Chapitre 28 : Jalousie

- Prête ? demanda Thomas.

- Non, répondit Syola dont les entrailles gargouillaient.

Elle n’avait pas dormi de la nuit. Cela faisait longtemps que les plantes ne faisaient plus effet sur elle, la condamnant chaque nuit à la compagnie de la lune. Cette fois, la douleur physique n’était pas la seule à blâmer. L’angoisse psychologique l’avait accompagnée.

Thomas prit sa femme par le bras. Le couple passa la grande porte du palais impérial. Le crépuscule ne tarderait plus. Syola avait revêtu une robe simple proposant une large capuche sous laquelle on ne devinait pas ses traits. Malgré toute sa détermination, elle n’avait pas réussi à faire que Thomas portât autre chose que sa robe de prêtre de Chaak.

Le couple attira l’attention. Un prêtre de la mort au bras d’une femme masquant son identité, les murmures les entouraient et les regards en coin fusaient. Ils se postèrent devant une estrade de danse, pour le moment vide.

- J’espère que c’est la bonne, s’inquiéta Syola. J’en ai repéré au moins quatre autres.

- Christelle nous a dit derrière la statue du cygne protégeant deux bébés, rappela Thomas en désignant l’œuvre d’art. Difficile de se tromper !

Syola en convint. Les dentelles, les diamants et la soie étaient de sortie. Chaque femme tenait à impressionner par son maquillage, sa coiffure, sa tenue. Les hommes arboraient des couleurs vives, des visages soignés, une posture droite et charismatique.

Quelques artistes entrèrent en action en même temps que les serviteurs commencèrent à offrir boissons et bouchées aux invités. Cracheurs de feu, montreurs d’ours, prestidigitateurs, acrobates, jongleurs, mimes, statues vivantes, il sembla à Syola que l’intégralité des troubadours du pays se trouvaient là ce soir.

- Je dois reconnaître à Stylus son sens de la grandeur, souffla Thomas. Cette fête d’anniversaire est somptueuse.

Syola s’en mit plein les yeux. Et encore ne se déplaçaient-ils pas, de peur de rater la prestation de leur fille ! Les jardins et les terrasses regorgeaient d’animations, toutes plus extraordinaires les unes que les autres.

Les musiciens se mirent en place. Syola reconnut des violes, des tambourins et des flûtes. Une personne dissimulée sous un drap blanc se plaça au centre de l’estrade avant de s’accroupir.

- Benjamin est là, murmura Thomas aux oreilles de sa femme.

Syola constata qu’il arrivait, entouré des conseillers. Les premières notes de musique obligèrent Syola à se recentrer sur l’estrade. Le drap blanc s’envola – probablement retenu par un fil jusque-là invisible – pour dévoiler un danseur entièrement nu dont le corps était peint de jaune et de noir. Il réalisa une chorégraphie animale de toute beauté. D’autres danseurs et danseuses identiquement parés sortirent des arbustes proches pour le rejoindre. Syola n’en revint pas. Éblouie, elle dut admettre ne pas savoir laquelle des artistes était sa fille. Peints de la sorte, les visages et les corps devenaient impossibles à identifier.

Les danseurs portaient les danseuses qui virevoltaient. La prestation laissa Syola sans voix. Combien de jours de répétition avaient dû être nécessaires pour arriver à une telle perfection ?

Finalement, les artistes se placèrent les uns sur les autres, dans des positions prévues à l’avance et les corps se mêlant, le tableau final prit vie, faisant apparaître un jaguar immense qui semblait vivant. La musique cessa et les applaudissements explosèrent. Ils reçurent d’immenses félicitations, des sifflements de joie. Le bruit attira d’autres spectateurs qui réclamèrent de revoir la prestation.

L’entraîneur annonça qu’après un court repos, les danseurs reviendraient pour se produire de nouveau. Chacun accueillit la nouvelle avec joie. Les artistes disparurent dans les arbustes.

- Tu as réussi à savoir laquelle était notre fille ? demanda Syola.

