Alexander allait détruire Elaran. Il prouverait sa culpabilité, le mettrait à genoux, et le tuerait de ses propres mains. Il plissa les yeux avec rage lorsque la lumière du soleil l’éblouit à l’instant où il posa un pied à l’extérieur du Grand Temple.
— Attends !
Il ne ralentit pas en entendant la voix d’Altaïs derrière lui. Il ne pouvait pas ; il craquerait dès qu’il croiserait son regard.
— Alexander !
Les doigts fins d’Altaïs se refermèrent autour de son poignet et le forcèrent à s’arrêter en bas des marches menant au Grand Temple. Alexander pivota brusquement. Des larmes embuèrent ses yeux verts. Altaïs ouvrit la bouche, mais ses mots restèrent coincés au fond de sa gorge. Alexander n’aurait pas su dire ce que ressentait le jeune homme, ce qui traversait son esprit à cet instant, mais ses pupilles rétrécies étaient noyées par le lac formé par ses iris.
— Laisse-moi ! gronda Alexander. Je vais trouver Elaran et…
— Non, déglutit Altaïs.
Un pli creusa le front d’Alexander. La détresse et le douloureux sentiment d’injustice qui lui serrait le cœur s’étiolèrent, écrasés par sa colère si vorace.
— C’est une plaisanterie ?
Altaïs le foudroya du regard.
— Tu sais bien que non.
— Merveilleux ! siffla Alexander. Laissons-le donc agir comme bon lui semble ! Et sa magie continuera de te tuer à petit feu !
Altaïs tressaillit, mais son compagnon poursuivit d’une voix furieuse en le voyant prêt à répliquer :
— Et ne t’avise pas de nier ! Ne fais pas comme si de rien n’était ! Pas cette fois !
— Et qu’est-ce que cela changera ? cria Altaïs. Tu veux t’en prendre à Elaran ? Il t’écrasera toi aussi, comme il m’a écrasé pendant des années, comme il m’écrase toujours aujourd’hui !
Alexander écarquilla les yeux, meurtri par la réponse d’Altaïs.
— Alors tu préfères m’écarter ? répliqua-t-il. Comme lorsque tu as profité de mon absence pour aller affronter Dagmar ?
L’expression d’Altaïs se durcit.
— C’était différent.
— Vraiment ? Tu imagines ce que j’ai ressenti lorsque j’ai compris où tu étais ? J’étais terrifié ! Terrifié à l’idée de ce qui avait pu t’arriver, terrifié à l’idée de te perdre !
— Et tu aurais voulu m’accompagner ? cracha Altaïs. Tu aurais voulu le voir me parler ? me regarder ? me toucher ?
— Tu es mon compagnon ! rugit Alexander. Je ferais n’importe quoi pour te protéger ! Et si tu m’écartes…
— MAIS JE VEUX TE PROTÉGER AUSSI !
L’éclat de voix d’Altaïs se répercuta dans la rue, attirant sur eux les regards curieux des passants, mais ses yeux demeurèrent rivés sur Alexander.
— Je veux te protéger de ma famille ! Je veux te protéger d’Elaran, parce que je sais mieux que n’importe qui ce dont il est capable et que je ne supporterais pas qu’il s’en prenne à toi ! De la même manière que je voulais te protéger de Dagmar et de ce qu’il m’avait fait !
Des larmes affleurèrent à la lisière de ses cils, ses poings crispés tremblaient contre ses cuisses. Alexander aurait fait n’importe quoi pour effacer ce mélange de peur et de fureur dans son regard…
Le silence qui vous a été imposé, celui que vous vous êtes imposé, est en train de vous tuer, avait dit la prêtresse.
Mais s’il acceptait maintenant ce qu’Altaïs lui demandait, cela reviendrait à le laisser mourir.
Alexander s’y refusait.
— Je tuerai Elaran s’il le faut. Et je n’attends pas ta permission. Si c’est le seul moyen…
Altaïs releva le menton avec une expression glaciale.
— Il vaut mieux que tu t’en ailles dans ce cas, le coupa-t-il. Je n’ai pas besoin de toi.
Alexander cilla.
— Quoi ?
— Va-t’en.
L’air se refroidit autour d’eux. Un flocon flotta devant le visage d’Alexander, qui se crispa en comprenant qu’Altaïs était sérieux.
— Va-t’en, répéta-t-il. Ne m’oblige pas à utiliser la force.
Alexander réduisit la distance entre eux. La colère glaçait le regard d’Altaïs, tandis qu’Alexander peinait à apaiser la fureur explosive qui bouillonnait en lui.
