Chapitre 27 : Confession, séparation et résignation.

Notes de l’auteur : Ici s'achève le premier tome de ma fanfiction LOOKISM. Le deuxième tome devrait arriver prochainement, alors gardez l’œil ouvert ! Merci à toutes celles et ceux qui ont suivi cette histoire jusque-là. J'espère vous retrouver tout aussi nombreux pour la suite !

[ 1 ]

M. Park était en mission. Une mission périlleuse. Il devait découvrir ce qui se cachait dans le cœur de la fille de M. Kim, mais les adolescentes étaient plus mystérieuses que les secrets de l'univers. C'était plus délicat que désamorcer une bombe lors d'une prise d'otage. Le secrétaire était un homme d'action. Il ne faisait pas dans la dentelle. Il avait pris le taureau par les cornes.

— Mademoiselle Yerin, loin de moi l'idée de me mêler de vos affaires personnelles, mais je me dois tout de même de vous poser la question, alors je vais être direct. Avez-vous des sentiments pour Kim Jong-goo ?

— Q-qu- quoi ?! s'exclama-t-elle en cachant son embarras avec un rire faussement incrédule. Vous plaisantez ? C'est complètement ridicule ! Comment est-ce que je pourrais avoir des sentiments pour lui ? C'est mon frère !

Sa réaction en disait long sur ce qu'elle ressentait vraiment.

— Nous savons tous les deux que Jong-goo n'est pas votre frère. Il l'est peut-être sur le papier, mais il n'a jamais vraiment fait partie de la famille. L'avez-vous déjà considéré une seule fois comme votre frère ?

— Peut-être pas, mais qu'est-ce que ça change ? On n'a peut-être aucun lien de parenté, mais légalement, ça reste mon frère. C'est totalement impensable.

— La loi est une chose. Vos sentiments en sont une autre. Je tiens simplement à vous mettre en garde. Aucune femme saine d'esprit ne devrait pas avoir de sentiments pour quelqu'un comme lui. Ce n'est pas un homme digne de votre amour. Jong-goo ne vit que pour l'argent et la violence. Vous avez peut-être l'impression que vous êtes différente. Que vous êtes spéciale à ses yeux, mais détrompez-vous. Vous êtes son gagne-pain. Rien de plus.

— Peut-être que je ne suis pas saine d'esprit alors... M. Park, moi aussi j'ai une question pour vous. Est-ce que mon père a vraiment adopté Jong-goo ?

Ce fut au tour du secrétaire d'être pris au dépourvu, mais il se ressaisit rapidement.

— Qu'est-ce qui vous fait croire le contraire ?

— Si mon père l'avait vraiment adopté, il l'aurait traité comme son propre fils. La façon dont il le traite, c'est comme s'il pouvait s'en débarrasser à tout moment. Une adoption ne se révoque pas si facilement. Une fois que le lien de filiation est établi et inscrit dans le registre familial, il ne peut plus être rompu. Il a la même valeur qu'un lien biologique. Pourtant, vous vous inquiétez de notre relation. Si mon père ne voulait pas que je tombe amoureuse de Jong-goo, il aurait dû l'élever comme mon frère, au lieu d'en faire mon garde du corps.

M. Park se racla nerveusement la gorge. Il n'avait ni nié ni confirmé ses soupçons.

— Je dis ça pour votre bien. Vous n'avez pas le même statut. Si votre père l'apprend, il ne sera pas content. Il essayera de vous séparer. Et vous serez la seule à en souffrir.

Yerin en avait douloureusement conscience. Elle souffrait déjà de ne pas pouvoir avouer ses sentiments à Jong-goo, mais elle avait la chance de l'avoir à ses côtés, même si sa vie n'était pas de tout repos. Elle ne savait pas si elle supporterait une nouvelle séparation forcée, mais la tentation de céder à ses sentiments était de plus en plus forte. Elle n'était pas certaine de pouvoir les cacher encore longtemps.

