Propre et repue, je suis épuisée. Je me retourne dans mon lit lorsque j’entends Hermès pénétrer dans ma chambre. Il sifflote un air et chuchote mon nom :
— Perséphone ? Persée ? Dors-tu déjà ?
Je ferme les yeux. Au son de sa voix, mes muscles se raidissent. Pourquoi ai-je écouté cette conversation ? Avant sa présence était un réconfort et son timbre enjoué illuminait mon existence. Tout cela me semble terni. J’aimerais l’avoir rêvé. Sa main chaude effleure mon pied nu, je tressaute et rabats mes jambes sous les draps. J’ai l’horrible sensation d’avoir été piégée. Chaque geste, chaque parole, étaient pensés pour placer en lui une confiance aveugle. Je m’en veux d’avoir été si naïve et suis de déçue m’apercevoir qu’il donne raison à ma mère et sa méfiance du genre masculin.
Je ne sais si je peux parler avec lui de ce problème. Car c’en est un ! Je ne partage pas sa vision d’un avenir où je serai sa femme. Cependant, un terrible doute germe en moi. Si je lui disais la vérité, m’aiderait-il encore à sauver Médusa ? L’amitié et la confiance que j’éprouvais pour lui étaient si fortes. Peut-être aurait-il fallu ne jamais savoir.
Il me secoue doucement et je me redresse d’un bond.
— Que veux-tu ? je demande légèrement trop énervée pour quelqu’un qui dormait.
— Je suis navré de te réveiller. J’ai parlé avec Hadès et il va nous aider à libérer Médusa ! déclare Hermès.
— C’est impossible ! Pourquoi ferait-il cela ?
— J’ai su me montrer persuasif, ou peut-être, est-ce toi qui l’auras convaincu. Mais en attendant, il veut bien nous prêter son casque, un attelage et même nous ouvrir un passage !
Mon cœur bat si fort. Je n’en reviens pas ! Nous allons enfin pouvoir sauver Médusa ! J’exulte de joie et sautille sur le lit. Hermès sourit de toutes ses dents. Ma colère s’est envolée.
— Quand partons-nous ? je demande prête à aller délivrer mon amie.
— Un peu de patience, je vais me rendre sur l’Olympe et persuader Zeus d’envoyer une convocation à sa fille préférée. Dès qu’elle sortira avec sa maudite chouette, tu mèneras l’offensive. Mais en attendant, tu restes ici, tu apprends par cœur les plans de son palais et tu essayes de ne pas t’attirer d’ennui, dit-il en me faisant un clin d’œil.
Je croise les bras, mal à l’aise de devoir séjourner aux Enfers. Je détourne la tête et aperçois des rouleaux posés aux pieds du lit ainsi qu’une paire de xiphos.
— Très bien, j’apprendrais les plans en t’attendant, je répète machinalement.
Hermès dépose un baiser sur mon front puis s’envole aussitôt. J’essuie d’un revers de main l’empreinte invisible de son amour sur mon visage et m’enfouis sous l’oreiller pour crier ma joie. Après tant de jours à me lamenter, l’espoir brûle au fond de mon être. J’arrive Médusa, je murmure avant de sombrer dans le sommeil.
À mon réveil, je ne sais pas s’il fait jour ou nuit. Depuis combien de temps suis-je endormie ? Je ne me suis pas encore habituée à la luminosité étrange des Enfers. Un plateau de victuailles a été déposé sur un guéridon et un chiton vert pâle. En m’habillant, je constate avoir toujours cette douleur derrière l’épaule. Dans le miroir poli, j’aperçois trois griffures profondes. Elles finiront par cicatriser rapidement. Il faut dire que j’ai été malmenée à de nombreuses reprises ces derniers temps. Je m’installe sur le balcon et noue mes cheveux en une large tresse. Je me suis, soit, endormie seulement quelques heures, soit, la journée entière, car dehors il n’y a personne.
