Jour 3-4
Thalion se retourna brusquement vers eux dans la nuit noire que Anastae avait du mal à percer avec ses yeux à moitié humains. Depuis que Anastae et Hélios lui avait fait part de leur découverte qui reposait sur le fait qu’ils avaient littéralement ignoré l’existence du clocher, il ne tenait plus en place. D’autant plus que la jeune fée et son frère s’étaient mis d’accord sur le fait de ne pas faire un premier repérage de nuit, jugé trop risqué : ils ne connaissaient pas le lieu et leurs ennemis auraient l’avantage s’ils venaient à être découverts.
Cependant, Thalion aurait voulu intervenir de suite, ce qui expliquait son agitation :
- On perd du temps à nous rendre dans ce bordel !
- Du tout, rétorqua son frère en le dépassant. On pourrait en apprendre plus.
La jeune fée haussa un sourcil face à la détermination de Hélios et resserra autour de ses épaules frêles le châle qu’elle avait trouvé au fond de son sac. Anastae avait songé à mettre quelque chose de plus couvrant que cette robe émeraude bustier, mais ils se rendaient dans un bordel… Autant s'intégrer et abandonner ses tenues presque royales.
Elle fit claquer ses talons quand elle passa devant Thalion, pour lui montrer qu’elle lui en voulait toujours, bien qu’un peu moins depuis les explications d’Hélios. Anastae sentit son regard sur elle mais elle n’eut pas le courage de se retourner vers lui, lâchement.
Mais peu importait, ils venaient d’arriver devant une sorte d’immeuble, collé aux autres du centre-ville, où sortaient des bruits d’éclats de rires, de verres, de musique :
- Je suppose que c’est là, déclara la jeune fée.
- Allons-y, claqua sèchement Thalion. Qu’on finisse ça vite.
Elle manqua de lever les yeux au ciel, et frappa à la porte, dans l’attente qu’on leur ouvre. Un petit ricanement surgit derrière et Thalion susurra :
- Petite Anastae qui ne connaît pas autre chose que la capitale. Dans un bordel, on ne frappe pas à la porte.
- Oh, sourit-elle presque. Il semblerait que tu aies l’habitude de ces lieux.
- Je n’ai pas besoin de ça.
Hélios lui pinça le bras, l’air de lui indiquer de penser à ce qu’il lui avait dit dans la bibliothèque, et elle soupira, se résignant à ne pas retorquer. Cependant, cela lui faisait du bien de voir que Thalion retrouvait de son mordant, car sans ce dernier, le Prince n’était plus vraiment le Prince.
Elle ouvrit donc la porte et manqua de plaquer ses mains sur ses oreilles ainsi que de plisser les yeux : contrairement à la nuit noire, la grande pièce était d’une luminosité magique, seulement apportée par ces bougies qui ne fondaient jamais et cet immense lustre de cristal. Toutes sortes de créatures se trouvaient ici, et Anastae y repéra même quelques fées et elfes. Des pixies, sirènes, et quelques fées étaient en train de se déhancher sur une scène en bois, apportant des sifflements et des applaudissements. D’autres étaient en train de porter des plateaux où se trouvaient des verres d’alcool. Étonnement, à part elles, personne n'était debout et chacun semblait trouver sa place dans cet endroit, autour de ces tables et chaises en bois.
Un orchestre, dans le fond de la pièce, jouait de la musique entraînante, du genre à donner envie de se déhancher, mais heureusement cette mélodie n’avait rien de féerique, les sirènes y étant plus sensibles que les autres.
Une pixie surgit devant eux, un plateau dans la main, vêtue d’un simple châle autour de sa poitrine et de ses cuisses, légèrement transparents. Perchée sur ses hauts talons, elle leur sourit doucement, étudia les deux elfes qui se trouvaient avec elle, et ses bijoux se balancèrent dans un vent artificiel :
- Bienvenue au Torrent. Ce soir est une soirée spéciale, et pour avoir votre place, vous devez consommer.
