Chapitre 28 - Elian – En terres ennemies

Notes de l’auteur : Souvenez-vous :
Elian a été blessée par une flèche de métal noir, lancée par un inconnu. Grâce à Theorlingas, le maître nilmocelva d’Irin, elle se remet un peu, assez pour rejoindre Falathon pour y rechercher des informations sur son ennemi. Brian Eldwen meurt empoisonné pendant un banquet donné en l’honneur d’Elian. Laellia va trouver refuge à la guilde des assassins. Ceïlan tombe en transe après avoir ingéré le poison. Les jumelles juste nées de Brian et Yillane sont menacées. Elian les emmène à Irin. Sur place, elle retrouve Saelim, qui lui annonce que rien ne va à Dalak. Nul ne respecte le titre de roi qu’elle lui a confié. Les elfes noirs prévoient d’envahir de nouveau Falathon. Elian, Saelim, Dolandar et Theorlingas partent pour le nord afin d’y trouver la formule du poison tuant Ceïlan, espérant que cela permettra aux guérisseurs elfiques de concocter un antidote.

Elian ne s’attendait certainement pas à une telle difficulté. Le rapace les guida à travers la montagne mais le premier col s’avéra infranchissable : des hommes du nord surveillaient le passage et une journée entière de surveillance ne permit pas de trouver une faille dans leur système de défense.

Elian enrageait. Il allait falloir trouver un autre chemin. Ils descendirent pour remonter plus loin, guidés par des bouquetins, des mouflons et des loups. Le second passage s’avéra tout aussi bien protégé.

- Les falathens n’ont pas menti, grogna Dolandar.

Elian lui lança un regard interrogateur.

- Les nordistes n’ont eu de cesse de me répéter de ne jamais monter trop haut dans les montagnes, que les maudits refusent toute approche. Je ne m’imaginais pas cela aussi vrai, maugréa Dolandar.

Ils cherchèrent un autre chemin. Le troisième n’offrit aucune ouverture. Elian désespéra. Était-ce vraiment si difficile de passer la frontière ?

Enfin, un lynx les mena via un petit chemin difficile, pentu, glissant, demandant de passer de branches en branches, de franchir des ruisseaux glacés avant de remonter. Dolandar et Theorlingas franchirent les obstacles sans difficulté. Elian peina, sa blessure l’affaiblissant. Saelim grogna, gronda, pesta, injuria, insulta, cria, ronchonna. Elfe noir, il n’avait connu que des terrains plats, n’ayant jamais eu besoin de gravir les monts au sud de Dalak.

Lorsqu’ils retrouvèrent la vallée et les plaines agricoles, ils se permirent un peu de répit et le sourire revint. Ils avaient traversé.

Les patrouilles étaient nombreuses. Elian prit, à regret, la décision de n’avancer que de nuit. Perdre autant de temps la démoralisait. Son frère luttait contre la mort. Chaque instant perdu risquait de lui coûter la vie.

La méthode avait ses avantages. Tout d’abord, Theorlingas usait des pauses diurnes pour échanger avec les rapaces, permettant au groupe d’avancer de nuit malgré le sommeil des oiseaux. Ensuite, Elian en profitait pour se reposer, sa blessure lui prenant bien plus d’énergie qu’elle ne l’aurait cru. Jamais elle ne s’était sentie aussi épuisée.

L’aube s’annonçait.

- Il faut s’arrêter, murmura Elian, ravie de pouvoir enfin souffler un peu.

Elle soutenait le rythme infernal mené par ses trois camarades avec difficulté.

- Après ce canyon, répondit Theorlingas.

Les prés cachaient des rochers escarpés enfermant de magnifiques cascades, des torrents rapides et clairs, suivis de forêts éparses. L’endroit était sublime. Elian adorait ce paysage. Si elle avait été ici pour d’autres raisons, elle aurait pu apprécier.

Qu’y avait-il derrière le canyon ? Elian ne le sut jamais. Épuisée, elle ne vit rien venir. Contre ses agresseurs, elle ne témoigna qu’une bien piètre résistance, son bras droit refusant obstinément de lui répondre. Sa dague lui fut retirée. Ses mains liées dans son dos, elle fut jetée en travers d’un cheval qui partit à vive allure tandis que des bruits de combat s’éloignaient. Elian ne fut même pas en mesure d’appeler à l’aide. La douleur explosant dans son épaule, elle perdit connaissance.

Elle s’éveilla dans une cage d’acier recouverte d’un tissu l’empêchant de voir à l’extérieur. Les cahots lui annoncèrent une avancée à vive allure sur un sol rocailleux. Personne n’avait jugé utile de l’attacher. Elian secoua la tête. Ses agresseurs étaient-ils stupides ?

D’un de ses bras d’archers, elle sortit son matériel de crochetage et tritura la serrure. La porte s’ouvrit rapidement. Soulevant aisément la toile, Elian sauta, roulant pour amortir sa chute qui fut tout de même rude. Le cheval derrière elle fit un écart furieux pour l’éviter et son cavalier cria, attirant toute la troupe. En un instant, Elian se retrouva encerclée.

Elle s’attendait à devoir combattre au corps à corps. Elle se positionna afin de les accueillir comme il se doit. Un coup de fouet lacérant son dos la fit tomber à genoux et lui coupa le souffle. Elle vit trouble. Un second coup déchira la tunique elfique et trancha les chairs jusqu’à l’os. Elian s’écroula, anéantie.

Elle reprit connaissance de nouveau dans la cage. Cette fois, ses poignets, ses chevilles et son cou étaient alourdis de fers en acier reliés par des chaînes aux barreaux de la cage. Elian gémit. Contre cela, elle était impuissante. Elle plongea en méditation.

À son réveil, son dos ne la faisait plus souffrir et son épaule droite se portait un peu mieux. Lorsque la cage s’ouvrit, elle se prépara mentalement, guettant chaque opportunité. Les hommes autour d’elle se montrèrent très brutaux et précis dans leurs gestes. Elian se retrouva attachée aux anneaux d’un lourd mur en pierre sans avoir pu opposer la moindre résistance.

Elle se trouvait sous terre, dans ce qui ressemblait à l’entrepôt d’une taverne. La plupart des hommes s’éloignèrent dans des boyaux voisins d’où des bruits de tabourets, de bouteilles et de discussions lui parvinrent.

- On s’y prend comment ? demanda l’un des hommes qui était resté.

Ce ruyem ressemblait fortement à celui de Falathon. Quelques sons différaient mais le tout restait très semblable.

- Notre contact habituel, répondit le second. Dacil sera ravi de cette prise. Il nous en prendra un bon prix.

Ils comptaient la vendre ? comprit Elian qui prit l’idée d’être une marchandise extrêmement mal.

- Je suis Elian, reine d’Irin, dit Elian d’un ton sec et froid qu’elle espéra charismatique. Détachez-moi ou tout mon peuple viendra pour me délivrer !

Les deux hommes furent un instant bouché bée. Le second se ressaisit rapidement et, tremblant, ouvrit une malle, la fouillant désespérément. Elian sourit, supposant que terrifié par la menace, il cherchait les clefs.

Il s’approcha d’elle en courant, la força violemment à ouvrir la bouche, lui fourra un morceau de linge dedans avant d’entourer sa mâchoire d’une ceinture en tissu qu’il noua fortement.

- Ça parle ! s’exclama-t-il d’un son étouffé. Depuis quand ça parle ?

L’autre secoua la tête d’incompréhension. « Ça » ? répéta Elian dans sa tête. Elle fut outrée de cette appellation. Elle gémit sous le bâillon dont elle essaya, en vain, de se débarrasser.

- Si ça parle, ça peut nous décrire… ou répéter ce que ça a entendu…

- On est mort… maugréa le premier. On est tellement mort.

- Putain… putain… putain… Merde !

- On fait quoi, bordel ?

- On appelle la milice !

- T’es malade !

- On n’a rien fait de mal !

- La possession est…

- On l’a trouvée et on la leur a amenée. Rien d’illégal là-dedans.

- Ils ne nous croiront jamais…

- T’as mieux à proposer ?

