Chapitre 22 - Blaine

Avec la nouvelle année, chacun reprenait petit à petit ses habitudes. Comme toujours, les parents étaient aussi peu présents, allant aux quatre coins de la ville pour vendre leurs services à toutes sortes de personnes influentes.

Ulric avait repris les rênes de la boutique pour accueillir les quelques clients qui viendraient s'y pointer. Mais c'était pour le moment encore assez vide. Rares étaient ceux qui avaient besoin de quelques compositions florales en début d'année. Et comme toujours, on m'avait bien fait comprendre que je n'étais plus le bienvenu dans la boutique.

D'après les dires de ma sœur, certains clients étaient tristes de ne plus m'y croiser. Étonnamment, certains appréciaient bien plus ma présence que je ne le croyais, peut-être parce que j'écoutais vraiment ce qu'ils avaient à me dire et que je ne le faisais pas que par politesse.

Ma famille avait bien évidemment des excuses toutes faites pour expliquer mon absence. Après tout, personne ne devait être au courant que j'étais désormais le toxico de la famille. Pour le moment, j'étais juste celui qui essayait de reprendre ses études. Ce n'était pas le cas, mais bientôt, je savais que mon père me mettrait la pression pour que je reprenne mes études. Sauf que reprendre des études de droit ne m'intéressait guère, d'autant plus maintenant. Si je devais trouver une nouvelle voie professionnelle désormais, je me tournerais vers des domaines qui ne l'intéresseraient probablement jamais : l'art ou le social a priori.

Kayla m'annonça par message avoir récupéré son traitement et que le médecin avait été adorable avec elle. Elle craignait de se retrouver comme de nombreux témoignages où le médecin se ficherait de son ressenti et de son vécu pour la dénigrer parce qu'elle ne serait qu'une "toxico" à ses yeux. Ma sœur craignait chaque jour le regard des autres, parce qu'elle connaissait les préjugés sur la drogue que les autres lui colleraient à la tronche, quand bien même elle faisait tous les efforts pour s'en sortir.

Elle m'envoya un deuxième message pour ajouter qu'elle était désormais en route vers la salle d'escalade. Je pris rapidement mes affaires et quittai la maison sous le regard réprobateur de mon frère. Pour l'instant, il gardait toute cette histoire secrète, mais pour combien de temps ? D'autant plus qu'il ne savait rien à propos de Charlie et moi. J'étais persuadé que cet élément serait la goutte d'eau qui ferait déborder le vase un jour ou l'autre...

Sur mon trajet, je passai devant la maison bleue et vis le petit couple sur leur terrasse. Je les saluai en leur souhaitant la bonne année, qu'ils me rendirent aussitôt. Ils me proposèrent de rester un peu pour prendre un thé ou un café, mais malheureusement, j'étais un peu pressé cette fois-ci. Je leur promis de repasser une prochaine fois, ce que j'espérais ne pas oublier dans le futur...

Au bout de quelques minutes de marche, j'atteignis la salle d'escalade où quelques personnes avaient elles aussi repris leurs habitudes. Kayla n'était pas encore arrivée, alors je me contentai de l'attendre en dessinant dans un coin des vestiaires.

D'habitude, je crayonnais souvent avec un modèle sous les yeux, mais cette fois-ci, j'avais décidé de faire autrement. Je travaillais sur un portrait de Charlie, parce que je commençais à connaître les traits de son visage par cœur. Et surtout, son rire et son sourire que j'avais pu voir à de nombreuses reprises lors du Nouvel An. Malheureusement, au vu de la situation, j'avais dû m'éloigner d'elle tout au long de la soirée et faire comme si je la détestais, quitte à la provoquer juste pour jouer avec elle. Mais j'avais pu croiser cette simple expression à plusieurs reprises.

Charlie était une femme qui respirait la joie de vivre, parce qu'elle profitait enfin pleinement de sa vie. Parce qu'elle avait bravé ses plus terribles tempêtes et qu'elle en était ressortie plus forte que jamais. Certes, je voyais encore qu'elle était brisée et qu'il y avait des cicatrices qu'elle ne pourrait jamais refermer, mais il y avait de l'or dans ces cassures. Et c'était tout ce que son sourire m'inspirait. Parce qu'elle vivait pleinement tout ce qui la traversait.

Et parfois, c'était trop fort. Je le voyais quand ses yeux s'humidifiaient et qu'elle tentait tant bien que mal de retenir ses pleurs, parce qu'elle n'avait pas envie de pleurer ni d'être triste, parce qu'elle ne se considérait pas ses pleurs comme adaptés à la situation. Mais Charlie était comme ça. Ses émotions explosaient et ça se voyait que, même si elle avait un énorme contrôle dessus, elle détestait ça. C'était autant sa richesse que sa plus grands faiblesse.

