Pendant une grande majorité de la soirée, j'avais désespérément tenté de m'endormir. Ce fut totalement vain. J'étais incapable d'écarter mes angoisses naissantes.
Demain, j'allais devoir tâter le terrain auprès de ma famille et voir à quel point je me ferais rejeter si jamais je me mariais avec Blaine. Malheureusement, je connaissais déjà la réponse.
Alors, terrifiée par mes questionnements, j'envoyai un message à Blaine, persuadée qu'il dormirait. Immédiatement, il me répondit, inquiet de mon insomnie. Et dans un deuxième message, il me proposa de venir dormir avec lui.
Bien qu'en connaissance des risques, il ne me fallut que quelques secondes pour accepter. Je pris quelques affaires avec moi et après avoir enfilé un manteau, je l'avais rejoint dans la maisonnette.
Ce lieu était un peu devenu le nôtre petit à petit. Nous savions que nous pouvions trouver un brin d'intimité ici, que personne ne viendrait se mêler à notre amour.
Dès que je franchis le seuil de ce petit cocon, je le pris dans les bras puis mes lèvres vinrent à la rencontre des siennes pour y déposer un doux et langoureux baiser.
Sous mon trench, je n'avais qu'une petite et légère nuisette tandis que lui n'était qu'en caleçon. Il était évident que mon insomnie allait probablement s'aggraver, mais au moins, je ne serais pas seule.
— Je pensais que je pourrais m'endormir un peu plus facilement ici... Mais maintenant que je te vois aussi peu habillé, je vais avoir du mal.
Un petit sourire se dessina sur son visage et en prenant celui-ci entre mes mains, mes lèvres l'embrassèrent immédiatement.
— Après, il y a des moments où dormir, quand ça veut pas, ça veut pas, me lança-t-il d'un ton à la fois rassurant et aguicheur.
Mes bras s'enroulèrent à son cou et je plaquai mon corps au sien. Mon soudain désir pour lui venait de me réveiller et provoquer de plus belle mes insomnies. Mais nous avions si peu d'occasions pour nous voir et encore moins pour l'agrémenter de sexe. Et j'avais toujours terriblement envie de lui... Ce qui était assez déstabilisant. Parce que je n'avais jamais été quelqu'un de très porté par le sexe.
Je le pris par la main et l'entraînai jusqu'au lit. Alors que j'essayai de l'y installer délicatement pour le chevaucher, il me fit tomber à côté de lui et je ne pus retenir mon rire, quand bien même nous aurions pu réveiller tout le quartier.
— Pour la peine, je ne vais pas t'embrasser ! prétendis-je pour le provoquer, toujours en riant.
L'air sérieux, il me chevaucha et approcha dangereusement son visage du mien.
— Et si c'est moi qui le fais ?
Ma respiration s'alourdit et ma voix s'éteignit un instant. Quelques mèches de ses cheveux lui tombaient dans les yeux et lui donnaient un air irrésistible. Je prétendais lui résister, mais j'en étais totalement incapable. J'avais envie de l'embrasser à pleine bouche jusqu'à ce que son souffle se coupe.
Je ne devais pourtant pas céder... Alors, je le regardais un brin fière en mordant ma lèvre inférieure.
— Qu'est-ce que tu attends pour le faire ? le défiai-je de plus belle.
Il y avait un air joueur dans ses yeux et après m'avoir adressé un simple sourire, il déposa un doux baiser sur mon front. Il aurait pu m'embrasser sur les lèvres, jouer réellement avec les limites, mais il avait préféré agir avec douceur et délicatesse.
Mes yeux se perdirent dans son doux regard et pendant un instant, j'étais incapable de réagir. Son geste m'avait un peu prise par surprise.
— Je t'aime Blaine, finis-je par lâcher dans un petit murmure.
— Moi aussi, je t'aime Charlie.
— Tu aurais pu m'embrasser.
— Je sais... Mais c'était bien mieux comme ça...
— Clairement.
Finalement, nos lèvres se rencontrèrent dans un long et langoureux baiser. C'était comme si nous nous défoulions complètement. On fonçait dans le tas.