- On l’égorge et on la balance dans le fleuve, voilà ce que je propose.

Elian grogna sous son bâillon.

- Ça comprend définitivement ce qu’on dit, maugréa le second.

- Elle a dit être reine, rappela le premier.

- Et tu crois que ce mot veut dire quoi pour ces sauvages ? Ne sois pas stupide ! On va l’amener à la milice.

- Ils ne vont jamais…

- Tu vas fermer ta gueule et me laisser parler. T’inquiète ! Je vais gérer.

Le premier ronchonna et les deux hommes disparurent, laissant Elian dépitée. Elle venait de totalement foirer son coup de bluff. Elle allait maintenant devoir faire face à la milice, quoi que cela puisse être. Elle profita de ce temps de répit pour méditer.

Les bruits de bottes sur le sol dur la ramenèrent au souterrain. Plusieurs hommes très bien armés et aux mouvements de combattants apparurent devant elle. L’un d’eux, leur chef vu son attitude, attrapa la dague d’Elian posée sur un tonneau proche.

- Elian, reine d’Irin, hein ? Soit. Voyons ça… dit-il en souriant.

Il n’y croyait clairement pas. La dague s’approcha d’Elian qui ne recula pas, se contentant de le transpercer des yeux. Elle ne comptait pas montrer la moindre peur malgré sa situation des plus précaire.

L’homme conserva son sourire et la lame déchira la tunique elfique au niveau de l’épaule droite. Le visage de l’homme devint incrédule. Il caressa la cicatrice blanche, celle causée par la flèche de métal noir, clairement sans y croire.

Elian recula et soudain, sa terreur monta en flèche. Cet homme venait de confirmer son identité. Cet homme dans un pays inconnu la connaissait. Il faisait partie de l’organisation ayant mis sa tête à prix à Falathon.

L’homme, comme frappé par la foudre, mit quelques instants à s’en remettre pour finalement reculer d’un pas et bafouiller :

- Je l’emmène au château. Donnez trois mille pièces d’or à ces messieurs.

- Trois mille ? s’étrangla un soldat.

- C’est la récompense promise pour sa capture, annonça le soldat.

- Trois mille ? murmura le chef des bandits avant de lancer un regard ahuri à son comparse qui se mit à rire nerveusement.

- Bien, maintenant, on va… euh…

- Chef ? Un problème ? demanda un soldat au chef.

- Putain… Vous avez fait comment pour l’attraper ?

- Comment ça ? interrogea le brigand.

- Cette salope est un assassin aguerri. Comment avez-vous fait pour la réduire au silence ?

- Deux coups de fouet, répondit le bandit en haussant les épaules.

Elian soupira. Elle se trouvait encore face à des adversaires bien prévenus sur ses compétences.

- Soit, dit le chef des soldats en tendant la main.

Elian secoua la tête tandis que le brigand prêtait volontiers son fouet au soldat. Le premier coup toucha au ventre, le second aux cuisses, le troisième aux seins. Elian ne tenait plus debout et sa vue était trouble. Elle sentit qu’on la détachait et qu’on la traînait dehors, mais elle n’avait plus la force de se défendre. Elle plongea en méditation pour reprendre des forces le plus vite possible quitte à rater une partie des évènements.

Elle ressortit guérie pour se sentir portée par deux hommes au niveau des épaules et des pieds, le corps enroulé dans un tissu opaque, les mains liées dans le dos par une courte chaîne. Elle remua la mâchoire, ravie de l’absence de bâillon.

Lorsqu’elle fut déposée, elle resta les yeux fermés, feignant l’inconscience, sachant bien que ses possibilités étaient minces. Le tissu à peine déroulé, Elian sentit une lame sous sa gorge.

- Debout, doucement… Je sais que tu es éveillée, murmura une voix masculine inconnue à ses oreilles.

Elian obéit sous la menace. Elle fut de nouveau reliée par des chaînes à des anneaux soudés au mur. Poignets, cou, chevilles, ils ne laissaient rien au hasard.

- Je reviendrai dès que je saurai comment je suis censé t’ôter la vie, précisa l’homme qui tenait la dague avant de disparaître à la suite de ses comparses.

La porte du cachot refermée, Elian étudia son environnement. La prison était grande, suffisamment vaste pour ne pas déclencher sa claustrophobie chez la reine des elfes. Un trou fin très haut permettait à un filet de lumière de pénétrer la pierre mais le tout restait très sombre.

Elian était seule et personne ne vint la trouver, ni pour lui apporter de l’eau, ni de la nourriture, ni même lui parler. Depuis la petite lucarne, elle pouvait deviner la course du soleil, puis celle de la lune, constater l’aube puis le crépuscule. Ce ne fut que bien après la seconde aube que la porte s’ouvrit et que l’homme reparut, un bout de papier à la main.

- Changement de plan. Apparemment, avant de te tuer, je dois obtenir une information de ta part.

Elian plissa les yeux, totalement prise par surprise.

- Remarque bien que cela n’est pas du tout pour me déplaire !

Ce disant, il tripotait une tige en bambou à sa ceinture.

- Donc, voilà, où est Laellia Eldwen ?

- Quoi ? répéta Elian, abasourdie.

- Où se trouve Laellia Eldwen ? répéta l’homme calmement.

- Pourquoi le saurais-je ? répliqua Elian.

- Parce que c’est ta meilleure amie et que tu es la dernière personne à lui avoir parlé à Tur-Anion après l’assassinat de son frère le roi.

Elian frémit. Il était sacrément bien informé.

- Donc, où est Laellia Eldwen ?

- Je ne sais pas, mentit Elian.

L’homme sourit et sortit lentement la tige de bambou.

- Tu connais ? demanda-t-il en la faisant doucement passer sous le nez d’Elian.

Elle ne lui répondit pas, se contentant de le transpercer des yeux. Le premier coup s’abattit sur son bras gauche. Elian ne put s’empêcher de hurler tant la douleur fut violente. Le fouet n’était rien à côté de ça. Le second coup toucha le second bras, puis le ventre, les cuisses, les mollets, les seins, l’entrejambe.

- J’ai faim, annonça-t-il alors qu’Elian ne tenait plus debout depuis longtemps, seulement retenue par ses fers. Je reviens vite, finit-il en lui lançant un clin d’œil.

Elian plongea en méditation.

Lorsqu’il revint, elle était debout et suffisamment en forme pour le transpercer des yeux. S’il comptait la faire plier de cette façon, c’était peine perdue. D’elle, il n’obtiendrait rien.

Il fit un signe et plusieurs hommes entrèrent, portant un seau en fer rempli de braises fumantes. L’homme attrapa un bout de bois qui s’enflamma au contact du charbon brûlant. Il approcha la branche d’Elian, qui, d’un sourire, souffla dessus pour éteindre le feu.

- Raté, dit-elle. Je n’ai pas peur du feu. Je sais même en faire.

Il grimaça de rage, jetant la branche au sol qui s’éteignit d’elle même. Il dégaina la tige de bambou et s’acharna, frappant au visage, de plus en plus fort.

Elian l’accueillit toujours debout, le regard brûlant de haine et de rage. Elle sentit que son bourreau perdait confiance. À ce petit jeu, il perdrait et commençait à le comprendre. Ses coups, de plus en plus brutaux et appuyés, moins précis, plus brouillons, prouvaient sa défaite.

Elian profitait de chacune de ses absences pour se régénérer. Sans eau ni nourriture, cela devint de plus en plus difficile, d’autant que l’homme visait souvent la cicatrice à l’épaule droite, ayant constaté que les cris de sa proie augmentaient à cet endroit.

Bien qu’épuisée, Elian ne perdait rien de sa superbe. Elle tenait à lui faire croire qu’il perdait. S’il continuait au même rythme pendant encore des lunes, peut-être finirait-il par obtenir sa reddition. Cependant, Elian le savait, aucun humain ne possédait une telle patience. De plus, celui-là rendait des comptes plus haut et son supérieur devait se montrer insistant, augmentant la volonté de son subalterne, créant ce sentiment d’échec bien pratique à Elian.