— Tu ne le feras pas. Et si tu penses que je vais t’abandonner après tout ce que nous avons traversé ensemble, tu te trompes lourdement. Tu ne m’écarteras pas, je n’ai pas besoin que tu me protèges. Mais j’ai besoin de toi, parce que je t’aime.
Il effleura la joue d’Altaïs du bout des doigts puis ramena sa main vers lui.
— Je ne vais pas retourner au palais avec toi. J’ai des choses à faire avant cela, mais lorsque je reviendrai, je te promets de faire tomber Elaran de son piédestal et de briser le sort qui scelle tes souvenirs.
Alexander sentit Altaïs frémir lorsqu’il se détourna, le cœur battant à tout rompre. Déterminé à trouver un moyen de prouver la culpabilité d’Elaran, il ne réfléchit pas davantage avant de s’élancer en direction de la ville basse.
***
Altaïs traversa le hall du palais comme une tempête. La colère embrasait davantage son ventre à chacun de ses pas.
Elaran savait.
Il savait que sa magie était en train de le tuer.
Il avait échoué à le faire condamner pour le régicide, mais cela n’avait fait que retarder l’inévitable. C’était la raison pour laquelle il ne s’en était pas pris à lui depuis son retour du palais ; il lui suffisait d’attendre patiemment.
Je peux t’assurer que ton cadavre pourrira bientôt sous terre, lui avait dit Elaran après le procès.
Avait-il prévu que le sort qui pesait sur son esprit aurait de telles conséquences lorsqu’il avait scellé ses souvenirs ? Et maintenant Alexander voulait lui-même s’en prendre à Elaran, sans tenir compte des risques qu’il prenait…
Altaïs serra les dents. Il savait pourquoi son oncle l’avait gardé en vie si longtemps.
Il lui ferait regretter ce choix.
Il s’était trop souvent écrasé depuis son retour au palais. Aujourd’hui, plus rien ne le retenait d’en finir avec Elaran.
Il était déjà condamné.
Il s’engagea dans le grand escalier du palais, rejoignit rapidement l’étage supérieur et bifurqua en direction de l’aile sud, où se trouvait le bureau de son oncle. Il remonta plusieurs corridors sans tenir compte des regards effrayés qui se posaient sur lui jusqu’à atteindre une porte en bois. Il réprima son envie d’y mettre le feu et l’ouvrit si brusquement qu’elle cogna le mur en se rabattant.
Elaran était installé dans un fauteuil derrière un large bureau en pin, des parchemins étalés devant lui. Il releva la tête avec une lenteur calculée pour observer Altaïs sans que la moindre émotion vienne troubler son visage. Puis l’ébauche d’un rictus releva le coin de ses lèvres.
— Altaïs. Je ne m’attendais pas à te voir.
Altaïs traversa la pièce en quelques enjambées et balaya d’un geste rageur ce qui se trouvait sur le bureau. Les parchemins volèrent, une coupelle remplie d’une encre sombre explosa en touchant le sol.
— Tu savais ! rugit-il. Tu savais ce que ta magie provoquait ! C’est pour cela que tu n’as pas essayé de t’en prendre à moi malgré ton échec lors du procès !
Elaran se releva lentement. Il ne jeta pas le moindre coup d’œil aux affaires qui gisaient par terre. Altaïs frappa violemment le bureau, et ses doigts laissèrent des traînées de givre sur le bois.
— Tu croyais qu’il te suffisait d’attendre pour te débarrasser de moi sans te salir les mains ? cracha Altaïs.
L’air se refroidit dans la pièce, du givre émailla la vitre en verre.
— Vas-y ! Tue-moi ! Tue-moi comme tu ne l’as jamais fait ces deux dernières années, espèce de lâche !
Elaran plissa les yeux. Le givre se répandit jusqu’à couvrir entièrement la surface du bureau. À cet instant, des bruits de pas retentirent dans le corridor.
— Altaïs !
La voix d’Aalis claqua dans son dos, mais il ne lui accorda pas la moindre considération.
Il tuerait Elaran,
il gèlerait ce palais et détruirait cette famille qui n’avait eu de cesse de le briser.
Il leva une main devant lui ; des flammes embrasèrent le bout de ses doigts.
— Cesse, siffla Elaran.