Mes mains se posèrent sur son torse tandis que les siennes remontèrent le long de mes cuisses, filant sous ma nuisette. Le contact de ses doigts était extrêmement doux et rassurant.
Je savais que, avec lui, mes inquiétudes pouvaient s'envoler. Et pendant quelques instants, j'oubliais nos conflits familiaux. J'acceptais le danger qui nous entourait comme s'il ne me terrifiait plus. Ce que j'avais avec lui, c'était tout ce que l'amour aurait dû toujours m'apporter... Et même si je n'avais pas eu des relations extrêmement catastrophiques, il m'avait toujours manqué quelque chose.
Pas avec Blaine.
Il me connaissait sans même que je lui dise tout. Et si jamais il découvrait soudainement une part de moi, il s'adaptait aussitôt. À ses yeux, j'étais sur un piédestal, mais un doux piédestal. Pas le genre qui crée un déséquilibre dans une relation, non, plutôt celui qui unit une relation.
Nous étions bien plus que ce que les autres pourraient penser...
*
J'avais abandonné Blaine aux aurores. Ses yeux peinaient à s'ouvrir. J'avais délicatement embrassé son front tout en lui disant "au revoir".
Pendant un instant, je crus que ce pourrait être la dernière fois et mon cœur se brisa un instant. Alors, je restai à ses côtés, incapable de bouger. Il constata rapidement mon état et finit par ouvrir les yeux, inquiet.
— Qu'est-ce qu'il y a ? me demanda-t-il, la voix encore enrouée.
— J'ai peur de te perdre...
— Ça n'arrivera pas.
— Je vais tenter de voir ce qu'il en est auprès de ma famille tout à l'heure... Et puis toi, si tu retrouves coincé dans cette histoire de mariage blanc...
J'imaginais le pire et j'étais désormais incapable de retenir mes larmes. Il m'aida à m'allonger dans le lit et me prit dans ses bras.
— Même si la situation se complique, on trouvera une solution, me murmura-t-il en essuyant mes larmes.
J'évitai son regard un instant. Parce que je sentais que mes émotions me dépassaient, que c'était plus maladif que rationnel. Mais je ne pouvais pas dire à mes incroyables angoisses que tout se passerait bien. Elles n'y croiraient pas et moi non plus à vrai dire. Elles me faisaient miroiter cet avenir sombre, cet avenir où je perdais Blaine, ma famille... Tout le petit cocon que je m'étais battue pour avoir. Ce petit cocon qui me procurait tant de bonheur désormais, quand bien même il y avait quelques obstacles.
Puis mes angoisses se transformèrent en une violente peur. J'avais peur de redevenir cette fille apathique. Cette fille qui ne comprenait même plus le sens du mot "bonheur".
Si ces quelques mois n'étaient qu'une toile, elle serait entièrement noire où aucune couleur n'arriverait à s'imprégner. Et sa surface serait rugueuse à force d'encaisser des tas et des tas de surcouches toutes plus noires les unes que les autres. Des couches qui ne sécheraient jamais. Des couches qui laisseraient des taches à chaque frôlement.
Puis un jour, j'avais réussi à me débarrasser de tout ce noir, à retrouver le blanc d'antan pour pouvoir y mettre enfin quelques couleurs. Mes couleurs. Mais pour apprécier ces couleurs de nouveau, j'avais dû mourir. J'avais dû toucher à mes douleurs internes les plus profondes.
Depuis, le noir était parti. Mais il menaçait toujours de revenir. Comme maintenant.
Parce que j'ai toujours regretté mon départ de la France. Blaine m'a prouvé que je pouvais me reconstruire aussi ici. Et je n'avais pas envie de perdre tout ça. Et je n'avais pas envie de fuir en France pour retrouver un semblant de bonheur.
— Je crois que je surréagis un peu, finis-je par avouer en posant de nouveau mon regard sur lui.
— Ce n'est pas grave... C'est extrêmement compliqué comme situation.
— Ce n'est pas raisonnable... Je t'en ai parlé de ces émotions que j'ai parfois du mal à contrôler. Aujourd'hui en fait partie.