 

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L’homme entra dans le cachot. Il ne se tourna pas vers Elian, faisant un signe vers l’extérieur. Plusieurs soldats entrèrent, traînant Theorlingas bâillonné qui luttait en vain contre ses agresseurs.

- Théo ? s’étrangla Elian.

Les soldats poussèrent l’elfe impuissant sur le sol tandis que leur chef dégainait sa dague et la passait silencieusement sous le nez d’Elian, qui blêmit en reconnaissant les reflets sombres du métal noir. Sans dire un mot, le chef armé s’accroupit devant Theorlingas, raffermit sa prise sur la dague et approcha le bout pointu de l’œil droit du nilmocelva.

- Non ! Non ! Non ! cria Elian.

Pour toute réponse, l’homme la transperça des yeux. Dans son regard, elle lut toute sa détermination. Elle se jouait de lui depuis trop longtemps. Sa patience était émoussée. Il frapperait, sans aucun doute, juste pour la blesser et Theorlingas connaîtrait l’horreur du métal noir avant de mourir dans d’atroces souffrances.

- À la guilde des assassins… Elle est à la guilde des assassins de Tur-Anion, avoua Elian.

L’homme quitta son regard, rengaina sa dague, se releva et lança :

- Attachez-le le temps que la véracité de l’information me soit confirmée.

Il disparut tranquillement tandis que le nilmocelva était mis aux fers devant Elian. Sa bouche délestée du bâillon, il attendit que l’intégralité des soldats soient sortis pour demander :

- Pourquoi veulent-ils l’anneau d’Elgarath ?

Elian resta muette de stupéfaction devant cette question.

- Tu viens de leur révéler l’emplacement de Laellia Eldwen, c’est donc qu’ils veulent l’anneau d’Elgarath. Je ne vois pas bien pourquoi elle serait plus intéressante qu’une reine elfique si ce n’est pour…

- Comment peux-tu savoir ce qu’est l’anneau d’Elgarath ? s’étrangla Elian.

- Je participais au conseil de guerre à Tur-Anion lors de l’attaque des elfes noirs, indiqua Theorlingas. Je transmettais les positions des ennemis grâce aux insectes auxquels je…

- Quel rapport avec l’anneau d’Elgarath ? le coupa Elian qui ignorait totalement que Theorlingas avait pu jouer un quelconque rôle dans l’évènement passé.

- Lorsque Laellia a disparu, tout le monde a cru que son ravisseur en avait après l’anneau. Personne n’a imaginé que Beïlan voulait juste s’en servir pour te baiser, ça non… Ceci dit, peut-être qu’aujourd’hui encore, Laellia est requise pour totalement autre chose, finit Theorlingas.

- La mission ? demanda Elian désireuse de changer de sujet.

- Dolandar et Saelim sont dehors. Ils cherchent un moyen de nous faire sortir.

Theorlingas ferma les yeux puis les rouvrit.

- Je viens de leur indiquer notre emplacement. Ils sont heureux que je t’ai trouvée.

- C’était voulu que tu me rejoignes dans les prisons ? demanda Elian à qui le plan échappait.

- Euh… non, admit Theorlingas. Je… surveillais le fort depuis les arbres. En sautant sur une branche, j’ai… fait tomber un oisillon. En essayant de le rattraper pour lui éviter la chute mortelle, j’ai glissé. Je suis tombé. Ça a fait beaucoup de bruits. Les gardes me sont tombés dessus. Le dos à moitié démonté, je n’ai pas pu me défendre.

- Et Dolandar et Saelim ne sont pas intervenus, comprit Elian.

- Il valait mieux qu’ils restent cachés, précisa Theorlingas. Mais bon, maintenant que je suis là, autant en profiter. Tu as l’air… défaite. Que t’ont-ils fait ?

- Deux nuits, c’est le temps que ça a pris pour que l’information fasse l’aller et retour la dernière fois. Dolandar et Saelim peuvent-ils nous faire sortir d’ici là ?

Theorlingas ferma de nouveau les yeux. Elian n’entendit strictement rien, ce mode de communication lui échappant totalement.

- Non, indiqua Theorlingas. Deux nuits, c’est trop peu. Ce château est le lieu de vie du gouvernement de ce pays. C’est probablement l’endroit le plus sécurisé du royaume. Ils essayent de trouver une ouverture mais…

Elian soupira.

- Dolandar demande ce qu’il va se passer dans deux nuits, indiqua Theorlingas.

- Nous allons mourir, annonça Elian.

- Pourquoi dans deux nuits ? demanda Theorlingas, interloqué.

- Parce que celui-là n’est pas le chef. Il communique avec un plus haut gradé. Il attend de savoir comment il doit nous tuer.

- Super, grommela Theorlingas. Peux-tu faire quelque chose pour nous détacher ?

- Ils m’ont laissé mes bras d’archer, annonça Elian. Dedans, il y a mon nécessaire de crochetage mais attachée comme cela, je ne peux pas l’atteindre.

- C’est quoi, un nécessaire de crochetage ? demanda Theorlingas.

- Ça permet d’ouvrir des cadenas sans la clé, expliqua Elian.

- Non mais ça, je le sais, répondit le nilmocelva qu’Elian venait visiblement d’insulter. Je n’en ai juste jamais vu. Ça ressemble à quoi ?

- Des bouts de fils de fer tordus, expliqua Elian. Pourquoi ?

Pour toute réponse, Theorlingas ferma les yeux. Elian soupira puis fit de même, sombrant en méditation régénératrice. Les deux elfes n’échangèrent plus un mot jusqu’au retour du soldat, un bout de papier à la main.

- Tu ne vas pas le croire ! Nouveaux ordres ! s’exclama le bourreau.

Elian soupira en secouant la tête. Theorlingas restait stoïque, les yeux fermés. Il semblait dormir paisiblement.

- Apparemment, tu as dit la vérité et Laellia a craché le morceau, à savoir que sous tes conseils, Brian a fait d’elle le paravent du vrai gardien de l’anneau. Du coup, je te le demande : qui est le véritable gardien ?

- Brian ne me l’a pas dit, évidemment ! Sinon, quel intérêt ? Je ne sais pas non plus ce que le gardien est censé faire à la mort du roi, maugréa Elian qui ne mentait pas.

L’homme haussa les épaules, avant de dégainer sa dague de métal noir et de se diriger vers Theorlingas, toujours endormi.

- Je ne sais pas, répéta Elian, désespérée. Je ne sais pas !

Elian ne pouvait s’imaginer perdre Theorlingas, ni aucun elfe, pour un anneau humain. En larmes, elle ouvrit la bouche pour révéler le terrible secret… mais le soldat en hurlant couvrit ses premiers mots et Elian hoqueta, stupéfaite.

Plusieurs soldats entrèrent dans le cachot, cherchant à comprendre. Le bourreau s’écroula, blême, ses poumons cherchant à attraper de l’air qui ne venait apparemment pas. Elian ne comprenait rien. Que venait-il de se passer ?

Les soldats, eux, trouvèrent immédiatement la raison. Leurs regards tournés vers Theorlingas, toujours tranquille et serein face à la tourmente, ils hurlèrent :

- C’est un sorcier ! Il l’a tué avec son esprit !

Elian leva les yeux sur Theorlingas. Un sorcier ? Et c’est alors qu’elle la vit : une minuscule araignée sortant de la chausse du bourreau au sol. Venimeuse, sans aucun doute. Theorlingas n’avait pas tué avec la magie, mais en demandant simplement à une araignée de mordre.

Elian sentit des chatouilles sur sa main droite. Elle voulut chasser la mouche importune mais en tournant la tête, elle constata qu’une énorme araignée se tenait là. De ses pattes agiles, elle retira du bras d’archer un premier morceau de fil de fer. Elian, abasourdie, s’en empara.

Les soldats, eux, venaient de sortir leurs armes et fondaient sur Theorlingas pour massacrer l’engeance du mal. Les termes utilisés faisaient froid dans le dos. Visiblement, les eoxans détestaient la magie.

Le sol se couvrit de centaines de petites araignées et les soldats reculèrent. L’un d’eux fut trop lent et il s’écroula. Les autres sortirent.

