Chapitre 27 : La traîtresse.
« Cher Pavel,
Solange a dit ses premiers mots, hier. Un charmant babillage qui me ferait presque oublier pourquoi je suis d’abord venue à Ludvina… J’espère que ton petit Mikhaïl se porte bien, malgré les circonstances. J’ai été désolée d’apprendre pour Mélanie et d’avoir attendu si longtemps pour te présenter mes condoléances.
J’espère que les nouvelles de cette lettre te mettront un peu de baume au cœur. Depuis peu, le conflit avec Larouel semble s’apaiser. Il n’est pas encore question de traité de paix, même si nous espérons qu’un jour, ce sera possible, mais les attaques se rarifient. Les estholais semblent de plus en plus enclins à ne pas relancer les hostilités. Peut-être qu’un jour, nous parviendrons à réconcilier tout à fait Esthola et Solavie ? J’espère que tu ne riras pas en lisant ses mots. Je veux croire à un monde où les pays qui se sont partagés mon cœur peuvent s’entendre. Ma fille est aussi solavienne qu’estholaise, je détesterais qu’elle ait à choisir entre ses deux nationalités.
Quant à Béatrice… Je ne te cacherai pas qu’elle m’inquiète chaque jour un peu plus. C’était cruel, ce que nous lui avons fait. Je ne pensais pas qu’elle le vivrait si mal. Elle était persuadée de pouvoir revenir et récupérer ses recherches. Et je t’avoue que je n’avais pas vu venir la réaction de Sophia Lombre… Il a fallu qu’Angelo intervienne et rembourse tout ce que le gouvernement avait dépensé pour envoyer Béa à la Grande École. Elle était furieuse contre Béatrice. Elle la soupçonne d’avoir fomenté quelque chose avec les Oiseaux contre Solavie, que c’est pour cette raison que Polmar refuse son retour. Nous ne sommes pas si loin de la vérité, mais je ne crois pas que Béa pensait à mal…
Quoiqu’il en soit, merci d’avoir tu la vérité. Je ne pense pas qu’elle s’en prendrait à moi, mais je ne peux pas prendre de risque. Et pour le moment, Sophia Lombre me surveille, elle aussi. Malgré tout, je suis solavienne, ici à Esthola.
Je t’embrasse. Je ne pense pas pouvoir te donner de nouvelle d’ici un moment, mais j’espère te revoir, prochainement.
Léanna. »
Il reste encore des lettres dans ma main, mais, lasse, je les repose sur le bureau.
— Pourquoi ne pas m’avoir montré ça plus tôt ?
Le chancelier caresse doucement la barbe naissante à son menton, les yeux rivés sur moi.
— Parce que… Je ne voulais pas que tu penses que c’était monté de toute pièce. Parce que la vérité est fragile, même quand elle est absolue. Surtout, quand elle est absolue. Si je montre ces lettres à Béatrice, penses-tu qu’elle acceptera la vérité ? Qu’elle croira que Léanna l’a trahie ?
J’entrouvre la bouche. Non. Aucune chance. Tata Béa aimait Léanna. À un moment où à un autre, elle a parlé des Oiseaux à ma mère, et ma mère a prétendu s’y intéresser. Probablement pour mieux espionner leur organisation. Pour pouvoir répéter à Pavel.
— Mon père aussi, savait tout ça ?
— Je ne suis pas sûr. Léanna et moi avons eu moins de contact après ça. Je ne pouvais pas lui faire courir de risque. Les courriers que tu as entre les mains ont tous transité par Éliane. Avant la mort de ta grand-mère, elle s’est souvent rendue à Ludvina pour rendre visite à sa sœur.
— Vraiment ?
Le chancelier hoche la tête, un vague sourire en coin.
— Je t’ai dit, que j’étais proche des sœurs Cassan. Surtout d’Éliane et de ta mère. Sylianna était un peu plus jeune, et sans doute un peu moins digne de confiance.
J’ai dû mal à retenir un sourire à ces mots. Mais ce n’est pas le moment de penser à Sylianna Pommaraie.
— C’est ma mère qui a fini par vous convaincre de venir à Ludvina ?
— Ton père, en fait. Il était ambassadeur, il s’est rendu à Port-Céleste. Plusieurs fois.
— Pas ma mère ?
— Ta mère n’a plus jamais quitté Ludvina, Solange. Je pense que Sophia Lombre préférait qu’elle reste là-bas. Ce n’est pas très clair pour moi, je t’avoue. Quand j’ai interrogé ton père, il m’a dit qu’on t’avait refusé le passage, à toi. Léanna ne pouvait pas t’abandonner, seule là-bas, et elle est restée avec toi.
Comme si j’avais été une monnaie d’échange.
Cette pensée me révolte. Ma mère a donc été gardée comme otage, toutes ces années ?
— Elle disait que sa mère ne voulait plus la voir…
— Oh, c’était sans doute vrai aussi. Avril Cassan avait un caractère épouvantable. Je sais qu’il ne faut pas critiquer les morts, mais je t’assure qu’elle ne me manque pas. Enfin… Qu’importe. C’est peut-être en effet la raison pour laquelle elle n’est jamais revenue à Port-Céleste, mais je pense tout de même que la raison principale était qu’elle ne voulait pas te laisser seule en Esthola.
— D’accord…
Ma gorge se serre.
Ce n’est pas tout à fait Léanna, qui a été retenue en otage. C’est moi. J’ai été otage d’Esthola depuis ma plus tendre enfance, bien avant que Pavel ne m’ait jamais prise en otage. Moi, la fille de Léanna…
— Comment avez-vous pu me prendre en otage alors que j’étais sa fille ?
Pavel ouvre de grands yeux, puis il déglutit.
— Décidément, tu ne me laisseras jamais l’oublier… C’était une erreur de jugement, Solange. Un bref instant pendant lequel je ne savais plus qui étaient mes alliés. Si j’en avais encore. J’avais peur, pour Mikhaïl, surtout. J’ai pensé que peut-être, j’avais été piégé pour me rendre au Palais des Douces… Ça n’excuse évidemment rien. Mais c’était une simple erreur de jugement.
— J’essayais de vous aider, ce jour-là. J’ai compris que vous aviez peur. Je voulais vous aider à quitter le palais.
Pavel entrouvre la bouche, puis une moue triste se lit sur son visage.
— Je suis sincèrement désolé, Solange.
— Bref. Puisque c’est comme ça, je veux vous aider à faire tomber les Oiseaux.
Cette fois encore, le chancelier ouvre de grands yeux.
— Mais voilà qui est absolument hors de question, jeune fille.
— Quoi hors de question ?
— Je n’utilise pas d’enfant pour ma cause, moi.
— Vous les prenez simplement en otage ?
Il fronce les sourcils.
— Combien de fois vas-tu encore te servir de cette excuse ?
— Autant de fois qu’il le faudra.
— Petite peste.
Un sourire m’échappe.
— Je veux vous aider, Chancelier. De toute façon, les Oiseaux viendront me chercher quoiqu’il arrive… Pourquoi ne pas le mettre à profit ?
— Solange, ce serait te mettre en danger.
— Je suis en danger à l’heure où nous parlons. Laissez-moi vous aider.
***
Jour présent.
Béatrice tremble.
— Qu’est-ce que tu as dit… ?
— C’est maman qui a répété à Pavel que tu avais des contacts avec les Oiseaux, tata…
— C’est… Non. C’est faux.
Colombe fait quelques pas sur le côté, jusqu’à se trouver côte à côte avec Béatrice.
— Nous t’avions dit que c’était une éventualité, Béatrice. Nous t’avions dit qu’elle était solavienne, malgré tout. Ils ont la trahison dans le sang. Sa fille est comme elle. Elle n’est pas ta nièce, Béatrice. Seulement une autre solavienne.
Comme un serpent, elle susurre son venin à l’oreille de Béatrice.
Cette dernière pâlit sensiblement. Mortellement, presque.
— Solange. Viens ici, articule-t-elle péniblement.
Je secoue la tête de droite à gauche.
— Eh bien tant pis, murmure alors Colombe.
Elle tend le bras dans ma direction et quand elle tire, tout semble ralentir. Je reste parfaitement immobile et elle fronce les sourcils avant de jeter un coup d’œil plein d’incompréhension à son arme qui n’a pas fonctionné.
« MAEVE », hurle-t-on derrière moi, presque à l’instant même où la lumière s’est rallumée dans la pièce, me forçant à plisser les yeux.
D’un coup, une quinzaine de Maeve, dont la mienne, jaillissent de nulle part. Armées. La mise à jour que j’ai créée au Symbiose avant de la masquer par le programme Éva. Mais je n’ai pas le temps d’admirer le résultat. La main de Pavel a jailli pour me plaquer au sol, comme pour me protéger d’un éventuel rayon perdu. Je parviens à peine à tourner la tête vers madame Mestre, elle aussi couchée au sol, les yeux rivés sur sa main dans laquelle je devine un chronomètre.
« Quand la lumière se rallumera, les armes seront encore désactivées une trentaine de seconde. La porte sera encore fermée pour une minute. Les Maeve seront prêtes à réagir, elles. Elles élimineront tout ce qui est étranger au Symbiose, partout. S’ils survivent à ce delta de trente secondes, alors les complications commenceront. »
Je couvre ma tête et ma nuque de mes bras tandis que les rayons brillent de partout. Puis, au bout de trente secondes, mes yeux fouillent la cohue.
Béatrice, les yeux grands ouverts, est tombée à quelques mètres de mois. Je suis moi-même paralysée devant la vision, jusqu’à ce qu’elle cligne des yeux. Le soulagement me gagne alors… Mais je ne peux pas le montrer, pas maintenant.
Je cherche Colombe des yeux. Elle a couru vers l’ordinateur. Pourquoi a-t-elle couru vers l’ordinateur… ?
Je vois madame Mestre l’approcher, la mine curieuse, quand soudain, un doute terrible m’assaillit.
C’est un robot. Pas une humaine. C’est même pire. C’est un robot contrôlé à distance.
— ÉLOIGNEZ-VOUS !
Je cours à toute allure dans sa direction. Elle n’a que le temps de tourner la tête vers moi avant que je ne me jette à sa taille, désespérée de l’éloigner le plus possible de la bombe à retardement… mais je ne suis pas assez rapide.
La déflagration nous souffle et nous projette contre le mur, lui arrachant un hurlement déchirant. Ma combinaison m’a protégée, moi. Technologie de Béatrice, ignifugée.
Quant à madame Mestre…
Elle pousse un nouveau petit cri de douleur et je constate alors que les bas sur ses jambes ont fondu, et même qu’ils sont encore en train de fondre. Affolée, je l’en débarrasse aussi vite que possible. Puis je me souviens que Faucon a un kit de survie. Je me déplace vers lui. À travers sa paralysie, il m’envoie un regard de haine si puissant que je sors mon arme. Il va peut-être bientôt pouvoir se libérer…
— Hé… J’ai besoin que vous l’attachiez.
Le garde qui protégeait jusque là Mikhaïl lance un regard interrogateur à Pavel Konstantin qui hoche la tête en nous approchant.
— Tu ne peux pas simplement lui mettre une décharge supplémentaire ? demande-t-il.
— Non… Les dégâts seraient trop importants. Ça pourrait le tuer.
— Et ?
Je lance un regard noir au chancelier, qu’il me renvoie, mais il fait finalement signe à son garde de m’obéir. Je récupère alors le kit de premiers secours dans son sac à dos et rejoins madame Mestre.
Elle s’est mise à trembler comme une feuille.
— Ça va aller… Ça va aller, d’accord ?
Je sors un baume épais et en étale généreusement sur les lésions à ses jambes. Elle serre les dents et se met à trembler plus violemment encore…
— Courage, madame Mestre. Vous allez vous en tirer, c’est seulement en surface…
— Mer…ci… So…
Je tourne la tête vers elle, et mon estomac se contracte quand je comprends qu’elle vient de s’évanouir. Mais je suis confiante, elle n’est pas trop grièvement blessée, même si ça doit être incroyablement douloureux.
Quand j’ai fini d’appliquer la pommade, je me redresse. Les Maeve gardent à présent la porte d’entrée qui ne s’est pas rouverte malgré la fin du programme NOX que madame Mestre et moi avons terminé de mettre au point ensemble. Petit à petit, tout se réveille, mais il n’y a plus personne derrière la porte pour décrypter les codes d’accès permettant de rejoindre l’ordinateur du Symbiose.
— Traîtresse…
La voix est faible, mais le timbre, inimitable.
Faucon est furieux.
— Trahir ta tante… Après tout ce qu’elle a fait pour toi…
Du coin de l’œil, je l’observe. Le garde l’a solidement attaché, mais à présent qu’il est parti ligoter les autres Oiseaux, Faucon rampe vers moi… jusqu’à ce que Pavel Konstantin le rejoigne et lui donne négligemment un coup de pied dans les côtes.
— Chancelier !
— Plaît-il ?
— Sale race…
— Ne faites pas ça !
— Je le reconnais, Solange. C’est lui qui a menacé Mikhaïl, à l’époque…
— Espèce de salopard…
— Papa.
Je tourne la tête. L’air effrayé, Mikhaïl a rejoint son père. Il tire sur son bras et fronce les sourcils.
— Ça suffit. Solange t’a dit d’arrêter.
Le chancelier hausse un sourcil, puis il soupire et ébouriffe gentiment les cheveux de son fils.
— Bien, dit-il en lui passant un bras autour des épaules. Solange, peux-tu relancer l’ordinateur ? Le temps que Molly reprenne ses esprits ? Il faut que je sache ce qui se passe dans le reste de la ville.
Je hoche la tête, consciente que je ne pourrais pas faire grand-chose de plus pour madame Mestre pour le moment.
— Dommage pour elle…
Faucon a tourné la tête vers moi.
— Et dommage pour toi peut-être, Solange. Colibri a dit que tu connaissais les Mestre. Sais-tu que je lui ai dit de ne pas trop l’amocher ? Pour toi ?
Mon sang vient de se glacer dans mes veines. Je m’arrête à mi-chemin, transie.
— Qu’est-ce que tu veux dire… ?
— Je veux dire… Qu’il nous ait venu à l’idée que si jamais nous ne parvenions pas à atteindre l’ordinateur du Symbiose, il y avait de grande chance que Molly Mestre y soit présente. Et quel meilleur moyen de pression que son fils unique ?
Mes doigts de mettent à trembler.
Puis mes bras entiers.
Et mes chevilles sont prêtes à céder sous mon poids quand enfin, je parviens à me tourner vers Pavel Konstantin.
Son expression ne me rassure pas. Il tente néanmoins de se rassembler avant de se tourner vers moi :
— Mikhaïl restait au Symbiose depuis ton départ, mais les autres sont à l’école. Ils sont en sécurité. Il y a du monde pour les garder. Des masques pour tous.
Faucon se met à rire. Un rire qui hérisse chacun de mes poils. Même Pavel, déglutit péniblement.
— Mais le garçon a reçu un message de Solange au moment où nous avons atterri. Merci Béa pour ça, nous n’avions pas besoin de le sortir d’Avril Cassan. Simplement de le cueillir à la sortie.
— COMMENT T’AS PU ?!
Je me précipite sur lui, le saisis par le col.
— Ah… Mais il était prévu de ne pas lui faire de mal. Évidemment, à présent que Colibri a perdu toute communication avec nous, qui sait ce qu’il va lui faire.
Je relâche Faucon. Son sourire complaisant me dégoûte. Mes mains sont moites, je me redresse et commence à faire les cents pas. Puis je tourne la tête et aperçois madame Mestre, grâce au ciel inconsciente.
— Où devait-il l’emmener… ?
Faucon tourne la tête vers le chancelier.
— Laissez Béatrice accéder à l’ordinateur.
— Où est-il ?!
Faucon se tait. Il se contente de sourire.
J’échange alors un regard avec Pavel.
Et la peur m’embrase.
Joliment penser cette comparaison otage de Pavel et otage estholaise. C'est vraiment une excellente idée.
On monte d'un cran dans les tensions par rapport à la prise d'otage d'Hermès...
J'ai vraiment hâte de savoir la suite à moins que... Je le crains aussi un peu... J'espère que tu auras le temps de sortir le prochain rapidement, le suspense est intense et ça ne devrait pas être autorisé de nous laissé sur un tel cliffangher...😉
Contente que ce chapitre t'ait plu ! Je ne sais pas quand le prochain sera terminé. Je l'ai commencé mais j'ai tellement la crève ce week-end que j'arrive pas à m'y remettre... Ça vient avec ce mal de tête qui t'empêche de rester sur l'écran trop longtemps, donc pas idéal pour écrire.
Je ré-essaye en fin de journée :D
À bientôt