Anastae tâta la doublure de sa robe où elle glissait toujours quelques pièces, pour les tendre à la pixie :
- Trois de vos boissons, je vous prie.
La pixie, se pencha en avant pour saisir ses pièces, dans un geste contrôlé, et jeta un regard violet vers Hélios qui détourna les yeux, presque embarrassé, ce qui était une première. Par la suite, elle se mit à tourner autour de son frère et en glissant une main sur son bras, elle leur souffla :
- Prenez la table sur la droite. La magie fera rapidement son apparition.
Anastae fronça ses sourcils, se demanda ce qu’elle voulait dire par là, mais se laissa conduire par Thalion vers leur table, son verre à la main. En s’asseyant, elle en renifla le contenu, et le goûta du bout de ses lèvres, avant de grimacer, peu intéressée par le goût.
Cependant, la main de Thalion surgit rapidement et cette dernière fit tomber quelque chose dans son verre :
- C’est un parfum, lui expliqua-t-il. Qui camoufle l’alcool, mais les effets de ce dernier seront toujours aussi efficaces.
- Un moyen efficace pour faire dépenser les clients, en déduisit Anastae.
Il haussa ses épaules :
- C’est le commerce.
- Quand commence la magie, demanda Hélios d’une voix crispée.
La jeune fée remarqua alors son regard pâle, sa bouche crispée, et son teint qui devenait de plus en plus cireux, comme au bord de tomber dans l’inconscience. Son frère en prit également conscience, et posa une main réconfortante sur son épaule :
- Si tu ne te sens pas bien, tu peux rentrer, lui indiqua Thalion.
Anastae replia son châle sur sa poitrine, et observa Hélios.
Cela ne devait pas être aisé pour lui de rester dans un endroit aussi bondé, où tant d’émotions se trouvaient, lui qui évitait même de se rendre à l’Académie. Avec un léger sourire encourageant, elle fit glisser sa boisson vers lui :
- Si cela peut t’aider.
Il la remercia d’un hochement de tête, et finit son verre.
Alors, toutes les lumières s’éteignirent, les plongeant dans le noir. Surprise, la jeune fée sursauta et commença à chercher les deux frères dans la pénombre quand elle se rendit compte que les rires n’avaient pas cessé : il semblerait juste que ce soit une habitude dans ce bordel.
Thalion lui confirma :
- Selon ce que j’ai appris cet après-midi, la magie fait son apparition sous la forme de petites boules. On doit simplement penser à ce que l’on souhaite, le plus profondément, et une image nous apparaîtra.
- C’est réellement possible, demanda-t-elle d’une petite voix.
- Un elfe aurait la possibilité de le réaliser avec son don. Regardez…
Effectivement, une boule surgit devant elle, grâce à la magie, plus brillante que les bougies d'antan.
Anastae tourna la petite boule entre ses doigts : jamais encore elle n’avait vu une telle forme de magie et cela l’intriguait, elle devait bien l’avouer. Dans le vacarme du bordel, elle entendit Thalion leur expliquer que ce qu’ils cherchaient le plus devrait surgir dans leur mémoire. De ce fait, ils devaient se concentrer sur l’organisation.
La jeune fée n’était pas certaine qu’une simple pensée pouvait amener à un tel résultat mais elle se résolut, finalement, à lancer la boule dans les airs, muée d’un instinct qu’elle ne connaissait pas.
Le temps se figea.
Une image claire lui apparut, bien qu’elle dût se concentrer un instant pour que cette dernière se stabilise : deux fées se trouvaient assises à une table, qui ressemblait étrangement à la leur.
La première fée était vêtue de noir, ses cheveux de la même couleur regroupés dans une longue natte qui flottait dans un courant d’air. Elle souriait doucement, la bouche rubis et légèrement tâchée d’alcool, et ses yeux de la même couleur fixait avec une certaine admiration la créature blonde qui semblait lui parler. Elle ne rayonnait pas, mais elle savait comment attirer l’attention, avec un air presque royal dans la façon qu’elle avait de tenir son verre, et de relever légèrement le menton. Pourtant, l’autre fée, son amie sans doute, avait attiré toute son attention et une certaine fragilité se révélait alors dans ses yeux.