Elian profita du moment de calme pour se concentrer.

- Peux-tu la faire tenir fortement ce morceau dans cette position ? lança Elian, qui, à une main, n’y arrivait pas.

L’araignée se mit en place, serrant avec ses mandibules et ses pattes. Elian manipula un second morceau de fil de fer et le cadenas s’ouvrit, libérant sa main droite.

Avec délicatesse, elle amena l’araignée sur sa gorge avant de lancer :

- Pareil ici.

Le cou libéré, Elian put terminer seule. Elle crochetait ses jambes lorsque des torches apparurent dans la geôle, lancées depuis l’extérieur. Les araignées s’enfuirent tandis que Theorlingas cria. Le feu… Le pire ennemi des animaux… et des elfes. Le nilmocelva se mit à trembler et Elian comprit qu’il perdait pied.

Une des torches enflamma les vêtements du soldat, une autre les cheveux du bourreau et les flammes grandirent rapidement. Une épaisse fumée se dégagea. Nul doute qu’on les attendait de pied ferme à la seule porte de sortie.

Elian, enfin libre, se jeta sur le bourreau en flamme, enfonçant sa main dans le feu, sous le hoquet de terreur de Theorlingas. Sous son ventre, elle récupéra les clés et la dague du bourreau. Elle libéra Theorlingas en un instant mais malgré sa liberté retrouvée, il resta pétrifié de terreur, pris entre le feu et les soldats.

Elian sortit sans la moindre crainte. Elle venait de passer deux jours et deux nuits à méditer. Elle se sentait bien. Sa blessure à l’épaule la lançait mais rien d’insurmontable. Sa main brûlée ne l’empêchait en rien de manier sa dague. Elle avait connu bien pire. Elle dansa aisément avec la mort. Aucun soldat ne survécut à la rencontre avec l’assassin, la dague de métal noir rendant les choses encore plus faciles.

Theorlingas apparut dès le silence revenu. En constatant les corps par terre, il resta abasourdi, choqué. Elian se tourna vers lui et le secoua doucement.

- D’autres vont venir. Il faut partir. Les araignées savent-elles où se trouve une sortie sécurisée, sans garde ?

Le regard de Theorlingas tomba sur la main droite d’Elian.

- Tu as bravé le feu, murmura-t-il admiratif.

- Ça aura été vain si nous restons là. Un chemin, Théo ?

Le nilmocelva hocha la tête, ferma les yeux, se détendit tandis que la fumée les entourait, implacable. Elian sentait ses forces diminuer. Se libérer, braver le feu puis tuer les soldats lui avaient pris toute son énergie. Elle allait devoir puiser profondément pour fuir.

Enfin, Theorlingas ouvrit les yeux avant de partir. Elian fit de même. Il lui fallut un moment avant de voir l’araignée noire que Theorlingas suivait.

- Théo ! l’arrêta Elian au bout d’un moment. Ça ne va pas ! Nous nous enfonçons sous terre. La sortie est vers le haut, pas en bas !

- L’araignée m’assure que cette sortie est vide de vie humaine, répliqua Theorlingas. C’est notre meilleure chance.

Le boyau sombre entourait Elian. Aucune lumière ne filtrait. Elle suivait presque à l’aveugle. Sa terreur augmentait à chaque pas. Elle se sentait suffoquer. Sa claustrophobie remonta en flèche. La respiration difficile, elle pleurait. Sa main dans celle de Theorlingas, elle suivait par mouvement réflexe, fermant les yeux pour éviter de voir le noir l’entourant.

Sous ses paupières soudain, de la lumière. Elle ouvrit les yeux pour découvrir la nature, le soleil, le ciel et derrière elle, un boyau émergeant autour d’un petit ruisseau.

- Sortie de secours, sans aucun doute, annonça Saelim en apparaissant. Elian ? Ça n’a pas l’air d’aller !

La reine s’écroula sous les cris de Dolandar et Theorlingas. Le nilmocelva, enfin libéré de sa conversation avec les araignées, put se tourner vers sa reine. Il s’assit en tailleur, Elian blottie dans ses bras. Le câlin tendre fut accompagné d’une berceuse rassurante, douce, lointaine et pourtant présente, inaudible et vibrante, murmurée et forte.

Elian se détendit et dans ce moment intime, centrée sur elle-même, elle comprit la raison de son intense fatigue. Son visage se couvrit de larmes. Theorlingas raffermit son chant. Elian essuya ses larmes et hocha la tête. Elle était prête.

- Bien joué, dit Dolandar. J’ignorais que tu pouvais agir sur autre chose que des animaux.

- Nous sommes des animaux, répliqua Theorlingas.

- Ils vont nous poursuivre. Nous ne pouvons plus avancer seulement de nuit, annonça Elian. Je vais nous voler quelques tuniques et nous avancerons, à travers des villages s’il le faut, sans nous arrêter. Théo, peux-tu retrouver le chemin même en avançant ?

- Oui.

Ils s’éloignèrent et dans une ferme isolée, volèrent discrètement quelques habits. Theorlingas avait mis ce temps à contribution pour discuter avec des animaux et il désigna de sa main la direction à prendre. Tout le monde suivit.

Pendant qu’Elian prenait une pause, buvait et mangeait, Theorlingas contactait les animaux. De ce fait, ils ne s’arrêtèrent que fort peu, cadence impossible à suivre pour un humain, même à cheval. Lorsqu’ils furent assez loin de leur point de départ, Elian estima qu’elle pouvait s’octroyer une pause. Elle ordonna un arrêt plus long. Theorlingas et Dolandar partirent chercher des fruits, laissant Elian sous la surveillance de Saelim. Elian en profita pour lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début de leur fuite.

- Le métal noir vient bien de chez vous, à l’origine ? demanda Elian en amhric, afin d’être certaine que si Theorlingas ou Dolandar revenaient, ils ne comprendraient pas.

- Les anciens racontent parfois des histoires sur les mines de métal noir à L’Jor alors oui, je suppose, mais ça date et je n’étais pas né, pourquoi ?

- As-tu une idée de l’effet du métal noir sur un bébé porté par une femme blessée ?

Saelim transperça Elian des yeux et son visage se peignit d’une intense tristesse.

- Tu es enceinte, comprit-il. Theorlingas le sait ?

- Personne ne le sait… à part toi maintenant. Tu veux bien répondre à ma question ?

- Je n’en ai aucune idée, Elian. Je suis navré. Cela devrait être un évènement heureux et voilà qu’il est empli de doutes et d’incertitudes. Nous devrions annuler la mission. Tu ne devrais pas…

- Non, gronda Elian. Il faut trouver la formule du…

- Ta grossesse est bien plus importante qu’un elfe, qu’il soit ton frère ou pas.

- Et laisser ce poison aux mains de nos ennemis ? répliqua Elian. Il ne s’agit pas seulement de sauver Ceïlan ! Qui sait combien de doses de cette merde ils feront si nous n’agissons pas. Nous devons les priver de cette arme, tant en détruisant la source d’approvisionnement qu’en nous munissant de l’antidote.

Saelim acquiesça. Elle venait de le convaincre.

- Pourquoi ne veux-tu pas qu’ils le sachent ?

Elian baissa les yeux et trembla.

- Il va bien falloir que tu fasses confiance à quelqu’un.

- Je te fais confiance.

- Je ne suis pas un elfe des bois.

- En quoi la couleur de ta peau a-t-elle la moindre importance ?

Saelim se tourna vers Elian. Son visage se fit surpris et circonspect. Il semblait réfléchir intensément. Le retour des deux elfes des bois mit fin à la conversation. Elian but et se restaura, dormit puis ils reprirent la route. Saelim resta silencieux.

Un immense marécage leur barra la route. Elian n’ignorait pas combien naviguer dans ces terres-là était difficile voir impossible mais également très dangereux.

- Peut-on contourner ? interrogea-t-elle.

- Guero vit à l’intérieur des marais, répliqua Theorlingas faisant gémir Elian.

- Tu peux rester là, proposa Saelim en lambë. Nous nous chargerons de la mission.

