Chapitre 27

Par Notsil

La tête bourdonnante, Axel s’éveilla en gémissant. Il cligna des paupières, découvrit les murs verts de sa chambre. Quelqu’un avait même pris soin de remplir de fleurs un vase posé sur la commode. Des chrysanthèmes, blancs et jaunes. Les fleurs préférées de sa mère.

Tu es réveillé ?

Axel sursauta, avant de sentir la caresse de Telclet sur son bras. S’il en croyait ses pensées, son Compagnon ne l’avait pas quitté et s’inquiétait de la réaction d’Axel.

Je ne t’en veux pas, transmit-il.

Il perçut un intense soulagement, et s’aventura à caresser l’animal du bout du doigt. Il était chaud et doux, ses plumes minuscules par rapport aux siennes. Tellement brillantes, aussi.

Ils étaient donc rentrés à Valyar, sur Sagitta. Axel déglutit. Il n’avait pas vraiment envie de confronter ses parents. Ni ses sœurs. Eraïm, il n’avait envie de voir personne.

Je peux leur dire que tu dors encore, dit Telclet.

Axel sourit. Il n’était Lié que depuis peu, pourtant il comprenait déjà que Telclet ferait tout pour lui, et qu’il serait prêt à tout pour son Compagnon également.

Merci. Mais je ne peux pas reculer éternellement ce moment.

L’assentiment de Telclet lui mit du baume au cœur. Lui aussi comprenait qu’agir avec honneur n’était pas choisir la facilité. Il aurait préféré retourner se blottir sous sa couette. Avec le recul, il avait honte de ses actions. Brûler un village ! Jamais il n’aurait dû faire ça. Il aurait pu blesser des gens. Pire, tuer des innocents. Dans sa fureur contre Solerys, il les avait tous jugés complices.

Tes émotions étaient légitimes. Ils t’ont utilisé. Manipulé.

Ils ont été jusqu’à effacer mes souvenirs.

Oui.

Et pourtant….

Pourtant, il avait pris du plaisir à cette vie paisible et tranquille, loin de son quotidien tourmenté. Nul n’avait commenté la couleur de ses ailes ; nul n’avait écarquillé les yeux sur ses pouvoirs. Il avait été un artisan comme un autre au sein du village. Une totale acceptation.

Les larmes montèrent à ses paupières.

Tu regrettes vraiment ?

Je ne savais pas. J’étais heureux, quelque part.

Un bonheur qui avait un prix, nota Telclet.

Un prix que je ne suis pas prêt à payer.

C’était grâce à Telclet et à son groupe de serpents des vents, qu’il avait commencé à comprendre que quelque chose clochait.

Je t’ai longtemps appelé. Tu étais sacrément têtu.

Mais je ne comprenais pas encore très bien.

Nous n’étions pas Liés. C’est toujours plus difficile.

Solerys disait que les murmures conduisaient à la mort.

Notre morsure est mortelle, confirma Telclet.

Mais alors…

J’ai pris garde à ne t’inoculer qu’une faible dose, précisa son Compagnon. Tu es quand même resté inconscient deux jours.

Axel frissonna.

Tu as peur de moi ? s’inquiéta Telclet.

Non, le rassura aussitôt Axel. Je n’avais juste pas réalisé que j’étais passé si près de la mort.

J’agis dans ton intérêt.

Mais me tuer ne te tuerait pas.

Peut-être que si. Notre lien est plus profond que tu ne le penses.

Telclet voleta autour de lui, avant de s’enrouler sur son bras.

J’ai faim, avoua-t-il. Je ne sais pas où trouver à manger, ici.

Axel se leva, fit quelques pas vers sa commode, attrapa un pantalon qu’il enfila, puis passa la tête dans l’ouverture de sa chemise et noua les lacets sur les côtés.

Tu manges quoi ? Des fruits, du poisson ?

Plusieurs images défilèrent dans son esprit. De petits insectes, des champignons, et de grosses limaces moelleuses. Axel se sentit nauséeux.

C’est très bon ! s’indigna Telclet.

Je te crois. Je préfère les fruits, c’est tout.

Le serpent des vents siffla doucement, moqueur. Axel soupira, ouvrit la porte. Tandis qu’il descendait les escaliers, il perçut les murmures de conversations ; il n’avait même pas pensé à regarder l’heure. Les marches craquèrent, et les murmures se turent.

