Manon m’évite. Je me doute que je n’aurais jamais dû l’embrasser à cette soirée, mais je ne peux pas regretter mon geste. C’est impossible de regretter ça. Cette déflagration. Mettant une nouvelle fois mon monde à l’envers. C’était si parfait que je me demande si je n’ai pas rêvé. Un seul moyen de le savoir : recommencer.
Rien qu’hier, elle est partie comme une voleuse après l’entraînement et le match contre l’équipe féminine et faisant tout son possible pour ne pas poser les yeux sur moi. Tout mon corps est attiré par elle. Et j’ai encore du mal à me concentrer. Dès que je la vois ou que je ferme les yeux, je revois ses lèvres, les frissons de son corps. Je crois que je suis foutu. Je n’aurais jamais dû toucher à cette drogue.
Je suis devant sa porte et j’hésite à entrer. J’ai toujours été à l’aise dans cette maison. Mais là alors que j’inspecte l’extérieur simple et épuré, je me tâte à faire demi-tour. Techniquement, elle ne m’a pas dit que je la mettais mal à l’aise. Dans le cas contraire, je partirais. Elle se contente de ne pas répondre à mes appels et de limiter les messages. Sans parler, des invitations à se voir qui sont systématiquement évitées. Autant forcer le destin alors. La sonnerie retentit tandis que je bous de l’intérieur.
Le coach m’ouvre en tenant une bière à la main.
- Owen… S’agit-il d’une visite du capitaine de mon équipe ou du meilleur ami de ma fille ? grogne-t-il à moitié en me voyant dans l'embrasure de la porte.
- Deuxième option, je lui réponds ne sachant pas si c’est la bonne réponse.
Il me fixe tout en prenant une gorgée de sa bière.
- Tant mieux, la casquette du coach n’était pas disponible ce soir.
Il me fait un signe de la main m’indiquant que je suis le bienvenu. Tandis que je rentre, j’enlève mes chaussures dans l’entrée. Une habitude que je tiens de ma mère et qui reste ancrée en moi dès que je visite une maison. Sans attendre et fermer la porte derrière lui, le coach se dirige vers le salon.
- Manon, Owen est là, tu as de la chance cela annule notre future partie de Mario Kart, je suis certain que j’allais gagner la prochaine et que tu allais devoir faire la vaisselle.
- Je ne me sens pas très bien, je devrais remonter. Tu peux lui dire de revenir un autre jour ?
Elle se lève rapidement et croise mon regard. Un mélange d’émotions passe dans ses yeux. Surprise. Gêne. Peur. Elle recule et cherche des yeux une sortie ou une idée pour la sortir de cette situation. Le coach doit sentir le changement dans l’atmosphère puisqu’iil se met entre nous deux et nous interroge du regard. Il place sa main devant moi, comme pour protéger sa fille du moindre danger.
- Vous vous êtes disputés ? Il ne s’adresse pas à moi mais à sa fille qui refuse de me regarder dans les yeux.
Son silence est éloquent. Elle ne dit pas oui. Mais la non-réponse suffit à attiser la colère de son père. Je suis fusillé du regard par le coach et il commence doucement à s’avancer vers moi. Je sais qu’il va me demander de partir. Personne ne touche à sa fille. Avant de devoir partir, je tente ma dernière carte :
- Non, coach. Je voulais juste lui parler de ce qui s’est passé pendant la dernière soirée pour fêter notre victoire. Elle vous à raconté ? C’est une histoire passionnante.
Manon me regarde avec horreur, m’intimant de ne pas continuer mon histoire. Je ne devrais pas rire de cette situation, mais je ne peux pas empêcher un rictus de se former au coin de ma bouche.Pourtant, je vois dans son regard, qu’elle ne me croit pas capable de faire ça. Ma langue se délie.
- Lorsque je suis rentré dans le bar, j’ai vu qu’elle était en charmante compagnie et avait une conversation très animée avec…
Prise de panique, elle passe devant son père, me prend par le bras tout en me guidant jusqu’à l’escalier et hurle en s’éloignant :
- Apolline, j’ai réussi à la convaincre de venir ! Je te raconterais après mais on doit avant en parler avec Owen.
