Chapitre 26

Par Mimi

 

-       Je trouve qu’on passe beaucoup trop de temps au téléphone, ces temps-ci, a commenté Phil d’une voix tellement sérieuse que je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire.

J’avais téléphoné à Anne de la première cabine téléphonique que j’avais trouvée dans Encharet, je lui avais donné le numéro et Phil l’avait jointe depuis la gare de Villemont pour avoir de mes nouvelles, ne me voyant pas descendre du train. Elle lui avait transmis le message et nous avions pu nous joindre, assez émus et retournés par la situation.

Je lui avais raconté ma drôle impression de déjà-vu et mon instinct qui avait pris le dessus, exactement comme la première fois. Le fantôme de Carole était resté à mes côtés durant la montée jusqu’au bourg, qui s’était révélé au moins aussi désert que la Cordière ou même Sainte-Marie-sur-Dragonne. Je me sentais très seule ce soir-là, bien plus que je n’avais pu l’être ces derniers temps. L’appel de Phil, une heure ou deux après mon arrivée, ne parvenait pas à combler ce vide qui s’était creusé depuis trois semaines, depuis que je m’étais mise à courir après Carole alors que j’aurais dû savoir où la trouver. Heureusement, Phil, qui n’était pas quelqu’un de rancunier, n’avait fait aucune remarque à ce sujet.

-       Même si ça permet de simuler une certaine proximité, je serai bien content de te parler de vive voix, a-t-il poursuivi. Et ça me désole un peu de voir mes espoirs déçus. Je pensais pouvoir te tenir dans mes bras ce soir, et il semble bien que nous devrons patienter jusque demain matin. Je ne vais pas me plaindre, c’est quand même bien d’avoir retrouvé cet endroit. Nous n’aurons pas eu besoin de chercher longtemps ici. J’ai comme l’impression que c’est toi qui fais tout le boulot, Marion. Tu pourrais nous en laisser un peu, quand même.

-       Et qui m’avait préparé tout mon voyage, mon gîte et la liste des villages à visiter ? ai-je riposté en réprimant mes envies contradictoires de rire et de pleurer.

Phil a soupiré à l’autre bout du fil. Je n’ai pas réussi à déterminer si c’était de la lassitude, de l’amusement ou seulement sa respiration.

-       Nous sommes quittes, alors. Tu m’avais pourtant promis que jamais tu ne m’emmènerais à Encharet, le jour où tu as rencontré Carole.

Le ton pince-sans-rire de Phil m’a remuée plus qu’il n’aurait dû. J’ai ravalé péniblement ma salive. Je sentais venir le moment où il me faudrait quitter la protection de la cabine sans savoir comment le repousser. Je ne savais pas où aller.

-       Phil, je peux te poser une question ? me suis-je lancée, sans vraiment savoir où j’allais.

-       Bien sûr, Marion.

Je me suis mordu la lèvre. Je n’avais ni la nécessité ni l’envie de connaître la réponse, mais j’avais le besoin maladif d’être rassurée, de quelque manière possible.

-       Pourquoi es-tu venu ? Pourquoi veux-tu revoir Carole ? Pourquoi est-ce que nous sommes là, à la chercher comme si elle était en danger de mort ?

-       Ça fait trois questions, là, Marion.

J’ai lâché un petit rire sans joie, qui n’a fait que montrer davantage mon état de stress. Cependant, je savais que Phil voyait clair dans mon jeu et avait parfaitement compris où je voulais en venir. Je le soupçonnais d’avoir souhaité la même chose : prolonger la conversation jusqu’à l’épuisement, au cas où d’autres évènements retarderaient le moment de nos retrouvailles.

-       Pour répondre à ta première question, je dirais, très égoïstement, que je suis venu pour toi. C’est toi que j’ai envie de revoir, avant Carole et avant n’importe qui d’autre d’ailleurs. Ça, c’était pour la parenthèse romantique.

Il disait ça très ironiquement, mais les larmes toutes proches me montaient doucement, même si je savais déjà toutes ces choses. Lui aussi me manquait beaucoup, et pour lui aussi j’aurais fait n’importe quoi, pourvu que je le revoie et vite.

-       Ensuite, oui. Je veux revoir Carole parce que je l’aime. C’est sans doute l’une des personnes les plus étranges qui m’ait été offert de rencontrer, à part toi peut-être, mais je l’aime pour ce qu’elle est. Et toi aussi.

J’ai été secouée d’un soubresaut. Je sanglotais sans plus pouvoir m’en empêcher. Etonnant de voir à quel point de si petits mots, que j’aurais pu trouver ordinaires, pouvaient me bouleverser en cet instant. L’amour que Phil portait à Carole, après toutes ces années, me semblait si beau qu’il me touchait avec force. J’ai pris conscience que j’étais habitée par le même sentiment. Carole était un peu comme une enfant que nous voulions protéger et dont nous nous étions un peu occupé.

-       Et troisièmement…

J’ai collé un peu plus encore le combiné à mon oreille, comme si j’avais peu de rater la suite, tant les battements de mon cœur et tout ce qui remuait à l’intérieur de mon corps m’empêchaient d’entendre ce que s’apprêtait à me dire Phil.

-       C’est pour ça que nous sommes là. Parce que nous l’aimons.

J’ai acquiescé, oubliant que Phil ne pouvait me voir. Qu’importe, j’étais sûre qu’il l’avait entendu.

Je me suis appuyée sur les parois en plexiglas, l’écouteur toujours pressé contre mon oreille, bien que Phil reste muet. J’ai fait courir mon regard autour de moi, observant les habitations alentour et les rares voitures qui empruntaient la voie principale. D’après les deux filles qui m’avaient accompagné, il n’y avait personne parce que les touristes n’étaient pas encore arrivés, la saison était trop peu avancée. Je ne risquais pas de croiser grand monde dans les jours à venir. J’attendais avec impatience le moment où nous serions trois pour chercher plus efficacement.

-       Tu as trouvé un endroit où passer la nuit ? s’est soudain inquiété Phil.

Cette préoccupation m’a d’abord paru futile.

-       Je pense que je n’aurai pas trop de difficultés à trouver un hôtel, ai-je suggéré, désireuse de changer de sujet.

-       J’espère que tu dis vrai, en cette saison, tu risques de ne plus avoir un choix très varié…

-       Phil, je n’ai pas besoin d’un quatre étoiles, je me contenterai de ce que je trouverai. J’ai même testé un gîte d’étape récemment. Je n’ai pas peur.

C’était mon côté téméraire qui avait parlé. Il se faisait tellement rare auparavant, ne se manifestant guère que lorsque je voyais quelqu’un d’incroyablement intéressant dans le train, que j’avais l’impression de l’avoir dépoussiéré en même temps que ma vieille bécane qui patientait un peu plus loin, sur le muret derrière moi.

Alors que je soupirais en écoutant tous ses conseils sur comment bien choisir son nid, mon regard s’est lentement posé sur le bottin, sous le clavier du téléphone. J’ai pensé que les seules recommandations dont j’avais besoin portaient sur comment je pouvais trouver l’endroit où descendait Carole, lorsqu’une drôle d’idée m’est soudain venue. Et si… ?

J’ai coincé le téléphone entre mon oreille et mon épaule et j’ai fébrilement feuilleté l’annuaire, à la recherche de la page des M d’Encharet. Etonnamment, il y avait une liste assez longue de Martin. Même dans les villages reculés, ce nom était très répandu… Ce n’était pas de chance. Il n’y avait aucune Carole.

-       Qu’est-ce que tu fais, Marion ? a demandé Phil, légèrement agacé.

Il ne s’énervait pas souvent, pourtant, mais j’ai compris qu’il était inquiet et que ça le rendait particulièrement susceptible.

-       J’ai cherché à Martin dans l’annuaire. C’est une chance qu’il soit encore là et en bon état, mais bon, j’imagine que cette cabine ne sert pas à grand monde. Pas de Carole à l’horizon, et ces gens ne sont probablement pas de sa famille…

En prononçant ces mots, j’ai trouvé qu’ils sonnaient faux. J’ai compté tous les noms que j’avais. Ils étaient huit. C’était largement faisable.

-       Je crois que j’ai une piste, ai-je finalement déclaré.

J’ai noté une à une les adresses dans mon calepin.

