J'étais désormais fiancé à Heather. Une excellente nouvelle, mon plan se déroulait à la perfection. Il était maintenant temps de fixer une date. C'était exactement ce dont j'allais parler avec elle en rentrant. Je voulais que les choses soient claires.
Totalement insouciante, elle était en train de regarder la télé. Je m'assis à ses côtés. Nous devions parler. Elle éteignit la télé pour pouvoir m'écouter attentivement.
— Il faut que l'on prévoie une date pour notre mariage.
— Euh... Si tu veux... Mais c'est un peu rapide pour se décider maintenant... Ta demande ne date que de deux jours, répliqua-t-elle, déstabilisée.
En effet, ça pouvait sembler précipité, mais tout n'était pas aussi simple qu'elle le croyait. Je le lui prouvai immédiatement :
— En vrai, elle date d'un mois. Je l'ai renouvelée hier.
Elle fit une légère grimace. Elle ne semblait pas très convaincue, mais elle ne pouvait pas me contredire. Elle savait que j'avais raison.
J'avais déjà réfléchi à une date tout seul. Tout était déjà prêt dans ma tête, depuis bien longtemps d'ailleurs.
— Que dirais-tu du 21 mars ? suggérai-je sans vraiment lui laisser le choix.
Ça revenait à se marier dans un peu plus d'un mois. Elle en fut très surprise, ne s'attendant pas à ce que ça se passe aussi tôt.
— Tu veux vraiment te marier ! s'exclama-t-elle, déconcertée.
— En effet.
— Eh bien... Pourquoi pas... Mais ça demande beaucoup de préparation un mariage...
— Pas du tout. Il sera prêt en moins de deux.
— Si tu le dis...
Elle n'était pas très convaincue, mais accepta quand même. J'aimais quand les choses allaient dans mon sens.
Elle finit par sourire, plutôt enjouée par cette idée.
— Je me demande ce que je pourrais porter comme robe, lâcha-t-elle songeuse en levant les yeux. Je n'en ai pas la moindre idée.
— Je suis sûr que tout t'ira.
— Ne dis pas ça pour me faire plaisir...
En fait, elle se sentait assez angoissée à l'idée que tous les regards se tournent vers elle. Elle était plutôt timide et discrète en public.
Elle devait sûrement être en train d'imaginer la tournure des évènements et sembla en rougir.
Elle pouvait avoir beaucoup de répondant, énormément de caractère des fois, mais elle laissait tout ça de côté et c'était une facette d'elle tout aussi mignonne.
— J'irai avec Catlyn faire du shopping demain. Peut-être que je chercherai de quoi me mettre pour notre mariage.
— D'accord.
*
Ainsi, le lendemain Heather était encore une fois en pleine séance shopping avec sa chère amie, Catlyn. Elles y étaient déjà allées en début de semaine. Les femmes... Heureusement que j'avais de l'argent.
Pendant ce temps, je passais l'après-midi chez Mitt et sa femme. Leur maison était comme à son habitude simple, moderne, néanmoins avec beaucoup de classe. Dolly avait dû s'occuper de la décoration, on sentait une touche féminine dans chacune des pièces.
Nous prenions un simple café dans le salon. Celui-ci manquait d'alcool. Son goût amer m'insupportait. À vrai dire, je trouvais n'importe quelle boisson sans alcool dégueulasse.
J'étais assis sur un fauteuil face à Mitt et Dolly. Celle-ci tenait leur enfant de quelques mois dans les bras. Ils avaient décidé d'avoir un enfant avant leur mariage. C'était leur choix. J'étais peut-être vieux jeu, mais pour moi, c'était juste une manière de justifier leur gosse. Avant sa grossesse, leur relation n'était pas très sérieuse.
Ils me racontaient brièvement de leurs nouvelles, la vie banale qu'était leur quotidien. Rien qui ne me concernait. J'avais oublié ce que c'était ce genre de vie.
— Et toi ? Quoi de neuf ? me demanda Mitt, curieux.
— Je vais me marier, annonçai-je, plutôt souriant.
Ce sourire n'était qu'un faux sourire. Du moins, ce devait être le cas.
— Toi ? Cole Triaghan ? Te marier ? Mais c'est un exploit ! Je ne pensais pas que ce jour arriverait. On doit absolument fêter ça !
— Ce n'est pas un exploit, il ne faut pas exagérer tout de même, objectai-je, presque embarrassé par son enthousiasme.
Mitt et Dolly étaient plus que jamais souriants. Cette nouvelle semblait les ravir bien plus que moi-même, aussi étrange que cela puisse paraître.
— Tu comptes vraiment abandonner ton petit train-train quotidien ? m'interrogea-t-il, l'air malin.