— Blaine ? Je ne savais pas que tu venais encore ici ! lança une voix masculine.

En levant mon regard, j'aperçus Lenny en compagnie d'Hailey. Tous deux étaient des connaissances que j'avais un peu perdues de vue dernièrement. Quelques mois auparavant, nous avions l'habitude de nous retrouver régulièrement ici pour passer un peu de temps tous ensemble à escalader tous les murs que nous pouvions atteindre.

J'ignorais depuis combien de temps j'avais perdu le contact avec eux, mais probablement depuis le décès de Wade qui avait bousculé toutes mes habitudes. À partir de là, j'avais commencé à m'éloigner de beaucoup de personnes, j'avais aussi abandonné une grande partie de mes passe-temps tout en perdant de l'intérêt pour tout un tas de choses. Durant ces derniers mois, j'avais bataillé pour garder la tête hors de l'eau puis j'avais mis toute mon énergie pour aider ma sœur du mieux que je pouvais.

— Je me suis dit que ça faisait longtemps et ma sœur m'y a un peu poussé aussi, répondis-je simplement.

— Ça fait du bien de te revoir un peu, on avait peur qu'il te soit arrivé quelque chose de grave, lâcha Hailey.

Elle pencha légèrement sa tête, ce qui secoua ses deux couettes. Comme toujours, elle avait gardé son look à la Harley Quinn. Ses racines étaient décolorées en un blond presque blanc et les pointes de ses cheveux étaient d'un côté colorées en bleu pastel et de l'autre en rose.

Quant à Lenny, ses cheveux noirs étaient de plus en plus longs et étaient attachés en une longue tresse, ce qui allait toujours aussi bien sur son teint mat.

Même si ça faisait des semaines voire des mois que je ne les avais pas croisés, ils avaient vraiment la même allure. J'aurais presque cru que c'était hier que je les avais vus pour la dernière tant ils n'avaient pas changé. Mais de mon côté, je savais que j'avais totalement changé. La dernière fois qu'ils m'avaient vu, j'étais encore le gamin aux bottes de son père, ce gamin qui n'avait pas encore conscience de la réalité et de la dureté de ce monde.

— Rien de grave a priori si je suis encore là.

J'avais beau sourire en répondant ça, mais c'était totalement éloigné de la vérité. En l'espace de quelques mois, j'avais perdu un ami dans d'atroces circonstances, ça avait détruit ma relation sur le coup, puis j'avais failli perdre ma sœur de la même manière, et en dehors de tout ça, ça avait été le bordel sur tous les plans, même encore aujourd'hui. La seule chose de positif dernièrement avait été Charlie, aussi surprenant soit-il.

Hailey et Lenny rirent tout de même rapidement à ma remarque. Après tout, ils n'avaient aucune idée de la gravité de mes derniers mois. Personne ne pouvait le voir en un simple regard.

Hailey se pencha alors vers mon dessin.

— Tu dessines toujours aussi bien ! Même mieux j'ai l'impression ! s'exclama-t-elle, très surprise.

Je n'avais pas l'impression d'avoir tant progressé que ça, mais en même temps, j'avais tellement le nez plongé dans mes dessins que c'était dur à dire. Puis en reposant mon regard sur mon dessin, je me rappelais que j'étais en train d'esquisser le doux visage de Charlie et j'espérais désormais qu'ils ne la connaissaient pas.

— C'est quelqu'un que tu connais ? Elle est super belle !

— Oui... Hum... C'est une amie, hésitai-je à répondre.

J'étais persuadé que n'importe qui comprendrait ce que sous-entendait le ton de ma voix. Il était évident que je n'étais pas indifférent aux charmes de Charlie.

— Je crois que t'as vraiment réussi à la mettre en valeur.

— Non, elle sait se mettre en valeur d'elle-même.

Un sourire en coin se dessina sur le visage d'Hailey que je n'étais pas sûr de bien savoir interpréter. Et de toute manière, la discussion s'arrêta brutalement avec l'arrivée de ma sœur.

Je fermai aussitôt mon carnet à dessin alors qu'elle se présenta à mes amis, un grand sourire aux lèvres. Je pouvais lire l'angoisse de rencontrer de nouvelles personnes sur son visage, mais c'était à peine marqué. Immédiatement, le contact semblait bien se créer avec Hailey et elles étaient prêtes à passer une grande partie de leur temps ensemble pour cette séance d'escalade.

Kayla culpabilisa un peu de m'abandonner sur le coup, mais ce fut de courte durée quand Lenny se proposa de m'accompagner un peu, même si j'aurais pu rester seul.

