour quelqu’un qui compte beaucoup pour moi, m’a donné un nom et depuis je le considère comme le mien. Enchantée Elena, je m’appelle Rose.

 

Je souris en entendant ma voisine se dévoiler à moi avec une certaine fierté. J’aime la sonorité de son prénom. Il met un peu de poésie dans cet endroit si laid.

- C’est très beau, dis-je, sincèrement.

La dernière fois que j’ai vu cette fleur en vrai commence à dater et pourtant son souvenir demeure très vivace dans ma mémoire. C’était l’une des préférées de Magda. Il y avait pratiquement tout le temps un bouquet qui trônait sur la table du salon dont les fleurs changeaient de temps à autre de couleur en fonction de l’humeur de ma mère adoptive. D’ailleurs, le jour de mon enrôlement, si je me souviens bien, elles étaient roses, un beau rose pastel. Je reporte mon attention sur ma voisine dont les yeux pétillent.

- Qui te l’a donné ? demandé-je curieuse.

- Un ami en blouse blanche que je connais depuis longtemps, m’apprend-elle.

Une certaine stupeur s’empare de moi. Quand Rose parle des blouses blanches, ce sont les médecins de la section. Ce serait l’un d’eux qui lui aurait conféré ce nom ? Seulement, ceux que j’ai rencontrés ont cessé de voir dans les victimes du Projet, des humains, simplement du bétail. Sur le coup, je serais bien incapable de savoir si cet « ami » de Rose a fait preuve d’humanité ou non. Et pourtant, j’ose espérer que oui. Ici en nous désignant par un numéro, on nous vole notre identité, on nous nie. En retrouvant un prénom, nous existons à nouveau. J’aimerais beaucoup rencontrer cette personne qui a fait ce cadeau à Rose.

- Il m’a dit que j’étais comme cette fleur, belle et piquante, poursuit mon interlocutrice avec enthousiasme avant de compléter toute triste. Même si je n’en ai jamais vu.

Je retiens un rire qui s’est coincé dans ma gorge pour ne pas vexer Rose. Eh bien, notre inconnu est poète, pensé-je ironique. D’un côté, il m’évoque un peu Hans. Mon partenaire était un spécialiste pour me formuler des propos aussi niais, qui je dois pourtant l’avouer me faisaient très plaisir. Je crois bien qu’il aurait été capable de me sortir ce que ma voisine vient de me dire.

- Et il a bien raison, murmuré-je.

- Tu en as déjà vu ? s’émerveille Rose.

- Souvent même.

- Décris-la-moi ! me supplie-t-elle presque.

Bien que simple, j’ai quelques difficultés à accéder à sa demande. Plus facile à dire qu’à faire. Je m’accorde quelques secondes de réflexions avant de me lancer.

- Sa tige est parsemée de piques et au sommet se situe la fleur composée de nombreux pétales imbriqués les uns avec les autres si bien que l’on a l’impression qu’ils sont infinis. D’une grande délicatesse, elle l’est encore plus quand tu te penches pour humer son parfum frais et boisé.

- Ça donne envie, regrette-t-elle.

- Un jour, je suis certaine que tu en verras.

J’ai beau affirmer ça, je me trouve particulièrement cruelle à cet instant. Malgré ça, je souhaite lui offrir un semblant d’avenir.

- J’ai hâte, me sourit-elle.

Le silence s’installe entre nous avant que je m’enquière :

- À tout hasard, pourrais-tu me donner le nom de ton ami ?

J’ai besoin d’en apprendre plus. Qui sait, peut-être dénicherais-je un allié en lui ? Même si au fond de moi, je n’ignore pas que je ne dois pas me bercer d’illusions. Mon interlocutrice secoue vigoureusement sa tête de haut en bas.

- Bien sûr ! s’exclame-t-elle. Il m’a demandé de ne pas le faire, mais à toi je peux.

Malheureusement, le temps qu’elle se replace pour me l’apprendre, des pas se font entendre dans le couloir. La peur qui m’avait quittée refait violemment surface. Nous ne savons jamais pourquoi ils viennent et c’est cette ignorance qui nous est le plus pénible. Je croise le regard de Rose et nous comprenons que c’est l’heure des séparations. À regret, je lâche sa main. Sa chaleur me manque instantanément. Je n’y prête pas attention et m’empresse de ramener mon bras contre moi. Ma trappe se ferme et s’accourt vers mon lit pour me coucher dedans. À peine ma tête s’est-elle posée sur l’oreiller que la porte de ma prison s’ouvre.

- C’est moi.

Je me détends aussitôt en reconnaissant cette voix. J’avais oublié qu’il était fort probable que Vincent vienne me rendre visite après ma séance chez Assic. Je me redresse soulagée et lui souris. Toutefois avant que nous puissions faire quoi que ce soit, un étrange raffut se fait entendre dans la cellule de Rose. Je perçois des pas pressés et l’instant d’après, ma voisine a de nouveau soulevé sa trappe.

- C’est vraiment toi, Vincent ! s’écrie-t-elle. Regarde Elena, c’est lui qui m’a donné mon prénom !

Les yeux de mon médecin s’écarquillent subitement et il se retourne vivement.

- Rosie, souffle-t-il.

Je les fixe sans rien dire, incapable d’assimiler le trop-plein d’informations qui vient de m’arriver d’un coup en plein visage. J’ouvre la bouche comme pour parler, mais aucun son ne sort et j’ai l’impression de tomber dans un gouffre.

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Sklaërenn
Posté le 27/02/2021
j'ai bien aimé le chapitre précédent sur le passé de Elena qui finit de nous donner des informations sur comment tout à basculer avec Tellin. Par contre, je ne m'attendais pas à ce que ce soit Vincent qui ai nommé 67. Enfin, disons que je ne voulais pas m'y résoudre, mais j'avoue que l'hypothèse avait fait son petit chemin dans ma tête quand même ahah.
Zoju
Posté le 27/02/2021
Merci pour ton commentaire ! Je suis contente que le chapitre précédent dans le passé t’ai plu, car je dois reconnaître que j’avais de nombreux doutes dessus, même si je l’aime bien. Pour Vincent, c’est un personnage que l’on connaît depuis le début, mais dont on ignore beaucoup. Contente de t’avoir surprise, même si tu avais eu l’hypothèse. :-D J’espère que la suite te plaira, en toi cas cela me fait toujours très plaisir de te retrouver au rendez-vous ! :-)
Sklaërenn
Posté le 27/02/2021
Oui, j'ai un peu traîner à cause de mon opération à venir lire, là ce soir, je vais prendre un peu de temps pour rattraper mes lectures en retard ahah.
Zoju
Posté le 27/02/2021
Aucun problème ! En tout cas, rétablis-toi bien !
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