CHAPITRE 24

Par Taranee
Notes de l’auteur : Vous avez de la chance de voir ce chapitre parce que j'ai failli le poster sur une autre de mes histoires (et je ne m'en serais jamais rendue compte, étourdie comme je suis ^^')
Bonne lecture !

PRESENT : JIO

 

            Le plancher craqua et Jio reposa prestement les papiers qu’il feuilletait. Fausse alerte. Le Duc Nowise était parti ce matin à l’assemblée, après une semaine passée au manoir à surveiller le nouvel arrivant et l’adolescent en avait profité pour fouiller dans son bureau. Si ce que lui avait dit Soö était vrai, si le Duc était réellement un sale type, alors il y avait forcément des preuves cachées là, quelque part, dans son bureau interdit.  Ces preuves, il devait les trouver. Il devait savoir à qui il pouvait faire confiance. Il y a deux jours, alors qu’il fouillait encore sa mémoire pour savoir qui avait attaqué Nethan, un souvenir lui était enfin revenu. Oui, il savait que cette personne était un homme, et il savait qu’il l’avait déjà croisée ici, au domaine Nowise. Alors se pouvait-il... Se pouvait-il que le Duc y soit pour quelque chose dans l’attaque de Nethan ? Alors que pendant un an, il avait considéré cet homme comme son sauveur, celui qui l’avait recueilli alors qu’il était en détresse… Pouvait-il vraiment avoir autant de secrets ? Et Jio avait-il été assez naïf pour ne pas s’en apercevoir ? Il serra les dents. Inutile de faire des conclusions hâtives. Il devait garder son calme s’il voulait savoir.

            Le jeune homme ouvrit un nouveau tiroir. Rien d’intéressant ici. Seulement quelques babioles et le sceau de la famille Nowise.  Il avait fouillé tous les tiroirs du bureau. Peut-être dans les étagères alors ? Il se jeta presque dessus. Son intuition lui soufflait que le Duc ne tarderait pas à rentrer. Soudain, il entendit un craquement plus fort et plus proche qu’avant. Il se pétrifia. Quelques bruits étouffés, puis de nouveau des craquements. Quelqu’un s’avançait dans le bureau. Quelqu’un s’approchait de lui, l’avait vu. Il n’était plus possible de se cacher. Sa respiration s’accéléra, comment allait réagir cette personne ? Est-ce que c’était le Duc ? Puis un miaulement. Jio se détendit. Il s’autorisa même un petit rire en se tournant vers le chat de la maison qui se trouvait maintenant tout près de lui. Il lui caressa la tête.

- Tu m’as fait peur, toi, tu sais ?

Evidemment, l’animal ne répondit pas. Il ronronna quelques secondes puis s’écarta. Jio le regarda partir. Mais le matou s’avança de quelques pas seulement puis s’arrêta de nouveau et, lançant un regard inexpressif à l’adolescent, miaula de nouveau. Intrigué, ce dernier se leva.

- Tu me montres quelque chose ?

Nouveau miaulement. Pourquoi ce chat l’aidait-il ? Il haussa les épaules, s’avança. Ça valait toujours mieux que de fouiller le bureau pendant des heures. Il arriva bientôt au niveau de l’animal qui s’en alla, dandinant son corps grassouillet. Jio reporta son attention sur l’étagère devant laquelle il était arrivée. Pleine de paperasse, évidemment.