Mais quand Anastae se concentra sur cette dernière, son cœur tomba dans sa poitrine. Elle eut le sentiment de se mettre à haleter et une violente nausée la secoua.
Un visage qui lui était pourtant si flou dans ses souvenirs mais qu’elle aurait pu reconnaître entre mille.
Sa mère.
Sa véritable mère, pas cette fée qui devait lui servir d’image maternelle.
C’était bien sa mère : elle reconnaissait ses longues boucles blondes regroupées dans un chignon en désordre, sans doute effectué rapidement, où tombaient quelques mèches. Elle souriait de ses lèvres remplies, ses iris noisettes brillaient si fortement qu’ils auraient pu être la seule lumière dans sa vie, et son grain de beauté caractéristique se trouvait bien au-dessus de sa bouche.
C’était une belle femme, la plus belle qu’elle n’ait jamais vu, dont la poitrine ressortait grâce à sa robe noire serré, un verre à la main, plus heureuse qu’elle ne l’avait jamais été, dans son élément. Comme si ce monde était le sien, comme si elle en était la Reine.
Ses oreilles étaient cachées, sans doute pour ne pas révéler sa condition d’humaine alors que celle de son amie pointait fièrement de sa coiffure, toujours d’une façon royale.
Une soudaine envie de crier monta dans sa gorge, de voler cette boule, de la mémoriser à tout jamais.
Car sa mère était heureuse.
Jamais elle ne l’avait vue sourire de la sorte, jamais en sept ans d’existence avec elle, avoir des yeux si brillants, elle se fondait si bien dans le décor, mieux que Anastae ne l’avait jamais fait, et son cœur se brisa en se rendant compte à quel point elle lui ressemblait.
Désormais que la jeune fée avait grandi, elle retrouvait les mêmes longs cils, les mêmes cheveux qui tombaient en ondulations, le même teint si clair, le même sourire, la même façon de hausser les sourcils.
Sa mère sur cette image était jeune, peut-être la vingtaine, et semblait bien loin des tentatives d’assassinat et de courses poursuites. Elle était si juvénile… comme si la tristesse ne l’avait pas encore rongée, comme si tout ce dont elle avait réellement besoin se trouvait autour de cette table, avec son amie, ce monde.
Pourquoi était-ce son image qui surgissait ? Elle n’en n’avait aucune idée. Pourquoi sa mère s’était un jour tenue à cette table, dans ce monde, avec une amie fée ? Encore un nouveau mystère.
L’image disparut brutalement.
Elle ouvrit des yeux qu’elle ne se souvenait pas avoir fermé, et poussa un léger cri quand elle constata que la boule s’envolait vers le plafond. Il était hors de question que la seule image de sa mère disparaisse de cette façon, à défaut de ne plus l’avoir dans sa vie elle pouvait toujours l’avoir dans son cœur, elle préférait encore…
Anastae baissa sa main qui s’était soulevée pour retenir la boule.
Elle ne pouvait tout simplement pas la garder : si jamais son père venait à la découvrir, encore pire sa belle-mère, ou même les Princes… Cette boule ne constituait qu’une preuve de plus qu’elle n’était pas comme les autres. Le cœur brisé, elle la regarda donc s’envoler pour finalement disparaître alors que la lumière des bougies faisait de nouveau son apparition.
La jeune fée se sentait sur le point de vomir, et ne prit pas attention à ce que Thalion et Hélios disaient.
Ses mains tremblaient.
De voir que sa mère était intégrée à ce monde, que c’était celui des humains qui l’avait rendue si triste… C’était trop pour elle. Anastae se leva, et dit d’une voix lointaine :
- Je vais prendre l’air.
Sans attendre leurs réponses, elle se marcha rapidement vers la porte de sortie, pour partir loin de tout ce raffut, de tous ces rires qui entraient en contraction avec ses propres sentiments. Lorsqu’elle entra finalement dans la nuit noire, dans sa fraîcheur, elle reprit quelque peu ses esprits.
