La pièce n’était pas très grande, et un désordre monstrueux régnait. Les bibliothèques qui couvraient les murs étaient presque toutes vidées de leurs livres, étalés de ci de là dans la pièce. Une armoire à document trônait juste à côté du bureau, entrouverte et débordant de papiers, ces mêmes papiers qui jonchaient le bureau dans le chaos le plus total. En un seul regard, Amélia devinait la frustration et l’entêtement de l’enquêteur qui s’acharnait à chercher le tueur envers et contre tout. Et, dans un sens, ça la rassura. Les victimes n’étaient pas oubliées, et il y avait bien quelqu’un qui persistait à vouloir leur rendre justice.
Si seulement il pouvait l’arrêter aussi facilement… soupira Amélia en son for intérieur.
Jagger commençait à regarder les documents éparpillés sur le bureau quand Amélia entendit des bruits de pas approcher. Une sueur froide lui coula dans le dos. Paniquée, elle attrapa Jagger et fondit sur un vieux placard à sa droite. À l’intérieur, seuls quelques chiffons trainaient, accompagnés par quelques araignées tranquillement installées sur leurs toiles. En les voyant, Amélia grimaça. Quel était le pire : se retrouver nez à nez avec un policier en sachant qu’elle n’avait rien à faire là ou sentir les toiles de soie lui frôler la nuque ? Très honnêtement, elle n’aurait su le dire…
Quand la porte du bureau s’ouvrit enfin, Amélia et Jagger cessèrent de respirer. À travers l’entrebâillement, le duo vit O’Brien entrer, l’ondin de tout à l’heure sur ses talons.
– Je croyais que le commissariat serait plus calme la nuit, bougonna Jagger derrière elle. Comment se fait-il qu’il y ait tant de monde ?
– Je suis aussi perplexe que toi, avoua Amélia tout bas sans quitter les officiers des yeux.
L’adolescente ne l’avait que fortuitement aperçut à la mort d’Emily, mais à y regarder de plus près, Dylan O’Brien semblait épuisé. De lourdes cernes pendaient à ses yeux, attestant des nombreuses nuits blanches qu’il avait dû passer sur ce dossier. Son teint était cireux et des ombres semblaient danser dans ses yeux verts. Il avait l’air à deux doigts de s’effondrer…
– Qu’est-ce que tu fais encore là Waters ? soupira l’inspecteur en se laissant tomber sur son siège. Tu devrais déjà être rentré.
– J’allais le faire, mais j’ai croisé Yuri et j’ai pensé que ce dossier pourrait t’intéresser, annonça l’ondin en lui tendant une pochette. J’ai cru comprendre que tu l’attendais depuis un moment.
– Le rapport d’autopsie de la dernière victime ? demanda l’elfe soudain plus vif. Il était temps…
Dans le placard, Amélia et Jagger se jetèrent un regard, leurs pensées se rejoignant. Emily.
O’Brien parcourut le dossier en silence. En arrivant à la fin de la dernière page, ses sourcils se froncèrent.
– Aucun traumatisme, lut-il pour lui-même. Présence d’une seule entaille à l’abdomen ayant perforé le poumon gauche et touché une artère… Cause de la mort, asséna-t-il finalement dans le silence de la pièce : hémorragie externe.
Il garda le silence un moment avant de relever les yeux sur l’officier.
– C’est tout ? Lart n’a rien trouvé d’autre ?
Il semblait presque désespéré.
– Rien, répondit sombrement Waters. Si ce n’est que l’entaille ne l’a pas tué tout de suite. Selon lui, elle aurait mis plusieurs minutes à se vider de son sang.
Dans le placard, Amélia peinait à respirer et ses yeux débordèrent de larmes. À côté d’elle, Jagger n’en menait pas large. Comme elle il s’était raidit à ce sinistre énoncé, mâchoires et poings serrés. La jeune fille lui jeta un regard. Il était livide. Ne sachant trop quoi faire d’autre, elle lui prit la main et la serra. Dans ce geste, elle semblait dire « tu n’es pas seul, je suis là ». Et dans le silence qui suivit, Jagger sembla se détendre un peu.
