Chapitre 28

Par Notsil

Les derniers jours passèrent très vite. Axel se rendit compte qu’il avait besoin de ce repos. Si Lucas s’absentait régulièrement, Satia resta présente.

Axel adorait sa mère, et pas seulement parce que le même Feu coulait dans leurs veines. Il avait besoin de sa douceur, de sa compréhension. Il savait que certains la trouvait dure en affaire, ardente négociatrice. Ce n’était en tout cas pas le visage qu’elle montrait à ses enfants.

Lysabel partait tôt pour ses cours, revenait un peu avant la tombée de la nuit. Axel s’était toujours bien entendu avec sa cadette ; maintenant qu’elle grandissait, elle avait moins de temps pour lui. A seize ans, elle lui préférait de plus en plus la présence de ses cousines. Axel restait incapable de lui en vouloir.

À sa surprise, Nicoleï vint lui rendre visite. Il s’en voulait de ne pas avoir remarqué plus tôt sa disparition, de ne pas avoir été là lorsqu’il avait été enlevé. Axel apprit qu’Itzal et d’autres Mecers enquêtaient aux côtés des Niléens sur cet étrange réseau. Ils doutaient que Solerys ait agi seul, comme il le prétendait.

L’un comme l’autre n’avaient pas osé faire appel à leur Don du Vent depuis ; il était lié à trop de mauvais souvenirs.

Et Axel devinait que ses parents s’en inquiétaient. D’ailleurs, ils n’avaient pas encore abordé le sujet. S’ils attendaient qu’il s’y colle, ils allaient attendre longtemps.

La veille du départ, Axel prépara son sac. Il ne savait pas trop combien de temps il resterait dans l’Empire, mais il aurait sûrement la possibilité d’acheter quelques affaires. Ce serait l’été, là-bas, apparemment, alors de toute manière, il n’avait pas besoin de grand-chose. Quelques tenues de rechange, ses affaires de toilettes, ce serait bien suffisant.

Tu te contentes de peu, commenta Telclet qui l’observait, lové sur son lit entre deux coussins.

Les Mecers voyagent légers.

Axel entendit les pas de sa mère bien avant qu’elle n’ouvre la porte.

— Tu as tout ce qu’il te faut ?

— Je crois bien.

— Esbeth t’expliquera tout ça bien mieux que moi, mais tu possèdes là-bas de quoi acheter ce qu’il te manquerait. Penses-y.

— Oui, maman.

Satia sourit.

— Tu vas nous manquer, dit-elle en s’avançant le prendre dans ses bras.

Il lui retourna son étreinte, y puisant un certain réconfort. Elle savait qu’il était mal à l’aise lors d’effusions en public, et avait préféré venir le trouver seule, une attention qu’il appréciait.

— Merci pour tout, maman.

— J’espère que tu trouveras un jour ce que tu cherches, dit-elle en recoiffant distraitement ses cheveux.

Il détestait qu’elle fasse ça, pourtant il la laissa faire. Elle s’inquièterait encore, même s’il était désormais Lié, et si ce simple geste lui faisait du bien, il pouvait s’en accommoder.

En bas, ils rejoignirent Lucas et Lysabel. Sa sœur allait profiter de ses quelques jours de vacances pour aller retrouver ses cousines sur Massilia, et Lucas l’accompagnerait par précaution. Axel se demanda si sa mère ne se sentait pas exclue, parfois. Certes, elle était Liée à une phénix capable de la téléporter là où elle le souhaitait, mais il restait difficile de suivre le rythme des ailés lors d’un voyage, quand on ne possédait pas d’ailes.

— Ne t’inquiète pas pour moi, mon chéri, dit Satia comme si elle venait de lire ses pensées. J’ai de quoi m’occuper ici.

Une dernière embrassade ; Lucas et Lysabel s’envolèrent vers le nord-ouest, en direction de la Porte. Trois à quatre heures de de vol, s’ils maintenaient une bonne allure. Axel prit lui la direction de l’est, où il devait retrouver son cousin Alistair.

— Tu es ponctuel, merci, le salua l’impérial.

La Massilienne aux ailes arc-en-ciel étaient là, elle aussi, et le salua à son tour. Ils ne se connaissaient pas assez pour qu’il soit encore tout à fait à l’aise avec elle. À côté d’eux se trouvaient Zéphyr, le griffon ocre et noir, croisement entre un lion et un milan, Compagnon d’Alistair. Pour l’instant, il lui paraissait surtout être chargé comme une mule, avec le bagage volumineux noué sur son dos.

Je ne crois pas qu’il apprécie la comparaison, nota Telclet.

Je ne pense pas non plus. Il n’a pas besoin de le savoir, hein ?

Je suis d’accord. Il m’a l’air sacrément féroce, quand même.

— Nous attendons encore quelqu’un, ajouta Alistair. Tu te sens prêt ?

— Pas vraiment, avoua Axel.

