Chapitre 22 - Première arme - Ira

Notes de l’auteur : MAJ 26/09/2023

  - Tu es prête ?

Elle boucla sa ceinture, enfila ses sabres dans leur fourreau, et se retourna vers lui.

  - Oui.

  - Ne traîne pas.

Il referma la porte de sa chambre. Elle prit une profonde inspiration. Elle enfila sa grande cape de laine noire et s’équipa de son sac. Elle se regarda une dernière fois dans la glace ébréchée. Elle ne ressentit rien. Elle observa ses lèvres charnues et bien dessinées totalement guéries, son nez long et droit qui lui scindait le visage, ses grands yeux d’un vert si clair qu’ils lui donnaient un regard étrange, son front haut, sa mâchoire affirmée. Qui était cette femme qui la dévisageait ?

Elle prit la direction de la sortie. La vraie sortie. Celle qui l’amènerait à la surface de nouveau. Kerst l’attendait déjà près de la trappe, en haut des escaliers. Il la déverrouilla. Elle passa devant lui, sans qu’ils ne s’adressent ni un regard, ni une parole. Depuis leur retour d’Aimsir et son monologue de maître supérieur, c’était ainsi. Lui ne donnait que dans l’agressivité et la provocation, elle se contenait de toutes ses forces pour ne pas y répondre. Elle se contentait de oui ou non, ne lui adressait jamais la parole en premier. Elle laissait aller toute sa rage lors de ses entraînements avec le maître d’armes, qui avait de plus en plus de mal à la suivre. Si sa rage lui permettait de devenir plus forte, alors elle pourrait remercier Kerst de lui avoir donné les moyens de le terrasser un jour ou l’autre.

Il referma la porte dans un bruit sourd. Ira remit en place la mousse et l’herbe qui dissimulaient l’entrée, puis elle se faufila dans les ronces. Elle fut cueillie par le froid de la nuit. De la vapeur s’échappait de sa bouche. Elle trouva cela poétique. Lorsqu’elle arriva enfin dans la plaine, elle put pleinement apprécier le spectacle merveilleux qui s’offrait à elle : les étoiles pétillantes, la lune à moitié rongée par le ciel, le silence absolu de la nature. Elle respira à plein poumons sa liberté.

Elle se mit en marche, à grandes enjambées. Elle devait se rendre au sud-est du royaume, soit l’opposé exact du repaire. Il lui faudrait des jours de marche ; enfin, des nuits, plutôt. Personne ne devait la croiser. D’après Kerst, leurs portraits étaient affichés dans chaque rue d’Hymir. Elle savait qu’il sortait régulièrement. Elle ignorait tout, en revanche, de sa destination et de ce qu’il trafiquait dehors. Il lui avait expliqué son projet succinctement, pour qu’elle comprenne ce qu’il attendait d’elle. Elle ne pouvait s’en réjouir, mais elle devait s’y plier, pour l’instant.

 

Lorsqu’elle atteignit son but, après plus de trois nuits de marche, la neige commença à tomber à gros flocons. Elle devait se hâter pour ne pas laisser de traces. Elle escalada le haut portail de bois du ranch et atterrit dans l’enceinte sans bruit. D’après Kerst, la Mystique de la Terre vivait là avec son frère aîné. L’entrée se prolongeait par une allée d’herbe et de terre foulée. À droite se trouvaient les écuries, à gauche, la maison. Elle s’approcha de la porte et tourna doucement la poignée. Elle était verrouillée. Elle retira sa main, et sursauta lorsqu’elle entendit un bruit sourd contre le bois, accompagné d’aboiements furieux. Le chien allait donner l’alerte. Elle se colla contre la maison et attendit. Elle entendit de l’agitation, des pas pressés dans les escaliers. Une clef dans la serrure. Elle retint son souffle. La porte s’ouvrit brutalement sur elle. Elle assomma le chien qui déboula devant elle avec férocité, puis fit un pas de côté et dégaina son sabre sur celui qui avait eu le malheur de sortir. Elle se retrouva face à un homme bâti comme une armoire, qui resta sans défense lorsqu’elle lui lacéra la poitrine d’un seul mouvement de sabre. Elle remarqua alors la fille qui le suivait, dont le visage se décomposa lorsque le sang de son frère éclaboussa le visage pâle d’Ira. Elle donna un violent coup de pied pour dégager le jeune homme qui s’écrasa au sol dans un gémissement de douleur.

Les deux femmes se fixèrent, les yeux dans les yeux, les poings serrés sur leurs armes. La Mystique de la Terre brandit alors sa hache, et le sol se mit à trembler sous les pieds d’Ira. Elle recula et sauta sur le toit de l’écurie avec une aisance féline, sans quitter des yeux son adversaire. Ostara sortit de la maison, jeta un regard à son frère qui suffoquait, baignant dans son sang sur le sol qui se recouvrait de neige. Ira savait qu’elle n’avait pas intérêt à descendre du toit pour se retrouver sur le terrain de jeu de la Mystique. Cette dernière tenta de lui balancer des rochers, mais Ira les esquiva, du moins, les plus gros.

