Chapitre 24 : La fin du voyage

La route avait été longue, infiniment longue, mais elle se trouvait maintenant face à la porte du village des roses. Une légère appréhension lui dévorait l’estomac. Qu’allait-elle y retrouver à l’intérieur ?

Peu-importe, il fallait qu’elle franchisse l’entrée et elle le découvrirait par elle-même. Son cœur battait à tout rompre, à tel point qu’elle eût l’impression qu’il allait exploser. Elle avança d’un pas, recula de deux, s’assit puis se releva, tourna sur elle-même, se rassit.

Elle se releva une dernière fois et choisit enfin d’affronter ce village et ce qu’elle allait y trouver, elle n’avait pas bravé autant d’obstacles pour abandonner si près du but. L’immense arbre rose qui faisait office de porte d’entrée du village se dévoila à elle.

-Chère Visiteuse, quel plaisir vous amène à notre magnifique village ? Demanda un garde, haut perché sur le tronc de l’arbre.

-Je viens rendre visite à Kathleen et Amos.

-Le village des roses vous souhaite la bienvenue, répondit le garde, de la même voix mielleuse qu’à la première visite d’Aeryl.

Il lança l’échelle en corde et la jeune fille grimpa jusqu’à la plate-forme. L’odeur des fleurs qui lui emplissait les narines la révulsait et l’époustouflante vue qui s’exposait à elle lui donnait un sentiment de malaise. Autour d’elle les mêmes champs de fleurs à perte de vue. Au milieu de ses champs la grande place, d’où jaillissait la splendide fontaine. Sur la place, des hommes et des femmes de tout âge s’attelaient à dresser des tables ou à cuisiner, le tout dans leur bonne humeur habituelle.

Aeryl plissa les paupières, mit sa main sur son front pour éviter les reflets du soleil et chercha des yeux Amos et son amie Kathleen. Elle n’eut pas de mal à trouver Amos, il dansait sur une table en riant de plein cœur, et plaçait des fleurs de toutes les couleurs dans de hauts vases allongés. Cependant, aucune trace de son amie, ni même d’Amaryllis, la cheffe du village.

-Kathleen, cria-t-elle en mettant ses mains autour de sa bouche pour amplifier sa voix.

Elle parcourut à toute vitesse les allées en appelant son amie. Les villageois la saluaient avec un sourire niais lorsqu’elle passait devant eux. À bout de souffle à cause de la distance qu’elle avait parcourue en courant, elle déboula sur la place et attira l’attention d’Amos. Ce dernier reniflait une fleur quand la jeune fille l’apostropha.

-Amos, où est Kathleen ?

Il lui délivra un grand sourire dévoilant ses dents jaunies par le tartre, puis lui tendit une fleur orangée qu’elle repoussa vivement.

-Elle est avec Amaryllis.

-Amaryllis ? S’étrangla Aeryl. Que font-elles ensemble ?

Du vieux bonhomme grincheux qu’elle avait connu, ne subsistait plus qu’un regard vide. On dirait que son cerveau avait été grillé par les odeurs enivrantes des fleurs qu’il respirait à longueur de journée. Le peu de cheveux qu’il lui restait, la dernière fois qu’elle l’avait vu, l’avaient à présent abandonné. Son crâne, luisant sous la lumière éclatante de la journée, laissait transparaître les tâches de vieillesse qui parsemaient le haut de sa tête.

-Eh bien, comme d’habitude, je suppose. Elles doivent vagabonder dans les champs. Elles sont vraiment de très bonnes amies, et passent leurs journées côte à côte. Je me rappelle une fois, alors que je ramassais…

-Amos ! Le coupa Aeryl, hors d’elle. Tu devais veiller sur elle et non pas succomber aux illusions de ce village. Tu m’avais pourtant assuré que tu ne te laisserais pas berner si facilement.

Sa colère masquait sa panique. Elle se rappela ce que Jori lui avait dit : « L’éphémère soigne les blessures physiques. Cependant, elle n’est d’aucune utilité pour les blessures mentales. Je n’en suis pas sûr, mais il se peut que ton remède soit inefficace face à l’addiction de ce village et de ses plantes ». Aeryl avait écarté cette possibilité, afin de ne pas se laisser distraire pas des suppositions non vérifiées. Mais l’avertissement de Jori lui revenait à toute vitesse, comme un coup-de-poing en plein ventre.

-Amos, souffla-t-elle, désemparée.

Le regard perdu dans le vide, le vieillard semblait rechercher dans sa mémoire de petits fragments de son ancienne vie, celle avant le village des roses.

-Amos, répéta la jeune fille. Pense à Sana, ta femme.

-Sana ?

Amos faisait de gros efforts pour se rappeler. Soudain, il poussa un cri. Il prit sa tête dans ses mains.

-C’est horrible. Elle est morte par ma faute. Je ne pourrais pas vivre sans elle.

Son chagrin était décuplé, elle ne l’avait jamais vu dans un tel état. Ses doigts tremblaient, et ses yeux, affolés, cherchaient un point de repère. Aeryl en plein désarroi devant la réaction excessive du vieil homme lui prit la main pour essayer de le soulager.

-Je sais que c’est dur, mais vous avez bravé cette douleur une fois déjà, vous pouvez le refaire.

-Elle vient de me quitter et je ne me sens déjà plus la force de vivre.

-Mais non, ne dites pas de bêtises. Cela fait maintenant cinquante ans qu’elle n’est plus.

-Je la tenais dans mes bras il y a quelques minutes, agonisante. Je suis un monstre, je l’ai privé de son soleil et elle s’est fanée.

Effrayée, Aeryl comprit ce qui tourmentait Amos. Il revivait son passé et la mort de sa femme. Prisonnier de ses souvenirs, il ne trouvait pas d’autre échappatoire que la drogue euphorisante des fleurs, qu’il reniflait en permanence pour échapper à ses tourments.

Ne restait plus qu’une unique solution, un remède fabriqué à partir de l’éphémère. Quelques gouttes suffiraient. Aeryl sortit le flacon, prit un verre, le remplit d’eau et y versa quelques gouttes de la solution liquide fait à partir de l’éphémère. Elle tendit ensuite le verre à Amos, qui le but d’une traite.

-Ça va mieux ? S’enquit-elle.

Un grand sourire éclaira son visage, et la jeune fille cru un instant que la potion avait fait son effet.

-Je n’ai plus aucune douleur dans le dos, s’écria-t-il.

Puis il s’assombrit de nouveau.

-Sana…

Un nuage obscur voilà les pupilles d’Aeryl. Elle l’avait très bien compris. Le remède n’avait pas fonctionné.

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