Alors il commença à sortir les liasses, une par une, et à les feuilleter. Coupures de journaux, actes de missions et… Plusieurs preuves des activités illégales que menait Nowise pour son confort personnel. De la filature au vol, du vol à l’assassinat. Jio sentait la sueur dévaler ses tempes, ses pommettes, ses joues, il sentait la panique l’envahir. Son maître, celui qui l’avait sauvé, celui qui s’était occupé de lui. Celui qui lui avait donné un travail et un toi. Le Duc Nowise était un illustre criminel, un criminel au masque de haut-membre de la société. Qu’il avait pu être bête de ne rien percevoir avant ! Lui qui avait pourtant un don pour savoir quand quelqu’un était une mauvaise personne… Peut-être que cette capacité s’était estompée au fil du temps, à force de côtoyer des mauvaises personnes à longueur de journée à la guilde. C’était simple : le Duc Nowise était un homme qui n’hésitait pas à supprimer ceux qui se mettait en travers de son chemin. Et plusieurs personnes dans son entourage avaient disparu mystérieusement. Sa femme, et ses deux fils. Ses deux fils… Alors Soö avait un frère ? Où était-il ? Mort ? Ou alors véritablement disparu… Soö semblait rechercher quelqu’un, depuis qu’il était revenu à la guilde. Est-ce que c’était ce frère disparu ? Que leur avait fait le Duc ? Qu’avait-il fait de sa famille ? Et la chambre où il dormait… Avait-elle appartenu à l’un d’eux ? Et lui… Avait-il fait l’objet d’une filature pour le compte du Duc avant d’être accepté ici ? Arrête. se dit-il : Tu te disperses. Oui. Il fallait garder la tête froide. Il fallait continuer, chercher autre chose. Il fallait qu’il sache. Il reprit ses recherches, ses fouilles, et feuilleta les dossiers inlassablement. Et ce pendant une heure. L’étagère avait été dévalisée. Auparavant bien garnie, il ne restait à présent que quelques liasses de feuilles. Le reste s’étalait, s’empilait autour de Jio comme des tours de guet de paperasse. Puis l’adolescent posa la main sur l’avant-dernier dossier, s’en saisit, le retourna, le cœur battant, pour en lire le titre.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

Il sursauta, lâcha le paquet de feuilles et se retourna dans un même mouvement. Le Duc Nowise le toisait, debout à l’entrée du bureau. Sa silhouette sèche lui barrait l’accès à l’unique porte de la pièce. Il ouvrit la bouche pour bredouiller une excuse presque inaudible mais le Duc le coupa.

- Soö a dû te raconter des choses sur moi et ta curiosité t’a poussé à aller fouiner dans mes affaires je présume ?

- …

- Et vu l’état de mes étagères et de mes tiroirs, tu as dû tomber sur des choses intéressantes.

            L’adolescent ne savait pas quoi répondre. À vrai dire, il n’osait bouger, ni même respirer. Il avait été pris la main dans le sac, il n’allait pas pouvoir échapper aux conséquences. Il se maudit de n’avoir pas été plus prudent. Et pourtant, c’était l’occasion rêvée. Le Duc venait de le découvrir, il était à présent au courant de ses suspicions. Alors pourquoi ne pas lui demander directement ? Et pour commencer…

- Êtes-vous pour quelque chose dans la disparition de vos enfants et de votre femme ? Où est le frère de Soö ?

Une ombre passa sur le visage de l’homme. Son regard se fit d’abord lointain, comme s’il était plongé dans un souvenir, puis il sembla revenir dans le présent et parla d’une voix cassante qui fit frissonner le jeune homme.

- Ce ne sont pas tes affaires.

- Pas mes affaires ? Vraiment ? Et la fillette que vous semblez chercher avec ardeur, n’allez pas me dire que ce ne sont pas mes affaires puisque je…

Il s’arrêta, jura intérieurement. Il avait fait une gaffe. Et le Duc ne l’avait pas manquée. Il l’observait à présent avec de l’intérêt plus que de la colère.

- « Puisque tu » quoi ? reprit le Duc.

- Puisque j’ai déjà entendu parler de cette fillette. Si c’est l’enfant de la lumière, alors ça concerne tout le monde à Sambremonde. Et pourquoi voulez-vous l’attraper ?

            Oui. C’était ça. Le dernier dossier qu’il avait eu le temps de lire concernait Nethan. Son nom était mentionné, le dossier indiquait qu’elle était l’enfant de la lumière. Jio n’avait pas su comment réagir. D’abord, il s’était trouvé idiot et naïf – et s’était d’ailleurs étonné du nombre de fois où il s’était senti idiot et naïf, ces dernières semaines –. Et dire que, pendant tout ce temps, il avait protégé l’enfant de la lumière, avait sympathisé avec elle, sans même savoir qui elle était. Et en pensant à ça, il s’était rendu compte que, même si elle avait l’apparence d’une enfant, elle devait être bien plus âgée. Elle avait certainement vu les débuts de Sambremonde.

