Chapitre 29 : Réussite

Marlène sortit son tube de transfert. Elle venait de se réveiller. Elle s’était préparée pour le jogging avec Antoine. Il ne tarderait pas à arriver. Marlène serra le cylindre en tremblant, l’activa. Sa magie fila à vitesse maximale, droit vers les poches de celui qui avait accusé à tort son amoureux, celui qui n’avait rien fait pour la protéger dans ce centre commercial, celui qui détournait des fonds pour son usage personnel, celui qui corrompait la société. Ce transfert lui rappelait qu’elle était prisonnière de cette obligation, liée à lui par des termes qu’elle avait autrefois acceptés, sans comprendre pleinement leur portée, uniquement portée par son aveuglement et sa naïveté.

Un coup à la porte la fit sursauter. Elle essuya ses joues, où des larmes s’étaient mises à couler sans qu’elle s’en rende compte.

- Marlène ? appela la voix familière d’Antoine.

Elle inspira et se leva, forçant un sourire sur son visage. En ouvrant la porte, elle croisa son regard inquiet.

- Tout va bien, dit-elle. On y va ? J’ai besoin de me défouler.

Antoine ne bougea pas, empêchant Marlène de sortir.

- Tu es pâle. Ça ne va pas ?

Marlène soupira, ses épaules se voûtant.

- Antoine, soupira Marlène, partagée entre lassitude et agacement.

- Nous formons une équipe, rappela Antoine avant d’attendre.

Comprenant qu’il ne comptait pas lâcher l’affaire, Marlène admit :

- Je viens d’effectuer mon premier versement à mon école.

Antoine l’observa en silence, puis hocha la tête.

- Tu te sens vide ? supposa Antoine.

Pas vraiment. Après tout, le versement ne représentait qu’un quart de ses réserves. Elle trouvait normal de payer les professeurs l’ayant aidée à appréhender sa nature de néomage. Rétribuer Gilain, en revanche…

- Je ne veux pas en parler, dit Marlène. S’il te plaît, Antoine.

Antoine la transperça du regard avant de s’écarter.

- Soit, accepta-t-il.

Le jogging fut une véritable libération. Le rythme des foulées, l’air frais du matin, et la présence apaisante d’Antoine lui permirent d’évacuer la tension. Quand ils revinrent, Marlène se sentait un peu plus légère, même si une partie d’elle continuait à bouillir d’indignation.

- Dimanche prochain, match amical à Londres contre les Queen United, annonça Patrick au briefing du matin.

Marlène plissa les yeux, son cerveau tiquant. Des matchs en octobre ? Ça sortait de nulle part.

- Pourquoi ? demanda-t-elle, perplexe.

- Des gens riches se payent le luxe de matchs privés, expliqua Garcia Sanchez d’un ton nonchalant.

- Ils contribuent à un tiers de nos revenus, donc même si c’est pénible, on n’a pas vraiment le choix, ajouta Peter avec un soupir lourd.

Marlène fronça les sourcils, ne comprenant pas l’agacement palpable.

- Pourquoi ça t’ennuie ? demanda-t-elle, incrédule.

- Je ne suis pas un putain de troubadour au service d’une élite richissime, gronda Peter, ses mâchoires serrées.

- Pourtant, tu vas jouer, rétorqua Patrick avec fermeté. Garcia, Fatima, Anaëlle et Antoine aussi.

Les joueurs concernés acquiescèrent, leur obéissance immédiate semblant aller de soi. Mais pas pour Marlène.

- Je prends la place de Peter, lâcha-t-elle.

Un silence tendu s’abattit dans la salle. Les regards se croisèrent, certains irrités, d’autres résignés. Patrick haussa un sourcil.

- Je suis l’entraîneur, rappela-t-il d’un ton sec. Je désigne les participants, pas toi.

Marlène croisa les bras, défiant.

- Vous n’avez même pas sélectionné Nicolas ! s’exclama Marlène, agacée. À cause des rumeurs ridicules concernant notre soi-disant relation ?

Patrick plissa les yeux, visiblement à bout de patience.

- Vous apprendrez, mademoiselle Norris, que le monde ne tourne pas autour de votre petit nombril, cingla-t-il. Nos sponsors paient pour un spectacle de qualité, pas pour un massacre expéditif.

- Je suis trop doué, plaisanta Nicolas avec un sourire en coin.