Avant que les flammes ne puissent s’épanouir dans l’air, la magie d’Elaran transperça son esprit, l’écrasa, l’asphyxia. Les jambes d’Altaïs cédèrent et ses genoux percutèrent le sol. Son cri de rage résonna dans la pièce, tandis que le givre formait une étoile blanche autour de lui.
— Elaran ! Assez !
Broyé par la souffrance, Altaïs sentit à peine la magie d’Aalis essayer de tisser une protection autour de son esprit, présence douce et légère comme la brise.
Elle ne pourrait rien face à la tempête qu’incarnait Elaran.
Il entendit un choc sourd, un cri douloureux, et comprit que leur oncle l’avait repoussée. Était-elle tombée ? Il voulut tourner la tête pour vérifier qu’elle n’était pas blessée, mais la magie d’Elaran l’écrasa si violemment qu’elle le courba en deux. Un haut-le-cœur souleva son estomac. Il aperçut les bottes de son oncle s’arrêter près de lui, puis sa poigne de fer attrapa ses cheveux pour l’obliger à relever la tête.
Un gémissement se coinça dans sa gorge.
— Tu as raison, Altaïs. Je n’ai pas besoin de te tuer de mes propres mains ; tu n’es plus qu’un fantôme depuis la fin du procès. Tes éclats de colère n’y changent rien.
— Lâche-le, Elaran ! cria Aalis. Tu ne peux plus cacher ce que tu lui as fait ! Tu ne…
Elaran laissa échapper un ricanement glaçant.
— Et vous continuerez de vous taire, comme vous l’avez toujours fait. Personne ne l’aidera. Personne ne voudra l’aider.
Sa poigne se resserra sur les cheveux d’Altaïs. Celui-ci tressaillit en sentant du sang dévaler sa peau de son nez à sa lèvre supérieure. Elaran ne l’avait pas frappé pourtant…
— C’est faux ! ragea Aalis.
— Vraiment ? Qu’as-tu fait jusque-là ? Lui avais-tu dit que sa vie ne tenait qu’à un fil ?
Altaïs laissa échapper un grondement rageur. Le givre qui couvrait le sol se fissura sous ses doigts. La vitre explosa en une multitude d’éclats de verre et de givre.
Qu’Aalis l’ait su ne le surprenait pas ; qu’elle n’ait rien dit non plus. Il pressentait pourtant qu’elle avait essayé, dans la bibliothèque, en cherchant comment vaincre le sort.
Elle avait essayé.
Et lui refusait qu’Elaran s’en prenne encore une fois à ceux qui l’aidaient.
Il leva laborieusement une main. S’il parvenait à toucher Elaran comme il l’avait fait avec Dagmar…
La gifle qui cingla son visage le sonna.
— Arrête ! hurla Aalis. C’est fini, Elaran ! Tu m’entends ?
Deuxième gifle. Il se mordit la langue, un goût métallique envahit sa bouche. Ses doigts effleurèrent le bras de son oncle… et la douleur déchira les derniers lambeaux de sa volonté, courba son corps, étouffa sa magie.
je veux te tuer
Et la douleur grandit, grandit, grandit jusqu’à le rendre fou.
alors pourquoi en suis-je incapable ?
— La raison pour laquelle je ne t’ai pas encore tué, c’est que je n’en pas vois l’intérêt, susurra Elaran. J’ai d’ores et déjà gagné, et tu es d’ores et déjà mort.
Il se redressa alors que sa magie se résorbait.
— Ma seule erreur a été de croire si longtemps que je pourrais faire quelque chose de toi.
Altaïs ne trouva pas la force de répondre, plié en deux par la douleur qui s’insinuait jusque dans ses nerfs et dans ses os. Des larmes roulèrent sur ses joues, gelèrent avant de tomber sur le sol. Après lui avoir adressé un dernier regard méprisant, Elaran s’éloigna. Il marqua un temps d’arrêt sur le seuil de la pièce pour dévisager Aalis.
— Ne te mêle pas de cela, à moins que tu ne souhaites qu’Harald ait vent de ton misérable secret. Et que ce soit ton garde, Aalis, ou ton Protecteur, Altaïs, je les éliminerais sans remords s’ils tentaient de se mettre en travers de ma route.
Aalis émit un hoquet étranglé. Lorsque Elaran s’éloigna dans le corridor, Altaïs lutta encore quelques instants, mais un sanglot s’échappa de sa gorge, puis un deuxième.
Il voulait tuer Elaran.
Il voulait protéger Alexander.
Il sentit les doigts d’Aalis effleurer son épaule, et pour une fois, il ne la repoussa pas. Il se laissa aller contre elle alors qu’elle balbutiait des excuses sans queue ni tête et qu’il pleurait sans pouvoir s’arrêter.