Le ventre noué par l’appréhension, Axel entra dans le salon. Il était lumineux, avec sa large baie vitrée et ses murs peints de jaune. Plusieurs aquarelles ornaient les murs ; surtout des fleurs. Mais cette fois, Axel n’avait d’yeux que pour la brioche posée au centre de la table, dont l’odeur parvenait jusqu’à ses narines. Il avait très faim, tout à coup, sans savoir si c’était lui ou s’il ressentait la faim de Telclet.

Une brioche ? Je ne connais pas.

Une chaise racla le sol. Sa mère se leva, souriante.

— Nous ne t’attendions pas si tôt. Comment vas-tu ?

Son père était là, lui aussi, en train de boire son thé. Ils étaient donc le matin. Et s’il en croyait la tenue civile de son père, jour de repos. Satia portait une tenue confortable ; une tunique jaune sur un pantalon moulant d’un bleu foncé. Elle avait pris l’habitude du style vestimentaire Massilien ; les robes y étaient plus rares, car peu compatibles avec le vol. Du coup, elles étaient réservées aux grandes occasions.

Elle perçut tout de suite son malaise et son hésitation ; combla en trois pas l’espace qui les séparait et l’enserra de ses bras.

— Je suis heureuse de te retrouver, Axel. J’ai eu très peur pour toi.

— Merci, maman.

— Veux-tu manger quelque chose ? Installe-toi.

Axel prit place, et Telclet glissa près de son assiette, curieux.

— Prends une brioche, proposa Lucas. Ta mère a commandé celle aux pépites de chocolat, elle sait que ce sont tes préférées.

— Merci, mais je ne sais pas s’il va aimer.

Telclet darda sa langue pour mieux percevoir  cette étrange nourriture.

                Ca sent bizarre. C’est gros. C’est quel animal ?

                C’est de la patisserie. Tu n’es pas obligé d’en manger.

Le soulagement de son Compagnon était tel qu’Axel sourit.

— Qu’est-ce qu’il aimerait, alors ? demanda Satia.

— Des insectes ? répondit Axel avec une pointe d’hésitation.

Telclet transmit toute son approbation et sa perception du délice à venir. Axel ne put s’empêcher de grimacer. Lucas éclata de rire. Axel fut soulagé.

Tu avais peur de ton propre père ? s’étonna Telclet.

Il m’a semblé plutôt fâché, la dernière fois, avoua Axel.

Il ne t’aurait jamais fait de mal, protesta Telclet.

Je sais, fit piteusement Axel. Je ne l’avais juste jamais vu aussi… contrarié.

Furieux. C’est le mot que tu cherchais.

Un éclair de lumière le força à fermer les paupières ; ébloui, Axel papillonna des yeux. Un phénix s’était matérialisé aux côtés de sa mère.

— Séliak peut l’accompagner dans le jardin, dit Satia. Attention aux vitres.

Tes parents sont Liés à des phénix, dit Telclet. C’est exceptionnel.

Je sais, soupira Axel.

Je comprends mieux pourquoi tu étais si difficile à atteindre. Ne t’inquiète pas, les phénix ne sont pas les créatures les plus rares du Wild.

Comment tu sais que…

Je connais tout de tes pensées, Axel, c’est le principe du Lien.

Le serpent des vents se glissa à l’extérieur dans le sillage de Séliak et Axel repoussa son assiette, tout appétit envolé. La gorge nouée, il reporta son attention sur son père.

— Est-ce que je vais être puni ?

Lucas eut un geste de dénégation.

— Le Messager Itzal a expliqué la situation aux autorités d’Orein. Plusieurs jeunes femmes ont été reconnues par des proches, et des Courriers doivent être déployés sur la région avec le signalement des autres. En attendant, elles ont été hébergées dans un centre et prises en charge par des Guérisseurs compétents au dispensaire. Solerys est gardé sous surveillance, en attendant son procès. Il est accusé d’enlèvement, séquestration, et manipulation. Avec le témoignage de ses victimes, il y a fort à parier qu’il ira passer les prochaines années sur Kléïto.

Axel frissonna. Le sixième Royaume était dominé par deux climats extrêmes ; un désert glacé régi par un système patriarcal et un désert de sable et de roches où les femmes étaient au pouvoir. C’était sur la fine bande de terre au climat plus traditionnel que se trouvaient les camps de prisonniers des Douze Royaumes. Ils y étaient peu encadrés ; les montagnes au Nord et au Sud formaient une barrière naturelle, et en cas de fuite, les populations autochtones avaient le droit de vie et de mort sur eux.