Je levai un sourcil. Il voulait vraiment que je parle de ma vie sexuelle en compagnie d'un bébé ? Très déplacé dans le genre.
— Tu as vécu de cette manière-là pendant des années, tu crois que tu peux changer du jour au lendemain ? continua-t-il, comme s'il se moquait de moi.
Non. Absolument pas, mais peu importe. Changer n'était certainement pas dans mes objectifs.
— Mitt, arrête de dire n'importe quoi, le gronda Dolly. Il est complètement fou d'elle, ça se voit. Il va changer pour elle.
J'aurais tellement voulu la contredire, lui dire que c'était faux, archi faux, mais je devais paraître pour quelqu'un d'amoureux. Enfin, je supposais que les gens agissaient ainsi quand ils étaient fiancés. Je n'avais pas la moindre idée de comment les gens se comportaient dans ce genre de situation.
— Je connais Cole, ce n'est pas une gonzesse qui le changera, rétorqua-t-il comme si je n'étais pas là. Il va crever comme ça.
— Alors c'est vraiment la plus grosse connerie que tu aies sortie ! s'indigna-t-elle.
Je croyais qu'ils avaient oublié que j'étais en face d'eux et que j'entendais toute leur discussion.
— Désolé Dolly, mais tu vis un peu trop dans un monde de Bisounours. Cole, c'est Cole. Marié ou pas marié.
Il trouvait une manière plutôt polie pour résumer la situation : je suis un connard. Il avait bien trop de tact des fois, il n'était pas comme moi.
— Tu as vraiment une vision très bornée, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel, presque désespérée. L'amour, ça existe, on s'est mariés et on ne couche pas à droite et à gauche.
Je leur fis signe d'arrêter. Temps mort. Leur discussion ne menait à rien.
— Au fait, je suis juste là ! m'exclamai-je.
— Pardon, se reprit Dolly. Je suis sûre que tu attendais la bonne contrairement à ce que Mitt peut penser. Ce n'est pas une question d'habitude, c'est juste l'amour.
— Ok, si tu veux, rétorqua-t-il comme s'il s'en fichait. On va faire un test.
Il se tourna vers moi, l'air sérieux.
— De quand date ta dernière relation ? Quand tu es vraiment sorti avec une femme, pas juste pour coucher avec elle ?
Dolly ne put s'empêcher de grimacer à cette remarque tandis que j'étais en pleine réflexion en ce moment même. Ça devait faire des années. En fait, ça ne devait même pas exister ou je ne considérais pas ça comme des relations.
— Je préfère ne pas répondre, répliquai-je en passant ma main sur ma nuque.
Je bus une gorgée de mon café tandis que Mitt affichait un sourire fier. Je n'avais jamais eu de relations comme avec Heather. Pourtant, même celle-ci était fausse.
Dolly sembla plutôt préoccupée, voire même inquiète à mon sujet.
— Sérieusement Cole, depuis combien de temps tu n'as pas eu une relation sérieuse ?
Elle voulait absolument une réponse. Je savais qu'elle ne me lâcherait pas. La réponse n'allait certainement pas lui plaire.
— Eh bien... Disons que ma dernière relation était aussi la première... et c'était une relation assez particulière, plutôt nulle dans le genre.
Elle leva ses sourcils accompagnés d'un timide sourire, comme si elle savait ma réponse. Mitt, quant à lui, semblait plutôt étonné. Comme n'importe qui, il savait ce qui se passait dans mon lit, par contre, il ignorait ce genre d'information.
— Bah voilà ! C'est exactement ce que je pensais ! Tu t'es laissé abattre sur un échec ! lança-t-elle sûre de détenir la vérité absolue.
D'où en déduisait-elle que c'était un échec ? J'avais juste dit que c'était nul. Elle voulait vraiment se persuader que j'avais rencontré le grand amour.
— Tu devais sûrement être jeune, ajouta-t-elle, sûre d'elle. Tu avais quel âge ?
Je détestais les questions à propos de mon âge.
— Seize ans, répondis-je avec une légère grimace.
— Tu étais jeune. D'un certain côté, c'est bien que tu aies rencontré Heather. Ça va te faire changer d'avis.
J'en doutais.
— Dire qu'il a fallu que tu attendes que tu aies trente piges pour décider que tu pouvais te mettre en couple, dit Mitt légèrement amusé et presque moqueur.
— Alors d'un, je n'ai pas trente ans, seulement vingt-neuf ans, ce qui est totalement différent. On attendra l'année prochaine pour mes trente ans, ok ? Et de deux, on s'en fout de mon âge.
— Tu n'es pas éternel Cole, tu auras bien trente ans un jour. Comme nous tous.
Je me retins de répondre "sauf si je meurs avant". Je ne voulais pas casser l'ambiance avec mon pessimisme.