- Non, gronda Elian.

- Je n’aime pas les risques que tu prends, finit Saelim et Elian prit note.

Dolandar lança un regard perçant vers l’elfe noir. L’échange ne lui avait pas échappé et il sentait que quelque chose clochait.

- Tout repose sur toi, Théo, lança Elian. Trouve-nous un passage.

Le nilmocelva avait déjà les yeux fermés. Il écoutait les oiseaux, les mammifères, les reptiles, les insectes, recoupant les informations. Après un long moment qu’Elian utilisa pour se reposer, ils s’enfoncèrent dans la brume, suivant précautionneusement les indications du nilmocelva.

- Le terrier se trouve à quelques pas seulement, murmura Theorlingas.

- Terrier ? répéta Saelim.

- C’est ainsi que les animaux le nomment.

- Quelle sécurité ? demanda Saelim.

- Aucune, dit Elian. Les marécages se suffisent à eux-mêmes. À moins d’avoir une carte, nul ne peut arriver ici. Pas besoin de murailles, de pièges ou de soldats armés. Nous ne rencontrerons aucune difficulté. Théo, tu monteras la garde à l’entrée afin de rester en contact avec les animaux.

Le nilmocelva hocha la tête. Ils s’approchèrent furtivement de la porte. Elian écouta attentivement.

- Ça a l’air vide, annonça-t-elle.

Elle poussa doucement la porte ouverte. Un simple loquet la retenait close. Une serrure serait inutile en plein milieu de ces marécages. Il s’agissait juste d’empêcher les animaux d’entrer. Elian pénétra discrètement à l’intérieur. Le feu central était mort. L’endroit était désert. Elle se releva et fit signe à ses compagnons d’entrer. Dolandar et Saelim pénétrèrent la petite pièce ronde.

Il faisait chaud et humide à l’intérieur de la petite hutte en argile. Des tables et des étagères étaient couvertes de pilons, mortiers, poteries, amphores, sacs, sachets, herbes, épices, bocaux, cuillères. Le tout s’amoncelait dans un désordre probablement bien maîtrisé.

- Le propriétaire est peut-être en ville, proposa Saelim.

- Fouillez les lieux. Il nous faut trouver la formule.

Dolandar et Saelim soupirèrent. Voilà qui n’allait pas être facile. Cet endroit était sûrement rangé selon une certaine logique, mais laquelle ? Après un court instant, Saelim annonça :

- Il y a bien du papier et des plumes, mais visiblement, ils ne servent qu’à envoyer des messages… qu’il doit détruire après utilisation afin de ne laisser aucune trace des échanges. Je ne vois aucun parchemin, ni aucun ouvrage, où que ce soit. On peut supposer que Guero connaît ses formules par cœur. C’est le meilleur moyen de s’assurer d’être indispensable.

Elian souffla de désespoir.

- Ceïlan… murmura-t-elle. Si nous n’avons pas la formule, il va mourir mais il ne sera probablement pas le seul.

- Il va falloir… commença Dolandar avant de se taire.

Saelim venait lui aussi de sursauter. Un bruit, à l’extérieur, avait attiré l’attention de tout le monde. Saelim se rua vers l’arrière de la hutte pour découvrir une porte de derrière. Il l’ouvrit et dévoila un homme courant à travers les marais, s’enfuyant visiblement. Saelim partit à sa poursuite.

- Saelim, non ! s’exclama Elian mais c’était trop tard.

- Dolandar, poursuis-le ! Guero doit nous donner la formule ! Empêche Saelim de le tuer !

L’elfe blond courut à sa suite. Theorlingas apparut près d’Elian.

- Je vais les suivre, annonça-t-il. Ils risquent de faire de mauvaises rencontres dans ces marécages. Je vais les protéger et les ramener. Tu ne risques rien dans cette hutte vide. Nous revenons vite.

Elian hocha la tête. La reine se retrouva seule dans la pièce humide tandis qu’un épais brouillard entourait toute la végétation alentour. Elian observa la pièce. Tout était immobile, mortel. Elle observa les pots, les plantes, n’osant toucher à rien.

Elle sursauta. Venait-elle d’entendre… un gémissement étouffé ? Elle se tourna vers la source. Une porte menait à une sorte de réserve. Elian vit une chaîne dans un anneau disparaissant sous une couverture. Cela bougeait et vivait clairement. Quel animal était emprisonné ici ?

Elian s’approcha prudemment et souleva la couverture d’un coup, dévoilant un elfe. Sa tête était couverte d’un sac mais ses vêtements ne laissaient aucun doute sur… mais ses mains ! Elles étaient noires !

- Beïlan ! s’exclama Elian et le prisonnier grogna en retour.

Attaché de la sorte, il était impuissant. Elian retira le sac sur sa tête, confirmant l’identité du prisonnier. Le bâillon expliquait les grondements sourds. Elle observa son frère, ancien roi d’Irin, celui-là même l’ayant enlevée et séquestrée, torturée pour la forcer à l’accepter dans son lit avant de la confier à Khala.

Elian ne ressentit aucun plaisir à le voir dans cette situation. Bien au contraire. Elle eut immédiatement énormément de peine pour lui. Elle retira son bâillon et lui donna un peu d’eau, qu’il but avidement.

- Situation désagréable, n’est-ce pas ? lança Elian le visage grave.

Beïlan hocha tristement la tête.

- Merci pour ton eau, dit-il.

Elian regarda autour d’elle à la recherche des clés.

- Elles ne sont pas ici, dit Beïlan. Ils ne prévoyaient pas de me détacher… jamais.

Elian acquiesça. Elle sortit son nécessaire de crochetage et s’attaqua au premier cadenas, sous le cou, le plus désagréable, elle en savait quelque chose.

- Dolandar n’approuverait pas, dit Beïlan.

- Je n’ai pas besoin de son consentement, siffla Elian.

Le verrou sauta et le collier de métal fut retiré. Elian le savait : on ressentait un vif élan de liberté. Porter ce collier nous diminuait, nous ramenait à l’état sauvage. Beïlan venait de gagner en puissance. Affaiblie par sa blessure, elle serait, dès qu’il serait libéré, à sa merci. Elle n’hésita pourtant pas et s’attaqua au cadenas retenant sa main droite.

- Elian, pourquoi fais-tu ça ? demanda Beïlan.

- Nul ne mérite de subir cela, quoi qu’il ait fait. De plus, ta présence ici dans cette situation prouve que nous avons un ennemi commun.

Beïlan ricana nerveusement.

- Ceïlan a bu le poison fait par ce connard, lança Beïlan et ça n’était pas une question.

Il avait écouté les échanges entre les elfes. Elian acquiesça.

- J’ai failli le boire aussi… et Dolandar… et Theorlingas. Ceïlan survit… mais pour combien de temps ? Les guérisseurs ont besoin de la formule pour réaliser un antidote.

Beïlan hocha la tête alors que sa main droite retrouvait sa liberté. Il resta stoïque, laissant Elian s’occuper d’un autre cadenas. Il resta sage, tranquille, calme, ne tenta rien. Il ne la toucha pas, ne l’approcha pas, restant à distance. Son pied droit seul restait désormais attaché. La porte de derrière s’ouvrit pour dévoiler trois elfes en train de se disputer.

- T’es un putain de connard ! s’exclama Dolandar.

- Je te répète que ma blessure n’était pas mortelle ! gronda Saelim.

- Alors pourquoi est-il…

Les elfes se figèrent en constatant la présence de l’intrus près d’Elian.

- Beïlan ? s’exclama Saelim.

- Beïlan ? répéta Theorlingas en dévisageant le prisonnier à la peau noire.

- Elian, éloigne-toi de lui ! ordonna Dolandar.

Elian l’ignora et continua sa tâche. Elle y était presque. Dolandar s’approcha et attrapa le bras de la reine, prêt à l’extraire de force. Il se retrouva avec la dague d’Elian sous la gorge.

- Ne fais jamais ça, ordonna Elian. Ne me touche pas.