Ensemble, ils continuèrent d’observer la scène de l’autre côté. Jagger avait envie de hurler. O’Brien, de son côté, avait l’air au bord de la crise de nerf. Il se passa les mains sur le visage, excédé. Il semblait avoir pris dix ans d’un coup.
– Bon sang… grommela-t-il en s’accoudant à son bureau.
Waters le regarda longuement avant de soupirer.
– Tu comptes encore rester tard ce soir ? demanda-t-il après un silence.
– Il y a des chances, soupira O’Brien en feuilletant distraitement le dossier.
L’officier se dandina d’un pied sur l’autre un moment. Il semblait vouloir dire quelque chose sans oser le faire. Finalement, au bout d’une longue minute de silence, il finit par se lancer.
– Tu sais, on est plusieurs à trouver injuste de te laisser galérer comme ça.
– Waters… soupira O’Brien d’un ton las.
– On pourrait t’aider, insista-t-il. Officieusement. Ce tueur doit être arrêté.
– C’est gentil de votre part à tous, mais il est inutile de risquer vos carrières ainsi. Ce n’est pas en vous faisant mettre à pied ou même virer que l’affaire avancera plus vite. Je préfère de loin vous savoir prêts à intervenir le moment venu.
Après un nouveau silence, l’officier finit par se détourner. Mais avant de partir, il lança tout de même :
– Ce n’est pas non plus en te surmenant que le tueur se fera appréhender plus vite.
O’Brien eut un sourire contrit et l’ondin se retira.
L’inspecteur soupira, feuilletant d’un œil mal attentif son dossier avant de se lever. Waters avait raison, il le savait. Mais ça le rendait malade de perdre autant de temps à remplir tous ces documents. Il aurait presque préféré courir les rues pour chasser le tueur lui-même…
Mais, alors qu’il s’apprêtait à partir, Jagger s’appuya malencontreusement sur la porte du placard qui hurla sur ses gonds. Tout le monde se figea.
O’Brien, qui avait rejoint la porte de son bureau, revint en arrière, arme au poing.
– Qui que vous soyez, je vous préviens je suis armé. Alors sortez de là les mains en l’air, ordonna l’elfe.
Dans le placard, Jagger se liquéfia. Son regard passait nerveusement de l’inspecteur à la jeune fille devant lui. Amélia serra les dents. Pas le choix, se dit-elle en se tournant vers son compagnon.
– Surtout, dit-elle le plus bas possible, ne bouge pas d’ici.
Et sans lui laisser le temps de répondre, elle émergea du placard, laissant Jagger caché dans l’ombre. En la voyant lever les mains, l’inspecteur parut confus et baissa son arme. Sans la ranger totalement, nota-t-elle tout de même.
– Princesse ? Que faites-vous ici ?
– Je cherche, répondit-elle simplement.
Elle indiqua les monceaux de papiers sur le bureau de l’elfe.
– Un peu comme vous.
Les traits de l’inspecteur se durcirent aussitôt et il entreprit de ranger son bureau, dissimulant à la vue de la sorcière les photos des scènes de crimes qu’il étudiait plus tôt.
– Vous ne devriez pas être ici.
– Qui fait pression sur vous ? éluda Amélia.
– Cela ne vous regarde pas.
– Je suis fille de roi, la vie des habitants de mon pays me regarde, surtout si elle est en danger.
– Rentrez chez vous et laissez-moi faire mon travail, grommela-t-il avec humeur – il semblait presque la supplier.
– Hors de question.
C’était la première fois qu’Amélia rencontrait un elfe aussi bougon. En temps normal, ces êtres étaient d’une patience quasi sainte. Le surmenage ne lui réussissait définitivement pas.