Une fois que nous avons dépassé la porte de sa chambre, elle me pousse avec violence et me lance un regard noir lorsque je ne bouge pas d’un centimètre.
- Espèce de petit enfoiré dit-elle sans abaisser sa voix.
- Ton vocabulaire hurle le coach d’en bas.
- Putain, il a une oreille bionique dit-elle en chuchotant.
Sa colère ne faiblit pas. Elle se rapproche de moi et me frappe le torse avec son index. Manon est à bout de patience et à force d’appuyer au même endroit, elle commence à me faire mal, à chaque fois qu’il me touche, il reste tout autant chargé d’émotion.
- Tu allais vraiment me balancer à mon père ?
- Tu ne me laissais pas le choix, Man-Man, tu m’évites depuis des jours. Il conserve le même ton que moi, chuchotant sa réponse.
La culpabilité m’assaille lorsque je m’imagine à sa place. On ne dit pourtant pas : “ne fait pas aux autres ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse” ?
- Je suis désolée, j’avais besoin de temps pour réfléchir.
- Réfléchir à quoi ?
Je me doute de sa réponse mais je ne lui faciliterai pas le travail. Je devrais une nouvelle fois laisser tomber, mais je ne peux pas laisser notre relation se dégrader sans rien faire. Ce serait de la lâcheté, de l’abandon et jamais l’amertume de me quitterait. Si Manon m’ignore et m’évite, elle doit m’expliquer pourquoi.
Elle souffle en se reculant. Il n’y a plus une once de haine dans son regard, seulement un voile de tristesse qui couvre son regard.
- Owen… Je n’ai pas envie d’en parler, dit-elle en allant s’asseoir sur son lit et en posant les mains sur son front.
Je m'assois à ces côtés et lui donne une petite tape sur l’épaule pour lui indiquer de se redresser. Son regard se pose sur moi et je lis tout le désespoir qu’elle ressent. Je me déteste de la forcer à ressentir ça. Je ne devrais pas forcer. Elle n’est pas prête. Au moment où je pense qu’elle ne dira plus rien, elle lève les yeux au ciel et serre son dessus de lit dans sa paume.
- Est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi tu as fait ça ? dit-elle avec toute la timidité qu’elle possède.
- Ca ?
- Le bai…Elle ferme les yeux tandis que sa voix se baisse sur la dernière syllabe.
- Ce n’est pas un gros mot, Man-Man, le baiser. Je t’ai embrassé.
Elle se relève en s’appuyant sur son lit, marche vers la porte et se retourne en haussant le ton.
- Je sais, j’étais là. Maintenant, est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi tu as fais ça ?
Sans s’arrêter de marcher, elle fait des aller-retour entre la porte et la fenêtre, me frôlant à chaque fois les genoux. Les frottements se répercutent dans mon dos, ponctuant ses phrases.
- Et je sais que c’est naze de t’éviter mais je ne savais pas comment gérer. Et je voulais faire le point avec moi même pour comprendre pourquoi. Le problème étant que je n’y arrive pas, est-ce que c’était un pari avec les gars de l’équipe ou c’était vraiment pour m’aider. Ca ne m’étonnerait pas que ce soit le premier mais je me dis qu’on est quand même ami, tu ne me ferais jamais ça. Mais après tu ne voulais peut-être pas être méchant, tu ne pourrais jamais être malsain. Ce serait donc une erreur d’avoir accepté ce pari. Et l’erreur est humaine donc je suis censée pouvoir te pardonner. Mais ce n’est pas aussi facile que ça…
- Wo, wo, wo; wo, attend trente secondes.
- La deuxième option est aussi probable et je me tue à voir le verre à moitié plein et non à moitié vide.
A force de faire autant d’aller-retour sur son tapis, elle va finir par faire un trou dedans. Pendant tout son monologue, elle ne me jette pas un regard, se concentrant sur ses pas. Et le frottement n’arrête pas. Ma patiente atteint sa limite après l’écoute de tous ses scénarios catastrophes.
- Est-ce que tu peux m’écouter et juste te taire quelques secondes ?