Je décide d’emporter les plans et me dégourdir les jambes. Je ne sais pas où se trouve Eurydice et aucun garde ne surveille ma porte. Les couloirs sont vides. Des bruits de pas retentissent à l’angle d’un corridor. Certainement par réflexe, je me dissimule derrière une tapisserie. À la lueur d’un flambeau, j’aperçois la belle Menthé. Elle est escortée d’un soldat et de deux suivantes retenant sa traîne transparente et dévoilant sa nudité. Je suppose qu’elle doit se rendre dans les appartements de son roi.
Je finis par trouver une terrasse. Arrivée au bout le chant de l’eau attire mon attention. Je découvre un discret escalier en colimaçon menant à un jardin caché. Des lanternes violacées éclairent les lieux.
Je m’approche du bassin rempli de nénuphars pourpres et observe l’eau scintillante. Au fond luisent des pierres précieuses nichées dans les mosaïques. On dirait un ciel étoilé. La beauté du travail fait écho avec le plafond que j’ai pu admirer dans les appartements du roi.
La fontaine au bout est une femme sertie de pierreries dont les larmes s’échappent de ses mains en coupe, déversant ainsi le liquide. Les plantes qui m’entourent sont en or ou argent et les fleurs semblent taillées dans le cristal. C’est prodigieux.
Je constate tout de même quelques pots en étain disposés un peu partout. À l’intérieur ce devait être de vraies fleurs, car elles sont hélas déjà fanées et toutes recroquevillées sur elles-mêmes. Cachées dans les arbustes, je découvre des statues en mauvais état et envahies par les ronces.
Je m’assois sur un banc et observe ce décor aussi enchanteur que mélancolique. Étrangement, une certaine quiétude s’est emparée de mon être à présent que je suis loin des couloirs sombres du palais.
À la lueur d’une lanterne, je déplie les rouleaux d’Hermès. Ces biblos me rappellent fortement ceux aperçus sur les nombreuses étagères de la salle des cartes. Mon doigt suit les lignes géométriques. Ma gorge se serre en imaginant que nous allons pénétrer le temple d’Athéna. Il faut que j’apprenne par cœur ces plans. Je ne pourrais me permettre la moindre erreur. Pourtant, les traits sous mes yeux sont à peine déchiffrables. L’angoisse m’envahit peu à peu.
— Comprends-tu ce que tu vois ? demande une voix grave derrière moi.
Un ridicule cri de stupeur s’échappe d’entre mes lèvres. Je sursaute et manque de renverser les plans. Trop absorbée par mon travail, je n’ai absolument rien entendu. Je suis surprise de découvrir ici le roi des Enfers. Hadès est penché au-dessus de moi, les bras croisés derrière le dos. Ses cheveux longs sont lâchés et effleurent ma joue. Il arbore un chiton noir où deux fibules argentées maintiennent les manches. Je ne sais si c’est l’odeur des huiles ou sa chevelure peignée et encore humide, mais j’en oublierai presque la bestialité qui l’habitait lorsqu’il se battait.
— Navré, je ne souhaitais pas t’effrayer, dit-il en se redressant.
— Vous m’avez surpris, je le corrige.
Il ricane.
— C’est moi qui le suis. Personne ne vient dans mes jardins et encore moins la nuit.
Je regarde autour de moi, confuse.
— Je n’étais pas certaine que nous étions la nuit et que je n’avais pas le droit d’être ici, je balbutie.
— Il est vrai qu’on ne t’a pas vu, tu as dormi la journée entière, dit-il d’un ton presque taquin.
— Je vais vous laisser ! je m’écrie, honteuse d’avoir été paresseuse.
Hadès secoue la tête et lève la main en signe d’apaisement.
— Allons, tu peux rester Perséphone, déclare-t-il.
Il semble si différent. Calme et détendu. Je ne l’avais encore jamais vu ainsi.
— Ces plans ?
— À dire vrai, je ne suis pas sûre de les comprendre, j’avoue en détournant les yeux.