Finalement, on ne lui avait pas laissé le choix. M. Park avait fait part de ses soupçons à son supérieur. Il lui avait conseillé d'éloigner sa fille de Kim Jong-goo. Son père avait décidé d'envoyer Yerin aux États-Unis avec sa mère. Elle ne pourrait revenir que lorsqu'elle aurait purgé son cœur de ces sentiments déraisonnables. Et à son retour, son père avait la ferme intention d'organiser ses fiançailles avec un homme qu'il aurait choisi pour elle. Un homme digne de son statut.

Elle avait à peine eu le temps de faire ses adieux à ses amis et à Jong-goo. Puisque son père avait décidé de l'exiler à l'autre bout du monde, elle voulait partir sans regret. Elle avait appelé Jong-goo pour lui donner rendez-vous au parc d'attractions qu'ils avaient l'habitude de fréquenter. Elle voulait lui présenter le garçon dont elle était amoureuse.

— Je m'en branle de ton mec, répliqua Jong-goo avec irritation. Pourquoi je devrais le rencontrer ?

— C'est toi qui voulais savoir à quoi il ressemblait. S'il ne te plaît pas, t'as le droit de lui taper dessus.

— Vraiment ? Tu m'en voudras pas si je lui casse la gueule alors ?

— Non. Je me fie à ton jugement.

— Dans ce cas, d'accord.

[ 2 ]

Jong-goo était au point de rendez-vous que lui avait indiqué Yerin, mais personne ne semblait l'y attendre. Il espérait que ce n'était pas une plaisanterie, car il n'avait pas que ça à foutre. Non, elle avait l'air vraiment sincère quand elle lui avait demandé de le rencontrer, et un peu triste aussi.

Il était uniquement venu pour voir la gueule de ce bellâtre qui rendait Yerin si malheureuse. Et si sa tête ne lui revenait pas, il lui ferait sa fête. Il croisait secrètement les doigts pour que ce soit un pratiquant d'arts martiaux. Il pourrait alors se battre sans retenue. L'adolescent avait perdu patience au bout de cinq minutes. Il sortit son téléphone pour appeler Yerin.

— Hé, Yerin ! Il est où ton prince charmant ?

— Regarde bien autour de toi. Qui est-ce que tu vois?

— Comment ça, qui est-ce que je vois ? Je suis entouré de miroirs, je ne vois personne d'autre que moi.

— Exactement... Il n'y a personne d'autre que toi. Idiot.

— Qu'est-ce que... Attends, Yerin ! T'es pas sérieuse là ! C'est quoi ces conneries ?!

— Toi qui adores les secrets, je savais que tu n'aimerais pas celui-là. Je ne comptais pas te le dire. Je comptais enterrer ce secret à jamais, au plus profond de mon cœur, mais je savais que ça ne suffirait pas. Je pars étudier aux États-Unis. C'est mon souhait et Papa a accepté de m'envoyer là-bas. Je suis désolée d'avoir été un boulet pour toi pendant toutes ces années. Adieu, Kim Jong-goo. Prends soin de toi.

Elle avait raccroché. Jong-goo fixa l'icône de téléphone rouge sur son écran un long moment, interloqué. Il avait pris beaucoup de coups dans sa vie, mais celui-là lui avait coupé le souffle comme jamais auparavant. Il avait tenté de rappeler Yerin, sans savoir ce qu'il allait lui dire. Cela n'avait pas d'importance. Il voulait juste la joindre. Qu'elle décroche. Juste cette fois.

— Merde... jura-t-il alors qu'une voix robotique le renvoyait à la boîte vocale. Putain !

Il fit défiler son répertoire à la recherche du numéro du secrétaire Park.

— Allô ? C'est Jong-goo. Où est Yerin ? Passez-là moi !

— Mademoiselle Yerin est en route pour les États-Unis. Son avion vient de décoller à l'instant. Allô ? Maître Jong-goo ? Vous m'entendez ?