- Pourtant, vous dites qu’on ne gagne jamais nos matchs, rétorqua Marlène, bien décidée à prouver qu’il y avait anguille sous roche.

- Les matchs amicaux sont toujours joués par les remplaçants, précisa Séverine d’un ton professoral, afin de ménager les joueurs principaux. Contre eux, on gagne parfois.

- Et aussi contre les équipes à effectif réduit, ajouta Antoine avec enthousiasme.

Marlène roula des yeux. Ces petites victoires, arrachées face à des équipes incomplètes ou de seconde zone, lui semblaient pitoyables. Dire qu’elle avait imaginé remporter la coupe du monde avec cette équipe. Elle retint un soupir de mépris, mais une pensée plus forte balaya son dédain : elle voulait jouer.

- Je veux jouer, insista-t-elle, son ton se durcissant.

Patrick ouvrit la bouche pour protester, mais Peter, fatigué de la dispute, l’interrompit.

- Je lui cède ma place, lâcha-t-il avec une lassitude évidente.

Patrick resta un moment figé, avant de soupirer et de secouer la tête.

- Soit, admit-il à contrecœur. Marlène ira à la place de Peter.

Il leva les yeux au ciel, exaspéré. Marlène étira un sourire satisfait. Elle avait gagné. Dimanche, elle jouerait enfin son premier match sérieux. Une vraie rencontre, pas un entraînement ennuyeux ni un tournoi arrangé. Enfin, elle allait montrer de quoi elle était capable. L’idée la faisait exulter. Elle n’avait aucun remords, aucune pensée pour Peter ou pour les implications du match. Elle avait ce qu’elle voulait, et c’était tout ce qui comptait.

Le matin du match, Marlène débordait d’énergie, vibrante à l’idée de son premier match officiel. Sa bonne humeur s’effrita lorsqu’elle découvrit que le voyage jusqu’à Londres se ferait en train. Sérieusement, un train ? Elle fronça les sourcils. Où étaient les téléporteurs, ces professionnels hors de prix qui faisaient voyager les équipes prestigieuses en un clin d’œil ? Elle déglutit son agacement. Les français n’avaient pas ce luxe, apparemment.

- Séverine, Nicolas et Peter restent aux arènes, informa Patrick sans cérémonie.

Marlène haussa les épaules, cachant sa déception. Elle aurait aimé la présence rassurante de Nicolas ou la fougue implacable de Séverine. Mais après tout, c’était son moment. Elle n’avait besoin de personne pour briller.

La traversée de la Manche via le tunnel sous-marin mit ses nerfs à rude épreuve. L’obscurité oppressante et la sensation d’être enfermée sous des tonnes d’eau ne l’aidaient pas à se détendre.

Lorsqu’ils arrivèrent en Angleterre, un autre problème surgit : la barrière de la langue. Marlène se sentit stupide. Elle n’avait jamais écouté en cours d’anglais, convaincue que ça ne lui servirait à rien. Résultat, ses coéquipiers conversaient aisément avec les anglais tandis qu’elle restait en retrait, son irritation grimpant à chaque sourire qu’elle ne comprenait pas.

Les arènes anglaises, bien que luxueuses, ne parvinrent pas à la mettre à l’aise. Plus le début du match approchait, plus son stress montait. Enfile ton uniforme. Prépare ton harnais. Respire. Mais ses doigts tremblaient et elle lutta pour ajuster correctement les sangles. Patrick lui avait attribué le poste d’attaquante, un rôle crucial. Elle allait être celle qui écraserait les anglais, si tout se passait bien.

Marlène serra les poings. Elle avait passé les boucliers de Nicolas à l’entraînement, mais jamais ceux d’Antoine. Si les Queen United s’avéraient aussi coriaces que son équipier français, elle allait galérer. Et il y avait cette inquiétude sournoise qu’elle n’osait formuler : les anglais attendaient avec impatience de s’attaquer à la néomage française, cette « célébrité ». Elle le sentait. Hors de question qu’ils aient cette victoire sur elle.

Lorsqu’elle entra sur le terrain sablonneux, copie parfaite de l’arène française, Marlène sentit ses genoux fléchir. Pourtant, elle redressa la tête. Joueuse professionnelle, pas touriste. Son regard fut attiré par les gradins presque vides. Seulement cinq spectateurs. Cinq. Elle plissa les yeux.

