Chapitre 22 : Perdue dans un déluge

Par Elly

Du chaud. Du froid. Du vide.

Boom !

Les couleurs se mélangeaient. Disparaissaient. S’intensifiaient.

Boom !

Encore ce bruit qui torturait ses tympans. D’où venait-il ? Elle était pourtant à Atlantis. L’était-elle vraiment ? Elle n’entendait plus le chant des sirènes. À peine les douces mélodies avaient-elles résonné que tout s’était mis à tourner autour d’elle. Les bâtisses s’étaient distordues. Le visage des créatures avait fondu. Étaient-elles encore présentes ? Alizéha était-elle toujours dans la même réalité qu’eux ? Est-ce que tout ceci n’était qu’une hallucination ?

Combien de temps s’était écoulé depuis le début du requiem ? Le temps ? Cette notion existait-elle réellement ? Pourquoi cinq minutes n’étaient pas une heure ? Et si les heures étaient des minutes ?

  —  Stop ! hurla la déesse.

Malgré sa supplique, ses pensées poursuivaient leur cacophonie, échappant à son contrôle. Une idée se transformait en millier d’autres. À genoux sur la plateforme qui s’agitait comme un ruban, elle agrippa ses cheveux noirs. Elle ferma les yeux. Une migraine insupportable oppressait son crâne. Elle ne sentait plus son corps. Plus rien. Existait-elle encore ? Comment démêler le vrai du faux ? Qu’est-ce qui était réel ? Qu’est-ce qui constituait le réel ? La norme ? Qu’est-ce qui était normal ? Et si tout ceci était normal ?

Elle cri. Du moins, elle essaya. Avait-elle réussi ? Elle n’entendait qu’une agréable mélodie. Elle rit. Quel monde merveilleux ! Plus rien n’avait de sens. Plus rien n’avait d’importance. Elle avait l’impression d’être compressée, écartelée. Qu’elle allait se briser.

« On t’attend à l’entrée alors tu as intérêt à revenir indemne, ou je risque de passer ma vie à tenter de recoller les morceaux de ton esprit brisé ».

Alizéha se pétrifia lorsque ces paroles l’atteignirent telle une flèche en plein cœur. Tout autour d’elle ralenti comme si cette phrase avait choqué l’espace distordu qui la retenait, ébranlé le rythme effréné qui l’emportait. Ces mots avaient percé son capharnaüm mental avec l’intensité d’un murmure. Pourtant, leur douceur contrastait avec le tourbillon dans lequel elle était prise. Elle s’y accrocha comme si c’était une question de vie ou de mort, un éclat de sa raison qui lui échappait. De qui venaient-ils, déjà ? Qui l’attendait ? Que faisait-elle ici, alors ?

Les bras d’Alizéha retombèrent contre elle. Que cherchait-elle dans cette dimension discordante ?

La flûte d’Esperanza.

Le soulagement qu’Alizéha ressentit en se rappelant son objectif était comme une bouffée d’oxygène après de l’apnée. Les larmes aux yeux, elle s’accrocha à cette unique pensée pour maintenir le cap, pour que son esprit ne dérive ni ne se perde dans l’irrationalité.

Son environnement changea. Son corps s’effaça. Ses sensations s’émoussèrent. Le néant l’engloutit, mais elle ne paniqua pas, se concentrant sur les mots qui tournaient en boucle dans sa tête comme une étincelle dans le noir. Des ténèbres surgit la vision de Feulhem, vue du ciel. La cité de feu avait été reconstruite depuis sa destruction, redevenant une ville peuplée en un temps record. La flûte se trouvait là-bas ? Alizéha ne se priverait pas d’un peu de précision.

La vision s’attarda sur le volcan qui siégeait à l’arrière de la métropole, puis Alizéha plongea dans le cratère. Elle retrouva l’obscurité. L’image de deux enfants s’imposa à elle. Des jumeaux. Une fille et un garçon. Ce dernier tenait dans sa main une flûte translucide, mais ce qui frappa la déesse fut leurs yeux bleus perçants embués de larmes.

Soudain, tout devint noir. Elle suffoqua. Elle sombra dans le vide. Son corps s’enfonça dans l’eau. Déboussolée, elle émergea en toussant. Elle était au milieu d’une tempête. Un déluge se déversait sur l’océan. Les vagues déferlantes fouettaient son visage. Alors qu’elle luttait pour ne pas couler, elle finit par avoir pied. L’eau lui arrivait désormais à la cheville. Elle se laissa tomber à genoux, haletante et épuisée. Ses vêtements étaient trempés. Ses cheveux collaient sur ses joues… Ses cheveux !

De ses mains tremblantes, elle saisit des mèches et constata avec effroi l’absence de couleur noir.

  —  Tu devrais arrêter les teintures. Le gris te donne bonne mine.

Alizéha leva la tête vers l’origine de cette voix dégoulinante de sarcasme. Plus loin, un trône flottait à la surface de l’eau. Fait de nacre, d’argent et de coraux blancs, il dégageait une aura éclatante similaire à celui de Nerissa. Mais la sirène n’arrivait pas à la cheville de l’individu assis dessus. Une femme à la peau bleu azur la toisait, un rictus aux lèvres. Des oreilles pointues dépassaient de sa chevelure fluide comme de l’eau, parsemée d’écume. Elle portait une couronne de cristal marin, une pierre rare semblable à des morceaux d’océan, sertie de perles étincelantes.

Sans ne l’avoir jamais rencontré, Alizéha la reconnut immédiatement. Sa statue figurait à l’entrée de la cité de l’eau.

Olia.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez