CHAPITRE 26

Par Taranee

PRESENT : JIO

 

- JIO !

Le jeune homme se redressa, l’oreille tendue. L’appel se répéta.

- Jio, s’il te plaît !

Cette voix, dans son esprit… Nethan ! Il l’appela à son tour. Elle répéta plusieurs fois son nom. Il n’arrivait pas à la trouver, il n’arrivait pas à la voir. C’est là qu’il commença à s’inquiéter. Elle ne semblait pas l’appeler mais plutôt crier son nom par réflexe, comme si elle était paniquée, qu’elle appelait n’importe qui pour venir la sauver. La sauver ! Alors elle était en danger ? Le duc avait ordonné que Samaër l’attaque ? Non, impossible. Que se passait-il, bon sang ? Il ferma les yeux.

- Nethan ? Nethan ! Qu’est-ce qu’il se passe, pourquoi tu m’as appelé ? Nethan !

- Elijah, au secours ! Jio !

Elle ne l’écoutait pas, elle ne l’entendait pas. Mais sa terreur était tellement forte qu’elle lui parvenait depuis l’autre face. Il essaya d’attirer son attention.

- Nethan, au nom de l’omniscient ! Réponds-moi ! Où es-tu ? Es-tu en danger ? S’il te plaît Nethan, par pitié, réponds !

Pas de réponse, seulement des cris désespérés, des appels à l’aide sans queue ni tête. Et puis à un moment, elle cessa de crier. Jio ouvrit les yeux sauta hors de son lit et enfila rapidement ses vêtements. Il courut dans les couloirs jusqu’au salon principal où il trouva le duc Nowise qui buvait une tasse de bouillon en lisant le journal. Il lui arracha le papier des mains pour avoir toute son attention.

- Il faut y aller ! Maintenant !

L’homme eut l’air confus. Il fronça les sourcils, enleva ses binocles de lecture.

- Quoi ? Jio… Qu’est-ce que… De quoi est-ce que tu parles ?

- De l’autre face ! Il faut que j’y aille immédiatement !

-Mais enfin… La mission est prévue pour dans une semaine.

- Je n’ai pas le temps d’attendre une semaine ! C’est maintenant ou jamais !

Le Duc se leva de son fauteuil, faisant face à l’adolescent, un air sceptique accroché au visage. Jio s’insulta intérieurement. Évidemment qu’Erlein Nowise était étonné ! Il débarquait ici de bon matin en hurlant qu’il fallait commencer la mission sans aucune raison valable ! Il ne pouvait pas avoir l’air plus suspect !

- Calme-toi, Jio. Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi es-tu si pressé.

- On n’a pas de temps à perdre, il faut y aller maintenant, tant que… Tant que ma magie est au maximum de sa puissance !

Cette fois, le Duc ne sembla pas douter de ses paroles. Il fallait continuer sur cette voie, il fallait le convaincre ou alors il n’allait peut-être pas revoir Nethan en vie.

- Je n’ai absolument pas le temps de vous expliquer. Je sens juste qu’il faut que j’y aille maintenant, c’est comme si c’était le moment parfait. Il faut que votre associé, le retourneur, me fasse aller sur l’autre face. Vous devez me croire, vous devez m’écouter ou alors la mission échouera !

- Suis-moi.

Oui, oui ! Première étape réussie. Le Duc se dépêcha jusqu’à la porte.

- Je sors ! cria-t-il à l’intention des serviteurs de la maison.

Il ouvrit la porte et sortit, suivi de près par Jio. Ils traversèrent la rue d’un pas rapide. Le soleil se couchait sur Poralguar et les tavernes étaient remplies de voyageurs. Ils croisèrent plusieurs personnes dans la rue. Poralguar était une ville qui se couchait très tard. Ils remontèrent jusqu’à la place centrale de la ville, prirent à droite sur le port, et arrivèrent sur les docs. Les bateaux de marchandises étaient amarrés et tanguaient au rythme des secousses des vagues. Des oiseaux volaient bas. Des marins discutaient à voix basse. Les deux hommes longèrent les quais jusqu’à une vieille bicoque à moitié cachée par la taverne avoisinante. Elle était vieille, sombre, et tombait en ruines. Le Duc y entra sans même frapper.

- Malek ! J’ai besoin de toi, maintenant !