Il soupira, abattu.
– Écoutez…
– Non, vous écoutez-moi, lança-t-elle avec autorité.
Il parut surpris et la regarda bien en face, curieux, apparemment, de voir ce qu’elle allait bien pouvoir lui dire.
– L’inaction de la police met bien plus que les fées en danger. Que savent les gens qui vous musèlent du tueur ou de ses prochaines cibles ? Qui nous dit qu’il ne finira pas par se lasser un jour d’attaquer des fées ? Vous savez que ce genre de tueur cherche la reconnaissance, quand se lassera-t-il de ces rumeurs chuchotées à son encontre ? Nous ne savons même pas de quel peuple il vient ou ses motivations.
O’Brien avait repris cette expression concentrée qu’il arborait au travail, cette même expression qu’Amélia lui avait trouvé à leur rencontre. Il l’avait écouté attentivement, presque impressionné par sa réflexion. Bien sûr, il avait déjà pensé à tout ça, mais voir une jeune fille aussi privilégiée en arriver aux mêmes conclusions… L’elfe songea que peut-être Osha avait encore un espoir de s’en sortir.
– Tout porte à croire qu’il s’agirait d’un humain, lança l’inspecteur avec sérieux.
– Très bien, concéda-t-elle avec désinvolture – elle sentait la colère lui monter. Mais dans ce cas, quel est le mobile ? Pourquoi tuer des fées ? Pourquoi comme ça ? Pourquoi maintenant ? Les humains ont rapporté de nombreuses inventions de leur île natale, ne pensez-vous pas qu’avec leurs pratiques ils n’auraient pas trouvé de manière plus ingénieuse de tuer leurs cibles ? Comme avec ces drôles de mécaniques qu’ils appellent armes à feu et que vous portez vous-même à la ceinture ? On les dit puissantes et précises, beaucoup d’humains savent les manier. Alors pourquoi un couteau ?
O’Brien l’observa longuement avant de croiser les bras.
– Vous semblez bien informée sur la psychologie des tueurs en série, fit-il remarquer avec circonspection. Sans doute quelques enseignements de vos tantes.
Amélia serra les lèvres.
– Mais vous oubliez un détail, poursuivit-il plus sérieusement – sa voix était froide et ses yeux brûlaient de toute la colère et la frustration qu’il ressentait à cause de cette affaire. Certes, il y a de nombreuses façons de tuer qui auraient été bien plus efficaces, mais il peut très bien s’agir de meurtre rituel. Peut-être qu’inconsciemment, le tueur assassine encore et encore une fée qui lui aurait porté préjudice ? Peut-être est-ce par pur sadisme, la jouissance de voir la vie s’éteindre dans les yeux de sa victime ? Ou peut-être même est-ce personnel ? Beaucoup de meurtre par arme blanche le sont. Ou est-il simplement complètement cinglé ! explosa-t-il finalement. Je n’en sais rien !
Il y eut un silence. Amélia regardait l’elfe avec effarement alors qu’il reprenait son souffle. Il semblait avoir complètement perdu pied. Après un moment, il soupira.
– Tout ce que je sais, conclut-il plus calmement, c’est qu’il a choisi de s’en prendre à des fées de cette manière-là et pas d’une autre.
– Laissez-moi vous aider, plaida-t-elle en désespoir de cause.
Il secoua la tête
– S’il vous plait, je sais que je peux être utile !
– Vous ne comprenez pas. Vous impliquer ainsi n’arrangera rien. Votre tante a déjà essayé de faire pression sur les hautes instances, mais mes supérieurs ont bien plus peur de la cruauté des Lerouge que de la colère des Moonfall. Si vous persistez à vous impliquer, ce ne sera pas un tueur qu’il me faudra arrêter, mais une véritable guerre civile !
On l’aurait giflé que ça n’aurait pas été plus violent, ni douloureux… ni humiliant.