Il se penche alors et les muscles de son bras frôlent ma peau. Cette proximité me désarçonne complètement. Je n’ose bouger et me retiens presque de respirer. Son doigt trace une ligne imaginaire et finit par tapoter pour désigner un emplacement.
— Les cachots d’Athéna ne sont pas difficiles à trouver, comparés à ici. Le plus dur néanmoins, est d’en repartir, déclare-t-il d’une voix rauque.
Son souffle chaud caresse mon cou. Mes joues s’empourprent. Il se redresse et je me relève pour lui faire face.
— Pourquoi est-ce plus difficile ?
— Le temple est habité par de nombreuses amazones. Certes ce sont les novices qui débutent en tant que gardiennes, cependant elles ne manqueront pas de témérité. Tu devras faire preuve d’une grande prudence une fois là-bas. À bien y réfléchir, tu ne devrais même pas y aller au vu des risques, explique-t-il en s’éloignant.
— Je pense que vous me sous-estimez encore une fois votre majesté. Dois-je vous rappeler que j’ai réussi à pénétrer dans votre palais et dérober votre kunée à deux reprises, je réplique.
Il ricane et je crois déceler de l’amusement dans son regard.
— Tu as presque réussi en effet, mais si Athéna t’attrape ce sera bien différent.
Le dieu des morts s’avance vers le bassin et contemple la statue. Je commence à me demander si je devrais partir et le laisser seul. Toutefois, je le rejoins en restant à distance respectable.
— Pourquoi nous aidez-vous ?
— Pourquoi ne pas le faire ? rétorque-t-il.
— Ce n’est pas dans l’habitude des dieux.
— Je ne suis peut-être pas comme tous les autres, affirme-t-il, un sourire taquin, avant de s’éloigner.
Je lève les yeux au ciel et secoue la tête. Il a raison, même si cela lui donne un côté arrogant et prétentieux. D’autres se seraient montrés moins cléments et patients. Je me mords les lèvres et le suis.
— Il est vrai que vous êtes différent. Je ne vous ai pas encore remercié de m’avoir sauvée d’Hélios, de ne pas m’avoir enfermée à nouveau après le vol et de nous prêter main-forte dans le sauvetage de Médusa. Alors, merci, je déclare en baissant la tête et en m’inclinant.
Hadès ricane et soudain je tressaille sous le contact d’une main. Ses doigts s’agrippent délicatement à mon menton et m’obligent à relever la tête. Ses yeux ont la couleur du vert des cyprès qui poussaient autour de la maison.
— Même si tu n’as pas encore été présentée à la cour divine, tu es fille de déesse Déméter que cela te plaise ou non. Tu ne dois ni t’incliner, ni t’excuser, annonce-t-il d’une manière plutôt autoritaire.
Je me dégage de son emprise.
— Cessez de tout rapporter à mon lignage, je suis simplement polie et reconnaissante, Votre Altesse, je réponds, agacée.
— Tu peux arrêter de me vouvoyer aussi puisque tu fais partie de la grande famille des dieux.
J’ouvre la bouche, mais aucun son n’en réchappe. La grande famille des dieux ? Moi, la fille cachée au pouvoir endormi. Je secoue la tête. Jamais ma propre mère n’aurait eu de tels propos pour me faire croire que nous étions égales. Je me méfie de lui.
— Je sais ce que tu penses et oui nous ne sommes pas une véritable famille. Du moins, la première génération, nous ne sommes que des entités créées par d’autres. Néanmoins, il est plus facile de se considérer comme des frères et sœurs pour ne pas devenir fou ou s’entretuer, raconte-t-il le regard perdu dans le vide.
— Ma mère a toujours dit qu’il n’y avait que trois frères pour s’accaparer le monde et que le reste n’était que décorum, je réplique.
— Ah, sacrée Déméter, elle n’a pas vraiment tort. C’est toutefois plus aisé pour les mortels de croire que nous sommes une grande famille dysfonctionnelle.
