La sonnerie stridente de son téléphone la tira de son demi-sommeil. Marlène tâtonna sur sa table de chevet, décrochant à contrecœur.
- Tu sors avec Nicolas Patriol ! hurla Amanda, sa voix perçant comme un coup de tonnerre.
Marlène éloigna le combiné, grimaçant.
- Quoi ? balbutia-t-elle, encore engourdie. Qu’est-ce que tu racontes ?
- Tout le monde ne parle que de ça ! s’écria Amanda, comme si c’était la meilleure nouvelle de l’année.
Clignant des yeux, Marlène activa une application sur son téléphone. Son cœur rata un battement en découvrant les gros titres. La photo prise sur le parking aux côtés de Nicolas en côtoyait une autre : elle, dans les bras de Nicolas, sur une banquette de la boîte de nuit, des objets volant autour d’eux.
Sa colère monta en flèche. Elle serra son téléphone si fort que ses jointures blanchirent, luttant contre l’envie de le jeter contre le mur.
- J’espère que cette ligne est surveillée, cracha-t-elle. Écoutez bien, bande de crevards : je ne sors PAS avec Nicolas Patriol !
Elle raccrocha d’un geste rageur, ses joues brûlantes. Le souffle court, Marlène se précipita sur sa feuille de transfert et traça d’une main tremblante :
- Ils mentent. Je ne sors pas avec Nicolas.
L’attente de la réponse de Lycronus lui parut interminable. Elle tenta de calmer sa fureur en parcourant les articles, mais chaque titre empirait son état. « La romance naissante des deux néomages. » « L’idylle magique du siècle. » Tout tournait autour de cela, donnant la nausée à la jeune femme.
Enfin, les mots de Lycronus apparurent sur le papier :
- Je te crois.
- Ces salopards ne parlent même pas de l’agression ! s’emporta Marlène. Pas un mot. Pas une allusion !
- Agression ? répéta Lycronus.
Marlène inspira, ses mains tremblantes serrant la feuille.
- Quelqu’un a essayé de me voler mes pouvoirs à l’aide d’un stylo ensorcelé en cheval de Troie.
- Quoi ? Comment vas-tu ?
Les mots de Lycronus, chargés d’une inquiétude sincère, la firent vaciller. Elle respira plusieurs fois avant de continuer, sa voix intérieure oscillant entre colère et fragilité.
- J’ai tout de suite reconnu l’objet mais…
Elle ferma les yeux, cherchant à refouler l’image obsédante de la cave sombre et humide lui ayant servi de geôle pendant un long mois.
- J’étais vraiment mal. Nicolas m’a aidée à remonter la pente. C’est la photo que ces salopards ont prise à notre insu. Nicolas a su faire ce qu’il faut, dire les bons mots. J’ai découvert une facette de lui, hier soir, une facette agréable.
Elle marqua une pause, ses pensées se bousculant.
- Ceci dit, ça ne change rien : je ne sors pas avec lui. C’est de la pure calomnie.
- Je te crois, répéta Lycronus.
- Je n’ai jamais eu d’ami au Mistral. Je redécouvre ce que ça fait d’en avoir. Ça fait du bien. Mais ils ne sont que cela : des amis.
- Je suis content pour toi. Tu mérites un peu de répit. C’est bien que tu t’entoures de personnes de confiance.
Marlène sourit avant de se rembrunir. Elle se sentait mieux socialement mais son cœur se serrait. Lycronus lui manquait tant.
Après un moment de réflexion, Marlène se leva, enfila ses affaires de sport et quitta sa chambre. Le soleil matinal l’accueillit tandis qu’elle rejoignait Antoine pour un jogging. Peut-être qu’un peu d’air frais et d’effort physique l’aideraient à remettre ses idées en place.
Après leur jogging, Marlène essuya la sueur de son front tout en reprenant son souffle.
- Ce matin, cours de communication, annonça Antoine avec un sourire amusé. Patrick s’est dit que, vu les gros titres de ce matin, tu en aurais bien besoin.
