Je me redresse en sursaut et cherche notre guide des yeux. Il me faut quelques secondes pour remarquer le ciel bleu au-dessus de ma tête et le sol couvert de feuilles oranges. Je suis entourée d’arbres.
Je me relève, chancelante, et une migraine me prend aussitôt. Je regarde autour de moi, tentant de déterminer où je suis. Je lève le visage vers le ciel et, soulagée, je m’imprègne de la lueur du jour, que j’avais peur de ne pas revoir. Lorsque je baisse la tête, je remarque un mouvement non loin de moi. C’est Rafael qui vient de s’asseoir.
Je m'approche de lui et l’aide à se relever. Il regarde autour de lui, puis se tourne vers moi.
– Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demande-t-il.
– Je n'en sais pas plus que toi…, je réponds.
– C’est le guide qui nous a assommés ?
– Je crois bien que oui.
Je me tourne vers l'arbre le plus proche de nous, aux feuilles orangées.
– Nous sommes déjà en automne, fait remarquer Rafael.
J’hoche la tête, sans vraiment écouter ce qu’il dit. Je fixe du regard les affaires qui sont posées contre le tronc de l'arbre. Ce sont sans doute celles que la Reine a préparées pour nous.
– Elle a une drôle de manière de traîter ses invités…, je murmure.
– Tu penses que c’est elle qui nous a emmené ici ?
– Pas elle, mais sûrement un de ses serviteurs, oui…
– Peu importe la façon dont nous sommes sortis. Au moins, on est dehors. On peut continuer à avancer vers Stellë, dit mon ami, qui commence déjà à faire l’inventaire des objets.
J’acquiesce, préoccupée par un sentiment étrange. Rafael me tend un sac à dos et une dague similaire à celle que je possédais avant. Puis je m’écrie soudainement.
– Liberté ! Il faut qu’on la retrouve !
– Ne t’inquiètes pas. Je lui avais dit qu'en cas de séparation, on se retrouverait à Stellë.
– Mais, et s’il lui est arrivé quelque chose ? Et si elle ne peut pas nous rejoindre ?
– Que veux-tu qu’on y fasse ? On ne sait pas où elle est ! réplique Rafael. On va la retrouver, t'en fais pas. Et puis, tu devrais aussi penser à ta malédiction !
Je ne réponds pas.
Nous nous mettons en marche. Les feuilles mortes craquent sous mes pieds, et la délicieuse odeur de la forêt me remplit les narines. Je suis soulagée d'être sortie de ces cavernes marines, et de pouvoir respirer de l’air frais à nouveau.
Nous avançons à un assez bon rythme. D’après Rafael, nous serons bientôt sortis de la forêt, et ensuite, il ne nous restera qu’un ou deux jours de marche jusqu'à Stellë.
Une goutte tombe. Puis deux. Puis trois, puis une averse commence. Nous nous abritons du mieux que nous pouvons, sous un arbre. Le jeune homme sort la carte de Tinsarell que nous avons trouvée dans nos affaires.
– Le seul endroit où nous pouvons être est la forêt de Navara. C’est la plus près du village de Neir.
Je jette un coup d’œil à la carte.
– Donc on doit aller vers l’est.
– Oui. Il y a une boussole dans ton sac, je crois.
Je fais glisser le sac de mes épaules et le pose par terre, à un endroit où la terre n’est pas trop mouillée. Je fouille un peu dedans. Il contient des vêtements de rechange, quelques provisions, et même une bourse bien remplie. Je sors la boussole et la passe à Rafael. Puis je referme le sac, et ramène mes genoux contre ma poitrine. Je lève les yeux vers le ciel, pensive. Les nuages ont pris la couleur de mes yeux.
“Nausicaa, dis-moi… Que vas-tu faire une fois que tu auras dissipé ta malédiction ?”
Je ne sais pas. Je voulais rester avec Vanille, m’enfuir loin de Selka, mais maintenant, tout a changé. Je ne sais plus quoi faire. Pour le moment, je vais chercher ma mère…
“Et après ?”
Tu essayes de me poser une colle, Karan ? Je n'en ai aucune idée. Et toi, que vas-tu faire quand tu auras quitté mon corps ?
“Tu sais très bien ce qu’il va m’arriver.”
