Il était bientôt dix-neuf heures. Nous avions encore du temps pour cette soirée.
Je m'étais habillé simplement, mais dans les circonstances d'un tel évènement. Un simple costume noir assorti d'une chemise blanche. Je passai ma cravate autour du cou, dernier élément de ma tenue.
Heather entra alors dans la pièce. Elle était ravissante. Elle portait une magnifique robe verte, avec les chaussures assorties à la tenue. Un simple collier qui mettait parfaitement sa poitrine en valeur sans pour autant en être vulgaire. Elle avait également bouclé ses cheveux cuivrés en de somptueuses vagues et elle avait même pensé à se faire les ongles, une simple french manucure, discrète mais qui avait son petit effet. De la tête aux pieds, elle était parfaite. Elle savait utiliser l'argent comme il le fallait.
— Wow ! ne pus-je retenir.
Je la découvrais vraiment sous un nouveau jour. D'habitude, elle était plutôt banale, mais cette fois-ci, elle avait mis le paquet. J'étais impressionné de voir à quel point une femme aussi simple pouvait ressortir autant de beauté.
Elle inspecta sa tenue, un peu déboussolée.
— Quelque chose ne va pas ? me demanda-t-elle inquiète. C'est trop ?
— Non, c'est super... Tu es magnifique, la complimentai-je tout en ne pouvant détourner mon regard.
Elle sourit timidement, à la limite de rougir. Innocente, comme à son habitude. Je souris à mon tour. J'ignorais comment cette femme pouvait me faire sourire de cette manière. Elle pouvait vraiment être un point d'interrogation à mes yeux.
Elle s'approcha et s'empara des bouts de ma cravate, commençant à me la nouer.
— Tu sais faire ? lui demandai-je plutôt étonné.
J'étais persuadé qu'en étant seule depuis longtemps et n'ayant eu que peu de contacts avec les hommes, elle ne sache pas s'y prendre. Encore une fois, elle était très surprenante. Je la sous-estimais bien trop souvent.
— J'ai vu mon père faire ça de nombreuses fois, m'expliqua-t-elle tout en se concentrant dans chacun ses gestes. À force, j'ai compris comment faire. Et ne me regarde pas avec ces yeux ! Je sais très bien ce que tu penses !
Elle ne put s'empêcher d'échapper un léger rire. J'étais incapable de rire avec elle.
Une fois finie, elle posa ses mains sur mon cou. Ses mains étaient si chaudes. Jamais personne ne m'avait touché de cette manière.
Mon regard croisa notre reflet dans le miroir. Nous avions tout sauf l'air d'un couple normal. Elle semblait tellement petite à mes côtés, heureusement que ses talons arrangeaient le coup. Notre différence d'âge me sautait soudainement aux yeux. Elle avait seulement dix-neuf ans, moi j'en avais vingt-neuf. Dix ans.
Je nous observais, avec une pointe de tristesse. Jamais je n'entrais dans les normes, même en couple. Elle aurait été sûrement bien plus heureuse avec un autre homme... Parfois je ne nous comprenais plus.
Elle me prit dans ses bras. Je la serrai contre moi par la taille.
Désolé Heather...
*
Heather et moi étions enfin arrivés au gala après un court trajet en voiture plutôt silencieux. C'était une grande salle de réception à n'en plus voir le bout.
De nombreuses personnes étaient présentes, comme d'habitude. Depuis que j'avais intégré ce milieu, rien n'avait vraiment changé. C'était toujours la même chose.
Il y avait des tables, des chaises pour ceux qui voulaient juste se poser pour manger et discuter affaires, des bars pour ceux qui ne venaient que pour boire et tirer un coup ainsi qu'une piste de danse pour ceux qui voulaient échapper à tout ça.
— Comme d'habitude, c'est toujours aussi grand, constata-t-elle plutôt impressionnée.
Elle avait beau plus ou moins connaître ce milieu, elle était toujours aussi naïve dans ce genre de situation.
— Je crois que mon père doit être là, ajouta-t-elle avec une pointe d'inquiétude.
Je ne tardai pas à le remarquer parmi la foule. En effet, il était ici. Nos regards se croisèrent pendant une fraction de seconde, uniquement pour faire comprendre à l'autre que oui, chacun était bien là et que nous n'allions certainement pas nous saluer.
— Je m'en fiche, prétendis-je.
— Tu es sûr ? La dernière fois—
— Il n'y avait rien la dernière fois, la coupai-je.
— Ne dis pas n'importe quoi. Tu t'es quand même barré de table... Tu l'as mal pris.