Il ne voulait pas mourir.
***
Alexander ouvrit la porte de la taverne d’un geste trop brusque. Son regard croisa celui d’un homme derrière le comptoir, qui le jaugea avec méfiance, puis dévia vers le reste de la salle envahie par les cris et les rires gras. Des chopes tintèrent, des gouttes d’alcool éclaboussèrent les tables en bois. Il s’agissait de la troisième taverne où il entrait, et il ne supportait plus cette odeur écœurante qui flottait dans l’air, encore moins les voix qui ricochaient contre les murs et lui donnaient des envies de meurtre. Quelques hommes lui jetèrent des coups d’œil curieux avant de reporter leur attention sur leurs occupations. Un rictus tordit les lèvres d’Alexander à la vue de leurs cicatrices, de leurs armes effilées et de leurs vêtements en cuir sombre.
Il s’avança jusqu’au comptoir, et sortit une pièce dorée de sa bourse qu’il fit jouer entre ses doigts. Le tavernier lui adressa un regard peu avenant.
— Je cherche quelqu’un, déclara Alexander. Des mercenaires qui auraient travaillé avec Dagmar.
Une lueur étrange étincela dans les prunelles de l’homme.
— Pas mes affaires, grogna-t-il.
Alexander sortit une deuxième couronne sans le quitter des yeux, puis une troisième. Il les posa sur le comptoir.
— Table au fond à gauche, marmonna le tavernier en faisant disparaître les pièces. J’veux pas de grabuge.
Alexander tourna les talons sans lui répondre pour se diriger vers la table indiquée, où siégeaient deux hommes carrés d’épaule qui devaient avoir la trentaine. Ils portaient une longue épée dans leur dos, et une rangée de poignards pendait à leur ceinture. L’un d’entre eux leva un visage couturé de cicatrices dans sa direction, et adressa un signe de la main à son comparse pour attirer son attention.
— Vous connaissez Dagmar ? aboya Alexander.
L’un d’entre eux haussa un sourcil avec irritation.
— Ça dépend. Tu lui veux quoi à Dagmar ?
Alexander s’arrêta près de la table et les toisa d’un regard sombre. Ces hommes avaient-ils un jour croisé la route d’Altaïs ? Faisaient-ils partie de ceux qui l’avaient torturé dans sa cellule ?
— On lui a confié pendant deux ans la surveillance d’un prisonnier.
Ses poings se crispèrent lorsque l’un des mercenaires étouffa un ricanement.
— J’me souviens… Le gamin lui a donné du fil à retordre.
— Qui donnait les ordres ? siffla Alexander.
— En quoi ça t’intéresse ?
— Réponds et je me retiendrai de te trancher la gorge.
Le visage du mercenaire s’assombrit. Il se leva en faisant racler sa chaise sur le sol, et se redressa de toute sa hauteur. Alexander lui offrit un rictus glacial. D’un geste parfaitement calculé, il renversa la chope de bière. Un liquide ambré se répandit sur la table, goutta sur les vieilles lattes en bois.
— Réponds, répéta-t-il.
Le mercenaire posa une main sur le manche de l’un de ses poignards. Alexander dégaina à moitié le sien.
— Du calme, soupira l’homme resté assis avec un désintérêt évident. Pas envie de me retrouver à la porte.
— Ce sale…
— Qu’est-ce que ça peut nous foutre qu’il ait ses réponses ?
— Dagmar…
— Dagmar est mort, riposta Alexander. Et vous le suivrez rapidement si vous ne me dites pas ce qu’il en est !
Son éclat de voix attira l’attention sur eux tandis qu’un silence pesant tombait sur les tables avoisinantes.
— Seul Dagmar savait de qui v’nait les ordres. Sans lui, tu retrouveras jamais le commanditaire.
Les doigts d’Alexander serrèrent si fort le manche de son poignard que ses articulations grincèrent. Le mercenaire mentait ; quelqu’un autre avait forcément des informations, un moyen de prouver la culpabilité d’Elaran sans passer par les souvenirs d’Altaïs, un moyen de le condamner et de sauver son compagnon. Si Elaran mourait, plus rien n’emprisonnerait l’esprit d’Altaïs, n’est-ce pas ?
— Menteur !
Du coin de l’œil, il aperçut le tavernier se frayer un chemin entre les tables.
— Fous le camp, gronda-t-il. J’avais dit pas d’grabuge !
