chapitre 26 : Enora

Par Maric

Anam Cara (phon. Man em kau rha)

Sally a été enterrée dans la propriété le lendemain de l’attaque. Erik s’est occupé de tout comme le veut leur coutume et c’est dans un silence religieux que sa dépouille, enveloppée d’un linceul blanc brodé de runes, a été mise en terre. Ensuite, la mélopée, dans leur langue, évoquant la vie de Sally, à la fois joyeuse et triste nous a bouleversé. La dernière note était déchirante. Mes larmes coulaient sans pour autant noyer cette culpabilité que je ressens depuis sa mort injuste. Puis il a invoqué les Eléments et la Nature, faisant naître une brise autour de nous tandis que nous jetions une poignée de terre, un peu d’eau et que des flambeaux étaient allumés aux quatre coins de la tombe. Une fois recouverte de terre. Yaël, Roland et Erik ont posé des buches entrecroisées sur lesquelles Laure et moi avons dispersé des fleurs. Puis Erik s’est emparé d’un flambeau et a enflammé le bucher.

J’ai demandé à Yaël pourquoi ce bucher alors qu’elle était enterrée. Sally avait une peur panique du feu, c’est pourquoi ils n’ont pas voulu brûler son corps afin de respecter ce qu’elle aurait sans doute refuser, si elle avait eu le temps de nous donner des instructions. Le bucher représentait la tradition Aranienne.

Sur Tyl Aran s’est déroulée la même cérémonie en présence de sa famille. Son corps Aranien s’est évaporé dans les eaux du fleuve, recouvert des bouquets jetés par tous ceux qui la connaissant et l’aimait.

Je suis tellement attristée par cette perte, pour sa famille, pour le groupe. Depuis ce qui s’est passé j’évite, autant que faire se peut, la compagnie des autres, même de Laure. Je me sens mal, un poids pèse sur mon âme, un remord, une impression mal définie de responsabilité qui me ronge et me plombe le moral.

Je suis assise dans l’herbe, non loin de l’arbre qui jouxte le miroir d’eau où les garçons et la meute ont l’habitude de se reposer après un entraînement.

Mon esprit est ouvert pour accueillir uniquement la surface des pensées qui se diffusent, sans chercher à en comprendre le sens. C’est suffisant en cas d’alerte ou si l’un de mes compagnons veut me contacter, ce qu’ils ne font pas, respectant mon besoin de solitude.

Je sais qu’ils sont inquiets et perplexes mais je ne suis pas en mesure de les rassurer. J’ai un trop plein d’interrogations auxquelles ils ne peuvent répondre. J’ai parfois l’impression d’avoir perdu mon chemin, d’être dans une histoire qui n’est pas la mienne, qu’on s’est trompé de personne. Suis-je assez forte pour être cette Dame qu’ils attendent tous. Moi qui n’ai jamais rien voulu d’autre qu’une vie normale, enfin normale c’est beaucoup dire puisque je ne l’ai jamais vraiment été avec mon problème de contact.

Est-ce que tout cela est réel ! Mon cœur s'accélère, la sueur inonde mon visage et coule dans mon cou. La tête me tourne, j’ai le souffle coupé.

Perdue dans cette crise d’angoisse qui me tétanise, je n’ai pas perçu la présence qui s’assied souplement derrière moi et m’encercle de ses bras. Yaël ! « Respire ! lentement ! ». Je calque ma respiration sur la sienne pendant un moment et peu à peu l’étau se desserre dans ma poitrine. Je pousse un soupir de soulagement. Il pose un baiser dans mon cou, d’une douceur qui me monte aussitôt les larmes aux yeux, preuve s’il en était que je suis à fleur de peau. Je me détends contre son torse et ferme les yeux d’où s’écoule une larme.

  • Il faut me parler maintenant Norie. Je ne peux pas te laisser t’enfoncer dans ce marasme sans réagir.

Sa voix est calme mais ferme. Je tente d’avaler la boule qui obstrue ma gorge. A qui d’autre pourrai-je confier mes doutes si ce n’est à lui.