- C’est quoi, ce cirque ? marmonna-t-elle à voix basse.

Le doute s’insinua. Pourquoi avait-elle insisté pour participer à ce match ? Un match amical contre une équipe privée, sans public, sans enjeu. Elle se mordit la lèvre. Elle avait voulu prouver qu’elle pouvait le faire, qu’elle était capable. Mais à qui ? Aux Tuniques Rouges ? À Patrick ? Aux sponsors ? Non, à personne d’autre qu’elle-même. Elle se rendit compte avec une amertume grandissante qu’elle avait peut-être surestimé l’importance de ce moment.

Trop tard pour reculer maintenant.

Elle inspira et se mit en position. Elle était là pour écraser les Queen United, point final. Peu importe le contexte ou les doutes qui lui vrillaient l’esprit. Elle avait voulu ce match, alors elle allait le jouer. Et gagner.

La voix du présentateur éclata dans les haut-parleurs, interrompant les pensées tourmentées de Marlène.

- À domicile, les Queen United menées par Martin Smith.

Un silence gênant précéda des applaudissements polis, dénués d’enthousiasme. Marlène plissa les yeux, exaspérée. Ces spectateurs avaient-ils seulement envie d’être là ?

- Angelina Bells, Isabella Drown, Paul Amerthy et Month Jopper, énuméra la voix d’un ton forcé, sans parvenir à masquer l’ennui ambiant.

Elle les connaissait. Leurs stratégies, leurs forces, leurs faiblesses. Ces noms faisaient partie des longues heures passées à étudier les équipes adverses. Les Queen United n’étaient pas brillants, loin de là. Mais c’était son premier match. Elle aurait beau jouer contre des amateurs, elle ne pouvait pas se permettre de sous-estimer qui que ce soit.

- Contre eux, les Tuniques rouges menées par Anaëlle Mariel.

Même rengaine : des applaudissements polis, trop faibles pour remplir l’immensité des gradins presque vides. Marlène serra les dents. Ces riches s’étaient offert un match privé et n’étaient même pas foutus de s’enthousiasmer. Pourquoi payer une fortune si c’est pour rester amorphes ?

- Antoine Pabary, Fatima Aloua, Garcia Sanchez et Marlène Norris.

Cette fois, les cinq spectateurs se réveillèrent, sifflant et applaudissant à tout rompre. L’écho des acclamations amplifiait leur enthousiasme dérisoire. Marlène fronça les sourcils.

- Ils sont venus pour toi, expliqua Anaëlle à voix basse. C’est ta première apparition officielle. Patrick voulait garder ça pour un gros match, avec des sponsors prêts à payer des milliers. Tu viens de leur offrir ça pour des clopinettes.

La mâchoire de Marlène se crispa. Évidemment. Elle n’avait pensé qu’à elle-même, une fois de plus. Trop impatiente pour réfléchir aux conséquences, elle avait insisté, réclamé sa place. Patrick aurait dû tenir tête. Mais non. Il avait cédé, fatigué par son entêtement.

Elle lança un regard furtif à son entraîneur. La lassitude se lisait sur son visage. Pas un reproche, mais pas un soutien non plus. Une boule d’inconfort se forma dans son estomac.

Marlène tourna les yeux vers les spectateurs surexcités. L’idée qu’ils puissent déjà être ses fans avant qu’elle n’ait prouvé quoi que ce soit la déconcertait. Une pression inattendue s’ajoutait à son fardeau. Et si elle échouait ? Si elle était la première éliminée, sa réputation serait détruite avant même d’exister. Elle chassa ces pensées, refusant de se laisser déstabiliser.

L’éclairage de l’arène baissa, annonçant le début du match. Marlène ferma les yeux une seconde, cherchant un point d’ancrage. L’image de Lycronus jaillit dans son esprit, imposante, presque réelle. Une chaleur étrange envahit sa poitrine, comme s’il se tenait là, juste à ses côtés. Un soutien imaginaire mais suffisant.

Elle rouvrit les yeux, plus déterminée que jamais. Marlène Norris allait jouer. Et gagner. Peu importaient les circonstances.