— Ouais, je vous entends... et ça me pète les burnes ! Je raccroche !

[ 3 ]

Jong-goo venait de se prendre le tout premier K.O émotionnel de sa vie. Il était empli d'un sentiment de rage et de colère, mais surtout, il se sentait terriblement impuissant. C'était la première fois de sa vie qu'il se sentait aussi faible et démuni. C'était la première fois qu'il se sentait trahi et abandonné.

Furieux, il poussa un cri de rage et jeta son téléphone de toutes ses forces contre une des glaces qui se brisa sous l'impact. Le fracas avait attiré les agents du parc d'attractions.

— Hé ! Qu'est-ce que vous faites ? Ça va pas la tête ? Vous ne pouvez pas briser les miroirs comme ça. C'est de la dégradation de biens privés ! Vous êtes mineur ? Nous allons porter plainte et vos parents devront payer pour les dommages causés.

Jong-goo tourna lentement la tête vers l'agent du parc qui l'avait interpellé. Il avait le regard fou d'un animal errant. Un sourire démoniaque se dessina sur son visage. L'homme recula d'un pas, l'estomac noué par une peur instinctive. Ce n'était pas un délinquant juvénile ordinaire qui semait le chaos par simple amusement. Ce type dégageait une aura de tueur.

La furie se saisit du pauvre homme et le plaqua violemment contre un des miroirs qui se fissura sous l'impact. L'employé du parc poussa un gémissement de douleur. Jong-goo le tenait fermement par le col. Il l'étranglait presque.

— T'es qui pour me dire ce que je peux faire ou ne pas faire ! lui hurla-t-il au visage. Tu veux que je t'encastre dans ton foutu miroir ? Tu pourras porter plainte pour agression comme ça, mais j'espère que t'as une bonne assurance médicale, parce que ça va faire mal !

Il perdait les pédales. Il le sentait. Deux forces opposées se heurtaient dans son esprit. Il était violent. Il aimait se battre. C'était dans sa nature. Mais il avait toujours contrôlé sa nature en choisissant des cibles qui méritaient une bonne raclée. Des ordures de la pire espèce. Des raclures sans nom. Ceux qui ne pouvaient pas porter plainte, car ils avaient trop de choses à se reprocher et ne voulaient pas attirer l'attention sur leurs activités illégales. Des monstres sans foi ni loi. En somme, des gens comme lui.

Il était cruel mais il n'était pas injuste. C'était la terreur des harceleurs, le fléau des criminels, le camion-benne à ordures. De collecteur de dette à chasseur de primes, il n'y avait pas de boulot trop sale ni trop dangereux pour lui. Il se tenait au sommet de la chaîne alimentaire, mais il avait aussi des principes. Il s'était fixé une limite à ne pas franchir. Il ne s'en prenait pas aux innocents. Tout sauf ça. C'était une promesse qu'il ne pouvait pas rompre.

— N-non. N-non. Pitié ! Je suis désolé. Je ne dirai rien pour les miroirs, mais ne me faites pas de mal, je vous en supplie.

Jong-goo plongea ses yeux de bête sauvage dans ceux de sa proie, puis, dans un soupir lourd de lassitude, il le relâcha. Il fouilla dans sa poche intérieure, pour en sortir une liasse de billets qu'il lui tendit négligemment en détournant le regard, perdu dans son propre reflet renvoyé par tous les miroirs autour de lui.

— Tiens. Pour les réparations. Ils sont bien moches, tes miroirs.

— Monsieur, ceux sont des miroirs...

— Ah, c'est vrai. Ben c'est toi qui dois être moche alors. J'en ai marre de voir ta gueule partout. Dégage.

— Monsieur, ces billets... ce ne sont pas des wons, ce sont des dollars.

Dollars. États-Unis. Yerin. La colère qui venait de s'apaiser était revenue le frapper de plein fouet comme un violent tsunami.