  • J’ai une drôle de sensation, dis-je hésitante cherchant mes mots, l’impression que j’aurais pu me défaire de cette bulle et sauver Sally, mais il y avait quelque chose en moi qui… bloquait… Je m’en veux terriblement. Je n’arrête pas de penser au dernier regard qu’elle m’a jeté avant de se poignarder. Je…
     
  • Stop ! tu as fait ce que tu pouvais avec les connaissances que tu as. Je sais qu’elle est partie après avoir lutté pour notre sauvegarde et où elle est maintenant elle peut en être fière.

Yaël resserre ses bras autour de moi pour m’envelopper de sa chaleur qui réchauffe mon corps qui me semble glacé depuis ce jour funeste.

  • Tu ne comprends pas ce que je veux dire, parce que je ne le comprends pas moi-même. Il y a quelque chose dans ma tête qui m’empêche de développer les pouvoirs de la Dame, je le sais… je le sens au plus profond de mon être. Suis-je réellement la personne que vous dites, tout cela n’est-il pas une aberration créée par mon esprit malade ?
     
  • Je suis réel Norie, tout comme Roland et ce que tu as vécu sur Tyl Aran. Je crois surtout que si peu qu’elle soit entrée, la chose a réussi à endommager ta confiance en toi, je le vois bien.

Je suis abasourdie par son analyse et c’est vrai que tous mes doutes viennent de ce jour-là… enfin presque tous.

  • Quant à tes pouvoirs de Dame, j’ai bien compris crois-moi ! Roland le sait également, mais personne ne t’en veux. Car tu n’y es pour rien !

Je me tourne pour lui faire face et tombe dans ses yeux profonds où luit ce sentiment qui fait miroir au mien, que nous ne nommons pas mais qui nous enveloppe et nous isole du monde en cet instant.

  • Qu’est-ce que tu sais que tu ne me dis pas ?
     
  • Rien de plus que tu ne sais toi-même, Norie. Fais un retour en arrière et visualise tout ce que t’as dit Laure.

Les sourcils froncés, je hoche négativement la tête. Non ! pas maintenant, je ne veux pas. Je ne sais pas pourquoi mais ça me terrifie. Je préfère m’intéresser à lui.

  • Je veux savoir comment tu vas, toi !

Je pose mes mains sur son torse et je scrute ses yeux fatigués, perdus dans le vague. Il les baisse sur moi avec une grimace de dérision.

  • Je vais bien, Norie… Non ! Soupire-t-il, elle me manque naturellement, je suis en colère, furieux et je n’attends qu’une chose, repartir et découvrir celui ou celle qui est responsable de sa mort et qui ne cesse de s’en prendre à toi.
     
  • Et à toi !
     
  • Moi ? Oui mais seulement parce que j’étais un obstacle. Cette chose a certainement lu dans l’esprit de Sally, ce que tu représentes pour moi et elle a dû penser qu’en m’éliminant, elle arriverait plus facilement à te tuer.

Pourtant dans les pensées de Sally je suis sûre que la Dame figurait au premier plan. J’étais même gênée par le respect et la dévotion qu’elle me montrait. Donc…

Yaël a suivi ma pensée et sa mâchoire se crispe.

  • Donc, cette chose a, en plus, compris que tu dissocie la Dame de ta personne et c’est ta faiblesse. Tu. es .la .Dame. Cette séparation que tu fais entre elle et toi t’empêche d’atteindre ton plein potentiel… et elle le sait.

Il a raison ! Je n’avais pas pris conscience jusqu’à cet instant que je considérais la Dame comme une personne distincte de moi tout en étant… moi ! compliqué, je sais. Yaël repousse une de mes mèches derrière mon oreille et baisse sa main en caressant ma joue. En cet instant, je sais que j’ai une autre faiblesse, bien plus importante : Yaël. Je ne supporterais pas de le perdre.

Je prends sa main dans la mienne et me remet dos à lui en la gardant contre mon ventre tandis son autre main se pose sur un de mes genoux que j’ai relevés.

Je réfléchis à ce qu’il m’a dit depuis le début de notre conversation, en remonte le fil et arrive à ce moment crucial que j’ai refusé d’explorer. Là est la clé ! Pourquoi me remémorer les révélations de Laure est-il aussi perturbant ? Pourquoi ai-je si peur ? Il n’y a rien dans ce qu’elle m’a dit que je n’ai vécu depuis, la télépathie en premier lieu. Je sèche !

  • Laisse reposer Norie, plus tu te focaliseras dessus et moins tu trouveras.