— Ce n'est vraiment pas grave.
Il me prit dans ses bras, ce qui me rassura immédiatement. Des larmes de soulagement coulèrent sur mes joues. J'aurais tant aimé que mes angoisses calment, qu'elles arrêtent de me ronger de l'intérieur... Mais j'étais sur la bonne voie.
Désormais, je n'étais plus seule...
*
En retournant chez moi, j'eus la chance de ne croiser personne. Soit ils dormaient encore, soit ils étaient partis s'occuper de la boutique. Alors, j'enfilai rapidement quelques vêtements – un léger chandail et un jean – puis me rendis dans la cuisine pour prendre un rapide café.
Au bout de quelques minutes, mes parents débarquèrent suivis rapidement par mes cousins. Aucun d'entre nous ne se doutait que j'avais passé la nuit ailleurs.
Mes angoisses frappèrent de plus belle et mes mains resserrèrent violemment ma tasse entre mes mains. Elle était encore un peu trop chaude pour faire ça, mais j'avais comme la sensation que cette chaleur était ce qu'il fallait pour me calmer.
— Ça va Charlie ? me demanda Ryan, ce qui me détourna de mes pensées. Tu as l'air assez tendue.
Tous les regards se tournèrent vers moi et je ne pouvais plus fuir. Il fallait désormais que j'affronte ça, que je fonce dans le tas.
— Est-ce que, si vous découvriez quelque chose d'atroce sur moi, vous me rejetteriez ?
Tout mon corps tremblait. Je n'aurais pas dû y aller aussi frontalement. Mais comment faire autrement ? Je n'en avais pas la moindre idée malheureusement. Je voulais juste me débarrasser de cette pression le plus rapidement possible... Et je voulais juste arrêter de me cacher avec Blaine.
— Que se passe-t-il ? insista Ryan.
Mes lèvres étaient si fébriles que je me sentais incapable de reprendre la parole. Heureusement, Clint le fit à ma place :
— Je pense que, peu importe ce que tu nous annoncerais, on serait capable de le comprendre. Quand bien même ça nous semble... improbable.
— Exactement, appuya Frank. Tu es notre fille Charlie. On ferait tout pour te protéger, peu importe ce que ça implique.
— Tu peux compter sur moi pour être de ton côté, ajouta mon cousin.
Il y avait un sourire réconfortant sur son visage. Je le sentais si sincère et j'étais complètement perdue de le voir ainsi. Parce qu'il savait pour Blaine et moi et qu'il m'avait bien fait comprendre qu'il n'approuvait pas cette relation. Désormais, j'avais la sensation que son avis avait totalement changé.
— Charlie, je te fais confiance pour voir le bon chez les autres. Et peut-être que t'es une des rares personnes pour qui c'est un défaut parfois. Parce que tu es incapable de voir quelqu'un comme étant complètement méchant. Mais je pense que je préfère ce genre de visions... Celle où on cherche du positif.
À mon tour, je lui souris. Parce que c'était évident qu'il acceptait ma relation avec Blaine. Ses doutes étaient toujours perceptibles. Mais il n'avait plus envie d'être un obstacle.
J'avais encore envie de pleurer. Et je n'aimais pas pleurer autant en une journée, surtout quand ça dépassait ma volonté. Sauf que cette fois-ci, je voyais mon cousin faire un énorme pas vers moi. Je retrouvais mon cousin que j'avais laissé avant mon départ en France. Le cousin qui me comprenait et avec qui je pouvais tout échanger, surtout de l'amour.
*
Alors sur le point de me coucher, je tombai sur Noisette, étalé comme une crêpe dans mon lit. Je m'assis à côté de lui pour le caresser et ses ronronnements m'apaisèrent immédiatement.
Mes émotions étaient encore à vif, quand bien même je savais que c'était en bonne voie de se résoudre pour le moment. Mais je ne pouvais pas tout calmer aussi facilement en fonction des jours. Aujourd'hui en faisait partie...
Je sentis alors un regard sur moi et en levant les yeux, j'aperçus Clint dans le chambranle de la porte.
— Je peux te parler ? me demanda-t-il d'une voix faiblarde.