— Pas du tout. Je ne voulais pas que la discussion aille plus loin, c'est tout.
Il y avait un peu des deux. Cependant, c'était plutôt parce que je refusais d'en parler à ce moment précis. En plus d'être plutôt intime, c'était très déplacé.
Elle avait l'air de bien rapidement comprendre que ce n'était ni le lieu ni le moment d'en parler. Elle m'agrippa par la main pour m'obliger à venir sur la piste de danse.
— À quoi joues-tu ?
— On va danser, répondit-elle en espérant me contaminer avec son sourire.
— Arrête tes conneries, on sera ridicule...
Elle posa ses mains sur mes épaules, plus que jamais déterminée à me tenir tête.
— Alors, soyons ridicules, rétorqua-t-elle les yeux pétillants d'enthousiasme.
— Je peux t'assurer que c'est une mauvaise idée, insistai-je.
— Serais-tu en train de sous-entendre que tu ne sais pas danser ?
Elle était à la limite d'éclater de rire. Elle devait sûrement prendre tout ça pour un jeu. Nous n'étions plus au lycée, ce n'était pas le bal de fin d'année. Pourtant, je me laissai prendre au jeu.
Je la pris par la taille pour me laisser emporter par cette douce musique à ses côtés. Elle était toujours aussi amusée et souriante, ce que je n'étais pas.
— Pourquoi tu sembles toujours triste ? s'enquit-elle avec une pointe de mélancolie.
— Je ne suis pas triste, soupirai-je.
— Je ne suis pas aveugle et encore moins une idiote, mon cher.
J'ignorais si elle arrivait vraiment à me comprendre, à me cerner. Après tout, même pour moi, ce n'était pas toujours aussi simple.
— Pourquoi tu ne veux rien me dire ? insista-t-elle en tentant de m'attendrir par ses yeux doux.
— Tu devrais arrêter de me poser cette question.
— Cole... Je ne te veux pas de mal. Je ne compte pas me moquer ou m'en prendre à toi d'une quelconque manière.
— Ce n'est pas de ça dont j'ai peur...
— De quoi as-tu peur ?
Je la relâchai, arrêtant brusquement notre danse. Elle semblait plutôt perturbée. Elle voulait juste savoir. Pourquoi ne pouvait-elle pas faire comme si de rien n'était ? comme s'il n'y avait rien derrière moi ?
Je m'éloignai subitement d'elle, la laissant seule.
*
Mon esprit était un vrai bordel. Rien n'était à sa place. Toutes ces pensées me perturbaient. Toutes ces saloperies me revenaient en tête.
Eux. Elle. Leurs remarques. Leur haine.
Tout avait beau s'être terminé quinze ans auparavant, rien ne s'effaçait éternellement. Mes cicatrices étaient toujours aussi vives.
Heather n'avait pas à savoir ça.
Je tentais de repousser tout ça en fumant une cigarette à l'extérieur, posé contre un mur. Entre deux bouffés, je regardais cet aspirateur de vie, un de mes nombreux vices. J'avais beau avoir entendu toutes les choses improbables et inimaginables sur les méfaits du tabac. Pourtant, ça ne m'avait pas empêché d'y avoir succombé comme de nombreuses personnes.
« Tu mourras d'un cancer du poumon. — Tu n'auras plus de souffle. — Ton haleine sera dégueulasse, tout comme tes dents. — C'est une addiction dont tu ne t'en débarrasseras jamais. »
À vrai dire, je me fichais de ce genre de remarques. J'aimais les mauvaises choses d'une manière maladive.
Je tirai une intense bouffée, me brouillant l'esprit pendant de longues secondes.
Je finis par apercevoir la présence de Heather à mes côtés. Évidemment qu'elle allait me suivre ! C'était idiot de ma part de croire qu'elle m'abandonnerait.
Nous nous regardâmes pendant un intense moment. Aucun d'entre nous n'osait émettre le moindre son. On se fixait, attendant que l'autre prenne les devants.
Je continuai de fumer avec indifférence, ou peut-être simplement par addiction profonde.
— Je suis une idiote de toujours te poser des questions, finit-elle par avouer. Je ne devrais pas... J'ignore à quel point ça peut être horrible ce que tu as vécu. Je n'en ai pas la moindre idée, mais si tu refuses de me le dire, comment veux-tu que je t'aide ?
— Qui a dit que j'avais besoin d'aide ? lui demandai-je de manière rhétorique.
— Écoute, je déteste parler de ça. Je ne sais pas si tu es suicidaire, ou si tu aimes te couper, mais ce n'est pas bien et je déteste voir que des cicatrices s'ajoutent sur ta peau de jour en jour. Tout ce que je sais, c'est que tes parents sont morts et que tu les détestes pour une raison que j'ignore totalement...