Sa mère était venue ici, avait arpenté le monde elfique de ses pieds humains, et elle avait l’air si heureuse de sa situation, tellement à sa place, plus qu’elle ne le serait jamais. Anastae comprenait désormais que si sa mère ne souriait jamais dans son enfance, c’est qu’elle n’était tout simplement pas à sa place et seule la Reine savait comment elle avait fait pour cacher sa condition d’humaine dans le Royaume.
La jeune fée s’éloigna légèrement de la rue principale et releva son visage pour contempler les étoiles dans ce ciel si noir. Sa mère faisait-elle partie d’une de ces dernières désormais ? Elle était du genre à continuer de briller pendant une éternité.
Elle ferma ses yeux un instant et tenta d’imprimer ce qu’elle venait de voir dans sa mémoire avec l’espoir de ne pas l’oublier.
Son châle tomba par terre.
Un frisson la parcourut.
Et, ouvrant les yeux, elle se confronta à un elfe qui avait une flèche droit dirigée vers son cœur.
Anastae eut le sentiment de regarder la mort dans les yeux.
L’elfe en face d’elle souriait, si cruellement, d’une manière si perfide, et il la regardait comme si elle était une proie, une des plus faciles à tuer. Mais le plus important résidait dans la flèche qui était pointée sur son cœur, alors qu’il bandait son arc seulement à quelques centimètres d’elle, lui assurant une trajectoire parfaite, elle était bien placée pour le savoir.
La jeune fée n’avait qu’une seule arme sur elle : la dague glissée dans la doublure de sa robe. Mais si elle venait à faire un seul geste… Elle serait sans doute morte avant de la sortir.
Le vent fouettait ses cheveux, dévoilait ses oreilles ainsi que celle de l’elfe, et ce dernier susurra, si doucement que sa voix se mêla aux courant d’air :
- Qui aurait cru que notre cible numéro un se trouverait dans cette ville, à ma merci ?
Anastae ne cilla pas.
Il était évident qu’il s’agissait d’un des membres de l’organisation et, pendant un instant, elle s’estima heureuse que la présence des Princes n’ait pas encore été découverte. Ce n’était pas la première fois qu’on tentait de la tuer mais la dernière fois, il s’agissait d’un pixie, faible face à elle, alors qu’un elfe, au sang pur, pouvait la détruire en quelques secondes.
La jeune fée se força à inspirer et couvra d’un regard l’environnement : des murs, une fenêtre quelques mètres plus bas, et des rues pavées de pierres. Il n’y avait rien qui pouvait l’aider et la seule sortie de ce cul de sac se trouvait derrière l’elfe :
- Pas de réponse, demanda ce dernier en haussant un sourcil bleu.
Son cerveau était trop occupé à tourner à plein régime pour qu’elle songe à sa réponse.
Mais peu importait le nombre de fois où elle glissait son regard sur la rue, il n’y avait aucune échappatoire. Anastae saisit alors qu’elle allait devoir ruser, mais d’une autre façon, bien plus humaine, bien plus “sale”.
La jeune fée releva son menton :
- Dans la mesure où je n’ai aucune idée de qui vous êtes, je ne me vois pas répondre à cette question.
Sa gorge la brûla tellement qu’elle eut la soudaine envie de tousser et, sans pouvoir s’en empêcher, elle se mordit la langue au sang. Cependant, elle préférait ne pas dévoiler qu’elle était renseignée sur eux, qu’elle faisait des recherches, et que son arrivée dans cette ville n’était pas un hasard. Qu’il pense qu’elle était une noble bien trop centrée sur elle-même pour réfléchir, était la meilleure manière de s’en sortir.
L’elfe ricana, fit rouler ses épaules sans pour autant perdre sa position, et secoua ses cheveux :
- Ils te disaient être une idiote, j’avais des doutes, mais c’est bien ce que tu es. Une idiote.