Le regard amusé, le roi des Enfers secoue la tête et sourit en reprenant sa promenade. Cette conversation est des plus surprenantes. Que cherche-t-il à faire en adoptant ce comportement ? Il est trop imprévisible et peut me tendre un piège à tout moment.
Nous avons fini par nous rapprocher de la fontaine. Hadès admire la statue et semble perdu dans ses pensées. Je m’assois au bord du bassin et trempe mes doigts dans l’eau glacée.
— Qui est la jeune femme représentée en statue ? je demande pour contrer le silence.
Il soupire et un pâle sourire apparait sur ses lèvres. Le dieu des morts parait hésiter à me répondre.
— Une personne qui a beaucoup compté pour moi à une époque et qui ne fait plus partie de nos mondes.
Quelle réponse énigmatique. J’en déduis que cette personne ne fait ni partie des vivants ni des morts, puisqu’elle demeurerait ici. C’est donc un monument en sa mémoire. Je ne l’imaginais pas sentimental, lui qui a tout d’un ours sauvage.
— C’est un très bel endroit, elle aurait sûrement aimé, je dis d’une voix douce.
— Hélas, je n’en suis pas si certain. Elle détestait les Enfers, elle était faite pour vivre au soleil. Les fleurs ne peuvent pousser ici, raconte Hadès.
Ses yeux se sont assombris et il s’assoit à mes côtés. Je ne savais pas que les dieux, tels que le roi des Enfers, pouvaient être affectés par le deuil. Je n’ai jamais vu ma mère pleurer, ni même rendre hommage à un être disparu.
D’instinct, je pose ma main sur celle d’Hadès et regrette aussitôt mon geste lorsqu’il retire vivement la sienne. Je suis rouge comme une pivoine.
— Cessons de ressasser le passé veux-tu, mais parlons plutôt de ton avenir. Désires-tu réellement entrer chez Athéna ? Une fois à l’intérieur, ton destin sera scellé. Ni Hermès ni moi ne pourrons t’aider, nous ne pouvons prendre part à ce combat, car nos lois nous l’interdisent, dit-il d’une voix grave.
— J’en ai conscience, mais je dois le faire altesse, je n’ai jamais été aussi sûre de moi, je réponds sans ciller.
— Ta condition spéciale t’octroie un avantage, puisque l’on ne peut ressentir ton aura divine lorsque ton pouvoir est endormi.
Je ricane et passe la main dans mes cheveux.
— C’est bien la première fois que quelqu’un y voit un avantage.
Hadès étire ses jambes et croise les bras.
— Cesse de te cacher derrière l’acte de ta mère, gronde-t-il de sa voix grave.
— C’est pourtant la vérité, il est incontrôlable.
— Tu as tord Perséphone. Je ne savais pas pourquoi tu n’utilisais pas ton pouvoir contre Hélios à la surface. Puis, j’ai réalisé que tu ne voulais pas que l’on te retrouve. Je n’aurais peut-être pas dû, mais je me suis efforcé de te provoquer dans les tunnels, afin de comprendre. J’en ai déduit que c’était la colère qui attisait ton lien avec la terre.
Il est vrai que je n’ai jamais pris le temps de maîtriser mon pouvoir. Ces derniers temps, ma vie a tellement évolué que c’est à peine si j’ai pensé à me connaître moi-même. Je ne sais si cela me rend mal à l’aise ou si je suis touchée de voir qu’Hadès tente de comprendre ma condition divine. Personne avant ne s’était posé la question. Ma culpabilité était si grande de ne pas être capable de le contrôler que je l’ai gardée enfouie en moi.
— Est-ce un semblant d’excuse pour m’avoir malmené ? Car j’ai encore mal dans le dos ! je dis d’un ton ironique espérant qu’il ne s’aperçoive pas du désarroi qu’il a suscité en moi.
— Je suis roi des Enfers, je ne m’excuse jamais, déclare Hadès en se relevant.
Quelle prétention ! Il m’invite à poser les biblos à même le sol. Nous nous retrouvons face à face. Déconcertée, je le suis sans savoir ce qu’il cherche à faire.