Je soupirai brièvement. Elle n'était pas près de me lâcher sur ce point-là, persuadée qu'elle voulait m'aider.
— Comment veux-tu que je te dise tout quand tu n'acceptes même pas le fait que je puisse détester mes parents ? l'interrogeai-je d'une manière presque rhétorique.
— J'ai toujours été très proche de ma famille, en particulier de mes parents. Ils ont toujours été là pour moi, surtout mon père. Quand je n'allais pas bien, il trouvait toujours quelque chose pour me consoler...
Si seulement mes parents étaient comme les siens... De bons parents.
— Je suis désolée d'insister à ce point, continua-t-elle avec une pointe de gêne, mais je fais ça parce que je t'aime, parce que je tiens vraiment à toi. Je n'ai pas envie que tu souffres.
Elle voulait juste prendre soin de moi. Je savais que ses intentions étaient nobles. Elle ignorait vraiment qui j'étais pour sortir ce genre de choses.
Elle s'empara alors de ma cigarette et la jeta brusquement à ma plus grande surprise.
— Et ça aussi c'est mauvais d'ailleurs ! se révolta-t-elle.
— Tu veux tenter de me faire arrêter de fumer ?
— Complètement, parce que la plupart du temps, tu pues le tabac ou l'alcool. Je me demande comment des gens peuvent te faire confiance au travail, dit-elle avec un léger rire.
— C'est pour ça que je me parfume, renchéris-je aussitôt.
— T'es bien un mec toi ! Ça n'arrange pas tout !
— Tu vas avoir du mal à m'en détacher si c'est ce que tu comptes faire.
Je la plaquai délicatement contre le mur, posant mes mains sur son cou et le caressai pour m'imprégner de sa chaleur. Sa respiration s'accéléra.
— Quelqu'un pourrait nous surprendre ! lâcha-t-elle comme une bonne tentative de rejet.
— Qui veux-tu qui nous surprenne ?
Elle leva les yeux au ciel, amusée, puis elle posa ses lèvres sur les miennes et ses mains dans mon dos. Néanmoins, je sentis rapidement son malaise et m'arrêtai. Elle ne voulait rien faire quand elle essayait de me raisonner et je ne voulais pas l'y forcer.
Les yeux dans les yeux, nous restâmes ainsi dans un silence assez pesant à la recherche de ce que nous pourrions dire.
— Tu devrais arrêter de fumer, murmura-t-elle avec hésitation.
— Je te l'ai dit, tu vas avoir du mal à m'en détacher. Et puis, ce n'est pas ça qui va me tuer.
— Alors qu'est-ce qui va te tuer ? demanda-t-elle d'un air morose.
J'avais de nombreuses fois imaginé ma mort, persuadé que je n'aurais pas une mort banale. Mourir d'un cancer ou de vieillesse n'était pas fait pour moi.
Je caressai le visage de Heather, peut-être bien pour détourner son attention. Rien de plus glauque que de parler de sa propre mort, surtout quand on avait déjà pu y échapper.
— Si tu veux, je peux t'aider à arrêter, souffla-t-elle d'un ton compatissant.
— Je ne compte pas arrêter, lui assurai-je fermement.
Elle semblait plutôt déçue, mais peu importe. Arrêter de fumer ne me ferait que du mal. Mes mauvaises addictions n'étaient là que pour m'aider avec ce qu'il pouvait y avoir de plus mauvais en moi.
— On devrait retourner à l'intérieur, suggéra-t-elle en comprenant que ce n'était qu'une conversation vaine parmi tant d'autres.
J'acquiesçai. Nous n'allions pas rester éternellement à l'extérieur.
La fête battait son plein. Rien n'avait changé en quelques minutes, il y avait toujours autant de monde. Nous marchions à travers la foule, elle me tenait par l'avant-bras fermement, sûrement par peur de se perdre sans moi.
— On prend un verre ? lui proposai-je, enthousiaste.
— Je ne bois pas, tu le sais.
— D'accord, mais sache qu'il y a même quelques merveilleux cocktails sans alcool.
Elle finit par céder à ma demande. Nous nous approchâmes du bar. Je commandais deux verres, un non alcoolisé pour elle contrairement à moi.
Elle sirota sa boisson d'un air amusé. Je la regardais, me demandant comment elle voulait que je réagisse à ça. Elle agissait vraiment comme une gamine en ce moment même. Pourtant, elle ne s'en cachait pas. Elle était bien trop jeune pour moi. Je n'arrivais pas à croire qu'elle ne fasse partie que d'un plan.