– Que croyez-vous que les gens penseront si j’acceptais si facilement l’assistance d’une civile, peu importe son rang ? continua-t-il avec véhémence. N’importe qui pourrait se présenter à nos portes pour demander à jouer les consultants dans des enquêtes qu’ils choisiraient à l’avance. Certains dégénérés pourraient même s’amuser à se créer eux-mêmes des jeux de pistes macabres qu’ils demanderaient de suivre à nos côtés ! Sans compter que votre lien avec la dernière victime ne ferait qu’envenimer les choses. Certains pourraient penser à une vendetta personnelle. La princesse sorcière choisi le coupable ! s’exclama-t-il en imitant un vendeur de journaux annonçant les gros titres.
Amélia serra les dents, le visage en feu. Tous deux se fixèrent un moment, sans bouger.
Il avait raison, bien sûr, et c’était ce qui la frustrait le plus. À cet instant, elle maudissait son nom autant que son rang.
– Dans ce cas, dit-elle lentement, vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je continue d’enquêter par moi-même.
Il se décomposa.
– Je ne suis pas tenue aux restrictions qui sont les vôtres.
– Vous faire justice vous-même n’apaisera pas votre peine, lança-t-il plus doucement.
– Je ne compte pas me venger.
O’Brien l’observa longuement, visiblement peu convaincu. Elle haussa des épaules et parcourut la pièce du regard.
– Le tuer ne m’apportera rien, poursuivit-elle calmement. Je veux qu’il paye pour ce qu’il a fait. Je veux le voir hurler de terreur au moment de l’emmener en prison. Je veux qu’il se rende compte de toute la peine et la douleur qu’il a engendrées. Si je le tuais, rien de tout cela ne se passerait et ce serait lui rendre un trop grand service.
L’inspecteur eut un pâle sourire.
– La mort plus douce que la vie… marmonna-t-il comme pour lui-même.
Un silence. L’elfe semblait plongé dans ses pensées.
– Mais… quand bien même vous ne chercheriez pas à vous venger, cela reste trop dangereux, je ne peux pas vous permettre de faire ça.
Dans le placard, Jagger retint son souffle. Allait-il la dénoncer ? Contacter ses parents ? La peur le pétrifia. Pourtant, Amélia ne bougea pas. Elle semblait sereine, il ne comprenait pas.
– Je ne vous demandais pas la permission. D’ailleurs…
Elle s’approcha de l’inspecteur. Celui-ci se raidit, soudain inquiet. Devant lui, les yeux de l’adolescente avaient commencé à briller d’or.
– Qu’est-ce que vous faites ?
– Je suis désolée, mais je ne peux pas vous laisser gâcher mes plans.
Elle tendit les mains vers l’elfe qui ne cessait de reculer jusqu’à se retrouver acculé contre le mur. Il tremblait, terrifié par le regard plein de magie qu’Amélia braquait sur lui.
Au moment où les doigts trouvèrent ses tempes, l’inspecteur retint un gémissement. La douleur était cuisante, c’était comme si on lui perforait le crâne, lui labourait le cerveau. Amélia plongeait toujours plus profondément dans son esprit, éclat d’or dans la tête. Elle devait se concentrer. Le moindre faux pas de sa part pourrait abîmer jusqu’à l’âme d’O’Brien. Elle devait faire attention, maîtriser son essence.
Parvenue face à ce qu’elle cherchait, les souvenirs de ces dernières minutes, la sorcière commença à les effacer. Et comme on souffle la poussière sur les vieux meubles, les images, les mots et les sensations de l’inspecteur ces derniers instants s’évanouirent, aussi fugaces qu’un rêve.
Là, plongé dans sa mémoire, gorgée de son essence qu’elle avait l’impression de mieux maîtriser, Amélia se sentait puissante. Mais en plongeant plus profondément dans sa propre essence, la jeune fille sentit soudain comme un blocage qui la fit tressaillir. Pendant une affreuse seconde, elle manqua de perdre le contrôle, évitant, in extremis, la destruction pure et simple de la conscience d’O’Brien.