— Comme tu ne devras pas utiliser ton pouvoir là-bas, nous allons nous concentrer pour le moment sur le maniement d’armes, si jamais cela devait arriver, explique-t-il en faisant apparaître deux xiphos.
Je sursaute et me crispe à l’idée de devoir encore me battre face à lui ! Dire que je voulais simplement étudier les cartes ! À croire qu’il est impossible d’avoir d’autres interactions que le combat avec Hadès !
Toutefois, je ne peux le contredire. Tout entrainement est bon à prendre, surtout de la part d’un guerrier si légendaire. Mais pour qui je me prends ? Je ne vais pas me battre contre le roi des Enfers !
— Est-ce un piège ? je demande suspicieuse.
— Inutile de faire cette tête, je ne te ferai pas mal, elles ne sont qu’illusions, déclare-t-il en riant.
— Comme un peu tout ce qui nous entoure ?
Hadès regarde autour de nous.
— Oui, il est vrai qu’il est plus agréable pour mes sujets de vivre ainsi, bercés de mirages leur rappelant leur existence à la surface. Cesse de gagner du temps et attaque-moi, ordonne-t-il après avoir lancé la dague.
Je soupèse l’arme factice dans mes mains et touche le tranchant de la lame. À ma grande surprise, celle-ci ne coupe absolument pas.
Hadès est si imposant par sa carrure, jamais je n’oserai malmener pareil spécimen. Chaque affrontement contre lui s’est soldé par un échec. J’ajuste mon chiton pour être plus libre dans mes déplacements. Il détoure le regard en attendant. Puis, je tourne autour de lui tandis que lui reste stoïque. Les bras croisés, il ne se met même pas en garde.
J’attaque sur le côté avec toute la rapidité dont je suis capable. Tout comme il le faisait durant sa lutte contre le dieu du soleil, Hadès évite simplement mes mouvements. Il esquive tous mes coups sans le moindre effort. Je me sens terriblement honteuse. Je serre les dents et redouble d’agilité. La frustration doit transparaître sur mon visage et cela provoque chez lui l’hilarité. Plus j’attaque et plus il rit.
— Voyons Perséphone, tu ne pensais tout de même pas réussir à me toucher ? Bon, je constate que tu as les bases, Hermès t’a bien entrainée, déclare-t-il en reprenant son souffle de s’être autant moqué de moi.
Je lève les yeux au ciel et frappe à nouveau en espérant jouer sur l’effet de surprise. Cette fois il est obligé d’utiliser son arme. Néanmoins, il prend un certain plaisir, j’imagine, à garder une main dans le dos afin de me montrer sa supériorité. Les lames s’entrechoquent et j’ai beau lancer des offensives, il les contrecarre toutes ! Je sais que je ne peux gagner face à lui, mais il est hors de question de paraître faible à ses yeux.
— Inutile de retenir les coups, je n’ai pas peur ! je m’exclame entre deux souffles.
Peut-être aurais-je dû me taire, car cette fois Hadès n’hésite pas à rendre les coups et il devient difficile pour moi de les éviter. Il s’amuse alors que je peine à riposter. Le pire dans tout cela, c’est qu’il se contient encore. La force et la vitesse dont il est capable dépassent de loin ce qu’il fait actuellement. Je ne peux gagner, mais lui ne cherche pas non plus la victoire de ce combat.
— Tu es bien moins frêle que je l’imaginais ! déclare Hadès en parant une attaque sur sa droite.
— Et tu es moins effrayant que je le croyais ! je rétorque.
Telle une dance, nos corps avancent et reculent et nos souffles se coordonnent. Il me permet de pivoter et de tester certaines parades. Je me surprends à sourire et à prendre plaisir à le combattre. Que dirait Cyané en me voyant devenir une guerrière ? Moi qui espérais faire pousser des fleurs et voyager me voilà à me battre aux Enfers avec son roi !
— Attention ! tonne la voix grave du dieu des morts.