- Laissez- moi passer, claqua-t-elle plus sèchement que prévu. Si mon père…
- Cela fait longtemps que ton père ne nous effraie plus.
Bien, qu’elle continue dans son rôle de noble où son père réglait tous ses problèmes…
Elle fronça ses sourcils, comme contrariée, et finit par entrouvrir sa bouche, dans une expression de surprise :
- Quoi, siffla l’elfe.
- Derrière vous, mentit-elle en ayant la sensation qu’on lui broyait la gorge. Il y a quelqu’un.
Elle ne voyait qu’une seule façon de se sortir de cette impasse, et elle devait être reconnaissante à la Reine que cet elfe soit muni de flèches. Comment allait-elle expliquer ce qui allait se produire ? Elle n’en n’avait aucune idée, mais sa seule arme qui pouvait prendre par surprise l’elfe et déjouer ses plans, était le sang qui coulait dans ses veines.
Un don qu’elle avait toujours repoussé au plus profond d’elle, qu’elle considérait comme trop révélateur de ce qu’elle était vraiment.
Comme elle l’avait prédit, l’elfe se retourna légèrement, pour un mensonge grossier mais qui était le meilleur dans ce royaume, pour jeter un regard derrière lui et elle profita de cette ouverture, aussi mince fût-elle.
Anastae força sur ses jambes, comme Thalion lui avait appris, et alors que l’elfe comprenait qu’il s’agissait d’un piège, elle lui décocha un coup de coude tout en évitant la flèche qui partait sur elle en pivotant sur le côté. Elle ne prit pas la peine de prendre son arc, inutile sans flèches, et se contenta de subtiliser une de ces dernières qui pointaient de son carquois.
La jeune fée utilisa ensuite son agilité, les mains tremblantes de peur, pour glisser quelques mètres en arrière pour s’éloigner de sa main qui s’approchait dangereusement de sa nuque.
Elle releva son visage :
- Vraiment, ria l’elfe. Une belle diversion, assez intelligente pour une idiote, simplement pour voler une flèche. Tu veux parier sur un coup franc ?
Il sifflota, insolemment.
Anastae esquissa un début de sourire et retourna sa flèche pour la diriger vers l’intérieur de son bras. L’elfe écarquilla légèrement ses yeux.
Et la jeune fée planta la flèche dans sa peau tout en la faisant glisser sur sa longueur.
Son sang se mit à bouillir, elle eut le sentiment de prendre feu sur place, et avec un grognement, elle leva son bras vers le ciel.
Ce dernier s’enflamma.
Anastae avait la sensation d’être le feu, de ne faire plus qu’un avec lui. D’être dans son élément, puissante, et si féérique.
L’elfe lâcha une flèche, mais Anastae décrit un arc de cercle avec son bras, ce qui la fit brûler : il ne s’agissait pas d’un feu naturel mais d’un feu magique qui avait comme propriété de réduire en cendres tout, et très rapidement. L’assassin poussa un cri, stupéfait :
- Comment… Comment est-ce possible ? Il était écrit que tu n’avais pas un véritable…
- Don, siffla-t-elle en s’approchant de lui. Je le garde juste bien caché.
Elle brûlait, tout s’enflammait en elle, elle avait si chaud, tellement chaud, elle avait besoin de se refroidir, mais c’était si… grisant.
Elle tendit sa main vers l’elfe alors qu’il comprenait enfin qu’il n’avait plus qu’une chose à faire : fuir. Mais trop tard.
Anastae se jeta sur lui.
Elle l’entoura de ses bas, reçue un coup désespéré sur sa pommette, et l’elfe se mit à hurler. Ils atterrirent sur le sol, et le corps sous elle, s’enflamma. Elle ferma ses yeux, dégoûtée par son geste, alors qu’elle savait que c’était la seule façon de s’en sortir.
Les hurlements cessèrent rapidement et quand Anastae se détacha finalement de l’elfe, ce fut quand il n’en resta plus que des cendres. Le bras toujours en feu, la jeune fée se tourna, l’esprit toujours autant enflammé et frappa son membre contre sa robe, puis entoura son châle autour de ce dernier. Le sang se tarit, les flammes devinrent moins puissantes, et finirent par s’éteindre, leur durée n’étant pas infinie.