Marlène s'éleva dans les airs en même temps que les autres. Le noir de l'arène l’enveloppa. Seule la gnosie lui permettait de se situer et encore, seulement dans l’arène. Quoi qu'il se passe dans les gradins, les joueurs, désormais, ne pouvaient plus le savoir. L'entraîneur était invisible et inaudible. Les joueurs ne devaient plus compter que sur eux-mêmes. Marlène prit une seconde pour se concentrer et le signal sonore annonçant le début du match résonna, seul bruit audible dans ce silence terrifiant et oppressant.

En une seule et unique seconde, une quantité de choses extraordinaires se produisirent, comme toujours avec le PBM, surtout en début de match. C'était un moment crucial, annonçant souvent la couleur de la suite.

Les Queen United prirent l’offensive, prévisibles jusqu’au bout. Patrick avait anticipé leur stratégie. Les Tuniques Rouges réagirent : Fatima, Antoine, Peter et Garcia formèrent un bouclier collectif. Marlène ne s’en donna pas la peine. Elle esquivait avec agilité, attitude surprenante apprise auprès de maître Gourdon.

Son mépris de la défense déstabilisa Isabella, qui hésita une seconde de trop. Une erreur fatale. Les billes rouges de Marlène frappèrent juste, éliminant la joueuse anglaise en cinq secondes chrono. Les Tuniques Rouges prenaient l’avantage : 100 à 0. Marlène ne put s’empêcher de sourire. C’était si facile.

Son sourire disparut quand les trois joueurs restants des Queen United concentrèrent leur feu sur elle. Ils la voyaient comme la menace principale. Marlène, flattée, riposta en montant un bouclier magistral tout en tirant trois billes chargées à pleine puissance. Les projectiles fusèrent et touchèrent Paul en plein vol, l’expulsant du jeu. Martin, le leader anglais, hurla quelque chose en anglais, des mots que Marlène ne comprit pas. Peu lui important. Le leader anglais fut le suivant à tomber. Une bille parfaitement dirigée pulvérisa son bouclier. Il disparut du jeu sans comprendre ce qui s'était passé.

Marlène pivota vers Month.

- Fuck ! s’exclama-t-il, paniqué, en montant des boucliers à la hâte, certain d’être la prochaine cible.

Feinte. Marlène leva les mains, feignant d’invoquer des projectiles. Mais, avec un sourire narquois, elle forma trois billes dans son dos. Les projectiles fusèrent en silence, frappant Angelina par surprise. L’anglaise grogna de rage alors qu’elle était éjectée dans une gerbe d’énergie rouge.

Month se retrouva tout seul. Ridicule. Pathétique. Marlène le toisa.

Face à elle, il tenta un dernier baroud d’honneur. Trois billes partirent de ses mains, rapides et précises. Marlène ne bougea même pas. Ses propres projectiles traversèrent les protections de Month comme si elles n’existaient pas, l’éclaboussant de peinture rouge. Fin du match.

Le chrono affichait quatre minutes trente-sept. Score final : 3000 à 0. Une victoire si écrasante qu’elle paraissait presque absurde.

Dans les gradins, les cinq spectateurs s’enthousiasmèrent. Marlène savoura l’instant. Sa première victoire. Son triomphe. Ces gens l’applaudissaient elle, pas la néomage, pas la miss stupide. Elle inspira, sentant un frisson d’orgueil la parcourir. Elle avait atteint son objectif. Ne restait plus qu’à généraliser au reste du monde.

Patrick Balia s’approcha, un sourire satisfait sur les lèvres.

- Les sponsors sont ravis ! déclara-t-il, triomphant.

Anaëlle haussa un sourcil, sceptique.

- Ah bon ? s’étonna-t-elle. C’était naze.

- Ils ont eu le privilège de voir en action la nouvelle néomage de l'équipe de France. Marlène, tu as été parfaite.

Derrière elle, Antoine marmonna à voix basse, suffisamment fort pour qu’elle l’entende :

- Voilà qui ne risque pas de faire désenfler ses chevilles.

Marlène tourna la tête, jetant un regard nonchalant à ses coéquipiers. Ils boudaient, bien sûr. Jaloux, incapables de tolérer qu’elle brille plus fort qu’eux. Elle haussa les épaules, détachée. Leur ressentiment ? Insignifiant.

Ce qui comptait, c’était ce moment. Ces applaudissements, cette victoire. Sa victoire.

Elle avait franchi une étape. Elle était enfin là où elle méritait d’être : au centre de l’attention, reconnue. Il ne lui restait plus qu’à étendre ce triomphe au reste du monde.

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