« Mes chères Sybèle et Fèdre,
Si vous retrouvez mon chemin et que je me suis déjà tué, sachez que j’aurai tout essayé pour tenir sans vous. Mon rêve de sauver le futur me semble vain aujourd’hui, grotesque.
Fèdre, je n’aurais pas dû tant insister. Tu as accepté parce que tu savais que ce serait trop dur pour moi d’être seul, n’est-ce pas ?
Sybèle, j’aurais dû t’écouter et rester à tes côtés. J’espère que tu me pardonneras de t’avoir entraîné dans ma quête illusoire. »
25
La peau pâle de Nérée se para de rouge carmin et de jaune. Accroupis au sol, les deux hommes se regardèrent. Le souffle de Sofiane était brûlant, mais il ne lui blessait pas la trachée ; la fumée lui donnait envie de tousser et de vomir – elle avait un goût de plastique et de cendre – mais il sentait qu’elle laissait son organisme intact.
Nérée, par contre, devait souffrir. Des larmes coulaient de son regard déterminé.
— Combien de personnes dans l’appartement de gauche ? demanda Sofiane d’une voix forte.
L’incendie criait tant qu’il s’entendait à peine.
Nérée leva un doigt, ferma brièvement les yeux, puis mima un truc au-dessus de sa tête.
— Une douche ? suggéra Sofiane. Elle est dans la salle de bain ?
Nérée acquiesça, avant de partir dans une quinte de toux déchirante.
— Le deuxième appart, dit Sofiane.
Nérée leva deux doigts, hésita, fit mine de dormir.
— La chambre à coucher, d’accord. Le chien est dans le troisième ?
Nérée hocha la tête, mais fronça les sourcils et le retint par la manche. Il colla ses lèvres à son oreilles et articula laborieusement :
— Tu vas pas y aller quand même ?
— Pour le clebs ? Bien sûr que si ! Allez, redescend d’un étage avant d’étouffer !
Il le poussa vers les marches et s’engagea dans le dernier escalier d’un pas prudent, testant à chaque pas la stabilité de son pouvoir. Est-ce qu’il était possible que son don le lâche sans prévenir ? Que ça fasse trop d’un coup ?
Ou était-ce un changement permanent ? Était-il encore humain ?
C’était peut-être la fumée qui, malgré tout, rendait ses pensées confuses et déconcentrées. Ou d’imaginer ces gens en train de suffoquer, cet animal qu’on avait abandonné.
« Toi et ton chat » commentait parfois Leïla avec tendresse et étonnement.
Il se donna une claque pour se focaliser. Il allait être le plus efficace possible. Il évoluait désormais dans un brouillard sombre et puant, piqué de flammes claquant contre sa peau, cloquant les portes et les murs, clignotant sur sa cornée.
La porte de droite n’était pas verrouillée. Il n’y avait plus rien à sauver à l’intérieur. Embrassant vivement les alentours, il nota les cadres éventrés, les manteaux dévorés, la porte close dont le bas semblait calfeutré.
Il entra dans la pièce, une chambre à l’atmosphère irrespirable. La propriétaire avait tenue le coup jusqu’à l’épuisement. Elle n’avait plus de pouls, ses cheveux avaient roussis. Des carafes d’eau fumaient légèrement un peu partout. Elle avait fait des stocks, mouillant la serviette qui bloquait l’air sous sa porte.
Le chien sortit laborieusement de sous le lit, le poils brûlé, la langue pendante. Sofiane vida un broc sur la serviette qui posa sur la tête du chien. L’animal se laissa porter. Sofiane courut hors de l’appartement, devina le feu essayer de retenir sa victime.
Une fois sur le pallier, le chien eut un regain d’énergie qui le fit déguerpir vers les étages inférieurs. Sofiane forçait déjà l’entrée du deuxième appartement.
Quand il sortit, titubant sous le poids du couple presque asphyxié, Nérée était là. Toussant à s’en arracher les bronches, il porta à moitié l’homme dont les yeux roulèrent dans leurs orbites. Sofiane dut les accompagner sur la moitié de la descente, entendant les secondes qu’il perdait pour sauver la dernière personne.
La tête lui tournait.
Quand Nérée commença un massage cardiaque – maîtrisé – sous ses yeux, il y retourna sur des jambes plombées.
Mais la personne devait être vivante. Nérée l’aurait empêché de remonter pour un cadavre.
Pourtant, l’homme qu’il trouva dans un véritable enfer était inconscient. Dans un craquement, le plafond de l’appartement commença à céder. Sofiane se retourna pour découvrir une issue bouchée par le feu et les débris. Et maintenant ?
La fenêtre de la salle de bain n’était pas bien grande : impossible d’y sauter. Et de toute façon, serait-il réellement capable de protéger cet homme d’une telle chute ?
Il pouvait l’abandonner là. Abandonner ce type perdu d’avance, avec sa peau grillée et ses vêtements fumants.
Le penser lui donna un coup d’adrénaline. Il s’y refusait. Il prit le gars dans ses bras et contempla la seule sortie possible. S’il ne se décidait pas maintenant, le sol déjà bien avalé et fragilisé disparaîtrait purement et simplement. Raffermissant sa prise sur le corps évanoui, il s’arc-bouta et courut.
Le sol ploya et céda sous ses pieds alors qu’il fonçait sur la porte d’entrée, que le souffle chaud du brasier avait refermé. Le bois rongé par l’incendie s’écharda contre son épaule. Il dévala les escaliers mais, brusquement, sa jambe passa à travers une marche.
Il bascula en avant, s’accrochant instinctivement au corps de l’homme. Un autre que lui se serait certainement fracturé le tibia, néanmoins il était coincé. Enfoncé jusqu’à mi-cuisse, il battit désespérément sa jambe dans le vide, l’autre tordue sur les escaliers.
S’il lâchait le gars, il se libérerait peut-être. Mais s’il le lâchait, ne serait-ce qu’un instant, il mourait à coup sûr.
Il était soudain évident pour Sofiane que ses capacités protégeait aussi l’homme pressé contre lui. Il grogna, cria pour se dégager, et l’escalier se brisa finalement tout à fait, les plongeant dans les étages inférieurs.
J'aime bien les petites notes de nérée au début de ce chapitre et des précédents, cela nous donne un aperçu de ses pensées et motivations.
détails
sur la serviette qui posa : qu'il posa