Dolandar retira sa main en douceur et recula, un regard incendiaire dévastant Elian qui n’en avait cure. Elle reprit son activité, grondant de devoir tout recommencer.

- Comment t’es-tu retrouvé là ? demanda Saelim.

- C’est un piège ! gronda Dolandar.

- Tu veux dire qu’il a été mis là intentionnellement ? s’écria Theorlingas terrorisé. Pour qu’on le trouve ?

- Parce que nos adversaires savaient que nous viendrions jusqu’ici chercher la formule du poison ? rétorqua Elian. N’importe quoi !

- Je suis nécessaire, indiqua Beïlan.

- Nécessaire à quoi ? demanda Saelim.

- Je suis l’un des ingrédients du poison, précisa Beïlan.

La nouvelle jeta un froid sur l’assemblée tandis que le dernier cadenas s’ouvrait, libérant totalement l’ancien roi d’Irin.

- Ça n’explique pas comment tu t’es retrouvé ici, insista Saelim.

- J’ai voulu comprendre. J’ai été conçu par ces connards ! Je n’existe que parce que je suis un maillon essentiel d’un plan que j’ai fait foirer.

Elian comprenait volontiers qu’il chercha à obtenir des réponses.

- Je me suis fait prendre alors que je fouillais une pièce dans le palais royal. L’un d’eux est venu me parler, me poser quelques questions.

- Tu l’as vu ? Tu lui as parlé ? s’étrangla Saelim. Qui est-ce ?

- Un mec, répondit Beïlan en haussant les épaules.

- Un membre de l’organisation, le chef actuel. Il doit régulièrement changer, proposa Elian. Que t’a-t-il dit ?

- Que je suis un trou du cul, un abruti congénital qui a fait foirer tous les plans montés depuis des années, à tel point que la mort me serait trop douce. Il m’a condamné à l’enfermement à perpétuité, sans eau ni nourriture. Quelques temps plus tard, il est venu me chercher pour m’emmener ici. Guero m’a utilisé pour créer un poison. Saelim, j’ai besoin que tu répondes à une question qui brûle mon âme.

Saelim lui lança un regard d’incompréhension.

- Comment vont les femmes à Dalak ?

- Pourquoi le demandes-tu ?

- Comment vont-elles ? insista Beïlan.

- Je… n’en sais rien, admit volontiers le Tewagi. Je ne suis jamais appelé et honnêtement, j’avais autre chose à faire. Je n’ai pas arrêté d’être défié. Ils ont même essayé de m’assassiner.

Beïlan respira difficilement.

- Qu’est-ce qui se passe ? demanda Elian.

- La première dose était pour les palais de coton. Il l’a répandue sur la nourriture destinée aux femmes, leur apprit Beïlan.

- C’est des conneries, gronda Dolandar. Il ment. Comment peut-il le savoir ?

- Tu avais un sac sur la tête, constata Saelim en observant les objets disposés sur le sol.

- J’ai des oreilles pour entendre… et des yeux pour voir, finit-il en désignant un rapace sur une corde en haut de la hutte, dont Elian n’avait jusque-là pas remarqué la présence.

- Les femmes sont peut-être à l’agonie, là-bas, dans les palais de coton ? s’exclama Elian. Il faut l’antidote. Où est Guero ?

- Il est mort, gronda Dolandar. Cet abruti l’a tué !

- Ma blessure n’était pas mortelle ! se défendit Saelim.

- Et pourtant, il n’est plus là pour nous donner la formule, termina Dolandar.

- Vous avez juste besoin de savoir comment ce poison se fait ? interrogea Beïlan et Elian hocha la tête. Je le sais, moi.

- Quoi ? s’exclama Dolandar.

- Je l’ai vu le réaliser, indiqua Beïlan en désignant une nouvelle fois le rapace. Je sais comment il se fait.

Saelim lui tendit un parchemin, une plume et de l’encre.

- Écris la formule.

- Je ne sais pas mettre des mots sur ce que j’ai vu, précisa Beïlan.

- Fais-le devant nous, proposa Saelim. Tous ensemble, nous réfléchirons à un moyen de le formuler.

Beïlan attrapa des objets et commença à réaliser une poudre, à faire chauffer, à rajouter de l’eau. Dolandar, Theorlingas, Saelim et Elian discutaient longuement de la meilleure manière de retranscrire ce qu’ils voyaient, choisissant parfois des mots, parfois des dessins. Ils mirent un exemplaire de chaque plante dans un sachet étiqueté. Elian grommela du temps passant, risque accru de voir Ceïlan ou les femmes elfes noires mourir.

- Elian, il y a quelque chose qui ne va pas ? demanda Beïlan tout en remuant.

Elian lui lança un regard surpris. De quoi parlait-il ? Ici, elle avait chaud, un toit sur la tête, elle mangeait et buvait. Elle se portait plutôt bien.

- Elle a été torturée, rappela Theorlingas. Sortir de là-bas n’a pas été exactement simple. De plus, le métal noir la diminue toujours. Ta main semble soignée, finit-il gentiment vers Elian.

- Il n’y a pas que cela. Tu sembles…

Beïlan ne termina pas sa phrase, transperçant simplement Elian des yeux tandis que Saelim souriait doucement. Beïlan avait-il pu sentir ? Non ! Impossible. Rien ne pouvait se voir à ce stade. Elian resta renfermée.

Beïlan liait habilement le groupe. Discutant aussi bien avec Theorlingas que Saelim, ses conversations vives et joyeuses ranimaient souvent les longs silences. Il savait faire rire les autres malgré la situation. Même Dolandar se détendit, admettant que Beïlan semblait effectivement être un allié.

Finalement, Beïlan annonça avoir terminé.

- Si l’un de nous consomme cette merde, il meurt mais les humains peuvent en avaler des tonnes, annonça l’ancien roi d’Irin.

- Quoi ? s’étrangla Elian.

- Il déteste les elfes, indiqua Beïlan. Il les hait tellement ! Il veut nous voir morts. Nous sommes des êtres sales et impurs à ses yeux. Il est venu jusqu’ici uniquement pour cela : un poison capable de tuer les elfes mais indolore pour les humains. La première dose a été pour les femmes de Dalak. La seconde pour toi, Elian. Il ne va pas s’arrêter là.

- C’est atroce ! gronda Dolandar.

- Les herboristes d’Irin devraient pouvoir concocter un antidote avec ça, annonça Theorlingas. Nous devons rentrer au plus vite.

- Beïlan, mets le feu à cet endroit avant de partir, ordonna Elian. En les privant de ce lieu, nous leur mettons des bâtons dans les roues.

L’ancien roi d’Irin hocha la tête. La troupe sortit, menée par Theorlingas tandis que les flammes dévoraient la petite hutte, fumée invisible au milieu de la brume.

- Merci, Beïlan, dit Elian.

- De rien, Majesté, répondit Beïlan.

« Majesté », répéta Elian. « Étrange, de la part de l’ancien roi, qu’elle avait destitué ». Il semblait réellement lui être fidèle, accepter son titre. Bizarrement, elle croyait davantage en sa loyauté qu’en celle de Dolandar. Ne venait-elle pas de lui sauver la vie ?

Saelim demanda à Beïlan de lui faire porter des fruits via un rapace. Beïlan ne cacha pas sa surprise mais le fit tout de même. Saelim offrit la nourriture à Elian qui l’accepta en souriant.

- Tu devrais te méfier, Elian, lança Theorlingas d’un ton sifflant. Saelim est totalement nul au lit.

- Theorlingas, gronda Beïlan mais le nilmocelva ignora l’avertissement.

Elian lança un regard incrédule à Theorlingas. Comment pouvait-il seulement connaître les performances sexuelles de l’elfe noir ?

- Les femmes elfes noires n’appellent jamais les Tewagi à les rejoindre dans les palais de coton, faisant de Saelim un petit puceau. C’est Beïlan qui me l’a dit.

L’ancien roi d’Irin grimaça. Visiblement, il n’avait pas prévu une telle utilisation de l’information transmise.

- Tu es la seule femme elfe qu’il ait vu de toute sa vie, continua Theorlingas. Il sera un bien piètre amant.