  - Descends, espèce de lâche ! lui cria Ostara.

Ira ne répondit pas. Son visage resta impassible. Kerst lui avait ordonné de la tuer pour prendre son arme, mais elle ne pouvait pas risquer de se battre contre elle. Elles étaient dans une impasse. Ira savait que la Mystique ne détruirait pas son ranch ni ne risquerait de blesser ses animaux. Elle avisa alors le frère qui disparaissait peu à peu sous les flocons. Elle courut et sauta au sol, juste à côté du corps gisant, pointa un de ses sabres sur lui, et brandit l’autre en direction d’Ostara. Elle leva sa hache, mais Ira la prit de court :

  - Ta hache contre sa vie.

Ostara arrêta son geste, de toute évidence déstabilisée par cette proposition inattendue. Avec ses cheveux ébouriffés et drus sur le crâne, sa chemise de nuit enfoncée négligemment dans des braies trop larges, sa veste déboutonnée et ses chaussures non lacées, elle faisait peine à voir, là, seule contre une adversaire redoutable au beau milieu d’une nuit glaciale. Pour autant, elle ne tremblait pas.

  - Tu devras me tuer pour l’avoir, lança-t-elle avec détermination.

  - Tu sais parfaitement qu’il y a un autre moyen, répondit Ira sans se départir de son calme. Réfléchis vite, si tu tardes trop, je n’aurais même plus à l’achever, et alors, je serais vraiment obligée de te prendre ton arme par la force.

Ostara serra ses lèvres sur ses grandes dents. Elle fronça les sourcils.

  - Essaye toujours, grogna-t-elle.

Ira esquiva de peu le rocher acéré qui surgit de nulle part sous ses pieds. Elle s’approcha d’Ostara en évitant les projectiles et les fissures qui s’ouvraient à chacun de ses pas. Nul doute que si elle laissait une jambe à l’intérieur, Ostara refermerait la terre comme un piège à loup. Quand la Mystique fut à sa portée, Ira déchaîna ses coups pour ne pas lui laisser le temps d’invoquer d’autres sorts. Elle enragea lorsqu’elle réalisa que rien ne la blessait : la peau d’Ostara se durcissait comme de la pierre à chaque impact. Son adversaire n’était pas une excellente combattante, mais la magie lui conférait un avantage certain. Agacée et impatiente, Ira bloqua la hache entre ses sabres, asséna un coup de genou dans les mains d’Ostara et poussa l’arme pour déséquilibrer sa porteuse, qui lâcha prise après un craquement atroce dans ses bras. La hache glissa vers l’arrière, non loin du corps du frère. Ira recula, posa le pied sur l’arme sacrée, et pointa de nouveau son sabre sur le corps gisant. Le visage d’Ostara, cette fois, se liquéfia pour de bon. Les bras ballants et brisés, elle semblait attendre le coup de grâce.

  - Lève le sceau, lui ordonna Ira.

  - Pardon ? bafouilla la Mystique.

  - Je n’ai nul besoin de te tuer. Tout ce que je veux, c’est ton arme.

Ostara la fixa avec une grande incompréhension dans les yeux. Elle regarda tout autour d’elle, désorientée.

  - Je ne sais pas… si j’en suis capable, avoua-t-elle d’une voix chevrotante.

  - Ce sont vos vies qui sont en jeu. Si tu n’y arrives pas, je vous tue tous les deux, lança Ira avec froideur.

Ostara ferma les yeux. Ses lèvres se mirent à remuer, mais Ira ne distingua qu’un murmure confus. La Mystique fronça les sourcils, elle semblait lutter pour se concentrer. Soudain, des signes étranges brillèrent au-dessus de l’arme sacrée. Une lumière orangée et douce scintilla, puis s’éteignit en quelques secondes. Ostara rouvrit les yeux.

  - Elle est à toi, lâcha-t-elle avec amertume.

Ira ramassa la hache, qui se laissa faire. Elle sourit avec satisfaction. Elle l’accrocha dans son dos, sous sa cape, sauta sur le toit de l’écurie, puis descendit à l’extérieur de l’enceinte, dans la plaine déjà blanche. Elle avait réussi. Elle avait l’arme sacrée de la Terre. Elle savait que Kerst serait mécontent, qu’il lui reprocherait de ne pas l’avoir tuée, mais elle s’en fichait. C’était sa manière à elle de lui montrer qu’elle ne lui appartenait pas totalement.

Il avait besoin d’elle, elle comptait bien en profiter.

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Audrey
Posté le 11/04/2022
On s'imagine parfaitement la scène. Ni trop de détails ni trop peu. Ton dosage est parfait. Bravo !
Juste un détail : "l’opposé exact" on dit l'inverse normalement -> "l'exact opposé".
Je file lire la suite ^^
Mathmana
Posté le 11/04/2022
Merci merci!! Je suis contente que tu arrives à visualiser car lorsqu'on écrit c'est tellement évident qu'on ne se rend pas toujours compte de la clarté de nos descriptions!
Merci pour ta lecture!
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