Même si les relations s’étaient améliorées entre les différentes branches de leur famille, il n’avait jamais eu l’occasion de mettre le pied sur le sol impérial. Ses parents s’y rendaient régulièrement, mais ces dernières années, il était surtout en mission, avec le Messager Itzal. Peut-être aurait-il dû leur demander à quoi s’attendre.

— Tout se passera bien, lui assura Alistair. Une escorte devrait même nous attendre.

— Une escorte ? questionna Axel, surpris.

— Mon père est Seigneur d’Iwar, rappela Alistair. Je suis son héritier, et je me dois de tenir notre rang.

Axel avait d’autres questions à lui poser mais s’interrompit. Deux Massiliens se posèrent près d’eux. Deux Massiliens qu’il connaissait : le Messager Ishim et l’Envoyé Nicoleï. Malgré sa surprise, Axel salua aussitôt, poing sur le cœur. Ishim inclina la tête en direction d’Alistair ; un salut que l’impérial lui rendit.

Quel était exactement son rang, ici ? se questionna Axel. Alistair était cousin par le sang du Djicam de Massilia, et aurait appartenu à la Seycam si son père n’avait pas trahi la Fédération des Douze Royaumes, quarante-six ans plus tôt. Il n’était même plus sûr qu’il appartienne aux Maagoïs, d’ailleurs, depuis qu’il avait accepté le poste d’ambassadeur impérial. Peut-être devrait-il lui poser la question, à l’occasion. Alistair était son cousin, n’avait que quelques années de plus que lui. Il ne devrait pas l’intimider autant.

Sauf qu’Alistair avait combattu un dieu, et sauvé l’actuel Souverain de la Fédération par la même occasion, redorant par là-même le blason de sa famille.

Quel imbroglio.

Et cela lui conférait une sorte d’aura ; presque la même que la tranquille sérénité de son père. Par quelles épreuves fallait-il passer ? Cela en valait-il la peine ?

— Merci d’avoir accepté que Nicoleï vous accompagne.

— Quoi ? s’écria Axel – ce qui lui valut un regard réprobateur d’Ishim et Alistair, et un sourire amusé de Lypherin.

La chaleur envahit ses pommettes. Intervenir aussi impulsivement ! Il n’était plus un Envoyé, maintenant, il était Émissaire.

— Mes excuses, je ne voulais pas paraitre impoli.

— Il a été décidé qu’il serait peut-être intéressant que des Envoyés viennent apprendre des techniques propres aux Maagoïs, et inversement, expliqua Alistair. Nicoleï s’est porté volontaire.

C’était courageux. Les Maagoïs avaient une terrible réputation ; ils étaient les soldats d’élite impériaux, l’équivalent des Mecers.

Le Messager Ishim tapota l’épaule de Nicoleï.

— Fais honneur à la Fédération, Nicoleï.

Puis il se fit plus sérieux, s’adressa à Alistair.

— Prenez soin de lui. Il a traversé suffisamment d’épreuves, dernièrement, et doit se concentrer sur l’obtention de la seconde Barrette.

Les Envoyés avaient trois défauts à perdre, symbolisés par des Barrettes argentées ; l’Impatience, la Paresse et l’Égoïsme. Malgré lui, Axel frissonna. Il ne doutait pas qu’Alistair en ait connaissance ; Nicoleï allait travailler dur, ces prochaines semaines.

Et si lui n’avait plus de chaperon pour le guider sur la voie des Mecers, il lui restait six Cercles à acquérir pour espérer devenir Messager un jour. L’Honneur était le premier.

— Nous ne voudrions pas que les relations entre nos deux nations se ternissent, Messager, répondit Alistair. Nous ferons en sorte qu’il revienne vivant.

La réponse parut satisfaire Ishim, mais elle glaça les sangs d’Axel. Nicoleï était devenu livide, comme s’il se demandait soudain dans quoi il s’était engagé. Il n’eut même pas le loisir de protester ; le Messager les salua avant de bondir dans les airs.

Alistair soupira, et Lypherin s’approcha avec un sourire.

— Serais-tu contrarié ?

— Non, c’était prévu. Mais cela reste une certaine responsabilité. Enfin. Suivez-moi, nous ferons un dernier point avant de gagner l’Empire.

Une fois dans les airs, Axel oublia tout et s’octroya même le luxe de fermer un instant les yeux. Pas davantage, car voler en groupe comportait des risques. Devant, Alistair ouvrait la voie, les ailes écarlates brillant au soleil. Lypherin se tenait à sa droite, Nicoleï sur sa gauche, profitant des turbulences. Axel terminait la formation en losange, même s’il savait Zéphyr derrière lui. Le griffon assurait leurs arrières, et il se doutait qu’il s’agissait également d’un moyen pour Alistair de garder un œil sur eux. Manifestement, son cousin prenait très à cœur son rôle de protecteur et la pensée était réconfortante.

Alors pourquoi ne lui fais-tu pas totalement confiance ?

Je ne sais pas, avoua Axel. Il est de la famille. Je devrais.