Sa mâchoire se crispa.
— Je veux des réponses, gronda-t-il. Quelqu’un d’autre savait forcément !
Le mercenaire debout face à lui laissa échapper un nouveau ricanement. Ses doigts tapotèrent le bord de la table.
— Son prisonnier ! railla-t-il. Dagmar savait s’amuser avec lui, et il savait le faire crier…
Un voile rouge fureur troubla le regard d’Alexander. La digue qu’il avait érigée pour contenir sa colère céda, et toute la hargne qu’il avait retenue jusque-là déferla dans sa poitrine. Il dégaina son poignard d’un geste si vif que le mercenaire n’eut pas le temps de s’écarter ; la lame s’enfonça dans le dos de sa main jusqu’à la garde, lui arracha un hurlement alors qu’il se retrouvait cloué à la table.
Il voulait faire mal.
Il voulait briser comme on avait brisé Altaïs.
Il voulait tuer, détruire le sort qui scellait l’esprit de son compagnon.
Il fit volte-face en comprenant qu’il perdait son temps dans cette taverne miteuse. Dans son dos, le mercenaire hurlait de rage et de douleur, mais il l’ignora. L’homme méritait pire, Alexander luttait contre l’envie de l’achever. On s’écarta avec méfiance sur son passage. Malgré la façade glaciale qu’il affichait, son cœur se morcela peu à peu dans sa poitrine.
Il ne voulait pas voir Altaïs mourir.
***
Vide.
Altaïs se sentait vide.
Il entra sans un bruit dans le mausolée situé au fond des jardins du palais. En sortant du bureau dévasté d’Elaran, il avait erré dans les corridors avec le besoin étouffant de s’éloigner de tout et de tout le monde. Alors que le crépuscule tombait sur la ville, ses pas l’avaient mené jusque-là sans qu’il ne sache pourquoi. La pierre rendait l’intérieur si blanc qu’elle abîmait ses pupilles blessées par le sel. Aucun ornement, seul ce mur couvert de noms de membres décédés de la famille royale.
Une place qui serait bientôt la sienne.
Il ne voulait pas mourir.
Plus maintenant.
Mais plus rien ne pouvait le sauver. Elaran avait soufflé les dernières braises de sa colère au cours de leur brève confrontation. Son oncle avait gagné, et peut-être qu’au fond, il avait lui-même renoncé à se battre. Il s’approcha des noms gravés au burin dans la pierre.
Thorvald II
Eigil Issdraumr til Issheimr
Ellinor til Frostarel
Et tant d’autres…
Il déglutit. À cet instant, il aurait donné n’importe quoi pour avoir connu ses parents, pour se souvenir d’eux. Pour découvrir ce père rêveur et idéaliste, cette mère fougueuse et passionnée que lui avait décrit Evald. Les retrouverait-il auprès de la Magie ? Parfois, des bribes lui revenaient en mémoire. Le visage doux de son père, son étreinte rassurante, cette fois où il l’avait installé sur ses genoux pour lui montrer comment jouer de la harpe. Il baissa son regard sur ses mains ; à une époque, des cales durcissaient le bout de ses doigts à force de pincer les cordes de l’instrument, d’autres ses paumes à force de manier son épée.
Aurait-il été différent si ses parents avaient pu l’élever ?
Il s’était toujours efforcé de ne pas y penser, mais aujourd’hui, le poids de leur absence l’écrasait. Il effleura les lettres qui formaient le nom de son père.
Eigil Issdraumr
Eigil « Rêve de glace »
Avec Ellinor, ils avaient nommé leur enfant Altaïs Isstarna ; Altaïs « Étoile de glace ». Mais Altaïs n’avait rien d’une étoile, ou alors il n’était qu’une étoile à l’agonie. Il ferma les yeux avec une expression douloureuse. Mourir ne serait peut-être pas une si une mauvaise chose ; il serait libéré des émotions qui le torturaient jour après jour, nuit après nuit, de sa souffrance, de sa fureur, de sa peur si voraces. Et Alexander serait libéré du poids auquel il s’était enchaîné.
— Je suis désolé, souffla-t-il.
La prêtresse lui avait dit qu’il avait la clé de son esprit, mais il avait déjà lutté si longtemps…
Il recula d’un pas, parcourut les noms d’un air lointain. Son regard s’arrêta sur un endroit où la pierre avait été lacérée jusqu’à rendre les lettres méconnaissables. Deux noms effacés. Il leva un bras pour caresser les plaies du mur ; les cicatrices de sa famille.