— Ouais, et alors ? gronda-t-il en fusillant l'homme du regard. T'as jamais entendu parler d'un bureau de change ?

Il luttait de toutes ses forces contre l'envie de fracasser ce mec. Dieu merci, un imbécile avait décidé d'intervenir. Et cet imbécile, c'était le genre d'imbécile qui ne demandait qu'à se faire fracasser. Tatouages jusqu'au cou, chemise à fleurs déboutonnée jusqu'au ventre, ourlets de pantalon remontés jusqu'aux mollets, cigarette au bec et sourire arrogant. Tout ce que Jong-goo détestait.

La petite frappe locale, accompagnée de sa bande de loubards décérébrés, avait l'habitude de traîner près de la sortie du labyrinthe aux mille miroirs. Alertés par le bruit, ils avaient décidé de venir voir d'où venait tout ce remue-ménage.

— Hé ! Les gars ! Vous avez entendu ce que j'ai entendu ? Je crois qu'on a touché le jackpot !

— Ouais, boss ! C'est vraiment des dollars ! Et ce gars, là, mate un peu ses fringues ! C'est un gosse de riche, ça se voit. Et tu sais ce qu'on dit des gosses de riches ! Ils sont pleins aux as, mais ils ont rien dans le sac. Suffit de les secouer un peu, et ils crachent tout leur fric comme une machine à sous.

— Ah ouais ? fit Jong-goo avec un sourire sadique. Vous voulez me faire cracher mes billets ? Je vais vous faire cracher vos dents !

Il se jeta sur l'une des racailles de bas étage, lui fourra une liasse de billets dans la bouche, et le frappa violemment au visage à plusieurs reprises.

— Je ! Hais ! Les ! États ! Unis ! ponctua-t-il avec chaque coup de poing, brisant presque autant de dents que de mots.

Le visage ensanglanté et tuméfié, le gars s'effondra, à peine conscient. Jong-goo poussa un sifflement irrité en se redressant, puis se tourna vers le reste du groupe en faisant craquer sa nuque. Ils étaient foutus.

[ 4 ]

Jong-goo était adossé à un mur, près du bâtiment où se trouvait le bureau de M. Kim. Il s'était fait refouler à l'entrée par les agents de sécurité. À juste titre étant donné son état pitoyable. Il avait du sang dans ses cheveux décolorés. Du sang sur son visage, sur ses mains et sur ses vêtements. Pas le sien. Celui des mecs qu'il avait tabassés un peu plus tôt. En bras de chemise, les mains dans les poches de son bermuda, il attendait le retour du secrétaire Park en ruminant sa colère. Il ne savait pas ce qu'il allait lui dire, ni ce qu'il allait faire. Une connerie sans doute.

— Maître Jong-goo, fit Park Ji-won en s'avançant prudemment vers lui. Vous n'avez rien à faire ici. Vous devriez rentrer chez vous.

— Je n'ai plus de chez-moi... Je veux parler à M. Kim.

— Pour lui dire quoi ? Si vous avez un message à lui transmettre-

— Vous vous foutez de ma gueule ?! Vous savez très bien pourquoi je suis là ! Pourquoi est-ce qu'il a envoyé Yerin aux États-Unis du jour au lendemain ?

Le secrétaire lui jeta un regard impénétrable. Soit ce garçon faisait semblant de ne pas comprendre, soit il était extrêmement lent à la détente.

— Vous ne savez vraiment pas pourquoi Mademoiselle Yerin est partie ? Je vous pensais plus perspicace que ça.

— Je sais pourquoi elle est partie... Enfin, je crois... mais je ne comprends pas pourquoi elle aurait dû partir à cause de ça. Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Et pourquoi elle ? Si quelqu'un doit partir, ça devrait être moi !