Il ne le connaissait pas très bien, en fait. Et il redoutait de rencontrer son oncle et sa tante.

Sont-ils si terribles que ça ?

Éric avait été le Commandeur des Maagoïs bien avant de devenir Seigneur d’Iwar. Axel savait que sa position était comparable à celle de son oncle Aioros, Djicam de Massilia. Les rumeurs donnaient le Commandeur impitoyable avec des ennemis, avec une certaine tendance au massacre facile. Il restait difficile de démêler la vérité dans tout ça.

Alistair tendit le bras vers le sol et ils le suivirent. La Porte qui permettait de communiquer avec l’Empire n’était pas la même que celle qui permettait de voyager de Royaume en Royaume au sein de la Fédération. D’ailleurs, il devait se souvenir qu’on ne disait pas une Porte, dans ce cas, mais une Arche. Par sécurité, l’Arche ne se trouvait pas dans l’enceinte de la cité de Valyar, mais légèrement à l’extérieur, au nord-est.

Deux soldats de la Garde du Phénix étaient présents près de l’Arche. Ils surveillaient leur approche, mais ne les avaient pas considérés comme une menace, où ils auraient donné l’alerte. Près de l’Arche, l’herbe était verte et rase. Curieux, Axel détailla le monument. Il paraissait composé de pierre, d’un seul tenant, formant une ogive. D’un gris pâle, la pierre semblait pourtant être parcourue de reflets plus foncés, qui ondulaient sous la surface de la pierre. Axel frissonna. Il n’avait pas assisté à la création de l’Arche, au contraire de Surielle et ses parents. Les dieux étaient intervenus en personne ; Orssanc et Eraïm avaient unis leurs pouvoirs pour créer l’Arche et faire en sorte que leurs deux peuples puissent l’utiliser. Des lignes d’une écriture élégante couraient sur les reliefs de l’Arche, rehaussées à la feuille d’or. Axel n’en comprit pas la teneur. Des bénédictions, sans doute, dans le langage désuet utilisé par les Anciens, très certainement.

Contrairement aux Portes, l’Arche ne nécessitait pas la présence d’un Prêtre d’Eraïm pour fonctionner. Un pilier du même matériau étrange, ni véritablement pierre ni métal, se trouvait à proximité, orné d’une grosse pierre en son centre. Une goutte de sang suffisait pour l’activer et ouvrir l’Arche.

Alistair discuta un moment avec les gardes, puis il revint vers eux, balaya leur groupe du regard.

— Avant d’y aller, quelques règles élémentaires. L’Empire a d’autres lois que la Fédération, et même si être étrangers vous octroiera des circonstances atténuantes, elle n’empêchera pas que vous soyez sanctionnés en cas de manquements. Donc. Il est interdit de régler ses comptes par un duel. Les Seigneurs doivent être salués. N’hésitez pas à faire preuve d’un peu trop d’humilité dans le doute. Beaucoup de choses qui vous paraitront étranges seront normales pour les impériaux. Ne vous vexez pas s’ils s’en moquent – beaucoup d’impériaux n’ont pas conscience que les citoyens de la Fédération sont beaucoup plus évolués qu’ils ne le paraissent. Pour eux, la maitrise de la technologie est importante. Et surtout ! Évitez de tuer qui que ce soit.

— Même en légitime défense ? s’inquiéta Nicoleï.

— Surtout en légitime défense !

Un instant, Alistair parut bien plus inquiet pour leur sécurité que son assurance de façade ne l’affichait.

Lypherin lui serra la main avec affection.

— Tout se passera bien, Alistair.

Il lui retourna un pâle sourire, passa une main lasse sur son visage.

— J’espère que tu as raison, Lypherin. Trop de soucis me préoccupent en ce moment. Vous êtes prêts ?

Incapable de faire confiance à ses mots, Axel hocha la tête. Il était terrorisé. Plus jeune, il avait envié sa sœur qui accompagnait les héritiers impériaux sur leur terre natale. Aujourd’hui, ce n’était plus le cas.

Aie confiance, transmit Telclet.

La chaleur du Lien était un réconfort. Il sourit à Nicoleï, qui n’avait pas cette chance. Sans Messager pour l’accompagner, Axel serait son seul référent. Il ne pouvait pas lui faire défaut. Ne pas répéter les erreurs commises sur Niléa.

Alistair saisit sa dague, s’entailla légèrement le doigt avant d’appliquer sa paume sur la pierre. Un son cristallin se fit entendre ; un éclat de rire perlé, peut-être ? Non, c’était autre chose, et pourtant… Axel n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage. Un miroitement était apparu entre les arceaux de l’Arche.

Zéphyr franchit l’étrange substance en premier, puis Alistair les pressa de s’engager. Il fermerait la marche, devina Axel. Nicoleï à ses côtés, il s’approcha du rideau d’énergie mouvante, posa doucement sa main dessus, surpris de sentir une légère résistance. Il poussa plus fort, fit un pas en avant, et se retrouva de l’autre côté.

 

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