Tout le groupe supportait mal la présence de la princesse. L’atmosphère était explosive, et ils n’avançaient pas. Ce qu’elle ne se privait pas de faire remarquer, ne faisant que plomber davantage l’ambiance. Ironie du sort compte tenu des avertissements qu’il leur avait adressé, Lo’hic était celui qui se contenait le plus mal, et de loin. C’est d’ailleurs à cause de lui qu’ils se retrouvaient à partir en voyage. Tout avait commencé par une énième remarque de la part de Nali’ah.
“Je ne vois pas pourquoi nous passons autant de temps enfermés dans ces archives poussiéreuses, avait-elle lâché en reniflant d’un air dédaigneux.
-Rien ne vous empêche d’aller prendre l’air, princesse.”
Lo’hic avait répliqué d’un ton sec. Dans sa bouche, le titre de la princesse ne contenait pas une once de respect. Le sage ne supportait pas qu’elle puisse critiquer ce qu’ils faisaient, alors que l’aide qu’elle avait apportée était…plus que médiocre.
“Je dis simplement que nous devrions faire autre chose. Il n’y a pas d’autres moyens de faire des recherches ?
-Les seules informations sur les Radvenhengs se trouvent ici.
-Si on peut appeler ça des informations ! Des bribes de mots, tout au plus… Vous ne prenez aucune initiative.”
À ces mots, Lo’hic s’était vivement redressé, les joues rouges.
“Eh bien figurez-vous que si ! Nous avons décidé d’aller…”
Il s’était mis à bafouiller, hésitant.
“Aller ? s’impatientait Nali’ah.
-Nous allons aller…euh… nous rendre…
-C’est bien ce que je disais. Vous ne prenez aucune initiative.
-Si ! s’était exclamé le sage. Nous allons nous rendre dans le gouffre de l’enfer, afin de consulter la bibliothèque de feu.”
Un grand silence avait accueilli sa déclaration. Seuls Ka’ni et Nali’ah semblaient savoir de quoi il parlait.
“Vous êtes fou”, avait lâché la Néréein en tournant les talons.
Et c’est ainsi que le groupe s’était retrouvé à cheval, en direction du gouffre de l’enfer. Taïe avait appris qu’il s’agissait de l’endroit où vivaient les Korafiès, ce peuple des flammes, au nord de la Forêt de la Vie. Leur capitale, Far’hey, était située…dans un volcan. Non pas un volcan éteint, comme Taïe l’avait tout d’abord cru, mais un volcan en activité. Tout le gouffre de l’enfer était un gigantesque canyon parcouru de rivières de laves, et où la température dépassait largement le seuil supportable pour un humain. Lorsqu’elle s’était interrogée sur la bibliothèque de feu, Lo’hic s’était contenté de sourire d’un air entendu en lui disant qu’elle verrait bien.
Il chevauchait en tête de file, bien droit sur sa selle. Il leur avait avoué avoir eu cette idée afin de contrarier Nali’ah, mais avait ajouté que finalement, ce voyage pouvait se révéler intéressant.
“La bibliothèque des Korafiès est très complète”, avait-il affirmé.
Derrière lui, Nali’ah se débattait avec sa monture. Elle n’avait jamais monté, et le palefrenier lui avait donné un cheval capricieux. Tous avaient été surpris lorsqu’elle avait annoncé qu’elle les accompagnait. Le climat du gouffre de l’enfer et ses abords étaient, de toute évidence, très peu adaptés au peuple Néréein. Elle avait cependant insisté, en disant qu’elle cheminerait avec eux le plus loin possible, avant d’attendre leur retour. Handicapante jusqu’au bout, elle avait retardé le départ de plusieurs jours en insistant pour envoyer chercher une de ses affaires restée à Vagua’hey. Son pauvre garde avait dû se dépêcher de faire l’aller-retour pour lui apporter l’artefact tant attendu. Personne ne savait de quoi il s’agissait : il était enveloppé dans un tissu de soie bleue, et accroché sur la selle de la princesse. Plus haut de Taïe, il était très fin. Tous avaient donc décidé, en l’absence de Nali’ah bien sûr, de l’appeler “le bâton”. Son garde, qui avait l’air de s’ennuyer ferme, chevauchait à ses côtés.
Derrière la princesse venait Ka’ni. Il avait insisté pour se joindre au groupe, contre l’avis de sa famille, qui repartait dans son village. Il avait déclaré qu’il ne se voyait pas revenir à sa petite vie ennuyeuse, et préférait largement les aider. Il était, après Lo’hic peut-être, le plus enthousiaste du groupe. Après tout, il avait toujours rêvé de voyager au-delà de la Forêt de la Vie.