Amélia avait déjà senti cette impression subtile, comme un mur dressé à même son essence et qui l’empêchait d’y avoir complètement accès. C’était une sensation étrange et désagréable qui la hantait depuis la première fois qu’elle s’était servie de sa magie. Mais, pour l’heure, elle n’en fit pas cas. Tenant toujours entre ses mains la mémoire de l’inspecteur, la sorcière repoussa loin ses préoccupations pour se concentrer.
Elle remonta jusqu’au départ de l’officier Waters, retrouva cette sensation d’abattement et de frustration qu’elle avait décelé en lui devant ce fouillis de paperasse sans fin. Puis elle broda une image, des souvenirs plus vrais que nature. Elle lui fit voir une histoire, lui fit croire qu’il avait fini par se lever pour ranger son bureau avant de regarder une dernière fois son dossier. La fatigue avait alors commencé à se faire sentir et il s’était simplement laissé porter dans un monde sans rêve.
C’était là que la tâche d’Amélia se terminait. Lentement, elle s’éloigna de l’esprit de l’inspecteur et le laissa se reposer en paix.
Quand elle rouvrit les yeux, elle s’écarta d’un pas et regarda O’Brien glisser lentement jusqu’au sol, évanoui. Amélia essuya la fine pellicule de sueur qui perlait à son front. Modifier la mémoire de quelqu’un, même en partie infime, était une pratique toujours aussi ardue qu’elle n’utilisait heureusement pas souvent.
En regardant ses mains, elle songea qu’elle avait bien fait de ne jamais en avoir parlé à son précepteur. Jamais sa mère ne lui aurait permis de se servir d’un tel pouvoir, surtout quand elle-même serait bien incapable de la contrer. Azura Moonfall brillait dans beaucoup de domaines, mais la télépathie, comme la tolérance, n’était pas son fort.
Derrière elle, Jagger sortit enfin de sa cachette.
– Tu étais obligée de faire ça ? demanda-t-il, mal à l’aise.
– Il aurait parlé à mes parents si je ne l’avais pas fait, dit-elle sombrement, le souffle court. Et je ne peux pas me le permettre.
Un silence.
Jagger la regarda un moment. Elle semblait triste, presque abattue. Il s’apprêtait à lever une main réconfortante pour la poser sur son épaule quand Amélia se tourna subitement vers lui.
– Aide-moi à l’asseoir dans son fauteuil. On ne doit laisser aucune trace.
Avec quelques difficultés, ils parvinrent à l’installer à son bureau et commencèrent à ranger. Jagger en profita pour feuilleter le fameux rapport d’autopsie que Waters venait d’apporter. Alors qu’Amélia s’apprêtait à repartir, nerveuse, il la retint.
– Attend, il y a quelque chose de bizarre.
La jeune fille se retourna alors que Jagger étalait sur la table les dossiers de l’affaire.
– Regarde.
– Je ne vois rien de bizarre, grimaça Amélia en zieutant les photos des scènes de crime.
– Pas les photos, les rapports d’autopsie.
Amélia se pencha, curieuse et fronça les sourcils.
– Mais… ce n’est pas normal, si ? Le légiste a dû se tromper…
– Impossible, répondit Jagger d’un ton catégorique. J’ai entendu parler de Lart Yuri, il fait partie des meilleurs médecins légistes de sa génération.
Amélia récupéra les rapports et les observa avec plus d’attention. Ce Lart était très minutieux dans ses conclusions, notant absolument tous. Toutes les victimes avaient perdu beaucoup de sang, mais selon les premières constatations, il ne manquerait pas moins d’un litre de sang sur chaque corps.
Excepté celui d’Emily.