Pendant un bon bout de temps, je vérifiai constamment que tout se passe bien avec ma sœur. Elle n'avait pas vraiment pratiqué le moindre sport depuis le début de son traitement et je craignais que ce soit trop brusque pour elle. Mais au bout d'une vingtaine de minutes, je vis qu'elle s'en sortait à la perfection. Ou du moins, personne ne douterait de ses problèmes d'addiction.

— T'as l'air de vraiment t'inquiéter pour ta sœur, mais y a des tapis si elle se casse la gueule, t'en fais pas, me lança Lenny en voyant que je m'étais encore tourné vers elle.

— Oh ce n'est pas de ça que je m'inquiète... Je sais qu'elle est extrêmement forte.

— Alors tu n'as pas à jouer les frères trop protecteurs !

Il était persuadé que je m'inquiétais pour elle comme n'importe quel frère pourrait le faire. Mais c'était malheureusement bien plus compliqué que ça. J'aurais aimé que mes seules inquiétudes soient pour un potentiel copain ou copine. Des inquiétudes bien plus insignifiantes que pour celles autour de sa survie.

— Et visiblement, ça a l'air de bien se passer entre elle et Hailey, ajouta-t-il en espérant pouvoir me calmer.

Au moins, si ça se passait mal, il y avait quelqu'un près d'elle pour réagir et je n'étais pas loin non plus.

— D'ailleurs, je n'ai pas osé le dire tout à l'heure, mais j'ai reconnu Charlie Sullivan sur ton dessin. Son sourire, je pourrais le reconnaître parmi un millier.

Ma respiration se coupa un instant. J'avais été un inconscient et désormais, j'allais encore en payer le prix. Naïvement, j'avais espéré que ni lui ni Hailey ne connaîtrait Charlie, mais j'avais tort.

— Je comprends totalement. Charlie est vraiment magnifique. Au lycée, j'avais terriblement envie de l'approche, mais elle sortait avec un des mecs les plus populaires, Robin. J'avais aucune chance contrairement à lui.

— Pardon ? lâchai-je maladroitement.

— Mais je croyais que tu ne lui parlais pas...

— On s'est croisé à la fête du Nouvel An chez Kate, on était un peu bourrés et on a un peu parlé. Alors j'ai commencé ce dessin à ce moment...

C'était totalement faux. Complètement faux. Mais je ne pouvais pas lui avouer que nous sortions ensemble sans que tout le monde soit au courant contre mon gré. Déjà que notre baiser avait suscité de bien trop nombreuses réactions. Certains s'en amusaient encore quelques jours après, heureusement, c'était toujours en privé.

— Tu sais si elle a quelqu'un actuellement ?

J'arquai simplement un sourcil.

— On n'est plus au lycée et j'ai entendu dire qu'elle était revenue d'un long voyage, alors pourquoi pas ?

Il me fallut de longues secondes pour enregistrer ce qu'il était en train de me dire et j'avais probablement dû rester figé sans rien dire tout en clignant plusieurs fois des yeux.

— Je crois qu'elle a quelqu'un... Mais j'ai pas parlé de ça. Parce que nos familles ne s'entendent pas très bien...

— C'est vrai qu'il y a de ça. Je verrais bien de toute manière.

J'aurais pu agir par pure jalousie, mais à vrai dire, je n'en ressentais pas le besoin. Je savais qu'il allait juste se prendre un râteau dans la gueule, mais j'espérais tout de même que ce ne serait pas trop violent.

— Elle a totalement quelqu'un ! me repris-je de plus belle en pouvant atténuer sa future peine de cœur. Elle a vite fait parlé de "son copain" maintenant que j'y pense.

C'était à moitié un mensonge d'une certaine manière, puisqu'elle avait bel et bien parlé de son copain. Son copain, aka moi. Tout en m'embrassant au passage.

— J'aurais dû m'en douter, une fille comme Charlie ne reste pas longtemps célibataire. Et je ne dois probablement pas faire le poids face à lui.

Je devais me retenir de rire, parce que c'était quand même assez cocasse comme situation. Si seulement il savait qu'il avait en face de lui ledit copain de Charlie.

— Ne te démonte pas comme ça. Je suis sûr que tu as plein de qualités qui pourraient plaire à des filles comme Charlie... Elle n'est pas aussi inaccessible qu'on pourrait le croire. Elle m'a bien parlé durant cette soirée, quand bien même on a un gros passif derrière nous avec nos familles.

— Blaine, tu ne vas pas me faire croire qu'on joue dans la même catégorie.

C'était bien la première fois que je voyais Lenny agir ainsi. Je ne l'avais jamais aperçu aussi brisé et si peu sûr de lui que c'en était perturbant.