- Ce n’est pas évident ? répondit le Duc Nowise, interrompant les pensées du garçon : Cette enfant est la perle rare qui peut retourner le monde à nouveau.

- Retourner le monde ?

- Jio, voyons. Tu sais bien que la face magique de Sambremonde, la nôtre, est du côté de l’ombre ! Tu as très certainement senti l’atmosphère pesante qui régnait sur Poralguar, la brume, la pluie, le marché de Lij qui a été annulé. Et peut-être même que tu as senti quelque chose chez Soö… Un élan de révolte, un danger. Il s’apprête sûrement à passer à l’action. Et ça, c’est parce qu’on est dans l’ombre. Mais cette fillette a le pouvoir de tout changer, elle est capable de retourner le monde à elle seule. Elle peut remettre la face magique dans la lumière. J’ai besoin d’elle, pour le bien de notre monde. Sambremonde a besoin de lumière.

« Qu’est-ce qui vous a pris de me raconter tout ça ? » fut la première phrase qui vint à l’esprit de Jio. Mais il se dit qu’il valait mieux ne pas éveiller les soupçons. S’il voulait récolter des informations, il devait rester subtil, se prendre au jeu. Le Duc Nowise lui tendait une perche, il n’avait plus qu’à la saisir. Et avec ça, il allait pouvoir avoir la preuve qu’il cherchait.

- Vous essayez donc de ramener l’enfant de la lumière ici ? Je ne pensais pas qu’il existait.

- Il existe. Et j’essaie depuis plusieurs mois de la ramener sur nôtre face. J’ai engagé un mage d’esprit pour m’aider à la contacter. Mais il s’y est pris trop brutalement et la fillette a cru à une attaque. Elle a appelé à l’aide et mon associé s’est fait rejeter de son esprit par une magie très puissante. Nous supposons que c’est l’œuvre d’un mage des ombres.

Jio avala difficilement sa salive. Alors le Duc était bien à l’origine de l’attaque. Mais il affirmait qu’il n’avait pas l’intention de blesser Nethan. Pourtant, Jio avait encore un doute, quelque chose n’allait pas. Le Duc savait comment son associé utilisait sa magie. Il valait mieux continuer d’avoir des doutes et le surveiller autant qu’il le pouvait. Nethan était en danger.

- Mais dis-moi, Jio. Tu ne me caches pas quelque chose au moins ? demanda le Duc avec un sourire faussement innocent.

- Non, je ne crois pas avoir de secrets. Mais si vous me le permettez, j’aimerais participer à votre projet. Pour ramener l’enfant de la lumière.

Le Duc parut d’abord hésitant, et Jio se dit qu’il n’aurait jamais dû faire une proposition aussi directe. Puis, après une poignée de secondes, il hocha la tête.

- C’est d’accord. J’ai confiance en toi, après tout. Il me semble que tu avais déjà rencontré mon associé, Samaër, la première fois qu’il est venu au manoir.

 

PASSE :

 

- Jio, je te présente Samaër, un mage d’esprit. Il va rester au manoir pendant quelque jours, le temps que je lui trouve un logement à Poralguar.

Le jeune homme lança un regard méfiant au nouvel arrivant. C’était un homme qui aurait pu paraître tout à fait banal si ses yeux n’avaient pas reflété une certaine sauvagerie. L’intuition de l’adolescent lui disait de ne pas trop s’approcher de cette personne. Alors il hocha la tête et commença à partir de la pièce. Mais le Duc Nowise le retint. Il se retourna.

- Jio, mon garçon. J’ai du travail alors occupe-toi d’installer Samaër.

- Oui.

Il avait mis un peu de temps à répondre mais, après tout, il n’avait pas réellement le choix : il était le valet de la maison Nowise alors il fallait se comporter comme tel. Il intima à l’hôte de le suivre et le guida à travers les couloirs du manoir. Il l’installa dans une chambre au deuxième étage, le plus loin possible de celle où il dormait.