Dolly ne put s'empêcher de rire en nous voyant. Elle appréciait notre bonne humeur. Pourtant, elle était une des rares à avoir vu à quel point je pouvais être hypocrite dans ma joie. Jamais je n'oublierai ce qu'elle m'avait dit.
« Ton sourire a beau être l'un des plus magnifiques que j'ai vus, quand j'ai vu ta peine, j'ai compris. Il n'est qu'un masque pour prétendre que tu n'es pas quelqu'un de torturé. »
Mon masque était généralement solide. Il n'était tombé que de rares fois, en particulier après cette terrible nuit du 29 janvier 2006. Je refusai d'y penser de nouveau, tout ce sang me montait à la tête et mon masque ne tiendrait pas le coup une nouvelle fois. Comme à chaque fois, j'affichais un faux sourire dont personne ne doutait de son authenticité.
— Même si j'ai toujours quelques doutes, ça fait du bien que tu aies enfin trouvé quelqu'un qui te rende heureux, dit Mitt plutôt enjoué.
Je bus une gorgée de mon café en les observant. Ils étaient définitivement bien plus heureux que moi-même pour cette nouvelle. Ils pensaient que j'avais trouvé la perle rare, celle qui me changerait. J'avais vécu des années de cette manière, rien ne me changerait.
Dolly s'éclipsa un instant et laissa le bébé dans les bras de Mitt. Celui-ci le berça, plutôt amusé.
— Tu veux le tenir ? me demanda-t-il comme s'il voulait s'en débarrasser.
— Un bébé ? Dans mes bras ? Tu es sérieux ou tu te fous de ma gueule ?
— On ne peut plus sérieux. Tu vas te marier, je suppose que tu vas avoir des enfants. Heather semble bien être le genre de femme qui veut des enfants.
Avoir des enfants aurait pu être un avantage dans l'exécution de mon plan, mais ce n'était clairement pas envisageable. Jamais je n'aurais d'enfants.
À contrecœur, il finit par me convaincre. Je pris son fils dans mes bras. D'après mes souvenirs, il s'appelait Reese. J'en doutais, mais peu importe.
Je regardais cet enfant. Je n'avais jamais eu l'occasion de tenir un si petit être dans mes bras. Jamais personne de mon entourage n'avait eu des enfants mis à part Mitt.
Il me regardait tout autant que moi. Il semblait plutôt enjoué et frappait dans ses mains, tandis que je n'étais pas du tout dans le même état d'esprit, comme si un léger malaise était en train de se créer en moi.
— Il a l'air de vraiment t'apprécier, constata Mitt.
Je me demandais comment il pouvait m'apprécier. Il ignorait tout de moi, il ne savait même pas qui j'étais. C'était totalement absurde.
Il leva alors ses bras, tentant d'atteindre quelque chose, comme s'il voulait prendre mon visage. Enfin, je pensais que c'était mon visage, je ne comprenais pas cette chose.
Il finit par attraper mes cheveux et tira dessus. Il se mit à rire. Qu'est-ce qu'il avait de drôle ? Je ne voyais vraiment pas. Il ne cessait de tirer mes cheveux alors que ceci ne menait à rien. Voilà sûrement un des désavantages à avoir des cheveux un peu plus longs que la moyenne. Enfin bon, ils n'étaient pas si longs que ça, ils s'arrêtaient en haut de ma nuque, ce qui n'était rien comparé au lycée.
— Tu n'as pas l'air très à l'aise, remarqua Mitt.
Ce n'était que maintenant qu'il le constatait ? Bravo Sherlock Holmes. Il finit par me reprendre le bébé avant que celui-ci ne m'arrache les cheveux du crâne.
— Je suis sûr que tu feras un très bon père, lança-t-il le plus sérieusement au monde.
— J'en doute, rétorquai-je quelque peu déstabilisé.
Mon malaise devait être perceptible. Je n'aimais pas les enfants. Je n'aimais pas l'idée de devenir père. Cette idée me terrifiait. Puis je tentai de contrôler mes émotions et de reprendre de mon sérieux pour ne rien laisser transparaître.
— Mais si j'avais un enfant, je lui apprendrais à se défendre et à ne pas hésiter à taper ses ennemis, ironisai-je.
— Tu veux élever ton gosse dans la violence ?
— C'est un moyen comme un autre pour se défendre, c'est tout.
Mitt leva les yeux au ciel. Il ignorait si j'étais vraiment sérieux ou non. Mes sarcasmes pouvaient être sans limites.
Je bus une gorgée de mon café que je tentais tant bien que mal de finir. Il avait un goût exécrable, même un mort n'en voudrait pas.