— Détends-toi ! s'exclama-t-elle. T'as l'air vraiment préoccupé par quelque chose, j'espère que ce n'est pas de ma faute. Je ne voulais pas te vexer tout à l'heure.
Je bus une rapide gorgée de mon verre puis le posai sur le bar, elle fit de même. Je pris ses mains dans les miennes. Elle eut un léger frisson.
— Tu ne me vexes jamais... C'est moi qui suis un idiot.
Elle afficha un sourire, plutôt fière d'elle que je puisse le reconnaître.
— Tu es toujours un idiot Cole, mais j'aime ça.
— Merci de m'insulter, ce n'est pas très gentil tout ça, ironisai-je.
Je me laissais finalement prendre à son jeu. Qu'est-ce qu'il me prenait ? Je ne faisais jamais ça. C'était comme si je perdais le contrôle. Il fallait que je reprenne le dessus et rapidement. J'avais des plans à poursuivre...
J'enlevai mes mains des siennes et la regardai. J'ignorais si je la regardais avec tristesse ou tendresse. Peut-être que c'était pareil dans ma tête.
Elle semblait plutôt intriguée. Nous nous éloignâmes alors du bar.
Mon regard croisa alors celui de Nash. Jamais on ne s'était défiés de cette manière et aussi intensément. Il fallait que je finisse ce que j'avais commencé et que j'arrête de me laisser distraire.
Je me tournai vers Heather, un faux sourire aux lèvres.
— Je vais devoir te laisser, je dois régler quelque chose.
Elle ne m'en voulut pas, elle était prête à se débrouiller. Tant mieux, j'avais un plan à mettre en exécution coûte que coûte.
Je m'éloignai d'elle pour m'approcher de la scène. Heather serait sûrement très surprise lorsque je lui demanderai sa main en face de tout le monde.
Alors que je l'avais laissée seule, son père s'approcha d'elle pour discuter. Tout ceci ne semblait pas très amical, au contraire. Il devait sûrement la prévenir à mon sujet, tenter de lui faire comprendre que je n'étais qu'un cinglé qui ne la méritait pas. Dans le fond, il y avait bel et bien une part de vérité.
J'étais persuadé qu'il était complètement obnubilé par mes cicatrices. Il ne pensait qu'à ça, comme tout le monde. Beaucoup trop de personnes s'en préoccupaient pour des raisons qui m'échappaient.
D'un certain côté, j'appréciais de les voir discuter. Il aurait la chance de voir sa gentille petite fille accepter ma demande. Je n'avais qu'une hâte : voir sa tête se décomposer sous mes yeux.
J'étais face à la scène. Il y avait un groupe qui jouait quelques musiques de fond pour permettre aux gens de danser. Pourquoi pas si ça plaisait. Peu importe leur musique, c'était à mon tour.
Un homme s'approcha de moi, l'air furieux de me voir sur le point de monter. Il semblait tout de même légèrement effrayé. Visiblement, il avait l'air de me connaître.
— Que faites-vous ? me demanda-t-il d'un ton ferme.
Je sortis sans la moindre gêne mon portefeuille, puis quelques billets, assez pour qu'il ouvre bêtement la bouche de stupéfaction. Il s'empara de l'argent qu'il glissa dans sa poche. L'argent est roi.
— Je vous en prie monsieur Triaghan, lâcha-t-il d'un ton courtois.
Ceci confirmait mes doutes. Il me connaissait. Je n'avais même pas prononcé mon nom. Après tout, la plupart me connaissaient en ville.
— Ravi de faire des affaires avec vous, répliquai-je d'un sourire machiavélique.
Il s'éloigna, faisant mine de ne plus me voir. Sûrement sa manière de justifier son pot-de-vin. S'il n'avait rien vu, il ne pouvait pas être accusé. Jouer les innocents marchait bien plus qu'on ne pouvait le croire.
Je montai sur scène. Le groupe en train de jouer finissait leur morceau avant de me laisser la place. Ils semblaient me craindre, comme n'importe qui et c'était tant mieux.
Je m'emparai du micro puis commençai à prendre la parole. Tous les regards se tournèrent vers moi. Personne n'avait l'habitude s'exprimer ainsi à ce genre de soirées, j'étais un des rares.
— Je sais que la plupart d'entre vous n'aiment pas m'entendre parler. Mais je m'en fiche.
Je voyais déjà le regard méprisant de chacun. Après tout, j'avais bien plus d'ennemis que d'amis. Ça ne me gênait pas contrairement à une grande majorité. Être ami avec la Terre entière n'a jamais aidé personne.