Marlène haussa un sourcil, intriguée. Cette initiative de l’entraîneur la surprit, mais elle devait admettre que cela tombait à pic. Avec l’ouragan médiatique qui s’abattait sur elle, apprendre à naviguer dans ces eaux troubles semblait vital.
Dans la salle de classe, le professeur les attendait déjà, une présence calme et posée. C’était un homme d’âge mûr, aux tempes grisonnantes et au regard perçant, ancien journaliste reconverti en coach de communication pour sportifs. Il portait un costume décontracté qui tranchait avec leurs tenues de joueurs, mais son aisance naturelle imposait le respect.
- Bonjour à tous, salua-t-il d’une voix claire. Ce matin, nous allons travailler sur la gestion d’interviews et des relations avec la presse.
Il marqua une pause, scrutant la salle.
- La meilleure façon d’apprendre ? Par la pratique. Nous allons faire un jeu de rôle.
Un murmure parcourut les joueurs, certains affichant un sourire nerveux, d’autres un air d’excitation.
- J’ai préparé un tirage au sort, expliqua le professeur en agitant une petite boîte contenant des bouts de papier pliés.
Marlène croisa les bras, sceptique. Elle n’était pas sûre de vouloir participer à une simulation d’interview, surtout après les articles de ce matin. Mais elle n’eut pas le choix : le professeur désigna Nicolas comme joueur de PBM interviewé et Fatima comme journaliste.
Nicolas haussa les épaules avec un sourire désinvolte, visiblement peu perturbé par l’exercice. Fatima, quant à elle, s’installa sur une chaise face à lui, un carnet à la main et une lueur malicieuse dans les yeux.
- Très bien, annonça le professeur en tapotant sur un chronomètre. Fatima, vous avez dix minutes pour poser vos questions. Nicolas, souvenez-vous : votre objectif est de rester professionnel, clair et concis, peu importe la nature des questions.
Fatima, déjà dans son rôle, ajusta sa posture et fixa Nicolas avec l’intensité d’un prédateur.
- Monsieur Patriol, commença-t-elle d’un ton sérieux, que répondez-vous aux rumeurs selon lesquelles Marlène Norris et vous seriez en couple ?
Marlène sentit le rouge lui monter aux joues. Tous les regards se tournèrent vers elle un instant, mais elle garda la tête haute, dissimulant son agacement derrière un masque neutre.
Nicolas éclata de rire avant de reprendre son sérieux.
- Ces rumeurs sont infondées, répondit-il. Marlène est une coéquipière talentueuse et une amie. Rien de plus.
Fatima ne se démonta pas et poursuivit :
- Pourtant, une photo récente montre une scène intime entre vous deux en boîte de nuit. Vous seriez-vous rapprochés en dehors des terrains ?
Nicolas se pencha en avant, croisant les mains.
- Vous parlez d’une soirée où Marlène a traversé une situation difficile. J’étais là pour la soutenir, comme n’importe quel membre de l’équipe l’aurait fait. Rien dans ces photos ne justifie ces conclusions hâtives.
Marlène, malgré elle, sentit un certain respect naître en elle pour Nicolas. Il savait désamorcer les questions avec une maîtrise qu’elle n’aurait jamais cru possible, tout en restant courtois.
Le professeur intervint, mettant fin à l’exercice.
- Très bien. Fatima, tes questions étaient pertinentes, bien que parfois intrusives. Nicolas, ta gestion était excellente. Tu es resté professionnel et tu as recentré la discussion sur les faits. C’est exactement ce qu’on attend d’un joueur médiatisé.
Puis, il se tourna vers Marlène.
- Mademoiselle Norris, à votre tour. Séverine sera la journaliste.
Marlène sentit son estomac se nouer. Le regard encourageant d’Antoine lui donna la force de se lever et d’affronter l’exercice.
Marlène s’approcha à contrecœur du fauteuil placé sous les projecteurs. Elle s’y installa, le dos raide et les mains crispées sur ses genoux. Séverine s’assit en face, un sourire glacé accroché à ses lèvres. Tout dans son attitude, de sa posture décontractée à la lueur perçante dans ses yeux, évoquait une journaliste expérimentée prête à en découdre.
