Chapitre 23 - Une nuit d'hiver - Ostara

Notes de l’auteur : MAJ 26/09/2023

Elle regarda son adversaire s’enfuir avec son arme sacrée. C’était Ira. Elle le savait. Elle correspondait parfaitement à la description qu’en avait fait Iwan, sans compter qu’une telle violence portait la marque de l’assassin d’Aurore. Elle sentit son énergie terrestre s’échapper d’elle pour retourner d’où elle venait. La terre se mit à trembler violemment. Elle attendit que cela passe, puis elle se retourna vers Will, déjà recouvert par quelques millimètres de poudreuse qui tombait encore dans un silence morbide. Elle s’approcha de lui, s’écroula à genoux. Ses forces la quittaient, elle se sentait vide, mise à nu. Elle posa une main sur le corps de son frère. Il respirait encore. Faiblement, mais il respirait.

  - Will ?

Il ne répondit pas, n’émit aucun son. Il baignait dans son sang, il avait perdu connaissance. Elle l’agrippa pour le traîner dans la maison, mais elle réalisa tout à coup à quel point ses bras étaient douloureux. Elle n’avait plus de poigne, une partie de ses os étaient brisés. Son chien se releva enfin, il courut vers elle la queue entre les jambes, les oreilles baissées, l’air abattu. Elle lui sourit tendrement, le prit contre elle et enfouit son visage dans la fourrure épaisse et humide.

  - Aide-moi, s’il te plaît, implora-t-elle.

Elle recommença à tirer sur les vêtements de son frère en regardant son fidèle berger dont les yeux brillaient d’une intelligence vive. Il mordit alors dans la veste de Will, et après de longues minutes laborieuses, ils parvinrent finalement à glisser son corps sur la plancher de la maison. Ostara remercia son fidèle compagnon, puis attisa le feu du poêle en fonte. Elle déshabilla son frère. En le retournant sur le dos, elle hoqueta d’écœurement. Une balafre sanguinolente et profonde traçait une ligne cruelle en travers de sa poitrine. Le blanc des os était apparent par endroits. Elle se hâta de prendre le matériel de soin dont elle se servait habituellement pour ses chevaux, et entreprit de nettoyer la plaie. Elle désinfecta avec de l’alcool, puis déposa des linges pour arrêter le saignement. Elle termina par suturer les chairs tranchées à vif. Elle songea qu’il était heureux que son frère ne soit pas conscient, il aurait souffert le martyre. Sa respiration était régulière, son cœur battait lentement, mais il semblait tenir le coup. Ostara savait toutefois qu’il n’était pas tiré d’affaire, il avait perdu beaucoup trop de sang. Quand elle eut achevé de le recoudre, elle l’amena dans un dernier effort sur des couvertures devant le feu, le recouvrit, et s’assit à côté de lui, son chien lové contre elle.

À mesure que les heures passaient et que le soleil amorçait son arrivée, la douleur dans son corps s’éveilla. Elle avait mal dans chacun de ses muscles, comme si une montagne s’était écroulée sur elle. Ses bras la lançaient atrocement, elle n’avait même plus la force de bouger les doigts. Elle ne s’était jamais sentie si faible et seule. Elle réalisa quelle présence occupait son pouvoir dans son psychisme. La pire des souffrances prit alors corps : celle de son esprit, de son âme, qui explosa dans sa tête, balayant tout sur son passage, emportant ses certitudes et sa confiance.

Elle avait échoué. Elle avait perdu son arme, et avec elle son honneur de Mystique. Elle ne pouvait plus prétendre à ce titre. Que se passerait-il quand cela se saurait ? Qu’allaient penser les autres ? C’était peut-être la première fois de sa vie qu’elle se posait cette question.

Elle avait été lamentable. Elle avait l’avantage sur Ira. C’était son problème : elle n’était pas particulièrement combative. Depuis qu’elle avait pris conscience de son rôle de Mystique, la question de sa légitimité lui avait collé à la peau. Elle s’était toujours interrogée sur les raisons qui avaient poussé les sages à la choisir, elle, qui n’avait aucune qualité particulière pour endosser une telle responsabilité.

À cet instant, transie de douleur, au chevet de son frère au bord de la mort, elle comprit avec amertume qu’ils s’étaient lourdement trompés. Malheureusement, eux n’en feraient certainement pas les frais comme elle et Will.