étoile-givre dont l’éclat perdu perdure
Il sursauta, se retourna brusquement mais ne trouva personne derrière lui. La voix n’existait que dans son esprit, mais lui semblait pourtant étrangement familière…
Où l’avait-il entendue ?
tu es l’héritier de notre peur, de notre douleur, tu es le fracas de notre fureur
Il écarquilla les yeux. Des volutes d’une magie ancienne ondulèrent autour de lui, résonnèrent dans sa poitrine, ravivant la flamme soufflée par Elaran.
Ces noms effacés… Cette voix de femme qu’il entendait…
Qu’ont-ils fait de ta voix ?
Un frisson remonta le long de son dos. La prêtresse lui avait appris que sa prédécesseuse ne s’était pas contentée d’affronter le roi Thorvald Ier, elle et son frère faisaient également partie de sa famille. Leur sang était le sien, leur histoire devenait la sienne.
Qu’ont-ils fait de ton corps, de ton esprit, de tes souvenirs ?
Cette famille qui se déchirait depuis des générations…
Que feras-tu de notre mémoire ? de nos espoirs ?
Qui avait brisé les siens… tué les siens…
entre tes mains notre héritage
Et lui, qui était-il au milieu de toute cette violence ?
— Qui es-tu ?
Il avait besoin d’aide. Il avait besoin de comprendre ce qu’il était, ce qu’il avait vécu, de comprendre ces fantômes qui jalonnaient son passé et celui de sa famille.
prince déchu mais pas vaincu
Une chaleur rassurante envahit son esprit, sa poitrine et son ventre, comme si quelqu’un voulait lui dire à travers les âges : « Tu n’es pas seul. »
la Magie ne mourra pas
Il avait survécu pendant des années, à son oncle, à sa famille aveugle, à Dagmar et à ses mercenaires. Il avait survécu à la haine des autres. Il avait survécu lorsqu’on l’avait brisé, lorsqu’on lui avait volé ses souvenirs, sa magie et sa liberté.
Il avait survécu.
Des bruits de pas résonnèrent dans son dos. Il fit volte-face pour croiser le regard vert d’Alexander. Celui-ci esquissa un sourire peiné, et pourtant toujours aussi tendre. Altaïs s’obligea à ne pas baisser les yeux en se remémorant les paroles qu’il lui avait jetées à la figure pour l’éloigner.
— Comment m’as-tu trouvé ? chuchota-t-il.
— Je n’ai eu qu’à suivre le fil de ta magie.
Altaïs ouvrit la bouche pour répondre. Ses mots restèrent coincés dans sa gorge.
— Je ne te laisserai pas, reprit Alexander avec douceur.
— J’ai eu tort, avoua Altaïs. Tout ce que j’ai dit…
Alexander effaça la distance qui les séparait, ses bras l’enveloppèrent, chauds et rassurants. Altaïs se laissa aller contre lui en fermant les yeux, apaisé par sa familière odeur de pin.
— Je sais.
Il releva le visage d’Altaïs avec une infinie tendresse, mais un éclat déterminé étincelait dans ses prunelles.
— Je t’aime, je t’aimerai et je te chérirai. Jusqu’au jour où les étoiles tomberont.
Ses lèvres tremblèrent alors qu’il achevait dans un souffle :
— Et je te fais le serment que nous ferons chuter Elaran avant que ce jour n’arrive.
Je trouve le commentaire de Nathalie très juste pour décrire la dynamique des derniers chapitres. Des pointes d'espoir, parfois l'impression d'avancer mais aussi un redoutable adversaire et des désillusions.
J'aime beaucoup l'idée d'un Altaïs condamné à mourir à petit feu et en même temps le seul capable de rendre justice. Ca peut donner une fin assez épique / tragique. Mais je m'avance un peu.
Sympa la scène avec la magie familiale qui vient réconforter Altaïs, j'aime beaucoup la manière dont tu évoques l’étymologie des prénoms avec cette symbolique étoile / glace.
Comme je te l'ai déjà dit, j'aime beaucoup la relation Alexander / Altaïs. Je trouve sa dynamique intéressante. On comprend ce qui pousse Alexander à aller se montrer violent à la taverne, à laisser libre court à sa colère. Il veut faire quelque chose, se rendre utile à son amoureux.
Un plaisir,
A bientôt !
Les deux compagnons s’éloignent, se retrouvent, un pas en avant, deux pas en arrière, trois pas en avant. Allez les gars. Rien n’est simple mais vous pouvez y arriver.