Taïe et Elyie fermaient la marche, paisibles. La guerrière se délectait de l’action que ce voyage allait apporter, et la soigneuse avait hâte de découvrir la bibliothèque de feu.
Ils atteignirent la lisière au nord-ouest de la Forêt à l’aube du deuxième jour. Taïe avait retrouvé Fine Fleur, qui avançait toujours aussi vaillamment en la portant. Elle était fascinée par ces animaux puissants : elle n’en avait jamais vu de tels dans la Forêt Oubliée. Les plus grandes bêtes étaient les ours, et il fallait mieux ne pas les approcher de trop près.
Plus ils avançaient dans la plaine, plus l’herbe se ternissait, et plus le terrain devenait rocailleux. Des monticules de roches, formant de véritables collines, s’étalaient à l’horizon. Derrière eux, la silhouette pourtant titanesque des Colossaux n’était plus visible. Un fin brouillard s’était levé et les empêchait de voir plus de trois chevaux devant eux mais, pour autant, et c’était très étrange, le soleil continuait de briller dans le ciel. Les chevaux avançaient prudemment, posant leurs sabots sur les cailloux instables, ce qui rendait la progression plus lente.
Taïe avait les yeux dans le vague, ne pensant à rien en particulier, quand elle vit une ombre bouger à la périphérie de son champ de vision. Elle se retourna d’un coup, le cœur battant.
“Vous avez vu ça ? chuchota-t-elle.
-Quoi donc ? dit Elyie sur le même ton.
-Quelque chose a bougé, dans le brouillard.”
Elle se retourna sur sa selle, jetant un coup d’œil derrière elle, mais la brume était trop dense pour y voir quelque chose. Inquiète, elle fit accélérer sa monture pour prévenir Lo’hic, et mit tout le monde au courant en passant. Le sage lui conseilla de se tenir sur ses gardes, et le groupe se reforma en un ensemble plus compact. Ils avançaient en silence, tendant l’oreille, l’œil grand ouvert. Lo’hic et Nali’ah chevauchaient côte à côte, suivis de Ka’ni et Ban’eh, le garde Néréein, et enfin Taïe et Elyie fermaient le carré ainsi formé. Alors que seul le pas des chevaux troublait le silence, un cri strident s’éleva dans la plaine. Il se rapprochait d’eux, aigu et éraillé. La silhouette sombre qui le poussait passa en sautant devant les deux jeunes filles, désarçonnant Ka’ni. En une seconde, il avait disparu, et il ne restait plus que son cheval paniqué. Tout le monde avait vu la scène. Les yeux écarquillés, Taïe vit Lo’hic leur faire signe de se taire.
Le cri s’était éloigné de plus en plus, avant de se rapprocher de nouveau. Tous mirent pied à terre, accroupis derrière leurs chevaux. Le hurlement s’était tu, mais on entendait les pas de la créature sur les cailloux. Elle se rapprochait lentement, humant l’air. Le cœur de Taïe battait si fort qu’elle devait l’entendre. Elle avait l’impression que même sa respiration, rendue haletante par la peur, aurait suffi à la trahir. Quand la créature s’approcha du cheval de Ka’ni, elle vit enfin sa silhouette se découper plus nettement.
Elle était humanoïde, avec de longs bras et des longues jambes, mais se tenait à quatre pattes. Son dos bossu était exagérément replié vers le haut, et sa petite tête lui rentrait dans les épaules. Entièrement noire, sa peau était couverte de lambeaux de chair grise. Elle contournait le cheval apeuré, sa langue grisâtre goûtant avidement l’air. Une rangée de crocs abîmés et luisants de salive dépassaient de sa bouche. Aucune trace de Ka’ni. Un bruit du côté de Nali’ah lui fit brusquement tourner la tête. Elle s’élança, galopant sur ses membres tordus. La princesse s’était redressée et lui faisait face, un étrange objet serré entre ses longs doigts bleus. C’est le bâton ? En effet, elle avait déballé son mystérieux paquet, et le tenait brandi en direction de la bête. C’était une magnifique lance à deux pointes, faite de nacre et d’un métal argenté qui luisait dans la brume. Plus haute que Taïe, elle semblait infiniment fragile et délicate. La princesse et le monstre se fixèrent un instant, immobiles, puis il s’élança sur elle en poussant un horrible cri. Nali’ah la repoussa habilement, et la lutte commença. La bête se jetait sur elle encore et encore, enragée, et se faisait continuellement repousser par la Néréein. À chaque impact de la lance sur le corps décharné, une zone d’une dizaine de centimètres de diamètre se gelait. Partout où la lance avait frappé, la créature était criblée d’impacts gelés. Le combat était violent : plusieurs fois, elle parvint à entailler la peau de Nali’ah de ses longues griffes sales. Un coup plus puissant que les autres de la part de la princesse l’envoya rouler près de Taïe, qui dégaina aussitôt son plus long poignard pour lui planter en pleine gorge. Les griffes de la chose s’agrippaient désespérément à ses vêtements tandis qu’elle agonisait, et que Taïe maintenait le couteau dans la plaie. Un sang noir et visqueux s’en échappait à gros bouillons, et dégoulinait sur ses mains. Une fois sûre que la créature était morte, elle se releva et regarda ses bras, dégoûtée.