J'acquiesçai par un simple hochement de tête et il s'installa aux côtés de Noisette sur le lit pour le caresser à son tour.
— Je ne vais pas passer par quatre chemins, alors je vais te le demander franchement : tu voulais annoncer à tes parents que tu sors avec Blaine ?
— Pas maintenant... Mais je sais que ce jour finira par arriver, peut-être plus rapidement que je le crois... Et j'ai pas envie d'être exclue de la famille pour ça.
— Tu ne seras jamais exclue Charlie dans cette famille. Peut-être incomprise au début, mais ça s'atténuera avec le temps.
Sa voix était extrêmement posée et je sentais qu'il avait fait beaucoup de progrès pour aller au-delà de ses jugements.
— Tu comprends ? osai-je lui demander.
— Pas entièrement... Mais je sais que jamais tu ne serais tombée amoureuse de quelqu'un qui te ferait du mal.
— On ne sait jamais ça... Mais heureusement, ce n'est pas le cas de Blaine. Au contraire.
Malheureusement, ça m'était déjà arrivé. En France. À ce moment, je n'avais pas non plus le recul suffisant pour comprendre que je m'enfonçais dans mon mal être, quitte à me retrouver dans une relation qui pourrait me détruire. À cette époque, je n'avais pas encore conscience de tous mes comportements autodestructeurs.
— Blaine risque de bientôt le dire à sa famille... Parce qu'il ne s'entend plus avec sa famille, avouai-je en posant mon regard sur le chat. Il n'a pas la chance d'avoir une famille aussi soudée que nous... Au final, il a presque l'impression de n'être qu'avec des étrangers dans sa maison. Alors il sait que lorsque sa famille sera au courant pour notre relation, il n'aura pas beaucoup de regrets à les abandonner ou à ce qu'ils le rejettent...
— Et c'est ce que tu as vu chez lui ? Son désespoir ?
— Entre autres... On avait tous les deux besoin de douceur à ce moment, autant à donner qu'à recevoir. Parce que c'est ça qui est beau dans une relation... Quand on peut échanger aussi fortement des sentiments aussi puissants.
Un sourire se dessina sur le visage de mon cousin. Je sentais encore ses doutes et c'était ce pourquoi je n'arrivais pas à me confier pleinement, mais j'étais prête à faire un premier pas, à lui faire confiance, étant donné qu'il en avait fait de même de son côté.
— J'aurais toujours du mal à lui faire confiance... Parce que nos histoires de famille, ça ne date pas d'hier. Mais je suppose qu'on a tous le droit à des secondes chances dans la vie. Et s'il veut s'affranchir de sa famille, ce serait dommage de totalement le rejeter.
Je souris à mon tour. Je ne doutais pas que mon cousin puisse avoir des réflexions aussi nobles, mais ça n'avait pas toujours été dans ses principes de base. Il avait toujours tendance à être impulsif, un peu fermé d'esprit, sauf qu'avec le temps, il remettait en question ses jugements hâtifs. J'avais pu le constater à de multiples reprises avant mon départ en France... Et j'avais eu peur de voir cette facette de lui disparaître à mon retour.
— Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? m'enquis-je en posant mon regard sur lui.
— Toi, Charlie. Parce que ça a toujours été toi qui m'as fait changer d'avis sur plein de sujets. Et aussi au vu de nos dernières discussions... J'aurais bien évidemment toujours peur pour toi, mais je suppose que c'est normal d'avoir peur les gens qu'on aime.
— La peur, c'est parfois essentiel, rétorquai-je. Ce serait dommage de l'éviter pour que ça nous retombe pleinement dans la gueule de manière bien plus explosive. Au contraire, il vaut mieux apprendre à l'appréhender, à la comprendre...
Il acquiesça à demi-voix.
Mes émotions étaient toujours aussi fortes, mais maintenant, elles commençaient à se calmer. Parce que je savais que je n'étais plus seule. Désormais, j'étais accompagnée bien que jamais je ne l'avais été durant toute ma vie...
Aujourd'hui, je pouvais compter sur mon cousin... de nouveau.