Ces derniers jours, j'avais reçu de nombreux messages pour me souhaiter la bonne année. Beaucoup de personnes m'avaient demandé des nouvelles au passage et avaient ainsi appris mon retour à San Francisco. Suite à ça, nombreux étaient ceux qui espéraient me croiser. J'allais probablement bientôt crouler sur les invitations...
Et entre quelques messages, je m'entraînais au dessin du mieux que je pouvais. À chaque fois, je retombais sur le dessin que m'avait fait Blaine sur la première page pour me détendre et à chaque fois, je ne pouvais m'empêcher de sourire en le voyant. Ce dessin que j'avais complété à mon tour. Et il avait bien raison quant à l'effet de ce gribouillage : ça m'avait bel et bien permis de tenter quelque chose sur les pages suivantes.
En fin d'après-midi, Blaine m'envoya un bref message pour me dire que je pourrais probablement le rejoindre dans sa maisonnette si c'était assez calme chez lui. Cette simple nouvelle me fit sourire, notamment parce que nous ne nous étions pas vus depuis la fête du Nouvel An chez Kate.
En levant ma tête, j'aperçus Clint contre le chambranle de la porte. Son regard réprobateur n'annonçait vraiment rien de bon. Instinctivement, je fermai mon carnet en craignant déjà ce qu'il pourrait me dire.
Il entra lentement dans ma chambre :
— Est-ce que je peux te parler ?
J'acquiesçai, le cœur serré, et il ferma la porte derrière son passage.
— Je n'ai rien dit jusqu'à maintenant, mais je pense que c'est important d'en discuter désormais.
Évidemment, il allait vouloir rediscuter à propos de ma relation avec Blaine et je savais d'avance que ce ne serait qu'une discussion fort peu cordiale. Il allait probablement me proposer un ultimatum assez simple où je détesterais avoir à faire un choix.
— Tu sors encore avec lui ?
Je hochai timidement la tête. De toute manière, ça ne servait à rien de mentir désormais. Et j'avais encore moins envie d'enchaîner les mensonges un à un. Nous étions grillés et j'allais peut-être enfin en payer les conséquences.
— Je peux comprendre que les ennemis, ça peut attirer, et que tu as pu oublier les conflits entre nos familles depuis ton voyage en France, mais je crois que tu ne te rends pas compte à quel point c'est grave.
Il s'approchait de plus en plus vers moi et sa voix s'enfonçait dans les tons graves. Encore une fois, il jugeait sans connaître et suivait tout ce qu'on avait pu lui dire jusqu'alors.
— Je sais que tu vas me demander de le quitter sinon tu diras tout à mes parents, présumai-je la voix tremblante.
— En effet.
— Mais je t'en prie, écoute ce que j'ai à te dire d'abord.
Je pris une longue inspiration, parce que je n'avais désormais plus d'autres choix pour qu'il m'écoute. Et puis au moins, j'aurais moins de secrets à supporter après ça.
D'un geste lent alors que les larmes menaçaient de couler sur mes joues, je remontai lentement ma manche gauche pour lui dévoiler quelques cicatrices sur mes bras. Sa réaction fut immédiate : la surprise, le choc et ensuite l'horreur. Je savais que, pour le moment, il ne comprendrait pas.
— C'est lui qui t'a fait ça ? demanda-t-il avec horreur.
— Non ! Jamais il n'aurait fait ça ! Je me suis fait ça toute seule ! Depuis des années ! Tout ça parce que ça allait extrêmement mal dans ma tête et ça s'est empiré quand je suis allée en France. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment songé à me suicider.
Il mordit sa lèvre inférieure, comme pour se retenir de dire quoi que ce soit. Peut-être que, même si son avis était encore très tranché, il avait envie d'entendre ce que j'avais à dire.
— J'ai failli le faire là-bas, je n'avais plus peur de perdre tout ce que j'avais, parce que ça ne comptait même plus pour moi. Et alors que j'étais au plus fond, mes amis m'ont aidé. Ils m'ont tourné vers la bonne direction, celle où je pouvais encore apprécier de vivre, celle où se battre, ça valait le coup... Mais tout le monde n'a pas cette chance. Ta mère ne l'a pas eu. Et je n'avais jamais parlé de tout ça à quiconque... Jusqu'à Blaine.
Les larmes commençaient à s'accumuler dans le coin de mes yeux et je n'avais même plus envie de les retenir, alors elles coulèrent sur mes joues.