- J’espère que cette chambre vous conviendra. Vous trouverez la salle de bain au fond à droite. Il suffit de claquer des doigts pour allumer la lumière. Pareil pour l’éteindre. Je vous laisse vous installer.

Alors qu’il s’éloignait dans le couloir, il entendit l’homme l’appeler.

- Eh, gamin ! Jio, c’est ça ?

Il serra les dents, revint sur ses pas, arborant une expression avenante pour ne pas nuir à son image.

- Puis-je faire quoi que ce soit pour vous aider ?

- Tu caches bien ton jeu.

- De quoi parlez-vous ?

Malgré ses efforts pour se contenir, le ton qu’il employa fut assez agressif. L’homme se rapprocha, collant presque son nez contre celui du jeune homme. Son haleine empestait l’alcool du Keruen et Jio fut pris d’un haut le cœur qu’il retint de justesse.

- Je parle de ce que tu caches au Duc. Tu peux peut-être l’embobiner mais pas moi : ça se voit dans tes yeux du démon que tu as déjà utilisé la magie.

Le jeune garçon frissonna. « Tes yeux du démon ». Une expression qu’il n’avait plus entendu depuis quelques années déjà. Les personnes comme lui, originaires du Psal, avaient les yeux particulièrement foncés. Mais avoir les yeux noirs était de mauvais augure et on disait que ces gens-là avaient les yeux du démon. Cet homme. Il avait découvert son secret. Et il avait osé l’insulter. Pourtant, Jio prit une inspiration, lui adressa un sourire calme.

- Excusez-moi, vraiment. Je crois bien que vous vous êtes trompé sur mon compte.

Et alors il quitta la pièce avant que l’invité n’ait pu ajouter quoi que ce soit. Tant que cet homme habiterait dans la maison, sa situation serait comparable à celle d’un funambule, luttant pour ne pas perdre l’équilibre sur son fil tendu. Toujours sur le point de tomber, et restant sur ses gardes pour ne pas faire le moindre faux pas. Cet homme n’était pas aimable, il était même dangereux.

 

PRESENT : LE DUC NOWISE

 

            Quand il fut de retour dans sa chambre, il éclata d’un rire satisfait. Jio s’était trahi. Ce petit jeu n’avait pas duré si longtemps, finalement. Le garçon s’était emporté et avait failli révéler quelque chose d’important. Vous n’allez pas me dire que ça ne me concerne pas puisque je… « Puisque je » quoi, bon sang ? Qu’allait-il dire à ce moment ? Ce qui était sûr, c’est que la suite qu’il avait inventé à sa phrase n’était qu’une déblatération maladroite pour cacher son erreur. Il s’était enlisé lui-même dans cette situation précaire à partir du moment où il lui avait demandé de participer au projet pour ramener l’enfant de la lumière. Mais c’était tant mieux pour le Duc. Erlein sourit. Oui. Tant mieux. De cette façon, il allait pouvoir garder Jio près de lui, le surveiller à sa guise. Voir s’il était, oui ou non, l’enfant des ombres et, peut-être éviter de se faire piéger s’il était revenu à Poralguar sur les ordres de Soö.

            Bien. Très bien, même. Jio avait installé lui-même le piège qui allait se refermer sur lui. Il n’y avait plus qu’à attendre, maintenant. Attendre qu’il se trahisse. Il allait falloir accélérer un peu les choses, en avoir le cœur net. Il demanda qu’on lui amène Samaër et, une heure plus tard, le mage d’esprit entrait dans le salon d’invités.

- Bonjour, monsieur le Duc. On m’a dit que vous vouliez me voir.

- Bonjour Samaër. En effet, oui. Notre suspect est ici. Il a demandé à travailler avec nous. C’est une occasion en or.

- Que comptez-vous faire ?

- Lui tendre un piège. Discuter, d’abord, de ses pouvoirs, puis l’envoyer en mission. Tu interviendras à ce moment. Prépare un piège mental, tu attaqueras Nethan à mon signal et, dès que l’enfant des ombres viendra la protéger, le piège se refermera, nous permettant de connaître son identité. Je compte sur toi pour préparer ça.