En effet, ce n'est jamais simple d'avancer, il y a souvent des mouvements où l'on revient en arrière !
J'aime l'idée d'un lien à travers le temps via la Magie ♥
J'aime aussi la relation entre Alex et Altaïs, mais ça te le sais dejà.
On apprend encore plein de choses ici... et j'ai hâte d'en savoir plus.
Un chapitre très riche où il se passe beaucoup de choses, on sent qu'on approche de la fin de ton histoire et que les évènements s'enchainent à marche forcée !
La dispute d'Altaïs et d'Alexander est logique, même si on a envie de leur taper sur les doigts, le côté "je te repousse et te tiens à l'écart pour te protéger" est cohérent d'un point de vue raisonnement.
La confrontation avec Elaran est d'autant plus violente. Je trouve ça cool que jusqu'à la toute fin, Altaïs reste complètement impuissant face à son oncle. Ça montre bien à quel point la magie de l'esprit est puissante dans ton univers.
La scène où Alexander affronte et questionne les mercenaires m'a bien plu, notamment le tavernier qui arrive en mode "eeeeh, mais j'avais dit pas de grabuge !", ça m'a fait sourire x)
Quant à la révélation finale dans le tombeau, je trouve que c'est une super bonne idée de donner un sens inattendu à toutes ces introspections où l'on avait l'impression qu'Altaïs se parlait tout seul ou adressait des commentaires pour le lecteur. D'autant que finalement, qu'il entende les voix des autres fordaedarn, ça fait complètement sens.
À bientôt pour la suite ! :)
Ravie que le chapitre t'ait plu ! Petite question : quand tu dis que les évènements s'enchaînent à marche forcée, c'est plutôt positif, neutre ou négatif ? Parce que pour moi l'expression était plutôt négative mais ta phrase est plutôt l'inverse ^^'
Oui vu la situation, assez logique qu'ils se disputent (il fallait bien que ça arrive à un moment), même si on a envie de leur taper sur les doigts (regard mauvais)...
Clairement, Altaïs reste impuissant face à Elaran jusqu'à la fin... La magie de l'esprit est puissante dans cet univers, mais Elaran l'est tout particulièrement et Altaïs très vulnérable face à cela, donc il cumule un peu les facteurs aggravants x)
Il fallait bien qu'Alex finisse par perdre son calme xD Mais oui j'imaginais trop le tavernier ronchon en mode "mais pourquoi ils m'emmerdent encore ?" x)
Chouette que l'idée te plaise pour les voix des autres fordaedarn (Flammy devrait prendre exemple sur toi, elle ne retient toujours pas le mot, c'est tragique) ! En revanche, je précise juste que ça ne concerne pas toutes les phrases en italique, celles qui sont à la première personne (type "Je te hais", ahem) sont bien les pensées d'Altaïs !
Merci pour ton retour, il me fait très plaisir ! À bientôt ! :)
Je sais que tu mens, que le prochaine chapitre va pas être chouette parce que tu es un être horrible qui prend beaucoup trop plaisir à martyriser ces deux pauvres choupettes qui ont absolument rien demandé. Tu es un monstre :'(
Le début, l'engueulade entre les deux, c'était pas drôle. Enctre Alex qui explose et qui devient violent, et Altaïs qui a surtout peur pout lui, c'était un brise coeur :'( Surtout le côté "Lol, je te repousse pour te protéger", mais des BAFFES Altaïs. J'veux dire, tu te vois pas continuer sans Alex, faudrait peut-être capter que la réciproque est vraie aussi quoi. Alex tout seul, en ayant en plus quitté l'armée de manière non conventionnelle, clairement, ça se termine pas bien x)
Et c'est quoi cette idée d'aller attaquer Elaran sans Alex ? T.T Alors certes, je comprends le raisonnement du perso hein. Mais le chapitre précédent ils convenaient qu'il fallait qu'Alex soit toujours là quand Elaran était dans les parages ^^" C'est le moment d'apprendre à faire des boucliers mentaux et à les mettre en place au bout moment ='D Mais oui, sans ça, clairement, Altaïs peut rien contre son oncle, qui a clairement trop bien préparé le terrain.
D'ailleurs, en lisant, je me suis demandé ce que ça donnait la vie au palais d'Altaïs avant la mort de l'ancien roi. Si là, Altaïs n'est plus que l'ombre de lui-même, à quel point c'était explosif et tendu avant ? ^^" J'avoue que ça me rend très curieuse tout ça.