Elian se retourna vers Theorlingas.

- C’est surprenant. Les elfes sont censés ignorer la jalousie et pourtant… quand j’ai accepté de passer du temps avec toi, Ceïlan m’a mise en garde contre le coureur de jupons que tu étais et à quel point je ne devais surtout pas succomber à tes charmes. Et voilà que maintenant, tu te mets à me faire la morale à ton tour ? Les elfes n’ont de cesse de me décevoir.

Theorlingas fondit devant ce réquisitoire.

- Saelim, est-ce que tu me dragues ? interrogea Elian.

L’elfe noir réfléchit un instant puis répondit :

- Oui, je crois. Une relation avec toi ne me déplairait pas.

- Je suis désolée, Saelim. Je ne m’en suis pas rendue compte.

- Pas de souci, répondit l’elfe noir.

- Ça n’a rien à voir avec ce que tu es, ta couleur de peau, ta virginité ou ta soi-disant inaptitude à baiser. Tout ça, je m’en fous. Je suis juste fidèle… envers un homme qui ne l’est pas, je sais. Il a couché avec toutes les femmes de la cour de Falathon… plus ou moins sur mon ordre alors je sais, d’accord ? Mais c’est comme ça. Je suis fidèle.

Elle le serait d’autant plus maintenant. Elian, élevée chez les humains, avait une notion de la famille très éloignée de celle des elfes.

- Je n’arrêterai pas de te draguer pour autant, répliqua Saelim. Peut-être qu’un jour tu changeras d’avis.

Elian sourit et se retourna pour reprendre la route. Se savoir désirée n’était pas pour lui déplaire. Elle imagina fort bien le regard noir que Theorlingas venait de lancer à l’elfe noir.

La traversée du marécage fut éprouvante. Elian avançait avec peine. Une fois sortie, elle demanda une pause, dégoûtée de ce contre-temps. Saelim et Theorlingas s’agitaient autour d’elle pour lui offrir un maximum de confort, Saelim faisant du feu, Theorlingas faisant apporter de la nourriture par des condors et des musaraignes.

- Ils sont mignons quand ils sont jaloux, dit Beïlan qui surveillait le camp avec Dolandar.

- Qu’est-ce qu’elle lui a dit ?

- De quoi parles-tu ?

- Il ne la drague pas.

- Ça y ressemble drôlement, répliqua Beïlan.

- Nous les avons laissé seuls quelques instants juste après notre fuite. Depuis, il est aux petits soins pour elle. Au départ, j’ai pensé qu’ils avaient baisé mais la réponse de tout à l’heure d’Elian a éloigné cette possibilité.

- Elle lui a peut-être indiqué que la couleur de peau n’était pas un frein à ses yeux, entrouvrant la porte à Saelim, sans toutefois l’ouvrir en grand.

- Elle a dit ne pas s’être rendue compte qu’il la draguait.

- Elle aura dit ça dans un autre contexte, sans se rendre compte des implications possibles.

- Non, non… Il y a autre chose, insista Dolandar. Il est trop… prévenant.

- Il a changé d’avis. Les sentiments peuvent faire cela.

Dolandar grimaça et Elian l’imita.

- C’est vrai ? demanda Elian à Saelim en amhric.

- Quoi donc ?

- Que je suis la première femme elfe que tu vois ?

- Je ne me souviens pas de mes jeunes années aux palais de coton alors oui, tu es la seule, confirma-t-il.

- Je trouve ça triste.

- Notre peuple vit ainsi. Les femmes sont rares. Elles vivent recluses, loin des hommes. Elles se reproduisent dans le plus grand secret. Nous ignorons tout de leurs conditions de vie ou de leur longévité. Elles appellent de temps en temps et plusieurs enfants sortent régulièrement des palais de coton. Elles mangent ce que nous leur apportons. En dehors de cela, nous ne savons rien.

- Que disent-ils ? demanda Dolandar à Beïlan.

- Arrête de la surveiller. Ils discutent du mode de vie des elfes noirs. Fous-lui la paix, gronda Beïlan.

- Ça ne te manque pas ? interrogea Elian.

- De bien manger ? Si, énormément, indiqua Saelim.

Elian rit.

- De baiser, précisa-t-elle.

- Je ne crois pas, indiqua-t-il. Je ne sais pas ce que ça fait, alors…

Elian hocha la tête. Cela avait du sens.

- Ils ne se touchent même pas la nouille, lança Beïlan en amhric depuis le haut du rocher d’où ils surveillaient les environs. Ils ne font même pas ça entre hommes. Juste rien ! Le néant. Abrutis ! Ils ne savent pas ce qu’ils ratent !

- Parce que c’est mieux de passer la moitié de la journée à chercher tous les endroits possibles où fourrer sa bite ? répliqua Saelim.

Seul le silence répondit. Elian ignorait si Saelim exagérait sur le temps qu’un elfe pouvait passer à s’intéresser à son engin, mais l’absence de réfutation tendait à prouver qu’il était même sous-estimé.

- Tu me dragues vraiment ou tu donnais juste le change ? murmura Elian à Saelim.

- Je te désire vraiment, précisa-t-il.

Elian baissa les yeux en rougissant.

- Mais bon, comme l’a gentiment rappelé Theorlingas, continua Saelim, tu es la seule femme que j’ai vu de ma vie alors…

Elian rit de nouveau.

- Tu comptes leur dire ? demanda Saelim.

Elian baissa les yeux.

- Je pense que tu peux leur faire confiance, indiqua Saelim.

Elian toucha son oreille et désigna le rocher, au dessus d’eux. Il y régnait un silence total. Il était clair que Beïlan écoutait leur échange. Saelim haussa les épaules puis s’éloigna. Elian dormit longtemps puis ils reprirent la route.

- C’est moi ou son état empire, demanda Dolandar à Theorlingas tandis qu’Elian était à la traîne accompagnée de Beïlan.

- Elle tient de moins en moins longtemps. J’essaye d’expliquer à Beïlan comment chanter pour la soutenir mais ça fait de moins en moins effet, maugréa le nilmocelva.

- Saelim ? Crache le morceau, ordonna Dolandar.

L’elfe noir se tourna vers Dolandar en haussant un sourcil qui se voulait circonspect.

- Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? s’exclama Dolandar.

Saelim soupira, grimaça puis annonça :

- Elle cherche à qui va sa confiance. Si je la brise maintenant, la suite n’en sera que pire. Demande-lui directement au lieu de passer par moi.

- Elle n’a pas confiance en moi, répliqua Dolandar. Elle ne me dira rien.

- Elle n’apprécie pas votre hypocrisie, vos manières d’agir dans le dos. Demande-lui en face ! Montre-lui que tu la respectes ! Quand elle a eu besoin d’une réponse, elle n’a pas tourné autour du pot. Elle est venue me la poser directement, franchement. Je ne détenais malheureusement pas la réponse mais au moins, elle s’est montrée honnête envers moi. Agissez de même avec elle.

Dolandar grimaça. Il ordonna une pause. Il s’assit devant Elian.

- J’ai failli à ma mission, annonça-t-il. La culpabilité me ronge. Cependant, le passé ne peut être défait. À moi de me montrer digne en n’échouant pas une seconde fois.

- De quoi parles-tu ? interrogea Elian.

- Crois-tu vraiment qu’Ariane aurait abandonné sa fille sans surveillance ni protection ? Elle t’a confiée à moi.

Elian plissa des yeux. Cet aveu impliquait des conséquences qui lui déplaisaient énormément.

- Je t’ai amenée à ces forains et je t’ai surveillée. Ils s’occupaient très bien de toi. Tu étais heureuse et épanouie. J’ai fait en sorte que des dissidents croisent « par hasard » votre chemin. Même enfant d’apparence humaine, tu n’en restais pas moins eldarin. Les dissidents ont naturellement été attirés et t’ont enseigné énormément de choses sans que j’ai besoin de les y amener.

Elian n’en revint pas. Ces rencontres n’étaient pas fortuites. Ce fut comme si tous ses souvenirs heureux s’écroulaient. Elle avait été manipulée, depuis toujours, tout le temps !