- Bien, vôtre grâce. Je m’assurerai que tout soit prêt.

 

PRESENT : JIO

 

- Imbécile ! s’exclama-t-il en claquant la porte de sa chambre.

Qu’il avait été bête de fouiller dans les affaires du Duc ! Quel idiot faisait-il de s’être trahi aussi facilement ! Il n’était plus sûr de connaître son ancien maître après ce qu’il avait découvert et ce que lui avait révélé Soö, mais il pouvait être certain d’une chose : son erreur ne serait pas passée inaperçue à l’oreille d’Erlein Nowise. Et s’il était assez perspicace pour découvrir que c’était lui qui avait contré l’attaque de Samaër ? Car c’était bien cet homme-là qui avait violé l’esprit de Nethan. Sa façon d’utiliser sa magie était reconnaissable entre mille. Il poussa un râle exaspéré.

- Je ne suis qu’un idiot fini. constata-t-il dans un rire sarcastique.

À cause de lui, Nethan pouvait être de nouveau en danger. C’était d’ailleurs pour ça qu’il avait rattrapé son erreur in-extremis en prétendant vouloir travailler aux côtés du Duc. De cette façon, il pourrait surveiller ses activités et prévoir les éventuelles attaques qui seraient menées contre Nethan pour pouvoir les arrêter. Mais que faire en attendant ? Garder un œil sur Nethan, bien sûr, mais il était impossible de la surveiller tout le temps, elle était trop éloignée de lui, il ne pouvait pas utiliser ses communications en continu, sa magie aurait eu tôt fait de s’épuiser. Non. Il fallait qu’elle revienne sur la face magique, qu’elle soit là. Oui, mais pas au manoir, pas à Poralguar. Pas aux côtés du Duc. Car, même s’il avait prétendu vouloir ramener l’enfant pour sauver leur face des ombres qui la menaçaient, Erlein Nowise cachait autre chose. Peut-être un dessein plus sombre… Quoi qu’il en soit, il allait faire du mal à Nethan. Il fallait la ramener sur la face magique tout en la maintenant éloignée du domaine Nowise. Il fallait trouver un moyen de…

- Je peux entrer ?

Il sursauta.

            Le Duc se tenait dans l’encadrement de la porte, l’observant intensément, comme pour déceler la moindre faiblesse, le moindre relâchement d’attention. Auparavant, cet homme était son sauveur. À présent, il lui faisait peur. Néanmoins, Jio garda son calme.

- Faites.

Le Duc s’avança dans la pièce et se saisit d’une chaise sur laquelle il s’assit. Pendant un moment, l’homme et l’adolescent s’observèrent, se sondèrent, comme pour découvrir les secrets de l’autre. Puis le Duc prit parole.

- Il est temps que nous ayons une discussion importante, Jio. Surtout si tu veux travailler pour mon compte.

Pas de réponse. Le jeune homme sentit les battements de son cœur s’accélérer.

- Tu m’as menti, n’est-ce pas ? Quand tu disais que tu ne me cachais rien.

Il détourna les yeux, avala difficilement sa salive. Où voulait en venir le Duc ?

- Dis-moi, Jio. Comptais-tu me dire que tu avais passé ta jeune enfance dans un foyer du Psal ? Que tu avais intégré la guilde des mercenaires après avoir été capturé lors d’une rafle ? Comptais-tu me dire que tu étais un mage ? Un mage puissant, qui plus est.

- Je n’ai jamais prétendu vous le cacher. J’estimais que ce n’était pas important, puisque vous ne m’aviez pas posé de questions.

Sa voix tremblait. Il se sentait nu, vulnérable. Démasqué. Le Duc avait percé son enfance à jour, avait découvert son pouvoir. Comment ? Il ne le savait pas. Certainement avec l’aide d’un de ses nombreux associés. Et maintenant ? Qu’allait-il faire ? Le punir ? L’éradiquer ? Après tout, le Duc Nowise avait en horreur la magie noire.

