Maintenant, je sais que les rêves que je fais sont liés à Orinn et Azarielle. Le laboratoire aux expériences éprouvantes, la mort de Ezra, la solitude… Je les ressens comme si c'était mes sentiments, mes problèmes, ma vie.
“C'est le cas”, souffle Karan. “Puisque tu es la réincarnation de Orinn, tu as accès à tous ses souvenirs. Aussi bien les bons que les mauvais.”
Je reste silencieuse. Pour l’instant, il n’y a aucun bon souvenir dans mes rêves ; seulement de la douleur. Et de la solitude.
Lentement, je quitte mon lit, même si je voulais en profiter un peu plus.
“Tu as un rendez-vous avec la Reine, ne l’oublie pas.”
– Je sais. Pas la peine de me le rappeler, je grogne.
Je pose les pieds sur le sol de pierre froid et me dirige vers le bassin d’eau. Après tous les événements d’hier, j’ai bien mérité de me reposer un peu. Je retire mes vêtements et les pose sur le côté. Puis je pénètre dans l’eau, qui est tiède. Je glisse et plonge jusqu’aux épaules. L’eau nettoie ma peau sale et relaxe mon corps tendu.
C'est au moment de sortir de mon bain et de me rhabiller que je remarque que la plume blanche de Vanille a disparu. Elle est sûrement tombée lorsque j’ai plongé, ou alors durant mon combat… Je ne pense pas pouvoir la retrouver. Je pousse un soupir triste, et fini de me rhabiller.
Même si j'ai perdu ma plume, le souvenir de Vanille restera avec moi.
“Allez, je pense que la Reine nous attend. Il vaut mieux arriver à l’heure” me dit Karan.
J’hoche la tête et, n’ayant pas d’affaires à récupérer, je quitte la chambre sans regarder derrière moi. Dans le couloir, Rafael m’attend.
– Désolée de t’avoir fait attendre, lui dis-je.
Il semble éviter mon regard et il garde les yeux baissés vers le sol. Notre guide arrive et nous fait signe de le suivre. Je me mets en marche, Rafael sur mes talons.
Nous arrivons devant la salle du trône pour une énième fois. Le guide se tourne vers moi et me murmure quelques mots.
– Bonne chance pour ta mission, fille aux cheveux d’argent.
Je me tourne ensuite vers la cascade, dos à Rafael, qui reste silencieux.
– Approche, Nausicaa. Le moment est enfin venu pour toi de connaître la tâche que je vais te confier. Traversez la cascade, toi et ton ami.
Je jette un coup d’œil à Rafael, qui croise enfin mon regard, même si ce n’est que pendant quelques secondes. Je n’y vois que du doute.
Je m’avance vers la cascade qui nous sépare de la Reine. Je la traverse sans hésiter. Trempée, glacée jusqu’aux os, je m’incline devant la Reine. À côté de moi, Rafael atterrit sur ses genoux, déstabilisé par le froid de l’eau. Le visage bandé de la Reine se tourne vers lui. Je sais qu’elle peut sentir son aura, de la même manière qu'elle peut sentir la mienne, celle de Karan, et celle d’Orinn.
– Alors c'était ça, l’aura que j’avais remarqué…, souffle-t-elle.
Rafael se relève et fixe la Reine, interdit. Ses pupilles s’illuminent de doré. Il observe l’aura de la Reine, et à en voir son visage terrifié, elle est impressionnante.
– Écoutez bien, commence la Reine. La mission que je vais vous confier à tous les deux est très importante. Dites-moi, Nausicaa et Rafael, connaissez-vous les Illusionnistes ?
À côté de moi, Rafael hoche la tête, puis confirme à voix haute.
– Oui, j’en ai déjà entendu parler. C'est un clan formé d'humains et de créatures surnaturelles vivant en paix ensemble. Mais je n'en sais pas plus. Beaucoup disent que ce clan n’est qu’une légende…
– Tu te trompes lourdement. Ce clan existe bel et bien.
Elle se tourne vers moi dans un mouvement gracieux.
– Et toi, Nausicaa, tu y es fortement liée.
– Moi ? je répète. Je ne connais rien des Illusionnistes… Je n’ai pas quitté Selka depuis que je suis née.
– Mais tu n’es pas née à Selka, jeune fille. Tu le sais, n’est-ce pas ?
– Ça a un rapport avec ma mère biologique, n'est-ce pas…?
– Exact. C’est pour cela que je te confie cette mission à toi, et non pas à quelqu’un d’autre.
– Et quel rapport ma mère a-t-elle avec tout ça ? je demande.
Je n’ai jamais vraiment eu de parents ni de famille à Selka. Toute la famille d’Anton, qui m’avait adoptée, est morte quand j'étais toute petite. Je ne me souviens même pas de leurs visages, et encore moins de ceux de mes parents biologiques.
La Reine esquisse un sourire.
– Lucrèce, ta mère, fait partie des fondateurs du clan des Illusionnistes.
– Mais il a été fondé en 1215, intervient Rafael.
– Tu en connais autant à leur propos ? Intéressant, souffle la Reine. Tu en connais plus que tu ne laisses penser…
Rafael, mal à l'aise, baisse les yeux. Je ne fais pas vraiment attention à lui ; tout mon esprit est concentré sur les paroles de la Reine.
– Comment… Si ma mère a fondé les Illusionnistes en 1215, elle aurait plus de deux cent ans ?
– Elle en a trois cent soixante quatre. Elle est née en 1042, à l'époque de la première impératrice, Tinsarell.
– Comment est-ce possible ? Elle n'est pas humaine, peut-être…?
Je sais que ce n'est pas possible, sinon, je ne le serais pas non plus. Enfin, après tout ce qui m'est arrivé récemment, plus rien ne m'étonne.
– Ta mère a fondé les Illusionnistes dans le but de réunir humains et créatures surnaturelles. Personne ne connaît leur emplacement.
Je devine peu à peu que la Reine veut me confier.
– Tu devras retrouver le clan, pour les aider dans leur combat contre l’impératrice Soraya, explique-t-elle fermement.
J’échange un regard avec Rafael. Je sens qu’il veut protester, mais je tente de lui faire comprendre, avec mon regard, de ne pas essayer.
– Pourrais-je vous poser une question ?
– Je t’écoute…
– Comment vais-je faire, avec ma malédiction ? Elle s'étend un peu plus chaque jour.
– Ne t’en fais pas pour ça. Tes deux quêtes sont liées, et elles se rejoindront en temps voulu. Il suffit de patienter.
Je me retiens de rétorquer que je ne peux pas vraiment attendre avec cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête.
– Très bien. Je vais donc partir ?
Je serre dans ma paume le seul objet qu'il me reste depuis que j'ai quitté Selka : la médaille de Vesper.
– Azur connaît les Illusionnistes. Si tu la rencontres, elle pourra te mener à eux. Vous êtes liées par le destin, comme l'étaient Orinn et Azarielle avant vous.
Entendre le nom de celle dont je suis censée être la réincarnation me fait un effet étrange.
Voyant que je ne dis plus rien, la Reine conclut.
– J’ai préparé tout ce dont tu auras besoin pour ta quête. Je suppose que nous ne nous reverrons pas. Au revoir, Nausicaa.
– Au revoir.
Je m’incline, puis jette un coup d'œil à Rafael. Il hoche la tête et nous quittons la pièce.