Je m’agace et me crispe entre ses bras

  • Tu sais et tu ne veux pas me le dire, c’est ça ?
     
  • Non ! je ne sais rien, je constate seulement que tu éclipse une partie de l’histoire.

Ok ! Inutile de lui demander, je sais déjà qu’il ne répondra pas. Je dois trouver seule. J’y repenserai plus tard, tranquillement.

Forte de cette décision qui n’est pas une dérobade, enfin je crois, je me détends et profite de sa chaude présence et de cette alchimie qui nous lie et que je ne peux plus occulter.

Un engourdissement délicieux s’étend dans mes muscles, ma tête. Je respire l’odeur corporelle de Yaël mélange léger de transpiration, de cuir d’où ressort une note boisée et une pointe de cèdre. Emoustillée je sens ma féminité réagir à sa fragrance et à sa présence derrière moi.

  • Yaël !

Je suis surprise par ma voix rauque et chuchotante, comme une prière.

Il souffle doucement dans mon cou me faisant frissonner et vient y enfouir son nez respirant mon parfum comme pour s’en griser. Il se colle à moi et je sens son désir dur contre le bas de mes reins. Soudain ce sont les cheveux longs de Yëlan qui me caressent les bras, c’est sa main qui tourne mon visage vers le sien que je vois derrière mes paupières fermées. Les lèvres qui se posent doucement sur les miennes comme une plume légère lui appartiennent. « Man em kaw rah» ces sons chuchotés dans ma psyché chantent en moi. La passion avec laquelle il me les envoie me fait trembler contre lui et me bouleverse. « Tu me traduit ?» J’envoie cette demande d’une voix intimidée par cet afflux de sensualité. « Mon âme sœur ». Je hoche la tête en souriant, en total accord avec lui. Oui, je le sens au plus profond de mon corps et de mon cœur, c’est ce que nous sommes depuis le début de ma danse sur la toile. Je caresse son visage d’une main tremblante, la poitrine gonflée par une émotion qui me submerge.

J’ouvre les yeux sur les obsidiennes qui reviennent, comme moi, à la dure réalité. Il transpire du contrôle qu’il s’impose et je suis dans le même état. Je recule pour laisser de l’espace entre nous et ne pas être tentée lui sauter dessus comme une mort de faim.

C’est très étrange, si je faisais l’amour avec lui maintenant, j’aurais l’impression de le tromper, c’est vraiment schizophrénique comme situation.

Je ris, désabusée et me raccroche à son sourire ironique. Il se lève et me tend la main pour m’aider.

  • Pourquoi tu refuses à ce corps de nous laisser aller à notre envie l’un de l’autre, c’est le tien autant que celui de Tyl Aran.

Il se tend et détourne ses yeux. Je n’aurai pas ma réponse je crois. Aussi suis-je surprise lorsque les mots sortent de sa bouche, alors que nous retournons au manoir, son bras autour de ma taille.

  • Tyl Aran est mon monde et le corps là-bas est le mien. Celui-ci est un emprunt. Il faut tellement de temps pour trouver un corps sans faire de mal à qui que ce soit que lorsque je partirai, une nouvelle sentinelle prendra ma place… et je ne peux supporter que ce corps qui t’aurais touché abrite un autre esprit… je préférerais le tuer !

Ouah ! Emue par sa détermination, je lève mon visage vers le sien, dont les mâchoires sont tellement serrées que j’entends grincer ses dents. J’ai l’impression de ne plus toucher terre. Je le savais possessif mais à ce point… mon cœur s’emballe. Je mords mes lèvres qui ne cessent de frémir et passe ma langue dessus en un geste inconscient que Yaël fixe de ses yeux enfiévrés. Il se penche vers moi lisant dans mes yeux la tension « Viens ! mettons-nous dans une de tes bulles et je te montrerai comment je te ferai mienne là-bas!».

Je me liquéfie sur place. Les jambes flageolantes, soutenue par son bras, nous traversons le hall et grimpons à l’étage, direction… une chambre, la sienne, la mienne, peu importe. L’avantage avec le partage de nos psychés, c’est que nous pouvons vivre les fantasmes de l’un et de l’autre comme un rêve érotique. C’est mieux que rien et pour en avoir eu un aperçu avant mon départ pour Tyl Aran, j’en frissonne d’avance.

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