Bon, Alex et la subtilité qui va chercher des infos ='D En vrai, j'étais surprise que cette piste soit pas explorée avant, mais du coup, c'est cool que ça soit fait à un moment. Par contre, les mercenaires ne savent pas que Dagmar est mort ? Ils ont pas trouvé son cadavre dans la tour ? Enfin bon, je salue le contrôle d'Alex qui n'a pas tué le mercenaire, parce que je donnais pas cher de sa peau vu ses commentaires ^^" Mais bon, c'est pas non plus le moment de finir en prison pour meurtre quoi ^^'
Pour le mausolée, j'ai été un poil surprise par deux trois. Pourquoi Thorvald II n'a pas d'autres noms alors que les autres ont des noms à rallonge ? Et vu que les jumeaux de Thovald I ont été tué par leur père et déjà renié, pourquoi leur nom a été inscrit dans le mausolée malgré tout ? Surtout pour être effacés ensuite ?
Bon, on sait enfin qui est la voix \o/ C'est grand grand tata \o/ Ca me travaillait depuis longtemps et j'avoue que j'y avais pas pensé à cette possibilité alors qu'en vrai, c'est plutôt logique ^^' Bon, au moins, elle aurait réussi à rallumer la flamme chez Altaïs et à lui redonner envie de se battre <3 C'est tellement cool qu'il arrive à dire qu'il ne veut pas mourir =D Et qu'il ne repousse pas Alex à la fin ^^ Alex qui a l'air grave énervé, mais bon, ça peut se comprendre ^^' Ca risque de pas être triste la confrontation avec Elaran, parce qu'au moment où Elaran capte qu'Alex peut protéger Altaïs de ses attaques, Elaran va se concentrer sur Alex et ça va pas être triste ^^'
Elle est oùùùùù la suite ? <3
Juste une remarque, je crois qu'il manque un mot là :
"d’autres ses paumes à force de manier son épée."
Tu veux mettre des baffes à Altaïs et c’est moi le monstre ? Est-ce que tu ne fais pas une projection de ce que tu es sur moi ? Non mais je demande juste comme ça…
Non, l’engueulade était pas drôle, mais assez logique finalement au vu des circonstances et du caractère de chacun ^^’ Ahem, ça t’étonne vraiment le « Je te repousse pour te protéger » ? Bon après c’est sur le coup, Altaïs sait que c’est pas vraiment viable comme solution, mais au moins le temps qu’Alex se calme x)
*Altaïs en roue libre* Riche idée hein d’aller voir Elaran ? Cohérent avec son caractère mais pas super malin vu le passif ^^’ Mais Alex est de retour alors on ne perd pas espoir… Tu auras des réponses pour la vie d’Altaïs au palais avant le régicide bien évidemment :p (le chapitre sur ses souvenirs ne fait pas 5000 mots pour rien mdr)
Pour Alex, la piste n’a pas eu le temps d’être explorée avant surtout ^^ Entre la fin du procès et la fin de l’arc de la tour, le temps est très réduit, et puis techniquement Altaïs n’avait pas le droit de sortir (jusqu’au moment où il a envoyé Harald se faire voir) et son angle d’attaque était plutôt de briser le sceau sur son esprit. Alex essaie de trouver des infos en allant directement voir les mercenaires parce qu’il est un peu désespéré ^^’
Les mercenaires ne savent pas forcément que Dagmar est mort parce que ça arrive fréquemment qu’il s’absente et ils sont pas forcément aller chercher son cadavre dans la tour (autre chose à faire tiens) ! Mais ouais, gros self control d’Alex x)
Pour le mausolée, Thorvald II n’a pas de nom à rallonge parce que c’est son nom de roi qui a pris le dessus (Thorvald II au lieu de Thorvald blablabla). Et le nom des jumeaux est inscrit et effacé parce que c’est une manière de tuer symboliquement leur nom (elles sont sympas les coutumes hein ?) x)
Et ouiiiii, surprise c’est la grande-tante qui blablate dans la tête d’Altaïs :p Et tu vois, tout est bien qui finit bien dans ce chapitre, ils sont ensemble, ils sont déterminés, ils vont défoncer Elaran et hop on en parle plus, ne me remercie pas (aucune raisons que ça se passe mal).
« Elle est oùùùùù la suite ? <3 »
=> Sur mon ordiiiiiiii
Pour le mot manquant en fait c’était fait exprès mais c’est vrai qu’on dirait un oubli xD
Merci pour ton commentaire chou <3