“Pourquoi c’est toujours moi qui finis couverte de sang ?” maugréa-t-elle.
Elyie eut un petit rire, mais Lo’hic, lui, ne sourit pas.
“Il faut trouver où elle a emmené Ka’ni.”
Ils se remirent aussitôt à cheval et prirent la direction que la bête avait suivie, en tenant celui du Soboemns par la bride. Ils criaient son nom dans le brouillard, mais seul le vent leur répondait. Alors qu’ils progressaient à pas lents, ils entendirent un bruit de pierres que l’on bouge. Ils regardèrent sur le flanc d’une colline qui ressemblait presque à une petite montagne, et virent une cascade de cailloux dégringoler tout du long. Méfiants, ils mirent aussitôt pied à terre, de peur qu’une autre créature ne surgisse, mais le membre qui parvint à s’extraire du pierrier était une main bien humaine. Couverte de poussière grise et d’éraflures, elle tentait désespérément de dégager le reste de son corps. À son poignet, un petit bracelet de branche pendait misérablement.
“Ka’ni !” s’écria Taïe en reconnaissant le bijou.
Elle se précipita vers lui et commença à dégager les pierres qui le recouvraient, sans parvenir à trouver le corps de son ami.
“Venez m’aider ! cria-t-elle à ses camarades restés près des chevaux.
-Taïe… dit Lo’hic, ne bouges surtout pas.
-Que…”
En lui parlant, Lo’hic ne la regardait pas, mais fixait le haut de la colline. Elle y jeta un coup d’œil et ne comprit pas tout de suite, jusqu’à ce qu’un mouvement de ses jambes ne provoque la chute de plusieurs gros blocs de pierre. Au-dessus d’elle, c’était un véritable amoncellement de roches qui tenait en équilibre précaire. Elle était bloquée dans un pierrier. À présent, elle n’osait faire le moindre mouvement, de peur de déclencher un glissement de terrain, et la main de Ka’ni bougeait de plus en plus lentement. Elle tenta de dégager sa tête, bougeant les pierres avec précaution dans l’espoir de voir son visage apparaître entre les blocs gris mais à chaque mouvement, les tremblements ébranlaient l’équilibre précaire du pierrier. Au moment où elle vit enfin un visage apparaître, la pente entière se mit à glisser et elle se retrouva entraînée quelques mètres plus bas, tentant frénétiquement de freiner sa chute. Les mains enfoncées dans les cailloux, elle sentit quelque chose de mou sous ses doigts. Elle s’y accrocha, et comprit qu’il s’agissait de la jambe de Ka’ni. Elle remonta laborieusement vers lui, provoquant des chutes de pierre par dizaines. L’appui des plus gros blocs au sommet diminuait, les rendant de plus en plus instables. Elle se pencha au-dessus du visage du Soboemns, à peine visible sous les pierres, noir de poussière et couvert d’égratignures. Il était inconscient, les yeux fermés. Tentant le tout pour le tout, elle plongea ses mains le plus profond possible pour saisir ses épaules. Toute la colline se remit aussitôt à glisser, mais elle poussait sur ses jambes pour rester en surface tout en tenant Ka’ni serré contre elle. Quand ils atteignirent enfin le sol, le corps de son ami était encore à moitié enseveli. Nali’ah, Lo’hic et Elyie vinrent l’aider à le dégager au plus vite. La colline entière s’effondrait, et les rochers du sommet tombaient en broyant tout sur leur passage. Ils atterrissaient tout autour du groupe, qui tentait de s’éloigner rapidement.
Dès qu’ils furent en sécurité, Elyie se précipita sur le jeune homme. Toujours inconscient, il respirait tout de même. Tout son corps était couvert de coupures et d’éraflures, écopées sur les pierres coupantes lorsque la créature l’avait traîné à travers la plaine.
Elyie l’avait soigneusement examiné, puis s’était relevée.