— Si c'est ce que vous voulez, vous pouvez partir. Ça ne fera pas revenir Mademoiselle Yerin. Si vous voulez prendre votre revanche, il va falloir devenir plus fort et plus puissant que M. Kim. Et ce n'est pas avec la force brute que vous allez réussir à le surpasser. Blue Sky Digitals, l'entreprise qu'il vous a confiée. Il serait temps d'en faire quelque chose. Vous en êtes capable. Vous avez un talent certain pour l'argent et les affaires. Faites-en la filiale la plus rentable du groupe, et M. Kim ne pourra plus se passer de vous.

— Si j'y arrive, Yerin pourra revenir ?

— Je ne sais pas, mais vous aurez plus de poids pour négocier avec M. Kim. Pour le moment, vous ne valez rien à ses yeux. Il va falloir prouver votre véritable potentiel.

Jong-goo serra les poings. Il avait pris l'habitude de résoudre tous ses problèmes en se battant. Une bagarre, c'était l'affaire de quelques minutes. Faire de son entreprise la filiale numéro un du groupe Blue Sky lui prendrait des années. Pourtant, il n'avait pas le choix. Se battre contre le secrétaire Park ou passer son père adoptif à tabac ne lui apporterait rien d'autre qu'un séjour en prison. Il se ferait virer de la famille et perdrait son poste de PDG dans l'entreprise. Le secrétaire Park avait raison. Cette fois, il allait devoir faire preuve de patience et de persévérance.

[ 5 ]

Jong-goo n'était pas retourné à l'école depuis le départ de Yerin. Il ne s'était pas présenté aux examens du premier trimestre qui se tenaient début juillet, juste avant les vacances d'été. Il avait abandonné le lycée. Le principal avait accepté sa désinscription sans chercher à le retenir ni à savoir pourquoi il avait décidé d'arrêter l'école. Kim Jong-goo ne brillait pas par ses résultats scolaires, ce n'était pas une grosse perte. Le chef d'établissement regrettait davantage le départ de Kim Yerin.

Des employés étaient passés dans la semaine pour emballer toutes les affaires de Yerin et de Mme Kim et les expédier aux États-Unis. Ils avaient tout pris, des vêtements dans le dressing aux décorations sur les murs. Ils avaient même embarqué la collection de yo-yo. Jong-goo avait réussi à récupérer celui que Yerin lui avait offert pour ses sept ans. Tout le reste avait disparu dans des cartons et des boîtes en plastique. Ils ne restaient plus que les meubles couverts par de grands draps blancs pour les protéger de la poussière.

Jong-goo rentrait rarement chez lui. Il n'avait pas envie de croiser M. Kim. Encore moins de dîner avec lui tous les soirs. Il passait de temps en temps pour nourrir Yoyo et jouer un peu avec lui, mais le reste du temps, il fuyait ce grand appartement vide. Sans Mme Kim et Yerin, il avait perdu de sa splendeur. Il lui semblait terne et triste. Jong-goo préférait passer son temps dehors, à faire de la prospection avec Gun ou à échafauder de futurs plans avec M. Choi.

[ 6 ]

La situation n'était pas encore très claire dans sa tête. Les derniers mots de Yerin résonnaient dans son esprit. Il y repensait sans cesse, mais il avait peur de comprendre leur véritable sens. Son jugement était voilé par le déni. Il refusait de regarder la vérité en face. Il espérait se tromper. Il aurait préféré avoir mal compris. Il se disait que ce n'était pas de lui qu'elle parlait. Que cette confession à mots couverts ne le concernait pas. Il avait besoin d'un avis extérieur. Quelqu'un qui pourrait le conforter dans ce mensonge auquel il voulait croire plus que tout.

— Hé, Gun. Ça veut dire quoi, d'après toi, quand une fille te pose un lapin et s'enfuit à l'autre bout du monde sans prévenir ?

— Ça veut dire qu'elle te déteste. Pourquoi ?

— Pour rien. Yerin est partie aux États-Unis. Je suis au chômage.

