Chapitre 28

Par Mimi

 

Je n’ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit. Carole est restée moins de cinq secondes dans l’encadrement de la porte, le temps de me reconnaître. Elle ne s’attendait visiblement pas à me voir, malgré les indices qu’elle avait laissés derrière elle, malgré le fait qu’Encharet soit le lieu de notre rencontre - même si j’avais mis du temps à m’en souvenir. Elle avait changé mais elle était reconnaissable. Elle ressemblait à la Carole que j’aimais et qui m’avait manqué toutes ces années.

Elle s’est enfuie dans le couloir avant que j’aie le temps de retrouver mes esprits. La porte m’a claqué au nez. Je n’ai même pas eu la présence d’esprit de frapper de nouveau. Je ne savais plus quoi faire. Etait-ce seulement bien Carole qui venait d’ouvrir la porte et de la claquer immédiatement, comme si elle s’était brûlée à ma présence ? J’avais beau secouer la tête, je n’arrivais pas à revenir de ce rêve qui s’éternisait. Que se passait-il donc ici ?

Tous mes doutes me sont revenus en mémoire d’un seul coup. Chaque moment où je m’étais demandé si ce que je faisais avait du sens, Anne me disant qu’elle ne voulait pas être retrouvée, les réserves de Phil… Je me suis tenue au chambranle de la porte pour ne pas tomber. Toute cette énergie, toutes ces journées perdues à retrouver sa trace… C’était donc ainsi que se terminait l’histoire ? N’y avait-il rien de plus que je puisse apprendre ?

-       Mais enfin, Carole, ce n’est pas comme ça qu’on reçoit les gens ! a soudain retenti une voix dans le couloir, accompagnée d’un pas ralenti.

La mention du nom de Carole m’a fait tressaillir. Je ne m’étais pas préparée à ça. Carole venait d’atterrir dans ma vie aussi vite qu’elle en avait décollé. J’étais pourtant celle qui avait provoqué ce retour en trombe.

La porte s’est ouverte sur une vieille dame courbée. Elle avait l’air méfiant, mais en me voyant, son visage s’est brusquement adouci.

-       Bonjour madame, a-t-elle dit de sa voix rouillée. Excusez la conduite de ma petite-fille, elle n’a plus l’habitude de voir du monde. Je peux vous aider peut-être ?

J’ai rapidement jeté un œil derrière elle : le couloir était vide. Carole était déjà partie.

-       Je…

Que pouvais-je donc dire à sa grand-mère si elle refusait de me voir ? Comment me présenter ? Simone n’avait probablement jamais entendu parler de moi…

-       Bonjour Madame Martin, je m’appelle Marion.

L’air horrifié qu’a pris son visage m’a rappelé qu’il y avait eu une autre Marion dans la vie de Carole. Du moins, c’est ce que j’avais déduit de ma virée dans la vallée de la Cordière. J’ai précisé :

-       Marion Arceau. Je suis une amie de Carole. Je l’ai rencontrée ici il y a des années et elle a même habité chez moi quelques temps.

-       C’est bien aimable à vous, a répondu Simone. On ne peut pas dire qu’elle soit très facile à vivre. Elle ne m’a jamais parlé de vous.

Un peu suspicieuse, elle a observé mon apparence d’un œil réprobateur. Elle devait me prendre pour une vagabonde dans le genre de Carole qui cherche un toit où passer la nuit, ce qui était déjà à moitié vrai. J’étais bien placée pour savoir que Carole n’était pas bien bavarde en ce qui concernait sa vie, en particulier sa vie en dehors de l’endroit où elle se trouvait. Je me suis rappelée de ce que m’avait dit Anne Rivière à son sujet.

-       Je suis la femme de Phil, ai-je tenté avec aplomb. Carole vous a peut-être parlé de lui ?

Simone a levé les yeux au ciel pour mieux fouiller dans sa mémoire.

-       C’est possible, a-t-elle fini par concéder. Entrez Marion, vous venez de loin ?

Elle s’est effacée pour me laisser entrer. L’odeur du plat en sauce embaumait le couloir, me tournant la tête.

-       J’habite au Grand Oratoire, ai-je expliqué en posant mon sac à dos près de la porte qu’elle venait de refermer. Ces derniers temps, je n’étais pas chez moi…mais c’est une longue histoire.

-       Vous êtes en voiture ?

-       À vélo… Je descends juste du train.

Simone s’éloignait vers ce que je supposais être la cuisine, au fond du corridor.

-       Entrez, entrez ! On sera mieux installée ici.