De quoi dissuader la plupart des condamnés. Mais Axel savait qu’un manipulateur comme Solerys ne serait pas tant désorienté dans cet univers impitoyable.

— Ne t’en fais pas tant, mon chéri, ajouta Satia en prenant sa main. C’est fini, maintenant.

— Mais j’ai quand même détruit tout un village, menacé Solerys…

Satia pinça les lèvres.

— Tu as des circonstances atténuantes. Tu devras apporter ton témoignage, j’imagine, pour le reste… tu n’as blessé personne.

— Il aura peut-être une compensation financière à verser, nuança Lucas. Mais il y en a pour des semaines avant que nous ne soyons fixés. Les Niléens veulent une enquête approfondie, et c’est compréhensible. Il faut être sûr que Solerys était seul à la tête de cette organisation.

— Je comprends, marmonna Axel.

Il aurait dû se sentir soulagé, pourtant il culpabilisait encore de ses actes. Agir comme il l’avait fait n’était pas agir avec honneur.

— Et Nicoleï ?

— Ishim l’a ramené sur Massilia, pour continuer son entrainement.

— Il n’est pas retourné auprès de Maitre Kenog ? s’étonna Axel.

Lucas secoua la tête.

— Aux dernières nouvelles, Maitre Kenog n’est toujours pas reparu dans son atelier. Aucun moyen de savoir si sa disparition est elle aussi liée à Solerys.

L’appétit définitivement coupé, Axel tomba dans la morosité. Si seulement il avait…

Tu n’aurais rien pu faire de plus. Ne culpabilise pas inutilement.

— Et que comptes-tu faire, maintenant ? reprit Satia.

— Je ne sais pas, avoua Axel.

— Tu es Émissaire.

Mal à l’aise, il se trémoussa sur sa chaise.

— Je ne sais pas si je le mérite vraiment.

Lucas arqua un sourcil.

— Tu es dur avec toi-même. Tu as trouvé un Compagnon, n’était-ce pas la dernière étape à franchir ?

— C’est Telclet qui m’a trouvé, nuança Axel.

Lucas sourit.

— Je ne m’attendais pas à autre chose. Comme tu le sais, le choix revient au Compagnon. Mais je vois bien que quelque chose te perturbe.

Axel soupira. Il était vain de chercher  à cacher quelque chose à son père. Il était bien trop perspicace.

— Je m’en veux. J’ai aimé cette vie simple, quelque part.

— C’est normal, dit doucement Satia. J’ai eu ce rêve, aussi, plus jeune.

— C’est pour ça que tu as laissé la place à Jodörm ?

— Peut-être en partie. Mais il était prêt. Il était temps pour lui d’exercer. Tu te souviens des tensions, avec Orhim et ses Stolisters ? Il a fait ses preuves, ce jour-là.

— Même si ta mère n’est plus Souveraine, intervint Lucas, elle reste reconnue par tous les citoyens de la Fédération. Parfois il est impossible d’être anonyme. Tu dois apprendre à vivre avec.

Axel soupira de nouveau. Il ne s’était pas attendu à un autre discours, à vrai dire. L’honneur avant tout, toujours.

— Peut-être est-il temps que nous rendions visite à ton cousin.

— Alistair est ici ? fit Axel, surpris.

Satia acquiesça.

— Jusqu’à la fin du mois.

Axel se demanda ce qu’Alistair pourrait bien lui apporter. C’était Surielle, sa sœur, qui était proche de lui, depuis leur quête de l’Éveillé.

Je peux venir ?

Bien sûr. Tu as bien mangé ?

Oui, je suis prêt à t’accompagner.

Lucas se leva et passa la large baie vitrée. Axel le suivit à contrecœur.

— Maman ne vient pas avec nous ?

— Lysabel ne s’attend pas à trouver la maison vide en rentrant, répondit son père.Ne fais pas cette tête. Tout se passera bien.

Axel hocha la tête, sans conviction, et suivit son père dans les airs.