- Me taire ? J’angoisse, c’est impossible de me taire. Tu sais que j’ai imaginé des centaines de scénarios pour comprendre la raison de ce baiser. Pourquoi le faire si on ne t’a pas obligé ?
La vitesse de ses pas ne fait qu’augmenter, jusqu’à qu’elle se pose devant son bureau et commence à ranger tous les papiers et les trier de manière incontrôlable. Tout passe sous son regard, les dossiers ouverts, les papiers déchirés en deux et jetés. Son anxiété traverse tous ses pores et je vois son dos se crisper à chaque inspiration. Je me lève et me dirige vers elle. Bien trop concentré sur sa mission, elle n’entend pas que je me suis rapproché. Encore une fois, tout m’attire chez elle. Et j’ai plus que du mal à me contrôler. Je vais faire une nouvelle connerie. Mon cerveau ne réfléchit plus. Je ne suis branché que sur une seule fréquence : celle de Manon. Je l’enserre par derrière et prends son poignet pour l’obliger à lâcher ce qu’elle tient. Elle se fixe, bloquant sa respiration. Puis, revient la chair de poule. Il me faut toute ma volonté pour m’empêcher de la retourner, de l’asseoir sur son bureau et l’embrasser de nouveau.
- Première chose : pour avoir des réponses à tes questions, il faut poser ces mêmes questions. C’est un principe assez complexe qui s’appelle la communication., ce qui permet d’éviter les quiproquo et surtout de se prendre la tête sur des sujets.
- Je… Elle bouge et tente de se retourner.
- Attends, ne bouge pas s’il-te-plaît, laisse-moi terminer avant.
Sans un mot, elle acquiesce en bougeant la tête, m'incitant à continuer.
- Deuxième chose : je ne ferais jamais de pari sur toi ou pour embrasser quelqu’un. Je ne jouerais jamais avec toi ou tes sentiments et je t’avoue que je n’apprécie pas ce que tu as insinué dans tes scénarios catastrophes, tu peux me faire confiance.
Je sens ma voix se tendre, elle devient plus sèche que ce qui était prévu. Je fais une pause ne voulant pas que mes propos dépassent mes pensées. Par automatisme, je cale mon menton sur le haut de sa tête. Une erreur fatale pour moi. Son odeur sucrée me frappe encore une fois. Putain de pomme.
- Et dernière chose : je t’ai embrassé parce que je voulais t’aider…
Sa respiration accélère, je le sens à ses mouvements contre mon torse. Je me penche tandis qu’elle repose sa tête sur mon épaule droite, me donnant pleinement accès à sa gorge. Des frissons encore. Je veux juste sentir encore une fois ses lèvres, vérifier qu’elles sont aussi douces que dans mon souvenir. Mes lèvres se rapprochent de son oreille où je lui souffle la vérité :
- Mais surtout parce que j’en avais envie.
Merde, je dois me calmer et l’éloigner avant qu’elle ne rencontre une partie de mon anatomie qui ne cesse de durcir. Je me racle la gorge, tout en m'efforçant de penser à des grand-mères ou des images peu ragoutantes. Contre ma volonté mais contraint par notre proximité, je me sépare d’elle.
- La prochaine fois au lieu de fuir, demande moi juste, je te dirai toujours la vérité même si elle ne te plaît pas.
La lâcher est une autre erreur monumentale. Je n’arrête pas de les enchaîner en ce moment. Maintenant, je peux voir son visage et surtout la rougeur sur ses joues et l’essoufflement que lui provoquent mes déclarations.Pour une fois, elle ne fuit pas. Elle encaisse mes propos. Je n’ai jamais eu autant de mal à me contrôler. Je n’ai qu’à faire un pas et je pourrais l’embrasser. A ce niveau, cela devient obsessionnel. Et ses yeux… Putain… Ils ne font que fixer mes lèvres, puis mes yeux.
- Owen, ta mère a besoin que tu ailles la chercher dit le coach tout en restant à l'étage du dessous.
Je me recule, luttant contre cette attraction avec toutes mes forces.
- Je dois y aller.
Lorsque je passe la porte, je ne peux m’empêcher d’ajouter :
- La prochaine fois, évite de me regarder comme ça. Je pourrais facilement céder une nouvelle fois à mon envie.