-       Ne fais pas tout toute seule, a plaidé Phil après que je lui aie exposé mes intentions. Je ne sais pas ce que ça va donner, mais une chose est sûre, si on ne trouve rien, je te ramène à la maison, de force s’il le faut.

-       Et qui va retrouver Carole ? ai-je répliqué, soudain sur la défensive.

-       Moi. Je n’ai plus de boulot, de toute façon.

J’ai fermé les yeux en le traitant de tête de mule.

-       Bon, Fred s’impatiente. Il va falloir que je te laisse. Promets-moi de te trouver un lit pour cette nuit, d’accord ? On prend le premier train demain matin et on te rejoint à la gare.

-       Très bien.

- Oh et, Marion ? La priorité, c’est vraiment de ne pas dormir dehors, d’accord ? On verra plus tard pour tes Martin.

 

 

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Fannie
Posté le 01/04/2020
Comme il semble y avoir une concentration de Martin dans ce village, il est légitime de se demander s’il y a au moins un membre de la famille de Carole parmi eux. Cela dit, quand Marion l’a rencontrée à cet endroit, Carole lui a répondu qu’elle se promenait, pas qu’elle rentrait à la maison, ni qu’elle allait voir quelqu’un, ce qui pourrait signifier qu’elle venait là comme elle allait à Sainte-Marie ou à la Cordière. Bref, ça doit bien t’amuser de voir tes lecteurs se creuser la cervelle alors que la plupart des réponses sont écrites un peu plus loin.  :-)
Marion se sent plus seule que jamais, mais c’est quand même elle qui s’est mise dans cette galère. Il lui aurait suffi de rejoindre Phil et de le convaincre de venir chercher Carole par ici pour s’épargner des difficultés inutiles. Espérons qu’elle trouvera un toit pour cette nuit, parce qu’elle a vraiment été imprévoyante.
Une autre plume avait déjà mentionné l’absence de technologie, comme les téléphones portables, la connexion Internet, etc. À mon humble avis, cette histoire devrait se passer avant l’ère des téléphones portables, par exemple durant la première moitié des années 90. Outre le fait que ce serait absurde de s’imposer ce genre de complications, il semble qu’aucun personnage n’ait de téléphone portable. D’ailleurs, pour moi la boucle téléphonique que Marion a créée n’est pas claire. Elle a donné le numéro de la cabine à Anne et elle est restée là en attendant que Phil appelle la cabine, comptant sur le fait qu’il ait l’idée de se renseigner auprès d’Anne ? Je pense qu’il faudrait ajouter des précisions et le procédé me semble quelque peu hasardeux. Il aurait pu se passer des heures avant que Phil ne la rappelle.
Coquilles et remarques :
— Je lui avais raconté ma drôle impression de déjà-vu [ma drôle d’impression]
— nous devrons patienter jusque demain matin [jusqu’à demain]
— et avant n’importe qui d’autre d’ailleurs. [Je mettrais une virgule avant « d’ailleurs ».]
— pourvu que je le revoie et vite [Je mettrais une virgule avant « et vite ».]
— Etonnant de voir à quel point de si petits mots, que j’aurais pu trouver ordinaires, pouvaient me bouleverser [Étonnant / Il y a une répétition du verbe « pouvoir » : pu/pouvaient : « que j’aurais trouvés ordinaires en temps normal » ou « à un autre moment », peut-être ?]
— comme si j’avais peu de rater la suite [peur de rater]
— Qu’importe, j’étais sûre qu’il l’avait entendu. [Je dirais plutôt quelque chose comme « qu’il l’avait compris » ou « qu’il l’avait senti ».]
— bien que Phil reste muet [soit resté]
— les deux filles qui m’avaient accompagné [accompagnée]
— J’espère que tu dis vrai, en cette saison, tu risques de ne plus avoir un choix très varié… [Je mettrais un point-virgule ou deux points après « tu dis vrai ».]
— je n’ai pas besoin d’un quatre étoiles [d’un quatre-étoiles]
— les seules recommandations dont j’avais besoin portaient sur comment je pouvais trouver l’endroit [« sur la manière de trouver » ou « sur la manière dont je pouvais trouver »]
— Etonnamment, il y avait une liste assez longue [Étonnamment]
— après que je lui aie exposé mes intentions [ai exposé ; « après que » doit être suivi d’un indicatif]
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