- Un soir, j’ai rejoint le camp pour n’y trouver que mort et désolation. Tu étais introuvable. J’étais inconsolable. Je t’ai cherchée, partout, encore et encore. Tu avais disparu.

Elian tremblait de rage. Dolandar était censé la protéger et il avait failli. Sa rage venait de se décupler. Le peu de confiance en lui qu’elle avait venait de disparaître en fumée.

- Des années après, j’ai reçu l’appel aux dissidents et j’ai décidé d’aller aider. Autant me rendre utile… Depuis les murailles de Tur-Anion, je t’ai vue, couverte de sang, la lame du roi des elfes noirs sous la gorge. J’ai tout déballé aux autres dissidents, révélant le secret de ton identité. J’étais tellement heureux de te retrouver, que tu sois en vie… et tellement triste de devoir assister à ton assassinat. J’étais censée te protéger et je me trouvais de nouveau totalement impuissant.

Elian ne lâchait pas Dolandar des yeux. Elle l’aurait étripé si elle avait pu.

- Et puis le miracle. Ma protégée remporte la victoire. Les elfes noirs s’en vont. Je suis emplie d’une joie profonde. La mission sera finalement une réussite… pas de mon fait, certes, mais au moins Irin aura-t-elle une reine… et tu t’écroules, frappée par une flèche… de métal noir. Je n’ai alors plus quitté ton chevet. J’ai éloigné Ceïlan dont la présence te dérangeait. Je t’ai suivie bien que désapprouvant tes choix. Je ne te trahirai jamais. Je te protégerai quoi qu’il m’en coûte. Je ne faillirai pas une seconde fois, répéta-t-il.

Elian baissa les yeux, radoucie. Dolandar semblait sincère. Il resta muet. Il voulait l’information qui lui manquait mais Elian secoua la tête tandis qu’une larme coulait sur sa joue. Elle ne pouvait pas. Le monde regorgeait de dangers. Elle voulait tant se reposer...

- Elian, j’ai peur, annonça Theorlingas prenant la place d’un Dolandar dépité qui s’éloigna de quelques pas, plus frustré que jamais. J’ai peur pour toi. J’ai besoin d’être rassuré. Tu pourras tenir ?

Elian n’eut pas le temps de répondre que le nilmocelva continua.

- Nous pouvons rester ici, tous les deux, dans ces bois, pendant que les autres finissent la mission et apportent la formule à Irin. Tu peux prendre le temps de retrouver tes forces. Un jour, une lune, plusieurs saisons, qu’importe ?

- Non, je ne peux pas, répondit Elian.

- Pourquoi ?

- Parce qu’il est hors de question que notre enfant naisse en dehors d’Irin, hurla Elian mentalement anéantie.

Theorlingas se figea à cette réponse. Le silence dans le camp fut total. Dolandar apparut devant Elian.

- Elian ne posera plus un pied au sol à partir de maintenant. Nous la porterons à tour de rôle jusqu’à l’autre côté de la montagne. À ce moment-là, les nilmocelva feront venir un chariot avec des chevaux pour finir le trajet.

- Dolandar, commença Elian.

- Tais-toi. Reine ou pas, je m’en fous, je prends le commandement de l’opération. Theorlingas, tu l’endors. Saelim, tu la porteras en premier.

- Dolandar, s’opposa Elian les larmes aux yeux.

En réponse, l’elfe blond la transperça des yeux. Son regard était doux mais ferme. Il était en colère contre elle et ne comptait pas le cacher.

- Je ne peux pas l’endormir contre son gré, prévint Theorlingas. C’est impossible.

- Chante, ordonna Dolandar avant de fixer Elian dans les yeux.

La reine baissa le regard et se laissa porter. Elle sombra et le monde autour d’elle disparut. La traversée en sens inverse de la montagne fut-elle difficile ? Elian n’en sut rien. Dans un sommeil profond, elle reprit des forces.

L’odeur des chevaux la tira de ses doux rêves, comme elle l’avait demandé à son inconscient avant de s’endormir.

- Elian ? s’étonna Theorlingas.

- Rendors-là ! gronda Dolandar.

- Je veux voir Laellia, souffla Elian.

- Elle est morte, répliqua Beïlan.

Elian supposa que les autres lui avaient tout raconté pendant son sommeil.

- Tu n’en sais rien, pleura Elian. Ils l’ont peut-être relâchée après l’avoir interrogée !

Beïlan secoua la tête en levant les yeux au ciel. Dolandar grimaça et jura entre ses dents. Il tourna un instant en rond puis annonça :

- D’accord. Theorlingas, tu la ramènes à Irin. Je vais à Tur-Anion. Je sais où est la guilde des assassins. Ils me connaissent. Ils accepteront de me parler. Saelim ?

- Nos chemins se séparent, précisa l’elfe noir. Je rentre à Dalak. Je vais essayer de convaincre les anciens qu’ils se sont alliés à une entité qui les méprise et veut leur mort. Je vérifierai également l’état des femmes. Beïlan, tu viens avec moi ?

- Non, annonça l’ancien roi d’Irin. Je suis un des ingrédients du poison. Je risque d’être nécessaire pour concocter l’antidote. Je t’apporterai moi-même le médicament dès qu’il sera prêt.

- Très bien. Je demanderai également aux trois anciens si l’un d’eux a souvenir d’un effet possible du métal noir sur une grossesse.

- Merci, Saelim, chuchota Elian avant de se laisser emporter sur un doux nuage de soie.

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blairelle
Posté le 06/09/2023
D'accord, c'était intense comme chapitre. Un poison qui ne tue que les elfes, ça c'est du Narhem tout craché. Mais le poison a aussi tué le roi dont j'ai oublié le nom, le frère de Laellia ? Pourtant il est humain ? Ou alors il avait un autre type de poison dans son verre ?
Dolandar sait-il qui est le père d'Elian ?
Les effets du métal noir sur la grossesse : mais Elian est tombée enceinte après sa blessure. Ça peut avoir des effets même après coup ?
Laellia a pas intérêt à mourir.
Et je veux que l'enfant s'appelle Deïlan (même s'il est déjà probablement né et nommé dans les chapitres qui suivent)
Nathalie
Posté le 07/09/2023
Dolandar connaît-il l'identité du père d'Elian ? Mais en voilà une bonne question !
Elian s'interroge sur les, effets du métal noir. La réponse peut très bien être non.
Tu aimes bien Laellia ? (assez pour avoir retenu son nom en tout cas).

Encore merci pour ton commentaire qui me fait sourire.

Bonne lecture !
blairelle
Posté le 07/09/2023
Bon hier j'étais tellement drogué et à bout que j'ai oublié la moitié de ce que je voulais dire.
Donc :
Theorlingas ça fait très bizarre de voir Elian l'appeler Theo. Déjà je comprends pas trop pourquoi elle utilise un diminutif (d'accord, son prénom est long, mais pas tant que ça, et puis c'est pas comme si elle avait constaté que les autres l'appellent déjà Theo ou qu'il avait lui-même demandé qu'elle l'appelle comme ça)
Et puis Theorlingas c'est chelou de couper ça en Theo-rlingas, j'aurais plutôt imaginé Theor-lingas, pour des raisons phonétiques

Quand Beïlan prépare le poison, j'aurais bien aimé voir le moment où il est lui-même utilisé comme ingrédient. C'est une partie de son corps, comme ses cheveux ou son sang ? Ou alors c'est juste sa présence qui sert à la fabrication ? Et c'est parce qu'il est mi-elfe noir mi-elfe des bois qu'il est un ingrédient, ou juste parce que c'est un elfe ?
Et d'ailleurs, quel effet le poison a-t-il sur des demi-elfes comme Elian ?

Et oui j'aime bien Laellia
Nathalie
Posté le 07/09/2023
Petit diminutif qu'elle s'octroie le droit d'utiliser et Theorlingas n'ose pas s'opposer à sa reine (ou apprécie, on ne le saura jamais). Tu me crois si je te dis qu'on y reviendra ?

Je ne sais pas trop, pour Beilan et le poison. Son sang je suppose.
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