- Prête ? demanda-t-elle avec une douceur trompeuse.
Marlène hocha la tête, la gorge sèche.
- Très bien, commençons.
Séverine prit un ton neutre pour ouvrir l’échange :
- Mademoiselle Norris, votre arrivée dans l’équipe des Tuniques Rouges a suscité un vif intérêt. Comment vivez-vous cette soudaine médiatisation ?
Marlène inspira avant de répondre :
- C’est… nouveau pour moi, mais je fais de mon mieux pour rester concentrée sur mes performances et sur le sport.
Séverine arqua un sourcil.
- Pourtant, il semble que votre vie personnelle prenne souvent le pas sur vos exploits sportifs. Parlons de votre relation avec Nicolas Patriol.
Marlène sentit son estomac se contracter.
- Il n’y a rien à dire là-dessus. Nous sommes coéquipiers et amis, rien de plus.
Séverine ne se laissa pas démonter, adoptant une tactique bien connue des journalistes : reformuler pour insister.
- Pourtant, les photos récentes montrent une certaine proximité entre vous deux. Êtes-vous en train de nier toute relation en dehors des terrains ?
- Absolument, répondit Marlène, les mâchoires serrées. Ces photos ont été sorties de leur contexte.
Séverine s’appuya contre le dossier, feignant une réflexion.
- Parlons contexte alors. Vous avez mentionné une situation difficile cette fameuse nuit. Nicolas vous a-t-il soutenue d’une manière particulière que vous qualifieriez de… spéciale ?
- Rien de ce genre, répondit Marlène, son ton devenant plus sec.
Séverine changea de sujet, une technique déstabilisante courante.
- Et Lycronus Stoffer ? Que pouvez-vous nous dire sur votre relation avec le voleur de magie ?
Marlène sentit ses mains devenir moites. Elle fit de son mieux pour adopter un ton neutre.
- Il n’y a rien entre Lycronus et moi, mentit-elle, n’appréciant pas du tout que sa coéquipière se permette une telle question.
Séverine haussa un sourcil, son ton faussement léger.
- Vraiment ? Pourtant, certaines rumeurs disent que vous le connaissiez bien, avant qu’il devienne… disons, célèbre pour les mauvaises raisons.
Marlène serra les dents, tentant de maintenir un visage impassible.
- Les rumeurs ne sont que ça : des rumeurs. Je ne fréquente pas des criminels.
- Et pourtant, poursuivit Séverine, il semble étrange que quelqu’un avec un passé si... trouble ait un intérêt soudain pour vous, une néomage. Vous n’avez jamais eu de contact avec lui depuis qu’il est en fuite ?
Le cœur de Marlène s’accéléra. Une partie d’elle voulait hurler que Lycronus n’était pas le monstre décrit dans les journaux, qu’il n’avait jamais volé de magie par cupidité mais pour protéger ceux qu’il aimait. L’autre savait qu’elle ne pouvait pas dévoiler leur passé commun, encore moins leurs échanges clandestins.
- Non, aucun, lâcha-t-elle, mais sa voix trembla, trahissant ses émotions.
Séverine ne lâcha pas prise.
- Vous semblez perturbée. Vous n’avez pas répondu à la question sur les accusations. Pensez-vous qu’il soit possible qu’il ait été victime d’un malentendu ?
- Je… je ne suis pas en mesure de juger, répondit Marlène, son ton devenant plus agité. Ce n’est pas mon rôle.
- Mais vous avez une opinion, n’est-ce pas ? appuya Séverine, se penchant en avant. Après tout, si vous n’avez jamais eu de relation avec lui, pourquoi vous énerver ?
Cette remarque fit éclater quelque chose en Marlène.
- Parce que c’est injuste, s’emporta-t-elle. Vous ne savez rien de lui ! Vous ne connaissez pas son histoire, ses motivations, ce qu’il a sacrifié !
Elle se mordit la lèvre, réalisant trop tard qu’elle s’était laissée emporter. La salle retint des exclamations étouffées.