Quand les rayons du soleil se montrèrent à travers les carreaux des fenêtres, illuminant la neige qui embrassait le verre froid, cela lui rappela Myhrru. Elle se leva péniblement, sortit une feuille et un encrier, s’installa à la table, puis écrivit une lettre à l’intention d’Adelle et de Myhrru, du mieux qu’elle pût avec ses doigts faibles et sa main tremblante. Elle la coinça dans la porte. Le coursier passait tous les jours, il comprendrait.

Elle retourna à côté du foyer, avant de s’écrouler d’épuisement. Elle se roula dans les couvertures, ferma les yeux et espéra que lorsqu’elle se réveillerait, tout cela n’aura été qu’un affreux cauchemar.

 

Environ dix jours plus tard, elle s’extirpa du lit de fortune qu’elle avait installé à côté de celui de Will. Ce dernier s’était enfin réveillé, au prix de douleurs permanentes et intenses qui lui rendaient presque impossible tout mouvement. Elle devait donc rester à son chevet jour et nuit, lui prodiguer des soins quotidiens, le faire manger, en plus du travail auprès de leurs animaux, qu’elle réalisait à grand peine à cause de ses bras qui guérissaient bien trop lentement à son goût. Elle fit chauffer du lait sur le poêle, et le versa sur un fond de miel dans un grand bol en terre cuite. Elle aida Will à s’installer pour le faire boire.

Lorsqu’il eut terminé, on frappa à la porte. Sans même se retourner, Ostara savait de qui il s’agissait. Elle posa les bols dans l’évier et se dirigea vers l’entrée. Elle aperçut à travers les fenêtres des chevaliers qui patientaient, les pieds dans la neige, engoncés dans leurs armures dorées. Elle ouvrit la porte sur Myhrru, qui la scruta de pied en cap, l’air très préoccupé. Ostara fut soulagée de constater qu’elle semblait s’inquiéter plus pour elle que pour le vol de son arme, car aucune trace de colère ou de contrariété ne pointait sur son visage lumineux. Elle les invita à entrer et ils s’installèrent autour de la table dans un vacarme de métal. Ils étaient cinq, dont Myhrru et Dubhan.

  - Assieds-toi, je t’en prie.

La chevaleresse s’exécuta. Elle se retourna pour observer Will, puis revint à Ostara, le regard agité.

  - Comment va-t-il ?

  - Il a survécu, répondit Ostara d’une voix éraillée.

  - Et toi ?

Ostara haussa les épaules, sa bouche large se tordit en une grimace absurde.

  - Laissez-nous, ordonna Myhrru à l’attention de ses chevaliers.

Ces derniers sortirent de la maison sans broncher.

  - Nous serons plus à l’aise, je suppose.

Ostara acquiesça. Elle ne pensait pas que cette confrontation serait si difficile. Elle se retrouvait brutalement face à la réalité, face à ses responsabilités.

  - Je suis désolée, murmura-t-elle.

  - Je ne peux pas te rassurer en te disant que ce qui s’est passé n’est pas grave, mais personnellement, je préfère que tu sois en vie. Le résultat aurait été identique, alors à quoi bon mourir ?

  - J’aurais pu me battre, j’aurais pu résister… Je n’ai pas été à la hauteur.

  - Je suis convaincue que tu as fait de ton mieux. Tu as fait le choix de sauver ton frère, c’est tout à ton honneur. C’est nous qui avons pris la menace à la légère. Nous n’aurions jamais pensé qu’ils puissent vouloir voler les armes sacrées. Nous allons prendre les mesures en conséquence et renforcer la protection des Mystiques…

  - Dont je ne fais plus partie.

Myhrru eut un temps d’arrêt. Ostara, les yeux baissés, était emplie de honte.

  - Tant que tu es en vie, tu restes la Mystique de la Terre. Nous allons récupérer ton arme, et tout rentrera dans l’ordre, assura Myhrru.

Ostara releva la tête vers la chevaleresse. Elle ne s’attendait pas à autant de tolérance. Myhrru sembla saisir son inquiétude.

  - Il va sans dire que la conservation de ton titre n’a pas été une évidence. La princesse Adelle et moi-même avons grandement insisté en ce sens. Il faudra te montrer digne de cette arme, participer activement à la retrouver et neutraliser les voleurs.

