Andréa
Je me suis réveillé plusieurs fois dans la nuit : à cause de l’inconfort de la position, du froid, mais aussi des cauchemars.
Je crois que le plomb de la toiture laisse passer l’humidité, car mes vêtements sont moites : un bonheur cette cellule. Quand les premières lueurs se glissent par la lucarne, je me redresse avec une grimace. Je jette un coup d'œil à Cesare. Il est roulé en boule sur la planche de bois avec son seul pourpoint pour couverture. Son vêtement doré contraste avec la fresque au-dessus de lui. Une masse terrifiante qui s’étale sur tout le mur. C’est une silhouette dotée d’une multitude de bras et d’ailes, un mélange entre un être humain et un oiseau. Il a réussi à utiliser les aspérités de la paroi pour créer du relief et les plumes de sa chimère ont l’air de s’extirper de leur gangue de pierre. J’ai l’impression qu’il est à la merci de cette créature et ça me fout le bourdon. Il a vraiment un grain.
J’entends la porte du couloir se déverrouiller et le gardien fait son apparition. Il se fige en apercevant l'œuvre dans la cellule, murmure une prière au Sérénissime et pose dans la trappe une nouvelle ration de gruau. Alors qu’il est prêt à partir, je l’interpelle.
— Vous voulez quelque chose d’autre ? me demande-t-il.
— Oui.
Je me lève, me courbe pour éviter que mon front ne vienne percuter le plafond et je m’accroche à la grille. J’aime bien la tête du gardien, son visage viné, qu’il cache en partie sous une barbe mal dégrossie, ses yeux vifs comme ceux d’un chat et son nez aussi droit qu’un crayon. Il m’inspire confiance. Après, j’ai souvent tendance à faire confiance aux gens un peu estropiés ou un peu différents. Alors que les culs dorés, tout lisses et propres, me sortent par les narines.
— J’aimerais bien un poulet bien cuit, un massepain à la cannelle, un vrai lit, et, si possible, la liberté. Mais, je ne veux pas abuser de votre temps.
— On m’a dit que vous étiez un drôle de garnement, me répond-il.
Je suis un peu blessé par cette comparaison. Un garnement n’impose pas le respect. C’est un peu la mouche qui empoisonne la vie des gens. Je fais un effort pour ravaler ma fierté.
— On vous a dit quoi d’autre sur moi ?
— Rien et ce ne sont pas mes oignons.
Brave homme. Un bon exécuteur d’ordre, droit dans ses bottes, qui fait son travail sans poser de questions. J’examine ses habits, ses accessoires, à la recherche d’une allégeance quelconque, d’une marque qui me donnerait un indice sur notre lieu de détention. Rien. Il a tout de l’homme de main sans histoire, père de famille certainement.
— Je m’appelle Andréa. Et vous ?
Le garde paraît étonné de ma question.
— Matteo.
— Enchanté Matteo.
— Vous êtes né dans quelle cité ?
— Celle-ci.
Je souris de frustration. Il ne va pas me faire le plaisir de me donner le nom de cette cité, le salopiaud.
— Je pensais que le lever de soleil était plus tardif dans la cité de Matova.
Il demeure silencieux, conscient ou habitué au piège que j’essaie de lui tendre.
Mon regard s’arrête sur son médaillon autour de son cou. À l’intérieur, il doit avoir de jolies représentations de sa famille.
— Vous avez des enfants ?
— Oui, deux filles.
— Comment s’appellent-elles?
— Ça vous intéresse ?
— Oui, vous risquez d’être notre principal interlocuteur pendant les jours à venir, autant que nous ayons des choses à nous dire.
— Luciana et Julia.
Durant quelques minutes, il me parle d’elles, de leur caractère bien trempé et des tours qu’elles lui jouent. Je n’en ai strictement rien à faire, mais j’essaie d’avoir l’air passionné par ses explications.
Une cloche annonce neuf heures et le garde place les mains sur ses hanches pour m’indiquer son intention de partir.
— Vous avez besoin d’autre chose ?
Je demeure muet. Tout se mélange. Là, tout de suite, j’aimerais savoir qui nous a enlevés. Ce qu’on fout là et combien de temps on va y rester. Je veux comprendre ce qu’il se passe, retourner voir ma mère, donner un coup de pied dans les parties au Paternel, rire avec Sirani, flâner dans les ruelles, voler deux-trois boutons de manchettes et manger un bon poulet. Bref, tout sauf rester ici avec Cesare fin-du-monde.
Devant mon silence, Matteo tourne les talons. J’entends le cliquetis des verrous maudits et je demeure de longues minutes à fixer la lucarne et la pluie qui accentue ma peine.