— Laisse tomber ! Je n'aurais jamais dû te parler de ça !

— Ne t'en veux pas ! On a tous des crush sur des gens, y a rien de mal...

Je m'en voulais de la tournure de cette discussion. Si je n'étais pas le copain de Charlie, ç'aurait été probablement bien plus simple à supporter. Or, ce n'était pas le cas et je devais faire comme si de rien n'était. Parfois, j'aimerais vraiment que Charlie et moi ne soyons que des gens lambda, ça n'aurait évité toute cette mascarade...

Je voyais bien qu'il mourrait d'envie d'en apprendre plus sur Charlie et son copain. Il avait un petit air désespéré dans son regard, parce qu'il n'avait jamais pu abandonner quelques sentiments au lycée comme beaucoup d'entre nous.

— Et toi, t'as pas une copine par hasard ? me demanda-t-il pour détourner le sujet de la conversation.

— Euh... Non. Pas du tout.

— Tu peux m'expliquer comment ça se fait ? Ce n'est pas possible que tu sois célibataire depuis... Attends un peu, je ne t'ai jamais vu en couple.

La raison était assez simple dans le fond. Il y avait eu Kate, avec qui c'était tout sauf une relation. Puis il y avait eu Tyler, et vu mon entourage assez peu ouvert aux relations homosexuelles, je ne m'étais pas affiché. Autant dire que pour tout mon entourage, j'étais probablement encore puceau alors que je n'avais juste rien montré du peu de relations que j'avais eues.

— Je ne suis pas trop du genre à être en couple...

Quand je le vis arquer un sourcil, je compris que je venais de m'être atrocement trompé sur le choix de mes mots.

— Oh très bien, je vois...

Il détourna son regard, assez gêné, et je me doutais qu'il avait probablement mal interprété mes propos. Mais dans le fond, ça n'avait aucune importance. Peut-être bien qu'il n'aurait plus le moindre doute ainsi, peu importe ce qu'il croyait sur moi. Il y avait tout de même trois hypothèses possibles : soit il pensait que j'étais gay, soit que j'étais puceau, soit que je n'avais que des plans cul. Et c'était vraiment pas plus mal ainsi.

Alors que nous poursuivions calmement notre séance, je ne pouvais m'empêcher de tourner mon regard vers ma sœur une énième fois. Elle semblait si heureuse en compagnie d'Hailey et je m'étonnais que le contact s'était créé aussi facilement entre elles. Depuis ses problèmes d'addiction, Kayla était devenue méfiante tellement elle avait honte d'être tombée dedans alors que c'était bien plus compliqué que sa propre volonté.

La dernière fois que je l'avais vue baisser sa garde, c'était avec Charlie. Depuis, elle avait commencé à reprendre confiance en elle. Elle avait vu qu'elle pouvait être appréciée au-delà de ses problèmes et qu'il y avait des gens dehors prêts à la comprendre. Alors, elle avait repris quelques habitudes. Elle s'était autorisée à sortir pour redécouvrir le monde. Et aujourd'hui, elle était là, sous mes yeux, en profitant pleinement d'une séance d'escalade avec une fille qu'elle venait tout juste de rencontrer. Petit à petit elle se reconstruisait...

Soudainement, je l'aperçus chuter dans les épais tapis et Hailey vint aussitôt l'aider à se relever. Alors que je pensais la situation tendue, elles se mirent toutes les deux à rire aux éclats et Kayla se jeta dans les bras de son interlocutrice.

— Tu vois ? Tout se passe bien ! lança Lenny comme pour me provoquer.

— En effet...

Peut-être que je m'inquiétais un peu trop pour elle, mais je ne pouvais pas effacer de mon esprit tous ces moments où j'avais failli la perdre, où je l'avais vu rechuter encore et encore. Elle était sous mes yeux, en pleine forme, mais pour combien de temps ?

La séance se poursuivit assez simplement, mais je ne pouvais pas m'empêcher de garder un œil sur ma sœur. Il fallait vraiment que j'arrête de penser que j'étais la seule personne pouvant la sauver. Je pouvais juste l'aider, rien de plus.

À la fin de la séance, Kayla m'annonça qu'elle allait prendre un café avec Hailey avant de rentrer. Même si l'abandonner un peu me terrifiait, je prétendis le contraire pour ne pas l'inquiéter. Ce n'était pas la première fois que je la voyais aussi souriante, mais je ne voulais pas que ça s'arrête à cause de mes propres peurs, alors je préférais lui faire confiance.

Lenny me proposa de refaire ça la semaine prochaine idéalement, c'était une manière de reprendre le contact et pourquoi pas après tout. Je n'avais rien contre reprendre mes habitudes, même si j'avais encore beaucoup à traverser de mon côté...

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