  - Je ne suis pas digne de votre sollicitude, mais je ferai de mon mieux, je te le promets.

Myhrru lui sourit et se leva.

  - Nous avons déjà pris nos dispositions. Toi et votre frère allez nous accompagner au château. Des gens s’occuperont de votre ranch pendant votre absence. Il est préférable que vous soyez mis à l’abri le temps que nous résolvions cette affaire, ainsi vous serez aux premières loges pour nous assister dans cette tâche.

Ostara écarquilla ses yeux fatigués. Elle aurait voulu protester, mais ce n’était pas une requête. Sous un ton doux et bienveillant se cachait un ordre non négociable. La Reine tenait à la garder à l’œil.

  - Un chariot pour transporter votre frère nous attend dehors. Prépare tes affaires le temps que nous l’installions à l’intérieur.

Ostara serra les dents pour ne pas pleurer. Elle monta dans sa chambre et fourra dans un grand sac en toile tout ce qu’elle pouvait, puis fit de même avec les affaires de Will. Elle enlaça son chien qu’elle ne reverrait pas avant longtemps, le cœur serré. Il gémit en la voyant partir. Il ne comprenait pas. Elle ne se retourna pas vers les écuries, couvrit sa tête avec sa capuche et monta dans le chariot. Il s’ébranla, se mit en route, se frayant un chemin à travers la neige épaisse. Ostara, dodelinant à l’intérieur, les yeux rivés sur son frère qui semblait souffrir des secousses, écoutait le bruit du bois qui craquait, du métal des armures, juste derrière la toile qui les abritait et les isolait. Personne ne parlait. Que pensaient-ils d’elle ? Comment allait-elle être accueillie à Aimsir ? La nouvelle de son échec allait se répandre dans tout le royaume, et il y avait fort à parier que les gens la détesteraient. Elle songea alors qu’être à l’abri des murs du château ne serait finalement pas une si mauvaise chose.

 

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Audrey
Posté le 11/04/2022
La pauvre Malou !

Ton histoire prend un tournant important ici. Le premier gros revers. J'aime beaucoup que tu aies pris le temps de nos montrer ce qu'elle pensait et comment elle le vivait.

Quelques remarques :
On dit "finir par" et pas "terminer par".
"Au fur et à mesure que les heures passaient et que le soleil amorçait son arrivée, la douleur dans son corps s’éveilla également."
Et c'est soit "au fur et à mesure" soit "à mesure que..."
Le "également" est inutile à la lecture de ta phrase.

Maintenant sur le fond. Les blessures de Malou par rapport à ce qu'elle arrive à accomplir après me chagrinent. Tu dis qu'elle a les bras cassés mais elle porte son frère, elle retire ses vêtements, le lave, etc. Certes tu précises que c'est difficile, mais ça devrait être impossible.
Peut-être revoir ses blessures à la baisse ? Ou insister sur ses membres qui répondent à peine, la douleur engendrée, ses techniques pour faire autrement avec ces deux poids morts qui pendouillent de chaque côté...
Mathmana
Posté le 11/04/2022
Oui Malou est la première victime des deux compères, l'histoire s'enclenche et il va être difficile de freiner la chute!
Merci pour tout tes retours sur mes erreurs de phrasés, je suis impressionnée, je pense ne pas être la dernière des ignorantes du point de vue de l'orthographe mais tu as clairement un niveau supérieur! Où as-tu acquis une telle maîtrise des détails?
Concernant les blessures de Malou, effectivement les fractures sont peut-être trop, je voulais montrer la force du mental et de l'adrénaline qui nous fait nous dépasser parfois. Je remanierai ce passage pour qu'il soit plus crédible.
Audrey
Posté le 11/04/2022
Oui je sens bien que le rythme est plus vif. C'est super d'être capable de faire ça en quelques scènes. Bravo !

Je n'ai aucun mérite. Je lis beaucoup et je suis prof (bon... d'anglais... mais j'ai étudié la grammaire et les structures des deux langues pendant toute ma licence).
Ça ne veut pas dire que je ne fais pas de fautes. Et c'est beaucoup plus facile à trouver chez les autres que chez soi ^^

Hâte de lire la suite, vraiment !
Mais ne te mets pas la pression pour autant. L'attente fait partie du charme de ce site.
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