Le silence lui répondit, narquois. Jio tapait nerveusement du pied. Il n’arriver pas à établir une connexion avec Nethan. Il ne fallait pas perdre de temps. Le Duc Nowise réitéra son appel. Encore une poignée de secondes et une personne arriva. Ce n’était ni un homme, ni une femme. Ou peut-être un peu des deux. De longs cheveux soyeux, une bouche fine, sèche, qui affichait un sourire moqueur, des cils magnifiques qui caressaient ses joues car ses yeux étaient fermés. Des seins désirables, et pourtant, là, sous son pantalon, une bosse qui indiquait l’emplacement de parties génitales masculines. Iel s’avança pour venir à la rencontre du Duc et, lorsqu’iel vit Jio, iel eut un sourire étrange.

- Dis-donc Erlein, ton nouvel associé est un jeune homme bien mignon. C’est quoi son petit nom ?

- Malek, je veux que tu utilises ton pouvoir sur lui. Immédiatement. Il n’y a pas de temps à perdre. Je t’expliquerai tout plus tard.

L’intéressé pencha la tête sur le côté et se lécha la lèvre supérieure.

- Tu attises ma curiosité, cher Duc. Puis-je connaître ton objectif en envoyant ce charmant jeune homme sur l’autre face ?

- Ce n’est pas nécessaire. Remplis ton rôle.

- Bien, si tu insistes. Suis-moi, beau garçon. dit-iel avant d’attraper la main de Jio.

L’adolescent se laissa entraîner, un peu inquiet de ce qui pouvait se passer avec cette personne. Ils entrèrent dans une pièce, au fond de la maison. Sombre, emplie de courants d’air. Cela ressemblait vaguement à l’intérieur d’un chapiteau. Un cercle de sable, et autour, des bancs de bois placés en cercle. Malek fit asseoir Jio au centre du cercle, en tailleur, et s’assit à son tour. Iel posa ses deux mains sur les épaules de l’adolescent qui eut un mouvement de recul.

- Calme-toi, jeune homme. Je ne vais rien te faire. Ferme les yeux et contente-toi de te concentrer sur ton objectif. Ou, en tout cas, sur quelque chose qui attire toute ton attention.

Ça, c’était simple. Il le fit et porta toutes ses pensées sur Nethan. Nethan et ses grands yeux gris-marrons, ses longs cheveux blonds, sa silhouette fluette. Elle était en danger. Elle l’appelait à l’aide. Il expira. Il entendit un froissement de vêtements.

- Au revoir, jeune homme.

Et puis il ne sentit plus les mains du retourneur sur ses épaules. Il crut qu’il allait s’évanouir. Il se sentait tomber et c’était à la fois comme si on le poignardait. C’était assez similaire à ce qu’on pouvait ressentir en se téléportant. Cependant, il y avait quelque chose de plus, comme une sensation de détachement, de liberté. La sensation qu’il avait pu ressentir ce jour-là, il y a un peu plus de deux ans…

 

PASSE :

 

            Le jour allait bientôt se lever et la guilde avec. C’était la dernière étape à franchir. À cette heure, les guetteurs n’étaient plus qu’à demi- réveillés et ne se tenaient debout que grâce à l’appui qu’ils prenaient sur leurs lances. Le moment était parfait pour agir. Leur attention était dispersée, n’importe quoi aurait pu leur échapper. L’adolescent sortit de sa cachette et s’avança sur le rempart d’un pas souple et léger. Il contourna les deux mercenaires de garde de ce côté tout en s’accroupissant pour éviter d’être repéré depuis le rempart d’en face. Lorsqu’il atteignit le milieu du parapet, il s’arrêta, tendit l’oreille, et jeta des regards inquiets autour de lui. Rien. Personne pour donner l’alerte. Du moins, pour l’instant. Il fallait se dépêcher. Il enjamba les créneaux et, bientôt, il se retrouva de l’autre côté du mur, accroché aux pierres comme il se serait accroché à la vie. Il y avait bien trente mètres entre lui et le sol, si ce n’était plus, et, pour une fois, il remercia la guilde de lui avoir appris à grimper. Il commença sa désescalade, lentement, patiemment. Ses doigts s’écorchaient sur les prises et, parfois, menaçaient de lâcher. Mais il tint bon.