Elle m’a présenté une chaise devant un verre d’eau et est partie remuer dans son faitout. Elle a regardé par la fenêtre au-dessus de ses fourneaux puis a haussé les épaules.

-       Vous devez le savoir, mais Carole ne va pas très bien en ce moment.

Je ne savais pas encore ce que j’allais dire au sujet de Carole. Je ne m’attendais pas à cette tournure des évènements. J’avais imaginé que c’était Carole qui me donnerait des explications. Je ne savais pas non plus ce que sa grand-mère savait et ne devait pas savoir.

-       Elle ne va jamais bien de toute manière. Vous savez, c’est pas qu’elle est folle, mais disons qu’elle n’est pas tout à fait comme tout le monde. Y a des choses qui l’ont secouée.

Elle a soupiré en donnant un grand coup de cuiller en bois dans sa marmite.

-       Elle ne m’a pas dit que vous veniez. En fait, elle ne m’a jamais parlé de vous, a poursuivi Simone en me jetant un regard en biais.

J’ai décidé de jouer franc jeu. Après tout, si Carole habitait là, cette dame était sans doute une personne de confiance.

-       Elle ne savait pas que je viendrais, ai-je avoué en fixant mon verre. Sa réaction était normale, tout compte fait. Ça fait plus de cinq ans qu’elle ne m’avait pas vue.

À demi tournée vers moi, Simone m’écoutait attentivement. Je ne voyais pas son expression mais je l’ai sentie émue :

-       Vous vous inquiétiez pour elle ?

-       Oui. L’idée de la retrouver vient de mon mari, mais quand elle n’est pas revenue au début de l’hiver, j’ai cru que…

Je n’ai pas pu finir ma phrase. Combien de fois au cours de ces dernières semaines, voire ces dernières années, n’avais-je pas cru qu’elle était morte ! J’étais persuadée que c’était la raison pour laquelle je n’avais pas voulu croire que c’était elle, sur la route devant moi.

-       Elle était là, tout ce temps, a gentiment repris Simone. Elle s’en allait de temps en temps, se promener un peu, mais elle revenait plus régulièrement qu’avant, jusqu’à rester ici de façon permanente, depuis l’année dernière. Je crois qu’elle s’est un peu lassée de cette drôle de vie.

Cette raison me semblait à la fois légitime et trop légère. Carole ne se serait pas fatiguée de sa vie. Elle avait la bougeotte. La preuve, elle venait de quitter la maison sans même prévenir sa grand-mère.

-       Elle m’a envoyé une lettre en avril, ai-je dit en sortant de ma poche la carte froissée. C’est comme ça que j’ai pu partir à sa recherche. Et la retrouver.

Simone s’est approchée, a observé la carte et a reculé vivement.

-       Alors, vous êtes au courant pour la petite, l’autre Marion… ?

Elle murmurait presque.

-       Oui, ai-je simplement répondu, sans rien ajouter.

Je gardais mes questions pour Carole. C’était elle qui m’avait fait crapahuter dans tout le pays. Elle avait sans doute pas mal de choses à me dire.

-       Vous restez dormir ce soir ? Il y a une chambre au rez-de-chaussée. Peut-être qu’elle voudra bien vous raconter demain matin.

-       Vous êtes gentille, madame. Ça m’arrangerait, mais il ne faut pas que ça vous ennuie, d’autant plus que mon mari arrive demain matin…

Simone a répliqué qu’elle nous devait bien ça, puisqu’on s’était occupé de Carole deux hivers durant. Elle a continué la conversation sur le village et tout ce qui s’y passait - ou plutôt ne s’y passait pas.

De mon côté, je digérais tant bien que mal la dérobade de Carole, et je m’interrogeais toujours sur cette Marion qui avait péri à la Cordière. Etait-ce réellement parce que nous avions le même prénom que Carole évitait de parler de moi à Anne, à sa grand-mère ? Etait-ce pour cela qu’elle avait décidé de me faire confiance à la gare, il y a des années ?

Nous n’avons pas vu Carole de la soirée. Simone m’a comme convenu installée dans la chambre du bas, m’autorisant à ranger mon vélo dans le fond du jardin. En me glissant sous les draps, je me suis rendu compte que j’avais du mal à admettre que j’avais retrouvé Carole, alors que je n’y croyais plus - si un jour j’y avais cru. Il ne me restait plus qu’à la faire revenir vers moi, lui parler, et enfin comprendre ce qu’elle n’avait pas voulu me dire.