- Merde, murmura Nicolas. Séverine, tu es un peu trop douée. Tu peux te reconvertir en journaliste quand tu veux.
- En flic, plutôt, le contra Fatima. Putain, Marlène, tu le connais vraiment ? Stoffer, je veux dire ?
Marlène serra les poings en pinçant les lèvres. Elle venait d’en dévoiler trop, beaucoup trop. Même eux n’auraient pas dû savoir.
- Je suis navré, madame Norris, intervint le professeur. Je ne pensais pas que l’exercice déraperait à ce point. Séverine a su jouer sur la corde sensible, sans aucun doute. Ceci dit, c’est une bonne chose que ça se soit produit ici et pas dans une vraie conférence de presse. L’exercice est terminé.
Marlène regardait le sol, se retenant de pleurer.
- Passons à l’analyse. Marlène a fait une erreur classique : elle a laissé ses émotions prendre le dessus. Quand un journaliste insiste sur un sujet sensible, il est impératif de garder son calme.
Il se tourna vers elle. Son ton était bienveillant.
- Madame Norris, vous avez perdu votre sang froid parce que Madame Carmin s’est montrée insistante sur un sujet qui vous tenait à cœur. Refusez tout simplement de répondre. Un simple « Sommes-nous ici pour parler de Lycronus Stoffer ou de moi ? » suffit. Vous pouvez également changer vous-même le sujet de discussion en répondant « Je suis ici pour parler PBM. Si vous n’avez pas d’autres questions concernant ce sport, cet entretien est terminé ». Et bien sûr, tenez parole. Si le journaliste insiste, levez-vous et quittez la salle.
Marlène hocha la tête. Ces cours étaient vraiment une bonne idée.
- Demandez-vous également si les questions du journaliste sont pertinentes. Vous êtes interviewée en tant que joueuse de PBM. Vos relations personnelles ne les regardent pas. Si un thème abordé vous paraît hors de propos, prenez le temps de réfléchir. Ai-je envie de parler de ça ? Pourquoi le journaliste me parle-t-il de ça ? Qu’attend-il ? Qu’espère-t-il ? Est-ce dans mon intérêt de répondre ?
Marlène prit note, ravie de recevoir de tels conseils. Séverine, quittant son rôle de journaliste, posa une main légère sur son épaule.
- Désolée, Marlène. J’ai peut-être poussé un peu loin. C’était pas contre toi.
Marlène resta silencieuse un instant, le regard baissé. Puis elle releva les yeux et inspira, forçant un sourire.
- Tu n’as rien à te reprocher. Je te remercie au contraire. Je dois apprendre à gérer ça. Grâce à toi, je vais m’améliorer.
Séverine lui adressa un sourire sincère.
- Tu vas y arriver. Et crois-moi, si quelqu’un te cherche des noises, je serai là pour te couvrir.
Marlène la croyait volontiers. Elle n’aurait pas voulu l’avoir contre elle. La joueuse expérimentée pouvait se montrer carrément flippante. Le cours reprit, proposant d’autres binômes. Le professeur ne désigna plus Marlène, estimant qu’elle avait eu son comptant d’émotions pour la journée. La néomage écouta avec attention les analyses et conseils du professeur.
À la fin du cours, Nicolas s’approcha de Marlène.
- Tu le connais vraiment ? Le voleur de magie ? demanda-t-il, hésitant.
Marlène planta un regard glacé dans le sien.
- Rends-nous service, siffla Marlène d’une voix glaciale. N’aborde plus jamais ce sujet devant moi.
Nicolas recula, surpris par la froideur de son ton.
- Reçu cinq sur cinq.
Plus personne ne mentionna Lycronus Stoffer, permettant à l’ambiance des arènes françaises de retrouver un semblant de normalité.
La vie reprit son cours. Marlène suivait ses entraînements sans relâche, se perdant dans les séances de tir et les stratégies de combat. Aux arènes, l’odeur du sable et le tumulte des balles magiques étaient devenus son sanctuaire. Les cours de communication, bien que moins éprouvants que le premier, lui rappelaient une leçon essentielle : garder le contrôle, toujours.