— Ne me dis pas que tu n'as jamais voulu avoir des enfants. Tout le monde y pense un jour ou l'autre.
Je pris une brève inspiration. On y pensait tous un jour ou l'autre. On se demandait ce que nous apporterait un têtard dans notre vie. La plupart du temps, je l'évitais. Mon pessimisme prenait toujours le dessus à chacune de mes hypothèses.
— J'y ai pensé, mais c'était très bref... C'était juste une remarque. Je trouvais que Clyde était un magnifique prénom et que si quelqu'un devait le porter, ce serait mon fils.
Je regardai alors ma tasse. C'était bien la première fois que je disais ce genre de choses à voix haute. Et c'était... étrange.
— C'est un magnifique prénom.
Il m'adressa un sincère sourire, persuadé que j'étais passé à autre chose. Il ignorait tout.
*
J'étais resté de longues minutes dans ma voiture, les mains sur mon visage. Je pensais que tout était déjà tracé, que je ne ferais que suivre ce chemin. Et si j'avais tort ?
Comment Dolly osait-elle dire que j'étais fou amoureux de Heather ? Je n'étais pas amoureux de Heather. Jamais ça ne m'était arrivé et ça ne m'arriverait jamais. Même lors de ma première relation je n'avais pas eu le moindre sentiment envers cette femme. Pourquoi maintenant ce devrait arriver ? Si ce n'était pas arrivé la première fois, je ne vois pas comment c'était possible.
Je ne ressentais pas l'amour, point final.
Même l'amour platonique ne signifiait rien à mes yeux. La notion même d'amitié pouvait me sembler très étrangère des fois. Généralement, je ne partageais pas grand-chose avec mes amis. Ils ne savaient rien de moi. Et puis, j'avais couché avec beaucoup de personnes de mon entourage.
Il n'y avait pas d'amour, que du sexe.
Je m'emparai d'une cigarette, l'allumai et la consumai avec délectation. Heather détestait que je sente le tabac. Elle était la seule femme qui s'en était plainte. En même temps, je ne la payais pas.
Je fixais l'horizon à travers mon pare-brise, tentant de discerner le moindre détail du voisinage.
Dolly se trompait, je le savais.
Je finis bien rapidement ma cigarette. J'étais resté suffisamment longtemps garé devant chez moi. Si Heather voyait ma voiture, elle se poserait des questions.
Il était temps de rentrer. Je quittai mon véhicule pour retourner à la maison. J'eus de nouveau l'occasion de la croiser en compagnie de Catlyn. Elles venaient tout juste de rentrer de leur après-midi shopping. Quelle coïncidence...
Son amie sembla très enjouée de me voir, comme d'habitude. Pourquoi les autres étaient-ils bien plus heureux pour notre relation que moi-même ? Je ne comprenais plus rien.
— J'ai appris la nouvelle ! Vous allez vous marier !
Elle s'approcha de moi et me prit dans ses bras. Cette fille semblait adorer les marques d'affection. Désormais, je pensais qu'elle n'était pas très proche de ses parents.
— Toutes mes félicitations ! s'exclama-t-elle en me relâchant.
Heather semblait amusée, comme si j'étais devenu drôle soudainement.
— J'ai tellement hâte ! Ça va être génial ! s'écria-t-elle en ne cessant d'alterner son regard entre nous deux.
Heather détourna son regard, plutôt gênée. Le comportement de son amie envers moi la dérangeait.
Catlyn ne tarda pas à partir pour nous laisser entre "tourtereaux" comme elle le disait si bien. Dès son départ, je ne pus m'empêcher de soupirer.
— Catlyn est très excentrique dans le genre, dit Heather comme pour se justifier.
— J'avais cru le remarquer.
Elle s'approcha de moi et vint me prendre tendrement dans ses bras.
— Alors ton après-midi shopping ? Tu as trouvé ce que tu voulais ? m'enquis-je même si je me doutais de sa réponse.
— Je n'ai pas acheté grand-chose, j'ai surtout fait du lèche-vitrines, répondit-elle, souriante, d'un air calme.
J'avais beaucoup de doutes à ce propos. Je n'avais jamais eu de vraies relations, certes, mais je savais que "pas grand-chose" signifiait davantage pour une femme.
— Et ta journée ? me demanda-t-elle à son tour assez curieuse.
— Rien de bien extraordinaire, éludai-je pour ne pas rentrer dans les détails.
En réalité, je prenais conscience que je devais bien mieux m'appliquer dans mon plan. Je me détournai de mes objectifs et ça, je n'allais certainement pas le lui dire.
Elle me sourit puis posa sa tête sur mon épaule, fermant les yeux. Je la regardai. Soudainement j'oubliais tout ce que Dolly avait pu me dire, je savais ce que j'avais à faire.