Emportée par mes pensées, j’en oublie de prendre garde à mon environnement. Depuis tout à l’heure, nous tournoyons dans les jardins et je n’ai plus songé au bassin. Mon pied frappe contre la dalle et provoque un terrible déséquilibre. Mon instinct me pousse à me raccrocher à tout ce qui vient pour ne pas tomber. Je ferme les yeux, préparée à l’impact de mon corps propulsé en arrière.
Je ne sais si c’est moi qui me suis agrippée à son cou ou s’il a cherché à m’aider. Dans l’eau peu profonde, nous voilà l’un sur l’autre. La fraîcheur apaise la douleur sur mes fesses. Un genou dans le bassin, je sens sa main enserrer encore ma taille alors que les miennes restent crispées sur son épaule. Son visage est beaucoup trop proche du mien. Des gouttes glissent sur son front et viennent s’écraser sur mes joues.
Je suis mortifiée par la situation. Seulement, devant son air déconfit, je suis prise d’un terrible éclat de rire. Lui qui se mouvait avec agilité et grâce il y a un instant, se retrouve aussi penaud qu’un ours maladroit. Hadès fronce ses sourcils épais et voyant que je ne me calme pas sous la menace de son regard dur, finit par s’en amuser. La situation est tellement ridicule ! Le roi des Enfers et moi, perdant l’équilibre dans une fontaine alors que nous combattions avec ardeur, c’est affreusement risible.
Hadès se redresse et tend sa main que j’accepte volontiers. Il me relève avec une aisance effrayante. Il enjambe le bord et s’essuie le visage. Encore dans le bassin, je dénoue ma tresse gorgée d’eau pour sécher mes cheveux. Je sens son regard sur moi.
— Et bien, ce sera la leçon du jour, éviter les points d’eau durant un combat ! je déclare, amusée.
— Certainement l’une des plus importantes, ajoute-t-il.
Tout à coup, un garde surgit de derrière un bosquet et s’incline. Hadès se retourne avec nonchalance.
— Que veux-tu ? demande le roi.
— Votre majesté, votre favorite, m’envoie vous prévenir qu’elle vous attend dans la suite royale, explique le garde, embarrassé.
Hadès lève les yeux au ciel.
— Dis-lui de patienter, j’arrive, répond-il.
Aussitôt, le garde repart à vive allure.
— Tu t’es bien battue Perséphone. À partir de demain, tu t’entraineras tous les jours avec Patrocle, annonce Hadès.
— Déjà lassée de ma compagnie ? je lance, d’un ton amusé.
— Plus vite vous délivrerez ton amie et plus vite cette histoire avec Hermès sera finie et je pourrais retrouver le court de mon existence et ne plus perdre mon temps, annonce-t-il de sa voix grave.
Hadès a le visage fermé. Je prends conscience qu’il est redevenu ce roi sombre et effrayant.
L’ambiance n’est plus la même. Tout à coup, j’aperçois dans les hauteurs, à l’un des balcons du palais, la silhouette de Menthé. Tel un oiseau de proie, elle nous toise et durant un instant, a tout de l’allure d’une reine. Je sors aussitôt de l’eau. Un terrible sentiment de culpabilité m’envahit. Je riais alors que je ne devrais penser qu’à une chose, apprendre par cœur les plans d’Athéna et cesser d’importuner un roi.
Confuse, j’acquiesce en silence et vois disparaître dans la nuit le dieu des morts.
encore un superbe chapitre! plus que quelques uns :D
Hâte de lire la suite comme toujours.
NB: et suis de déçue m’apercevoir
Quelle vision des Enfers revus par J. J. Koré ! Beauté, volupté !
Apaisant et vivifiant.
Et Hadès : dieu des Enfers, oui, mais tellement différent de ce que l'on croyait savoir de lui. Quelle surprenante originalité de nous le montrer ainsi ! Qui n'aimerait pas être à la place de Perséphone en ces instants ?!
De l'inquiétude tout de même : ces griffures... et la dure mission à venir !
À suivre vite....