La jeune fée se rendit alors compte de ce qu’elle venait de faire.
Elle venait de tuer un elfe.
Déjà au bord de la nausée, elle eut à peine le temps de se pencher en avant, avant de vomir son repas du soir. Puis, elle s’écroula sur le sol.
Par la Reine, elle venait de tuer un elfe, une créature vivante, et si ce n’était pas la première fois, elle ne s’en sentait pas moins malade.
Son bras la tirait, elle avait trop chaud, tellement chaud, et de la sueur coulait sur sa nuque, sur ses joues. Anastae avait le sentiment qu’elle-même était en train de brûler vive, et elle crut pendant un instant rejoindre le petit tas de cendres qui s’était formé à côté d’elle.
Anastae voyait flou, l’image de sa mère avec celle de l’elfe se confondait. Ce dernier avait sûrement une famille, et elle venait de le tuer, de l’enlever, comme on l’avait fait avec sa mère.
Et bon sang, elle avait tellement chaud.
Malgré le voile qui l’entourait, elle repéra une flaque d’eau, non loin d’elle, et désespérée de sentir de la fraîcheur, elle s’y dirigea. Sans se préoccuper de ses cheveux, elle plongea ses mains dedans et renversa le tout sur son visage, choc qui la fit claquer des dents.
Elle venait de tuer un elfe.
Elle avait utilisé son don, pour ôter une vie, et comment allait-elle faire pour dissimuler ça ? Son bras lui faisait si mal, il n’allait pas guérir avant quelques jours, et elle était entourée des deux Princes. Une excuse, un mensonge, il lui en fallait un, mais lequel ?
Anastae se voyait mal leur dire qu’elle était tombée… Serait-ce si terrible si elle leur disait qu’un elfe avait cherché à l’attaquer et qu’elle avait riposté jusqu’à ce qu’il abandonne ?
Elle poussa un râle, le bras toujours en feu, et sa magie qui courait dans ses veines.
Quelques minutes passèrent sans doute jusqu’à ce qu’elle n’ait plus le sentiment de brûler sur place, et elle trouva la force de se redresser sur des jambes tremblantes, le souffle haché, chancelant sur ses hauts talons. Elle garda son châle enroulé autour de son avant-bras, et jeta un regard déchirant vers le petit tas de cendres qui commençait à s’envoler dans l’air glacial de la nuit.
Sa gorge se noua, elle se sentit presque navrée pour l’elfe qui avait cherché à l’attaquer, avant que l’impression d’être salie surgisse.
Ce n’était pas son premier meurtre, mais le premier qu’elle avait commis sur un pixie était accidentel , ici elle s’était jetée de son plein grès sur cet elfe, et elle avait su que cela lui coûterait la vie, une nuance importante dans sa morale.
La jeune fée savait que si elle n’avait pas utilisé son don, jamais elle ne se serait sortie de cette situation mais tout de même… elle l’avait privé de son futur.
Elle effleura sa pommette ensanglantée par le coup de l’elfe : cela justifierait son combat avec ce dernier.
Pourquoi tout était si compliqué ? Pourquoi avait-elle vu sa mère dans cette petite boule ? Pourquoi cet elfe avait-il dû la reconnaître aussi facilement ?
Anastae prit une grande inspiration. Elle devait retourner dans le bordel, pour retrouver les deux frères et leur expliquer qu’elle s’était faite attaquée et que son assaillant s’était enfui. Mais juste avant, la jeune fée se pencha et souffla sur les quelques cendres restantes, elle-même couverte de sueur, les cheveux plaqués contre sa nuque, et son bras enroulé autour de son châle ensanglanté.
Elle prit son courage à deux mains et retourna sur ses pas.
Quelques fautes et maladresses se glissent ça et là mais n'empêchent en rien de poursuivre la lecture.