Chapitre 25

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

chapitre réécrit

À force d’écouter les mêmes mots répétés à l’infini, on finit par ne plus les entendre. C’était d’autant plus le cas à cet instant alors que les formules de politesse abondaient presque autant que les larmes.

Après l’enterrement de Calista, une veillée fut organisée au manoir. Vitali préférait la qualifier de cérémonie du souvenir. Moi je n’y voyais qu’un nouveau combat à mener pour rester debout.

Depuis l’enterrement, je me sentais épuisée, vidée. J’avais envie de disparaître. J’aurais voulu m’enfermer dans ma chambre, fuir toute cette pitié dont ces gens nous abreuvaient à grand renfort de belles paroles et de regards humides. Je rêvais de retrouver mon lit, de m’y plonger et de m’endormir sans jamais me réveiller. Je voulais oublier cette affreuse nuit, je voulais oublier le rire de Ciaran qui me hantait, je voulais oublier la mort de Calista et tout le chagrin qui en résultait.

Je trouvais Vitali incroyable. Elle naviguait entre les invités en deuil avec aisance, savait constamment quoi dire, quel comportement adopter, quel geste avoir. Elle ne semblait pas avoir enterré l’une de ses nièces quelques heures plus tôt.

Elora disait que c’était sa manière de se rendre utile, de ne pas penser à Calista, de fuir son chagrin. Elle côtoyait tellement souvent la mort avec son don… J’osais à peine imaginer ce que je ressentirais si je voyais le fantôme de ma sœur errer dans le manoir comme une âme en peine. Tante Vitali avait d’ailleurs beaucoup insisté sur ce point : Calista n’était plus là. Elle l’avait vue s’en aller, l’avait guidée vers l’après, cet après invisible, inconnu, que la plupart redoutait. Le royaume de Zaros

Vitali demeurait cependant la seule de la famille à passer d’invité en invité, à se soucier de leur peine ou du mouchoir dont ils avaient grand besoin pour éponger leurs joues humides.

Les prétendants de Calista, en particulier, restèrent longtemps à la pleurer, fixant son portrait les yeux débordants de larmes et des sanglots plein la voix. Ils faisaient peine à voir. Sans doute faudrait-il les surveiller les jours prochains. Certains semblaient si accablés que je les imaginais sans peine penser à rejoindre ma sœur dans l’autre monde. Il ne manquait plus que l’un d’eux ait la brillante idée de se jeter de la falaise en partant…

Je me mis à fixer son tableau moi aussi. Assise à l’écart, je n’avais ni l’envie ni le courage de me mêler à cette foule endeuillée.

À mes côtés, la tête posée sur mon épaule, les doigts entrelacés aux miens, Meryl semblait ailleurs, perdue dans de lointains souvenirs. Nos parents se trouvaient à l’autre bout de la pièce, entourés d’amis de la famille qui cherchaient à ramener sur le visage de notre mère un semblant de sourire. Les jumelles restèrent accrochées à Marietta tout du long, étrangement silencieuses.

— Tu crois qu’elle a souffert ? demanda Meryl à brûle-pourpoint.

— Non, répondis-je dans un murmure.

— Je me demande quand même ce qu’elle faisait sur la falaise, marmonna ma sœur tout bas. Calista n’était pas somnambule, ni suicidaire. Tu crois que c’est l’œuvre d’un autre Immortel ? Comme pour Rihite ?

J’admirai sincèrement l’esprit pragmatique et l’intelligence de ma petite sœur. Pourtant, à cet instant, ses conclusions me terrifiaient et je ne sus quoi lui répondre. Évidemment, je savais qui était le responsable, mais comment lui dire ? Comment leur dire à tous ? Maintenant qu’un drame s’était produit, il me semblait encore plus compliqué de leur en parler…

Ce fut cet instant que choisit Liam pour apparaître dans la pièce, une cape bleu nuit sur les épaules. En la voyant, Meryl et moi nous redressâmes brusquement.

— Cette cape, ce ne serait pas… commença Meryl sans parvenir à finir sa phrase.

— Oui, répondis-je dans un souffle.

Impossible de se tromper, il s’agissait bien de l’ancienne veste de Rihite, celle que Calista avait modifiée.

— Ne me dis pas…

— On dirait bien.

Liam avait fouillé dans le grenier. Mais qu’y faisait-il ? Et comment y était-il entré ? Personne n’y allait jamais et il servait essentiellement à entreposer nos vieilles affaires. Calista y avait abandonné la veste peu après l’incident avec Rihite et personne n’y avait plus posé un doigt. Et puis… la clé était pourtant bien rangée à l’abri dans la chambre d’Elora, même les jumelles n’y avaient pas accès. Alors comment… ?

En le voyant déambuler dans la foule, seule tache de couleur dans cet océan d’habits noirs, je sentis mon sang se glacer. Les jumelles, jusque-là amorphes sur les épaules de Marietta, se redressèrent vivement en voyant notre petit frère zigzaguer entre les invités avec la cape de Calista. Je pressentais un désastre et me relevai d’un bond.

Cela ne manqua pas. Les jumelles furent plus rapides et fondirent sur Liam. Furieuses, elles attirèrent rapidement tous les regards.

— Qu’est-ce que tu fais avec ça ? lui cria Gemma.

— Ça n’est pas à toi, qui t’a donné la permission de la porter ? renchérit Georgia.

— Calista vient de mourir et tu t’amuses déjà à fouiller dans ses affaires ?