— Il ne m'a pas jugé et j'ai eu peur d'en parler. Parce que là, je suis terrifiée à l'idée de te parler de tout ça. Et j'aimerais ne jamais en parler à mes pères. Blaine, ça a été mon pilier en revenant. Parce que je n'en avais plus en revenant ici. Je commençais à regretter la France et mes amis là-bas, j'ai cru que je replongerais parce que je pensais être seule ici... Mais il y avait Blaine. Cette personne que tu considères comme un immense connard.
Il relâcha sa lèvre inférieure et l'horreur de son visage s'était évaporée. Il était maintenant complètement perdu et interloqué par la situation. Mes membres étaient en train de se raidir et de trembler nerveusement, parce que j'étais en train de lui dévoiler tout ce que j'aurais voulu garder avec moi.
Je baissai lentement ma manche. Mes larmes furent désormais impossibles à retenir. Alors, je les laissai couler péniblement.
— J'étais en dépression au début de mon voyage en France, ajoutai-je faiblement. Mais je sais que c'est pas quelque chose qu'on dit dans notre famille. On parle pas de maladie mentale ici.
Il ne disait toujours rien et j'ignorais comment interpréter son silence. Je commençais à être à court, je ne savais plus quoi lui dire. Qu'allais-je faire si, au final, ça ne le convainquait pas ?
— Et tu vas mieux maintenant ? osa-t-il demander.
Il y avait encore une chose que je n'avais jusqu'alors pas abordée et que je ne développerais pas avec lui. Même si cette phase de grosse dépression était terminée, mes humeurs pouvaient parfois être beaucoup trop instables et imprévisibles. Généralement, j'arrivais à supporter aisément ces variations, mais d'autres fois, ces hauts et ces bas pouvaient me tirailler.
Blaine était au courant de mes troubles de l'humeur. Mais il ne l'avait jamais vraiment vu. Et je craignais déjà d'avance ce moment. Même s'il paraissait compréhensif, le vivre était une autre chose. C'était épuisant pour tout le monde. Et le pire, je m'épuisais d'autant plus en voulant le cacher à tout mon entourage.
— Oui... Beaucoup mieux.
Un timide sourire vint se dessiner sur son visage et adoucit les traits de celui-ci.
— Charlie, j'aimerais qu'il suffise de te faire confiance, mais c'est en lui, Blaine, que j'ai pas confiance.
— Tu veux même pas lui laisser le bénéfice du doute ? m'enquis-je d'une voix à peine audible.
— Je crois que je n'ai pas d'autres choix... Je n'approuve toujours pas ça, mais je pense que les conséquences seraient bien pires que tout ce que je pourrais imaginer si tes parents l'apprenaient.
— Ouais... Et ça m'inquiète pas mal, avouai-je en détournant mon regard.
— Fais attention à toi Charlie. Et si jamais j'apprends qu'il t'a fait du mal, il va entendre parler de moi.
Ses poings se fermaient lentement et je voyais bien que, même s'il tentait de prendre du recul sur la situation, il haïssait terriblement Blaine. J'ignorais si ce n'était que lié à nos histoires de famille ou s'il y avait eu d'autres conflits entre temps.
— Tu n'as pas à me protéger à ce point. Je suis sûre qu'on sera capable de gérer ça comme des adultes, peu importe les conflits dans nos familles...
— Permets-moi d'en douter. Mais je sais que si nos familles l'apprennent, ça va vraiment très mal se passer. Alors pour l'instant, tant que ça peut rester caché, il en sera ainsi.
Pendant un instant, ça me donnait l'impression que ma relation avec Blaine était condamnée à rester éternellement comme ça et que nous ne pourrions jamais aller au-delà d'une relation secrète. Et cette simple impression me brisa un moment le cœur. J'ignorais quel serait mon futur avec Blaine, mais j'espérais que ce ne soit jamais aussi tragique...
— Fais vraiment attention à toi... Et j'espère vraiment que Blaine ne jouera pas les abrutis avec toi.
Son ton était dur et ferme, même si j'y percevais une pointe de douleur. Il n'avait pas confiance du tout en cette situation, néanmoins, il allait accepter de fermer les yeux, parce que ça éviterait bien plus de problèmes.
Mais l'image qu'il avait de moi était désormais brisée. À ses yeux, j'étais probablement une énorme irresponsable qui enchaînait les mensonges.
Et malgré son regard réprobateur, il quitta ma chambre, me laissant seule. Je pris une longue inspiration puis aperçus un message de Blaine. Il me proposait de le rejoindre chez lui et alors que j'étais persuadée que je me perdrais dans de sales émotions, il me rassura.
J'aurais pu croire qu'un problème venait de s'envoler et j'aurais dû m'en satisfaire, mais malheureusement, je savais que ce n'était que le début...