Oui… Je sais.
La pluie s’est arrêtée. Nous nous remettons en chemin, et nous marchons pendant presque une heure. Mon ventre gronde violemment, donc Rafael me propose de faire une pause.
Le chat Karan réapparaît à mes côtés. Elle grimpe sur mon épaule et se met à fixer un espace entre deux troncs. Je suis son regard, et remarque une silhouette à demi dissimulée derrière les arbres.
– Rafael, il y a quelqu’un là-bas qui nous observe, je souffle.
– Oui, j'ai remarqué. Fais comme si tu ne l’avais pas vu.
J’hoche la tête, mais Karan se met à feuler.
– Qu’est-ce qu'il y a ?
“Cet homme dégage la même aura que Shadow…”
Je me tais et observe la silhouette entre les arbres. Rafael sort la nourriture de son sac et commence à manger. Je meurs de faim, mais le fait d'être observée ainsi par cet homme m'empêche d'avaler quoi que ce soit.
Nous décidons de repartir. L'homme n'a pas bougé, mais il nous observe toujours.
Soudain, des sortes de barreaux se forment autour de Rafael et moi, et se resserrent pour nous enfermer. L'homme se rapproche de nous. C'est lui qui a lancé ce sort, c'est certain. Il porte une longue cape noire qui masque son visage.
– Qui êtes-vous ? s’exclame Rafael, ses mains agrippées aux barreaux de notre cage.
– Tu n’as pas besoin de le savoir.
Sa voix ressemble au sifflement d'un serpent. Il se tourne vers moi et ignore Rafael, qui s'apprêtait à dire quelque chose.
– Nausicaa, la fille de Lucrèce… L’héritière du clan des Illusionnistes… La réincarnation de Orinn.
Comment sait-il tout ça ?
– Je sais plus de choses sur toi que tu n'en sauras jamais, répond-il, comme s'il avait lu dans mes pensées.
– Que voulez-vous ?
– Deux choses. Une réponse, tout d’abord.
– Je vous écoute.
– Anton est bien ton frère adoptif ? Il va bien ?
– Il est mort, je lance, agacée. Vous ne risquez pas de le revoir.
L'homme à la cape noire reste silencieux un moment, puis rit légèrement
– Et votre deuxième chose ?
– Je voulais vous prévenir. Vous étiez accompagnés d’une troisième personne, n'est-ce pas ?
– Liberté…
– C’est son nom ? Intéressant.
Il esquisse un sourire.
– Elle est détenue dans les cellules du palais de l'impératrice.
Je reste interdite. Je sens le regard inquiet de Rafael, tourné vers moi, mais je ne bouge pas.
– Bref, c'est tout ce que je voulais dire, conclut l’homme. On se reverra bientôt.
Il tourne les talons, et disparaît entre les arbres. Les barreaux qui nous retenaient se dissipent, mais je reste plantée là.
Sa voix me rappelle celle de Anton. Elle y ressemble. Ce n'est pas que mon frère adoptif me manque, loin de là, mais cela a fait remonter de vieux souvenirs en moi.
“Tu réfléchiras à ça plus tard.”
Je me tourne vers Rafael.
– Il faut que nous allions chercher Liberté.
– Quoi ? Mais… On ne peut pas changer de destination sur un coup de tête !
– Tu ne veux pas aider Liberté ? je rétorque.
Rafael hésite.
– Et ta malédiction ?
– Liberté est plus importante. Je vais me débrouiller. J’y vais. Je ne vais pas la laisser seule.
Je lance un regard de défi à Rafael.
– Tu es folle.
Il saisit son sac.
– Je viens avec toi on est amis, je ne vais pas te laisser comme ça.
J’adresse un sourire à Rafael, puis nous nous mettons en route vers la Citadelle.
J'essaie de ne pas trop penser à tout ce que j'ai appris ces derniers jours. Je suis la réincarnation de Orinn, il y a une ombre dans mon corps nommée Karan, et leurs deux voix résonnent dans mon esprit, me soufflant des choses. Il y a de quoi devenir folle, mais je tiens le coup. espère que je ne mourrai pas avant d'avoir accompli mon but
Je veux savoir qui je suis réellement, tout au fond de moi-même.