Les heures s’égrènent. Cesare dort toujours d’un sommeil agité. Je fais le tour de la cellule, passe mes doigts sur les fissures, les failles, les imperfections comme si chacune d’elles recelait une solution. Je remarque quelques gravures, des noms perdus dans le ciment, des petites entailles qui témoignent du temps passé ici par les autres prisonniers. Dans un coin, j’en compte deux cent cinquante. Quasiment huit mois. Un frisson me traverse l’échine.
Le sentiment d’injustice me grignote peu à peu. Depuis minot, je dois survivre, depuis minot, je me prends des coups. Quand est-ce que ça va s’arrêter ? j’ai beau me forger une carapace de sarcasmes et de puérilité, cela ne va plus suffire.
La voix de ma mère résonne en moi : tu as toujours réussi à t’en sortir, même la fois où tout te semblait perdu ! Rappelle-toi qu’il vaut mieux être celui qui s’adapte le mieux que celui qui est le plus fort ! Regarde autour de toi. La nature résiste, car elle s’adapte constamment.
Elle a raison, mais comment tirer profit de cette situation ? Comment m’adapter quand mon seul atout est un dormeur dépressif à qui on a toujours tout cédé par le passé ?
Et artiste. Tu oublies que c’est un grand artiste, me souffle mentalement ma mère.
J’ai presque envie de débattre avec cette voix qui me pousse à accorder du crédit à Cesare, mais je m’aperçois qu’il se réveille.
Enfin !
Il a l’air d’avoir pris dix ans d’un coup. Il se redresse et ses paupières papillonnent, comme s’il ne comprenait pas où il se trouvait. Je m’approche et lui tends le reste du gruau que j’ai eu la politesse de ne pas terminer.
— Merci, marmonne-t-il.
Il se tient courbé, comme si le monstre le dominait.
En silence, il mange trois cuillères, puis se lève et place la vaisselle dans la trappe. En se retournant, il aperçoit son œuvre sur le mur latéral et se fige comme s’il était lui-même horrifié par sa production.
— Oui, ça m’a surpris aussi. Je pensais à autre chose en guise de décoration intérieure.
— Je vais demander comment l’effacer lorsque le gardien reviendra.
— Mattéo.
— Quoi ?
— Le gardien s’appelle Mattéo.
Cesare n’ajoute rien, reprend sa position initiale, puis enlève sa chemise et la secoue. Il ne me porte aucune attention. Il ne me demande pas comment je me sens, si j’ai dormi, si j’ai mangé. Rien. Son égoïsme me cisaille le cerveau. Ce n’est pas possible qu’une personne aussi horripilante que lui puisse exister sur cette planète !
Je me force à me reprendre. Allez, je vais devoir composer avec lui. Je me lance :
— Pourquoi on nous a enlevés à ton avis ?
Cesare se met à contempler la grille. À sa tête, je comprends qu’il a des hypothèses, mais qu’il ne va pas les partager avec moi. Je souffle d’énervement. S’il commence à la jouer solo, je ne vais pas tenir longtemps. Je décide de lui tirer les vers du nez.
— Tu crois qu’ils vont demander une rançon au Paternel ?
— Non.
— Ils vont le faire chanter ?
— Non.
— Alors c’est une vengeance ?
— Non.
— Un défi ? Un pied de nez ? Une humiliation ?
— Non.
— Peut-être qu’ils veulent nous tirer le portrait, car on est trop beau ?
Cesare fronce les sourcils en me jetant un regard condescendant. Je lui renvoie son air de pète-sec. Ce gars ne comprend pas le sarcasme. Le Paternel a vraiment raté son éducation.
— C’est en lien avec le concours ?
— Certainement.
Un frisson glacial me parcourt le corps.
— Ils veulent nous empêcher de réaliser le chef-d'œuvre !
— Crie-le encore plus fort, je crois que les prisonniers des autres cellules ne t’ont pas entendu.
— C’est de la triche ! Tu crois qu’ils vont nous garder pendant quatre mois ?
Cesare ne répond pas, mais son silence est éloquent.
Je jure :
— Mia Santa madre.
Non. Je ne veux pas rester quatre mois ici. Impossible. Je pense à ma mère dans son tableau qui risque d’y finir ses jours si je ne remporte pas le concours. Non. Je ne l’abandonnerai pas.
Pense adaptation. ADAPTATION.
— À ton avis, quelle famille est derrière cet enlèvement ?
La mine de Cesare s’assombrit.
— Toutes le sont possiblement. Dans le passé, il y a même eu des machinations pour tuer certains héritiers.
— Rassurant.
J’ai un pincement au cœur en imaginant la famille de Sirani organiser notre enlèvement.
— Mon père… Notre père, se corrige-t-il, nous retrouvera très vite, il a les ressources nécessaires. Dans quelques jours nous serons libres.