Il y avait peu d’ailés, dans les rues de Valyar, et c’était agréable de ne pas avoir à se soucier d’une éventuelle collision. Par contre, il se serait passé de la légère bruine qui finirait par alourdir ses ailes. Son père obliqua sur la droite, et curieux, Axel se glissa dans son sillage. Ils se rapprochaient du Palais, où résidait le Souverain Jodörm et où les douze Djicams avaient un logement de fonction. Mais son cousin n’y habitait pas, non ? Il ne l’avait vu depuis longtemps, étant en mission la dernière fois où Alistair était passé saluer sa famille.

Ils se posèrent aux abords du Palais, dans une petite rue calme et peu fréquentée. Comme d’habitude, les terrestres les dévisagèrent avec curiosité. Devait-il leur en vouloir ? Même si la mixité était plus importante dans la capitale que n’importe où ailleurs, les Massiliens qui tombaient du ciel n’étaient pas monnaie courante, hors Massilia.

Axel suivit son père, qui s’arrêta quelques mètres plus loin, devant une maison de deux étages. Sur la façade flottait le drapeau impérial ; une étoile rouge à neuf branches terminées par un rond, sur un fond noir.

Lucas frappa, et un domestique vint leur ouvrir. Un rapide coup d’œil à leurs ailes suffit pour qu’il les identifie et il s’inclina à l’impériale, bras le long du corps.

— Je vais prévenir Maitre Alistair de votre arrivée. Entrez, vous pouvez l’attendre dans le petit salon.

Curieux, Axel pénétra la demeure de son cousin à la suite de son père. Il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais certainement pas à ce que la maison lui paraisse aussi… normale. Et bien loin des préjugés qu’il avait sur les impériaux.

Les murs étaient peints en vert pâle, le mobilier sobre, plutôt épuré, en bois noir et blanc. Une vitrine, deux larges canapés aux coussins fleuris, un épais tapis typiquement niléen qui absorbait les sons. Devant la cheminée, éteinte pour le moment, plusieurs poufs formaient un demi-cercle. Axel ne put s’empêcher d’afficher un sourire. Ça, c’était exactement le type de siège préféré par un ailé.

Un bruit de pas qui dévalaient les escaliers attira son attention. Légèrement échevelé, Alistair apparut dans l’embrasure de la porte. Il portait un uniforme rouge, et le symbole impérial était épinglé sur la gauche de sa poitrine. Les deux ailes rouges dans son dos l’identifiaient immanquablement comme le fils du Commandeur Éric, ancien ennemi de la Fédération des Douze Royaumes.

— Oncle Lucas, Axel… Je ne m’attendais pas à vous voir. C’est une agréable surprise.

Telclet glissa du bras d’Axel et s’aventura à voleter dans la pièce, sous le regard curieux d’Alistair.

— Zéphyr est dans le jardin. C’est donc lui, ton Compagnon ?

— C’est Telclet, oui, répondit poliment Axel.

— Tu es donc Émissaire. Félicitations.

— Merci, marmonna Axel en rougissant.

— Et j’imagine que vous n’êtes pas simplement venus pour ça…

Axel pinça les lèvres, mais Lucas sourit.

— Tu es perspicace, Alistair, à ton habitude. Tu es au courant des derniers évènements ?

Alistair ne répondit pas immédiatement. Solan, son domestique, venait d’entrer, chargé d’un plateau. Il disposa quatre tasses et une lourde théière fumante sur la table, y ajouta deux assiettes de petits gâteaux colorés. Alistair le remercia d’un signe de tête et Solan s’éclipsa.

Axel s’étonna. Quatre tasses ? Ils n’étaient que trois. Avaient-ils comptés Telclet par politesse ? Le serpent des vents s’était avancé, dardant sa langue en direction des biscuits.

Je vais demander à ce Zéphyr s’il y a des limaces dans son jardin.

Axel retint un sourire. Il lui faudrait du temps pour s’habituer aux goûts étranges de son Compagnon.

Alistair pinça les lèvres, avant de les étudier.

— J’ai entendu beaucoup de rumeurs. Que voulez-vous savoir ?

— J’aimerai entendre ta version d’abord, demanda Lucas.

Alistair soupira, attrapa la théière et remplit les quatre tasses. Puis il ajouta un sucre dans la sienne et remua doucement avec la cuillère.

— On parle de disparitions sur Niléa, dit-il enfin. D’implications des Mecers. Et de toi, Axel, qui aurait incendié un village qui n’apparaissait sur aucune carte. Enfin, ton nom n’est pas mentionné, mais le fils de la Souveraine ne peut être que toi.