Liam était pétrifié, ses petits poings tremblant autour de la cape.

— Mais… je voulais juste… apporter la veste à Calista…

Georgia la lui arracha des mains.

— Calista est morte !

Ç’en fut trop pour moi. En deux enjambées, je me postai entre Liam et elles.

— Ça suffit, il ne pensait pas à mal et vous le savez très bien.

— Nous venons d’enterrer Calista, cracha Georgia mais je ne la laissai pas continuer.

— Je le sais, tout le monde le sais. Maintenant arrête de te donner en spectacle. Liam est un enfant, il ne comprend pas.

Georgia eut un rire méprisant.

— Arrête un peu de le materner, grinça-t-elle. Il comprend très bien la situation, et il sait qu’il n’a pas le droit de jouer avec les affaires des autres.

— Ça suffit, Georgia, menaçai-je le regard mauvais.

Le silence pesa lourd sur nos épaules alors que ma sœur et moi nous observions en chiens de faïence. Aucune de nous ne voulait détourner les yeux la première.

J’en avais assez… assez de ses crises de colère, assez de sa manie à toujours chercher la confrontation, assez de leur égoïsme, assez de leur méchanceté gratuite envers notre petit frère.

Derrière moi, je sentais Liam s’accrocher à ma robe. Il tremblait. Ma colère n’en fut que plus grande. Ce petit garçon n’avait pas à subir cette épreuve, Georgia n’avait pas le droit de lui reprocher une broutille pareille. D’autant qu’à son âge, j’étais certaine qu’elle aurait fait pareil, peut-être même pire. Et, par-dessus tout, je savais qu’elle le savait.

Gemma commença à regarder autour d’elle, soudain intimidée par tous les regards posés sur nous. Elle tenta de faire entendre raison à sa jumelle, sans succès.

Ce fut finalement Marietta qui s’interposa, se dressant entre nous avec fermeté.

— C’est bon ? demanda-t-elle le plus calmement du monde – mais son regard étincelait de colère. Vous avez terminé ? Nous pouvons continuer de pleurer Calista en paix ?

Le silence s’allongea encore quelques instants, puis je soupirai, lasse de ces jeux puérils. Je fus la première à me détourner. Prenant Liam dans mes bras, je quittai la pièce à grandes enjambées sans un regard en arrière. Je voulais m’éloigner le plus loin possible des jumelles.

Peu de temps après, les discussions reprirent.

Dans le couloir, je reposai mon frère et essuyai son visage baigné de larmes.

— Hé… fis-je avec un sourire. Tout va bien, d’accord ? Tu n’as rien fait de mal, tu m’entends ?

Liam hocha piteusement la tête, s’essuyant les yeux avec sa manche. Ça me fendait le cœur de le voir porter ces habits noirs…

— Gemma et Georgia me détestent… sanglota-t-il en reniflant.

— Mais non, soupirai-je en écartant les mèches qui lui tombaient sur les yeux. Elles ne te détestent pas.

Je fouillai ma poche à la recherche d’un mouchoir à lui donner et sentis aussitôt la bague, glacée sous mes doigts. Je retirai précipitamment ma main, comme piquée par une aiguille. Avec tout ça, je l’avais complètement oubliée. Je finis par trouver un mouchoir et le lui tendis. Il s’en empara, penaud, et se moucha bruyamment dedans.

— Tu sais, dis-je doucement en m’agenouillant devant lui, quand on est très triste, on peut se mettre très fort en colère. Mais ça ne veut pas dire qu’elles te détestent.

— C’est vrai ? renifla-t-il timidement.

— Oui, assurai-je avec un sourire. Calista leur manque, tu sais comme elles étaient proches.

Il opina.

— Bien. Ça va mieux maintenant ?

Nouveau hochement de tête. Il afficha une moue triste et tendit ses petits bras vers moi. Mon cœur se serra. Je le pris dans mes bras, accueillant ses pleurs avec douceur, lui caressant tendrement le dos et attendis qu’il se calme avant de retourner dans le salon avec lui.

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Tac
Posté le 13/09/2022
Yo !
Je trouve que ces scènes de famille sont touchantes, et elles ne sont pas faciles à manier, encore une fois tu as beaucoup de personnages donc c'est pas évident à gérer. Je trouvve que tu te débrouilles vachement bien !
Néanmoins (tu commences à me connaître après 26 chapitres :') ) je trouve que ce chapitre est trop long pour les informations qu'il apporte. Cela fait plusieurs chapitres calmes/introspectifs, sans aucun élément (que j'identifie) qui fasse véritablment avancer l'un ou l'autre arc narratif, et je pense que ça manque cruellement. Même si c'est une toute petite scène, je pense que c'est important pour ne pas perdre le rythme de l'intrigue et garder le fil rouge.
Pour le moment, j'ai l'impression d'une parenthèse un peu trop longue, d'une stagnation. Sachant que je ronge déjà un peu mon frein car je trouve que l'intrigue a mis trop de temps à venir avec des scènes d'exposition et de présentation un peu trop longues, personnellement cela me gêne un peu.
Mais je ne me fais pas d'inquiétude : cela est de la réorganisation d'éléments, je pense qu'en te penchant un peu dessus tous les soucis que j'ai ressentis à ma lecture disparaîtront d'eux mêmes ! Tu as déjà une chouette matière, ce qui n'est pas rien (loin de là) !
Plein de bisous !
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