- Je ne vais pas te blâmer pour ça.

Il releva la tête, surpris.

- Non, je ne ferai pas d’autres commentaires car j’ai besoin d’un mage d’ombres, là, maintenant. J’ai besoin de toi, Jio. Mais ne t’avise plus de me mentir.

- Oui, bien sûr.

- Nous n’avons pas de temps à perdre. Tu tombes très bien, j’avais justement besoin d’un enfant ou d’un adolescent pour le rôle que je vais te confier.

Alors c’était tout ? Rien qu’une petite réprimande et puis un « Tu tombes très bien » ? Non. Ce n’était pas la façon de faire du Duc. Erlein Nowise n’était pas une personne indulgente. Son rôle… Alors il avait quelque chose derrière la tête. Quelque chose qu’il avait certainement préparé spécialement pour Jio. Et s’il te faisait réellement confiance ? S’il n’avait rien derrière la tête, tu y as pensé ? lui murmura une petite voix dans sa tête.  Y avait-il vraiment une raison pour laquelle Jio ne devait pas faire confiance à Erlein Nowise ? Avait-il fait quelque chose de mal ? Le Duc Nowise est perverti. C’est un partisan de la supériorité des mages blancs. Les paroles de Soö lui revenaient en tête, comme pour prouver que cet homme n’était pas quelqu’un de bien. Jio adressa un regard confus à son interlocuteur qui le fixait avec insistance. Il fallait répondre quelque chose, maintenant. Vite, avant que son silence ne devienne suspect.

- Quelle sera ma mission ? demanda le jeune homme.

Oui. Accepter la mission et aviser pour la suite.

Le Duc eut un sourire satisfait.

- J’ai besoin d’un adolescent au visage et aux paroles rassurantes pour que l’enfant lumière lui accorde sa confiance. De cette manière, tu pourras lui faire baisser sa garde le temps que Samaër insinue en elle l’idée de changer de monde. Tu porteras le « coup de grâce ». C’est toi qui seras chargé de la convaincre de revenir sur la face magique. Tu seras un pilier pour la réalisation du projet.

Un pilier, hein ? Et pourquoi lui donner un rôle aussi important ? Et s’il les trahissait ? Oui, c’était certainement ce qu’il allait faire. Il n’accepterait pas que cet homme, Samaër, s’introduise dans l’esprit de Nethan pour y déposer une idée qui ne venait pas d’elle. Si jamais la fillette était encore attaquée, il serait là pour la protéger. Il le lui avait promis. Mais quelque chose n’allait pas.

- Monsieur. Vous comptez me faire rencontrer l’enfant lumière ?

- Evidemment ! Comment tu pourrais t’attirer sa confiance, sinon ?

- Vous possédez donc un moyen de… me faire changer de monde ?

- J’ai plusieurs retourneurs pour alliés. L’un d’eux peut transporter la magie d’une face à l’autre, c’est ce moyen qu’utilisera Samaër pour remplir sa tâche. Celui qui s’occupera de toi peut transporter n’importe qui sur l’autre face, à l’exception de lui-même.

Des retourneurs. Décidément, le Duc était puissant. Il connaissait beaucoup de monde et il n’était pas impossible que Jio ait été surveillé par le Duc lorsqu’il travaillait comme valet au domaine.

- Je m’assurerai que tu remplisses ta mission pendant que tu seras sur la face sciento-magique. En attendant, tiens-toi prêt. Tu partiras très prochainement.

Le Duc se leva sur ces mots et sortit de la chambre. Le silence s’installa. Un oiseau poussa un cri étranglé au loin. Jio se laissa tomber sur le lit à baldaquin. Avait-il de la chance ou est-ce que tout allait trop vite ? Être prêt pour dans quelques jours… Il sentit son cœur cogner contre sa poitrine, déglutit. Il allait sauver Nethan. Était-ce son imagination ? Il avait l’impression qu’un poids avait quitté ses épaules en même temps qu’il avait fui la guilde. Il se sentait inquiet, mais malgré tout excité. Et peu importe les combines du Duc ou de Soö, ça ne changerait rien pour l’instant.

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