Et tout en descendant, il repensa aux cinq dernières années de sa vie qu’il avait perdues dans cet endroit. Il pensa à Rosind, à ses amis du foyer qui avaient tant changé. Il pensa à Maz et regretta un peu de prendre la fuite comme ça, sans même lui en parler. Mais après tout, c’était mieux pour elle. La vie qu’il allait mener n’allait pas être simple. Il n’aurait pas d’argent, de nourriture, ni même de toit sous lequel dormir. Il allait falloir qu’il se débrouille tout seul, avec sa magie qui causait des ravages et la guilde qui serait peut-être à ses trousses. Oui. Tout compte fait, elle faisait mieux de rester ici. Il ressentit une vive douleur dans son bras. Ça tirait. Non, ce n’était pas le moment. Il ne pouvait pas. Non. Il ne devait pas avoir mal. Pas avant d’être sorti d’ici.

- Hé ! Toi, là !

Il leva la tête dans un sursaut.

L’un des gardes l’appelait depuis là-haut en faisant de grands gestes. Non, non ! Tout se passait bien ! Pourquoi était-il ici, pourquoi surveillait-t-il vers le bas au lieu de regarder au loin ? Il accéléra sa descente. Ses doigts effleuraient les prises, fébriles. Il était constamment en équilibre, sur le point de tomber, se rattrapant de justesse lorsqu’il dérapait. Il entendait la voix du garde, et aussi celle des deux autres mercenaires qu’il avait appelé en renforts.

- Hé ! Reviens ici ! Vous, là ! Descendez le chercher ! Il ne faut pas qu’il s’échappe !

Deux personnes enjambèrent les créneaux et se retrouvèrent sur le mur, avec lui. Ils descendaient vite, mais Jio avait de l’avance. Il continua sa désescalade. Rapidement, dangereusement. Et lorsqu’il ne resta plus que deux mètres entre ses pieds et le sol, il sauta. Il se tordit la cheville en atterrissant et serra les dents pour s’empêcher de hurler. ZIl se mit à courir en boitillant. Derrière, les mercenaires avaient cessé de descendre les remparts et lui lançaient des sorts. Il les évitait du mieux qu’il pouvait, ripostant parfois avec sa magie. Il entendit un cri, puis un bruit mat, comme un corps qui tombe sur le sol. Il en avait fait tomber un. À la hauteur d’où il avait chuté, il était peu probable qu’il soit encore en vie. Tant pis. Il repenserait à lui plus tard, quand il aurait le temps de culpabiliser pour tous les morts dont il avait été à l’origine. Pour l’instant, sa survie primait. Pour l’instant, il devait se comporter comme un monstre, comme une bête sauvage. Il devait être impitoyable ou alors il retournerait à son point de départ. Alors il continua inlassablement d’attaquer ses poursuivants avec sa magie. Et au bout d’un moment, il ne les entendit plus derrière lui. Il n’eut plus à éviter les sorts qu’ils lançaient en rafales. Il les avait semés ! L’adrénaline le poussa encore sur deux kilomètres, puis un point de côté vint l’empêcher de courir. Alors il marcha avec hargne, déterminé à s’éloigner de la guilde. Personne ne le voyait, personne ne le poursuivait. Il était libre. Il sentit le vent caresser ses joues, il poussa un rire innocent, enfantin. Un rire clair qui résonnait dans les montagnes comme une joyeuse mélodie.

 

PRESENT :

 

Il n’ouvrit les yeux qu’au moment où il sentit de nouveau le sol sous ses pieds. Il observa les alentours. Il était dans une rue presque déserte. Il y avait juste une femme qui dormait, abritée sous un morceau de taule. Elle était sale et une partie de son visage était recouverte d’une plaque de métal. Il tourna la tête à gauche, puis à droite. L’endroit semblait immense et ses rues, labyrinthiques. Les maisons s’élevaient très haut dans le ciel, à tel point qu’elles cachaient partiellement le soleil. Les rues étaient sales, il régnait ici une atmosphère mystérieuse. Jio ne se sentait pas en sécurité. C’était donc ça, la face sciento-magique ? Et où pouvait bien être Nethan ? Il n’en avait pas la moindre idée. Alors il prit la première rue à gauche et commença à marcher.

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