 

 

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Fannie
Posté le 02/04/2020
Désolée de contredire Marion, mais non, la réaction de Carole n’a rien de normal. C’est une adulte ; et même de la part d’une ado, ce ne serait pas normal de claquer la porte au nez d’une personne qui n’a rien d’effrayant et qui l’a toujours bien traitée. Mais manifestement, Carole a des difficultés dans les interactions sociales, qu’il s’agisse d’un trouble du comportement ou qu’elle soit neuro-atypique. Si elle n’est pas totalement autonome, je me demande bien ce qu’il adviendra d’elle quand sa grand-mère ne sera plus là.
Coquilles et remarques :
— qu’Encharet soit le lieu de notre rencontre - même si j’avais mis du temps [Il faut un tiret long.]
— Etait-ce seulement bien Carole qui venait d’ouvrir [Était-ce]
— a soudain retenti une voix dans le couloir, accompagnée d’un pas ralenti. [Cette incise ne fonctionne pas. Tu peux changer le verbe (par exemple « a soudain reproché une voix ») ou tu peux remplacer l’incise par une phrase introductive avant la réplique de Simone (« Une voix a soudain retenti dans le couloir, accompagnée d’un pas ralenti. »).]
— Je peux vous aider peut-être ? [Virgule avant « peut-être ».]
— et elle a même habité chez moi quelques temps [quelque temps ; ça veut dire « un certain temps », pas « plusieurs temps »]
— une vagabonde dans le genre de Carole qui cherche un toit où passer la nuit [qui cherchait]
— Je me suis rappelée de ce que m’avait dit Anne Rivière à son sujet. [Je me suis rappelé ce que m’avait dit Anne ; le COD est « ce que m’avait dit Anne Rivière », il n’y a donc pas d’accord et pas de « de ».]
— Je suis la femme de Phil, ai-je tenté avec aplomb. [Le verbe « tenter » n’est pas adéquat pour une incise ; je propose « ai-je ajouté » ou « ai-je insisté ».]
— Entrez Marion, vous venez de loin ? [Virgule après « Entrez », point après « Marion ».]
— On sera mieux installée ici [installées ; comme « on » est manifestement mis pour « nous », il faut accorder]
— Elle m’a présenté une chaise devant un verre d’eau et est partie remuer dans son faitout. [Pour éviter le hiatus « et est », je propose « avant de partir remuer ».]
— Elle s’en allait de temps en temps, se promener un peu / jusqu’à rester ici de façon permanente, depuis l’année dernière. [Dans ces deux cas, j’enlèverais la virgule.]
— qu’elle nous devait bien ça, puisqu’on s’était occupé de Carole [occupés ; comme « on » est manifestement mis pour « nous », il faut accorder]
— sur le village et tout ce qui s’y passait - ou plutôt ne s’y passait pas. [Il faut un tiret long.]
— Etait-ce réellement parce que nous avions le même prénom / Etait-ce pour cela qu’elle avait décidé [« Était-ce » les deux fois.]
— alors que je n’y croyais plus - si un jour j’y avais cru. [Il faut un tiret long.]
Keina
Posté le 16/02/2016
Alors là, je suis tout autant sur le cul que Marion ! Je m'attendais bien à ce qu'elle trouve sa famille, mais Carole elle-même, et qui lui claque la porte au nez, comme ça, en plus ! Qu'est-ce qui a bien pu se passer dans sa tête au moment où elle a vu Marion ? Ce serait presque cool si tu réécrivais l'histoire du point de vue de Carole... Je dis "presque" parce qu'au fond, je ne pense pas que ce soit une si bonne idée  que ça, comme je l'ai déjà dit j'aime le fait qu'on devine Carole à travers le regard des autres, qu'on apprenne à la connaître dans son absence. Encore une fois, je suis très émue par la tournure que prend l'histoire. Bravo !
Mimi
Posté le 16/02/2016
Je ne suis pas trop fan des histoires réécrites du point de vue d'un autre personnage, mais je vois ce que tu veux dire. Dans mon esprit, je n'ai vraiment aucune idée de ce qu'a fait Carole pendant toutes ces années, ni ce qui se passe vraiment dans sa tête. En ça finalement, ça me rapproche assez de Marion et ça justifie, avec le point de vue interne, qu'on n'en sache rien jusqu'à la fin (excuse pourrie de l'auteure qui a la flemme d'imaginer la vie et le caractère de ses personnages !!! xD non c'est pas tout à fait vrai, mais j'ai volontairement décidé de ne pas me poser trop de questions sur Carole ^^)
Merci pour tes commentaires Keina, tu es adorable ! 
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