Lucas inclina la tête.

—Tu es bien renseigné.

— C’est indispensable dans mon métier. Alors c’est vrai ? Tu as vraiment fait ça ?

Mal à l’aise, Axel prit une tasse à son tour pour se donner une contenance.

— Je ne peux pas dire que c’était un accident, avoua-t-il. Mais après ce qu’ils avaient fait… et pourtant, je n’en retire aucune satisfaction.

Alistair hocha la tête.

— La voie de la vengeance est une impasse, et crois-moi quand je dis que j’aurais préféré ne pas le savoir.

La porte s’ouvrit ; Axel sursauta en découvrant une Massilienne, et non Solan le domestique. Ses ailes étaient un dégradé de couleurs vives ; d’abord du rouge, puis du jaune, du vert, et du bleu. Des couleurs chatoyantes, qui contrastaient d’autant plus avec sa tunique d’un bleu sombre, brodée d’argent, qu’elle portait sur un pantalon moulant jaune. De courtes boucles blondes encadraient un visage rond et souriant, où brillaient deux grands yeux bleus.

— Mes excuses pour mon arrivée tardive, dit-elle en s’inclinant légèrement. Je suis Lypherin Veres, du Clan des Iles. Enchantée de faire votre connaissance.

Elle était parfaitement à l’aise, alors qu’Alistair lui avait à peine accordé un regard. Travaillait-elle avec lui ?

Lucas lui retourna son salut, et Axel s’empressa d’en faire de même.

— Le plaisir est partagé.

Le silence retomba, et Axel, tendu, se demanda à quoi jouait son père. Pourquoi l’amener ici ? Alistair était un impérial dans l’âme. Qu’est-ce qu’il savait des Mecers et des Vents ?

— Si les rumeurs se révèlent en effet fondées, reprit Alistair, à quelles conséquences s’attendre ? Satia n’est plus la Souveraine, et Axel bénéficie de circonstances atténuantes.

— On attend d’un Mecer qu’il sache se contrôler, indiqua Lucas. Et d’un Massilien qu’il agisse de façon honorable.

Axel sentit ses joues devenir brûlantes. Les reproches ravivaient sa culpabilité. Il aurait voulu disparaitre sous le tapis.

— Mais Axel n’était qu’Envoyé, releva Alistair. Donc sous la responsabilité d’un Messager. Itzal, si je ne me trompe pas ?

Lucas acquiesça.

— Ils ne s’arrêteront pas tous à ce détail.

— Itzal va avoir des problèmes à cause de moi ? demanda aussitôt Axel.

Lucas balaya ses inquiétudes d’un geste de la main.

— Rien qu’il ne sache gérer, n’aie crainte. Entre le Don du Wild et ses ailes noires qui l’ont fait confondre avec la guilde des Faucons Noirs, il a connu bien pire.

Axel ne sut s’il devait vraiment se sentir soulagé. Certes, il n’avait pas rejoint la célèbre guilde d’assassins, mais il avait quand même pris part, malgré lui, à une vaste machination… Un frisson glissa le long de son échine. Et si Solerys avait dit vrai… Il ferma les yeux. Il n’était pas prêt à assumer la responsabilité d’un enfant. Un enfant qui n’aurait pas été désiré, qui serait né dans le seul but d’être contrôlé par un ignoble individu.

Il n’a dit ça que pour te faire peur, et ça marche, dit Telclet. N’accorde pas autant de valeur aux paroles d’un manipulateur comme Solerys.

— Vous aimeriez qu’Axel puisse faire profil bas quelques semaines, le temps que l’affaire se tasse, intervint Lypherin.

Lucas eut un demi-sourire et Axel réalisa que la jeune ailée s’était montrée bien plus perspicace que lui. Alistair braqua sur lui un regard calculateur.

— Nous regagnons Iwar dans trois jours, dit-il. Si tu le souhaites, tu peux nous accompagner.

— Moi ? Mais je…

— L’Empire n’est pas aussi déroutant que tu l’imagines. J’ai l’impression que tu as besoin de changement, et Zéphyr est d’accord avec moi. Tu ne risqueras rien, au sein de ma famille. Et l’impératrice Shaniel, Orssanc lui prête sa force, tient toujours les rênes d’une main de fer. Tu seras en sécurité.