Je repris une brève inspiration puis m'exprimai enfin :
— Ce soir, je ne parle qu'à une personne, à une femme plus précisément. Je crois qu'elle se reconnaîtra. Je ne pensais pas en venir jusqu'à là.
Heather et moi échangeâmes un regard. Elle secouait la tête, souriante, et rougissait. Elle détestait sûrement être devenue le centre d'attention de tout le monde. Sa candeur me fit sourire à mon tour.
En effet, je ne pensais pas vraiment en venir jusqu'à là avec elle, même pour un plan.
— Mais je n'ai qu'une chose à lui demander, parce que c'est bien plus important que nous le croyions.
Je lâchai le micro et je m'approchai d'elle. Elle était plus que jamais gênée, pourtant, je voyais bien que c'était de la "bonne" gêne.
Quand je fus face à elle, je repris la parole, d'un ton posé et calme :
— Heather Nichols, me ferais-tu l'honneur de devenir ma femme ?
Elle était très étonnée, évidemment. Cependant, elle n'était pas aussi déstabilisée que j'aurais pu le croire.
— Je sais que c'est précipité, poursuivis-je, mais je ne peux vraiment plus attendre.
— Oui, finit-elle par répondre le sourire aux lèvres.
Elle se jeta sur moi pour m'embrasser langoureusement même si tout ceci l'embarrassait. Lorsque nous nous arrêtâmes, je remarquai le regard pesant de Nash sur elle. Il n'aimait pas ça, je le savais et je m'en fichais.
— De toute manière, tu savais que ça arriverait, lui dis-je d'un air presque arrogant.
— Malheureusement, réagit-il d'un ton ferme et assez déçu.
Il partit précipitamment. Il savait qu'il était impuissant face aux décisions de sa fille. Il n'avait vraiment plus rien à faire ici.
— Pourquoi maintenant ?
— Parce que je n'en pouvais plus d'attendre, me répétai-je.
Ceci était totalement faux. J'étais juste persuadé que jamais tu ne refuserais en public. C'était le moment idéal.
*
Après cette soirée mouvementée, Heather et moi rentrâmes dans ma demeure. Jamais je ne l'avais vue autant sourire. Je ne voyais pas en quoi ma demande la rendait aussi joyeuse. Je lui avais déjà proposé de m'épouser dès le début de notre relation. Qu'est-ce qui avait changé ?
À peine rentrés qu'elle m'embrassait passionnément, passant ses bras fougueusement autour de mon cou.
— Dis donc, je ne savais pas que tout ceci te rendrait si heureuse.
— Tu ne peux pas savoir à quel point ! s'exclama-t-elle plus heureuse que jamais.
Son regard était intense et je pus apercevoir mieux que jamais le bleu de ses yeux. En fait, je me rendais désormais compte qu'ils étaient bleus, presque gris. Je n'y avais jamais prêté attention.
Elle détourna rapidement mon attention :
— Par contre, je n'ai pas eu de bague, me reprocha-t-elle en me montrant sa main gauche.
— En effet. On va arranger ça.
Je me détachai de sa délicate emprise, m'approchant d'une commode et me saisis d'une bague qui avait traînée dans ce tiroir durant de longues années. Les choses ne se passent pas toujours pour le mieux. Même si cette bague me rappelait le pire de moi, d'une certaine manière, elle était resplendissante. À l'image de Heather.
Je revins à ses côtés. Elle sembla impressionnée par cette bague.
— Elle est vraiment magnifique...
— Disons que c'est un héritage familial, lançai-je d'un ton faible.
— Un héritage familial ? Je croyais que tu n'aimais pas tes parents.
— Une famille n'est pas seulement composée de parents.
J'enfilai la bague à son doigt. Elle semblait bien trop grande pour elle. Il était impossible qu'elle soit à sa taille. Je le savais.
— Il va falloir la faire ajuster, constatai-je.
— J'irai demain.
Elle regarda de nouveau la bague, un sourire sincère aux lèvres. Elle ne pouvait la quitter des yeux.
— Elle est vraiment sublime... Il y a des merveilles dans ta famille, tout comme toi.
— À ta place, je ne dirais pas ce genre de choses, ironisai-je plus ou moins sérieusement.
Elle ne put s'empêcher de rire. Elle voulait jouer, je le voyais bien. Chacun jouait à sa manière.
Elle posa la bague sur la table basse de peur de la perdre puis m'embrassa tendrement. Je prolongeai son baiser bien plus intensément.
Pour l'instant, tout se passait comme je le souhaitais...