— Alors, moi, je n’aime pas attendre et dépendre de quelqu’un, encore moins du Paternel. Donc, je te propose qu’on pense à un plan pour sortir d’ici.
— Une évasion ?
J’ai l’impression qu’il est surpris par ma proposition…
— Explique ton idée, reprend-il.
Je me lance dans l’explication de mon stratagème que je viens d’inventer en quelques minutes.
— Dans un premier temps, je fais ami-ami avec Mattéo pour gagner sa confiance. Ensuite, on essaie d’obtenir une promenade pour se dégourdir les jambes, histoire de repérer les lieux et de savoir quelle cité nous a enlevées. Après, tu fais un malaise pour que le gardien ouvre la porte, je l’assomme gentiment parce qu’il est gentil, je récupère les clés, je nous délivre, on se carapate sur les toits et, enfin, on rentre à l’Académie en toute discrétion, qu’en penses-tu ?
— C’est un plan lamentable et qui va empirer nos conditions de détention.
Je le dévisage, dépité.
— Ta foi dans mes capacités me bouleverse.
Il me fixe, imperturbable.
— Je pense que l’on ferait mieux d’attendre quelques jours. Il va nous délivrer.
— Tu me donnes envie de gerber.
— C’est réciproque.
Je lève les yeux au plafond.
Adaptation. Ou abandon ?
Je peux aussi m'enfuir tout seul.
Bien bien bien. On est toujours pas sur l'amitié fraternelle que je leur souhaitais, hein?
Je trouve aussi le plan d'évasion d'Andréa un peu candide, mais Cesare m'agace sur ce chapitre. Il est tellement plat, il se laisse tellement faire... Une paire de claques, peut-être, pour le réveiller un chouilla ?
J'aime bien Andréa dans ce chapitre en revanche. Je suis certaine que ça lui sera utile de s'intéresser à Mattéo, et j'aime le fait que LUI AU MOINS essaye de faire quelque chose.
Deux remarques :
- "Il a réussi à utiliser les aspérités de la paroi pour créer du relief (...) ça me fout le bourdon. Il a vraiment un grain. " -> je te comprends, Andréa, je te comprends... Je trouve aussi qu'il commence un peu à avoir un grain.
- "On m’a dit que vous étiez un drôle de garnement" -> donc les kidnappeurs le connaissent bien... Dommage qu'Andréa ne l'ait pas relevé, ça aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Je trouve le terme gentillet, donc je n'ai pas l'impression que ça soit une famille de quelqu'un qui veuille foncièrement du mal à Andréa. J'élimine la folle qui tape tout le monde.
À bientôt !
"Je trouve aussi le plan d'évasion d'Andréa un peu candide, mais Cesare m'agace sur ce chapitre. Il est tellement plat, il se laisse tellement faire... Une paire de claques, peut-être, pour le réveiller un chouilla ?"=> ahah, je te laisse faire, moi il ne m'écoute pas :p
"J'aime bien Andréa dans ce chapitre en revanche. Je suis certaine que ça lui sera utile de s'intéresser à Mattéo, et j'aime le fait que LUI AU MOINS essaye de faire quelque chose."=> on est d'accord !
"Dommage qu'Andréa ne l'ait pas relevé, ça aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. "=> pas faux ! Je pourrai rajouter une petite phrase d'introspection à ce sujet !
"Je trouve le terme gentillet, donc je n'ai pas l'impression que ça soit une famille de quelqu'un qui veuille foncièrement du mal à Andréa. J'élimine la folle qui tape tout le monde."=> tu verras, tu auras la réponse bientôt !
Mak'
Du coup, on se pose vraiment la question de pourquoi le gardien de prison accepte de leur apporter autant de choses, c'est suspect !
Effectivement cela va les retarder pour réaliser leurs œuvres ...
Bon, toujours pas de rapprochement entre les deux dans ce chapitre ^^
Pour la relecture
« Mais, je ne veux pas abuser de votre temps. »
Pas de virgule après le « mais », je te relève souvent cette erreur, soit après mais soit après jamais en début de phrase tu veux absolument mettre une virgule : p mais non ! Toujours pas Mak ^^ ; )
Oui, il faut attendre encore un peu avant d'avoir un peu de rapprochement, en même temps ils sont autocentrés tout les deux !
"Du coup, on se pose vraiment la question de pourquoi le gardien de prison accepte de leur apporter autant de choses, c'est suspect !"=> Ahah, en effet ;)
"Pas de virgule après le « mais », je te relève souvent cette erreur, soit après mais soit après jamais en début de phrase tu veux absolument mettre une virgule : p "=> qui a inventé la ponctuation sérieusement ? ;p
A bientôt !
Mak'