Axel ne sut comment réagir. C’était totalement inattendu. Pourtant, une part de lui se rêvait à prendre un nouveau départ, là-bas. Oublier ses problèmes. Serait-ce si facile ?

— Pourquoi ce « nous » ? demanda-t-il à la place.

Alistair déglutit, perdit soudain l’air si sûr de lui qu’il avait arboré jusqu’alors.

— Ma mère veut rencontrer Lypherin.

La Massilienne sourit, tendit la main vers Alistair. Leurs doigts s’entrelacèrent.

— Et ça l’inquiète beaucoup, commenta-t-elle, un brin moqueuse.

Ils étaient donc en couple. Dire qu’il l’avait d’abord pris pour son assistante… Il trouvait étrange de n’en avoir rien su jusqu’à présent, mais d’un autre côté, Alistair savait se montrer secret.

Alistair s’éclaircit la voix.

— Je devais passer récupérer Liam chez oncle Aioros, mais je peux demander à ce qu’Elésyne ou Sidonie le raccompagne, au besoin.

— Je ne voudrais pas déranger tes plans, dit Axel, soucieux.

Alistair éclata de rire.

— Du tout. Liam sera ravi de passer quelques jours supplémentaires avec ses cousines. Il idolâtre Elésyne, maintenant, tu sais. Mais ma mère tient à ce qu’il soit présent pour son anniversaire.

— Quatorze ans, si je ne me trompe pas ?

— C’est ça, confirma Alistair.  Je crois qu’il aimerait passer le concours d’entrée des Mecers, mais, il hésite encore.

— Pourquoi ? s’étonna Axel. Il en a le droit, non ?

Alistair haussa les épaules.

— Il craint la réaction de notre père. Et même si les choses se sont arrangées depuis mon arrivée en poste ici, les ailes rouges n’ont pas toujours bonne presse chez les Massiliens.

— Il faudra encore du temps, reconnut Lucas.

— De toute manière, avec Chloan, ils passent leur temps à se disputer pour savoir qui des Mecers ou des Maagoïs sont les plus forts. Chloan rêve d’entrer chez les Maagoïs, même si je crains qu’il sous-estime les efforts qu’il aura à faire. Et puis, il est encore jeune. Il doit choisir ce qu’il veut devenir, pas agir en fonction de Liam, juste pour lui prouver qu’il a tort.

Le discours d’Alistair trouvait une étrange résonnance chez Axel. Lui aussi avait marché sur les traces de son père, un peu plus par tradition que par réelle inclinaison. Le pouvoir hérité de sa mère avait joué, également. N’avait-il vraiment vu que son côté destructeur ? Durant ses quelques jours au village, sous la domination de Solerys, il avait pourtant créé des objets, des bijoux… et su instinctivement utiliser les Vents. Qu’est-ce qui avait été différent ?

Peut-être aimes-tu créer ? Et pas détruire ?

Être Mecer, ce n’est pas que tuer, protesta Axel. Nous aidons à résoudre des problèmes, surtout. La violence est une solution, mais n’est pas la seule.

Je ne m’attendais pas à ça de ta part.

J’ai réagi impulsivement, admit Axel. Quand j’ai brûlé ce village. Et pourtant, je recommencerai. Ce n’était pas juste, ce qu’avait fait Solerys.

Donc tu admets recourir plus facilement à la violence.

C’est un réflexe, reconnut Axel. Que je dois contrôler. Ma mère est profondément pacifiste, tu sais. Pourtant elle a su se battre pour défendre ses convictions.

Se défendre est juste, oui.

Défendre ceux qui en sont incapables l’est aussi.

Tu trouveras un juste équilibre, Axel. J’en suis convaincu.

La confiance de Telclet lui mit du baume au cœur. Il avait besoin de temps pour faire le point, c’était un fait. Peut-être que son père avait raison. Prendre du recul lui ferait du bien. Même s’il n’aimait pas trop s’imposer ainsi auprès d’Alistair.

— Si tu es certain que ça ne te dérange pas, dit-il avec hésitation, je veux bien aller avec toi.

Alistair sourit.

— Les parents seront ravis de te voir, Axel.

Il se sentait soulagé d’avoir enfin pris une décision, même si cela impliquait de quitter le sol de la Fédération.

Je suis très curieux de découvrir tout ça avec toi.

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