“Je ne peux rien faire, il s’est évanoui sous la pression des pierres et le manque d’air. Nous pouvons seulement attendre qu’il se réveille.”
Ils décidèrent de ne pas bouger, au risque de tomber sur une autre créature. Déplacer Ka’ni n’aurait sûrement pas arrangé son état. Taïe, Ban’eh et Nali’ah montaient la garde, silencieux. La guerrière ne pouvait empêcher son regard de glisser vers la lance que la princesse tenait. En y regardant de plus près, le manche était parcouru de veinules luisantes d’un éclat bleuté. Après quelques minutes de contemplation, elle déchira enfin le silence, et lui demanda d’où venait l’artefact, quel était son pouvoir.
“Il s’agit de la lance de glace, déclara Nali’ah en la portant à hauteur de ses yeux. C’est un symbole sacré, empli du pouvoir des Tsadiens. Seuls le premes et le roi sont en capacité de la prendre en main et l’utiliser. Toute autre personne qui s’y risquerait gèlerait immédiatement.
-Pourtant, ton garde l’a amenée à Feli’ah sans problème.
-Il a bénéficié d’une dérogation, accordée par le roi, pour un temps limité. Le pouvoir du souverain lui permet de faire cela.”
Elle se détourna et se remit à patrouiller, signifiant clairement que la conversation était close. Elle n’avait pas eu l’air particulièrement contrariée, mais Taïe avait remarqué que les Néréeins rechignaient à parler de leurs traditions et croyances. Ne le prenant pas mal, elle retourna voir Ka’ni. Allongé sur une couverture, il reprenait peu à peu conscience. La soigneuse avait nettoyé la poussière qui maculait son visage et son corps, ne laissant que ses vêtements recouverts de traces qui n’avaient pu partir. Il cligna des yeux plusieurs fois, cherchant à savoir où il était. Une fois totalement revenu parmi les vivants, Lo’hic le pressa de questions sur ce qui s’était passé.
“La créature m’a attrapé, je ne l’ai pas vue venir, et… et elle m’a traîné à travers toute la plaine jusqu’au pierrier. Là, elle m’a enfoui sous les pierres, les déplaçant comme si elles n’étaient pas plus lourdes que des feuilles ! Après, je ne me souviens plus.
-Taïe est venu te sortir de là, expliqua Lo’hic. Elle est allée te chercher dans le pierrier.”
Sous le regard plein de gratitude de Ka’ni, Taïe se sentit obligée de rajouter un détail.
“Je ne savais pas que ç’en était un !
-Je suis bien content que tu sois venue quand même.”
Sur cette note plus légère, et après s’être assuré que Ka’ni pouvait tenir, le groupe se remit en route. Le brouillard était peu à peu balayé par le vent, révélant les champs de pierres qui s’étendaient à l’infini. Lorsque le soleil ne fut plus qu’une ligne lumineuse à l’horizon, Lo’hic décida qu’il était temps de monter le camp. Afin de se prémunir des créatures, deux personnes montaient la garde en permanence.
Les yeux dans le vague, Taïe buvait sans réelle conviction la soupe, ou plutôt le bouillon fade que Lo’hic avait préparé. À l’avenir, elle éviterait de lui confier la tâche du repas. Yleï, le cuisinier de la Tribu, savait si bien s’y prendre ! Avec lui, rien n’était gâché. Et ses bouillons n’avaient pas un goût amer. Écœurée après seulement quelques gorgées tant le liquide était salé, elle le versa discrètement entre les pierres derrière elle. Elyie, qui gardait le camp avec Ban’eh, croisa son regard et manqua d’éclater de rire. Taïe lui fit signe de se taire avec un sourire, et elle lui répondit en versant à son tour son bol par terre avec un air complice. Revenant à Taïe, elle ouvrit la bouche et articula silencieusement : “La prochaine fois, tout sauf lui !” La guerrière réprima son envie de rire et rendit son bol à Lo’hic avec un grand sourire.
“Peut-être un peu trop salé ?”
Le sage la regarda d’un air étonné.
“Ah bon ? J’ai peut-être eu la main un peu lourde. Mais ne vous inquiétez pas, je ferai mieux demain !”
Team Goron !
Rha cette princesse qui s'imagine que toute la terre doit lui obéir ! Un passage obligé pour forcer notre héroïne à bouger !
Quelle dégoûtante créature et pauvre Ka'ni. La description du sabre et du combat était magnifique. Elle se défend la princesse !
J'ai hâte de voir leur arrivée au volcan !
A bientôt
Rhooo encore Zelda... mais bon j'avoue y'a des ressemblances.
Merci beaucoup !