– Pourquoi n’a-t-il pas volé le sang d’Emily aussi ? questionna Amélia tout haut.
– Peut-être n’en a-t-il pas eu le temps ? hasarda Jagger en haussant des épaules. Peut-être que quelqu’un l’a surpris ?
– Non… quand je suis arrivée il n’y avait personne, pas un bruit. Et Emily était toujours vivante.
Amélia regarda tristement la photo d’Emily qui illustrait le dossier.
– L’officier a dit qu’elle a mis plusieurs minutes à se vider de son sang, que l’entaille n’était pas aussi profonde que les autres…
Jagger s’arrêta de fouiller pour la regarder. La jeune fille ne quittait pas la photo des yeux. Elle semblait à deux doigts de pleurer.
– Tu crois que c’était intentionnel ? demanda-t-elle finalement en relevant des yeux humides vers lui. Tu crois que le tueur voulait qu’on la trouve, qu’on la voit mourir ?
Sa voix tremblait. Jagger serra les lèvres, reposant le rapport qu’il observait.
– En tout cas, ça m’étonnerait que ce soit du remord… dit-il sinistrement en regardant les photos des scènes de crimes.
Amélia reporta un regard sur les photos. Jagger soupira.
– Nous devrions partir.
Elle opina et rangea le dossier en silence.
Avant de passer la porte, elle usa de sa magie pour tout remettre à sa place comme dans le souvenir qu’elle avait fabriqué.
– Qu’est-ce que tu fais ? questionna Jagger à la porte.
– Je m’assure qu’il ne reste aucune trace de notre passage.
Une fois satisfaite de son travaille, Amélia prit la main de Jagger et entreprit de rouvrir le passage de Porte-à-porte. Après une grande inspiration, ils traversèrent.
De l’autre côté, ils se retrouvèrent quelque part dans le Quartier des Fées. Le ventre un peu noué, Jagger regarda autour de lui, cherchant à se repérer. Il fallut un moment pour reconnaître la ruelle dans laquelle qu’ils avaient atterrit à quelques mètres à peine de la rue des Merveilles. Il se tourna vers Amélia.
– Alors ? demanda-t-il, incertain. Le plan A n’a pas vraiment été concluant.
– Je suis d’accord, soupira-t-elle en se frottant les yeux.
Il y eut un long silence, puis Jagger reprit la parole. Derrière elle la porte s’était refermée toute seule.
– Dans ce cas, il nous faut appliquer le plan B.
Elle opina sombrement.
– Combien de temps nous faudra-t-il pour tout organiser ?
Jagger réfléchit un instant avant de reposer ses yeux turquoise sur elle.
– Laisse-moi jusqu’à demain soir et tout devrait être prêt.
– Si vite ? fit-elle sincèrement étonnée.
Il eut un sourire mutin.
– Tu n’es pas la seule à avoir plus d’un tour dans ton sac.
Amélia aurait bien aimé en rire, mais la fatigue qu’elle ressentait alors ne lui permit d’afficher qu’un pâle sourire.
– Retrouve-moi demain à vingt-trois heures trente à l’entrée de la rue des Merveilles, indiqua-t-il en s’éloignant.
Amélia hocha la tête.
– Rentre bien.
– À demain, sourit-il tristement.
Amélia le regarda s’en aller avant de se retourner. Elle rouvrit un passage et s’y enfonça pour retrouver le salon secret de Marigold. Sur les tableaux, seul la grand-mère Magdalena était présente.
– Alors ? demanda-t-elle nerveusement.
– Il nous manque encore beaucoup de pièces du puzzle, se contenta de conclure Amélia en se laissant tomber sur un fauteuil, épuisée.
Son aïeule eut un sourire triste.
– Tu trouveras la solution, lui assura-t-elle en s’éloignant, j’en suis certaine.
Dans le silence qui suivit, Amélia sentit la fatigue l’écraser.
– Je l’espère…