— C'est plutôt une bonne chose, non ? Tu vas pouvoir te concentrer sur nos affaires. Ça va nous rapporter bien plus que ton petit job de garde du corps. Je n'ai rien contre Yerin, mais tu lui consacrais beaucoup trop de temps et d'énergie. M. Choi commençait aussi à douter de toi. Il se demandait si tu n'avais pas perdu le sens des priorités.

— Le sens des priorités, tu dis... répéta Jong-goo, le regard perdu dans le vide. M. Choi a la mémoire courte. Il a oublié que je réponds en premier lieu à M. Kim. Et ma priorité, c'était Yerin. Mais, tu as raison... C'était un mauvais investissement, ça payait pas si bien que ça, et je ne pouvais même pas me battre comme je voulais. On peut dire que je suis enfin libre.

C'était un mensonge. Il ne se sentait pas libre. Il se sentait juste vide. Combien de gueules allait-il devoir casser pour combler ce vide ? Beaucoup. Beaucoup trop.

[ 7 ]

Jong-goo savait que Gun racontait de la merde. Il flirtait avec des filles par-ci par-là, il avait eu une copine ou deux, mais il n'y connaissait rien en amour. Dès qu'une fille s'intéressait un peu à lui, il lui donnait son attention jusqu'à se lasser. Dès qu'une fille le larguait parce qu'il la négligeait, il en concluait qu'elle le détestait. Ce qui était vrai, mais il avait un don pour se faire détester par toutes les filles qu'il fréquentait. Yerin ne détestait pas Jong-goo. C'était le contraire. Pourtant, il préférait l'hypothèse farfelue de Gun. Elle était plus facile à digérer.

Si Yerin le détestait vraiment, il pouvait accepter la situation. Il pouvait se faire une raison et passer à autre chose. Ce qu'il ressentait pour elle n'avait aucune importance. ll savait où étaient sa place et la limite à ne pas franchir. La confession de Yerin avait ébranlé ses convictions. Il ne lui restait plus que des regrets.

Yerin lui avait dit que c'était son choix de partir aux États-Unis, mais elle mentait. Son père l'avait forcée à abandonner ses amis, son école, son pays, parce qu'elle avait eu l'audace de tomber amoureuse de Jong-goo. C'était une punition cruelle. Elle devait être dévastée mais, une fois de plus, il ne pouvait rien faire pour elle. C'était trop tard. La seule façon de la protéger, c'était de couper tout contact avec elle. Elle finirait par l'oublier. Peut-être même qu'elle finirait pas le détester pour de vrai.

Il l'avait bloquée sur tous les réseaux sociaux et il avait changé de numéro de téléphone pour qu'elle ne puisse pas le contacter. Il devait effacer toute trace de son existence. Il devait disparaître de sa vie pour qu'elle puisse retrouver sa liberté.

Il avait des tonnes de photos d'elle dans son téléphone. Certaines qu'elle lui avait envoyées, d'autres qu'il avait prises lui-même. Elle voulait toujours poser devant tout et rien. Parfois, elle l'obligeait à prendre un selfie avec elle. Il faisait exprès de faire des grimaces affreuses pour gâcher ses photos, puis se faisait engueuler. S'il avait su, il aurait posé plus sérieusement. Il aurait dû les supprimer, mais il ne pouvait pas s'y résoudre. Ces photos étaient tout ce qu'il lui restait d'elle.

Peut-être que tout cela était vain. Yerin avait les mêmes photos dans son téléphone. Ils partageaient trois années de souvenirs. Les trois meilleures années de leur vie. Comment pouvaient-ils s'oublier si facilement ? Combien de temps leur faudrait-il pour ne plus rien ressentir l'un pour l'autre ? Trois ans ? Trente ans ? Jong-goo n'en savait rien. Tout ce qu'il savait, c'était que le temps s'était arrêté pour lui. Il avait mis ses sentiments en suspens. Jusqu'à ce qu'il atteigne son objectif, il ferait comme s'ils étaient destinés à ne jamais se retrouver.

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