- Non, admit Thomas. On va essayer de lui parler histoire de la repérer la prochaine fois ?

- Tout le monde essaye d’aller en coulisse, observa Syola.

- Nous ne sommes pas tout le monde.

Syola gloussa en retour. Ils contournèrent les haies pour voir des soldats repousser les curieux.

- Bonjour, dit Thomas en s’avançant. Notre fille est l’une des danseuses. Nous aimerions lui parler.

- Personne ne va derrière, gronda le garde.

- S’il vous plaît ? lança Syola en faisant rouler une pièce d’argent entre ses doigts.

- Personne ne va derrière ! répéta le garde.

Syola grimaça.

- On ne va quand même pas sortir une pièce d’or juste pour passer ! rouspéta-t-elle.

- Même pour une pièce d’or, je ne vous laisserai pas passer, grogna le garde. J’ai des ordres et je tiens à ma place.

Syola soupira et fit signe à Thomas de laisser tomber. Ils repartirent pour s’appuyer contre la statue du cygne.

- À nous d’ouvrir les yeux. C’est notre fille tout de même !

- Elle est toute nue, grimaça Thomas. Ce n’est pas exactement ainsi que j’ai l’habitude de la contempler.

Syola explosa de rire alors qu’il était clair que Thomas se retenait de hurler de rage. Sa petite fille dansait nue en public. Pas de quoi plaire à ce papa poule.

- Elle est adulte, tu sais. Elle va faire l’amour.

- Ah ! Tais-toi ! s’écria Thomas tandis que Syola riait à gorge déployée.

Le spectacle reprit et le jaguar prit vie pour la seconde fois.

- Alors ? Laquelle est Christelle ? demanda Syola.

- Je n’en sais rien, admit Thomas. Ils se ressemblent tous et sur le grand final, je n’arrive plus à savoir où commence un corps et où il se termine.

Syola reconnut là l’angoisse d’un père. Les corps s’emboîtaient à quel point ?

- Il a dit oui ! s’écria une voix aiguë à côté du couple.

Syola et Thomas se retournèrent pour constater qu’une artiste jaune et noire se tenait à côté d’eux. Syola n’aurait jamais reconnu sa fille. Thomas caressa le bras de Christelle.

- Tu fais quoi ? demanda cette dernière.

- C’est vraiment de la peinture, ronchonna Thomas. Donc, techniquement, tu es toute nue.

- Et alors ? Papa ! C’est de l’art !

Thomas regarda autour d’eux et grimaça. Tous les invités la mataient ouvertement.

- Qui a dit oui à quoi ? interrogea Syola, amusée par la réaction de son époux.

- Elles lui ont toutes demandé et il n’y a qu’à moi qu’il a dit oui, s’enthousiasma Christelle qui sautait d’un pied sur l’autre et tapait dans ses mains.

- Qui a dit oui à quoi ? répéta Thomas d’un ton sévère.

- Benjamin Stylus a accepté que je le rejoigne après la fête, indiqua Christelle le menton relevé.

Thomas et Syola en restèrent muets de stupéfaction.

- Quelle chance ! Le roi de la fête m’a remarquée ! Je suis tellement heureuse.

- Tu ne peux pas coucher avec Benjamin, souffla Syola et Thomas confirma d’un geste.

- Maman ? s’écria Christelle. Que papa s’offusque d’accord mais toi ? Je suis une adulte ! J’ai le droit de baiser si je veux !

L’esclandre faisait se tourner de nombreux regards vers eux. Syola grimaça. Elle n’appréciait pas.

- Je prendrai du vipère argent demain, poursuivit Christelle, si c’est ça qui vous inquiète. J’ai la chance de pouvoir perdre ma virginité avec le mec le plus beau de l’empire et vous, vous… ?

- Un souci ? lança une voix grave, nuancée et teintée d’un brin de menace.

Benjamin Stylus s’avançait, sublime dans ses habits pourpre et violet, rehaussés d’or et d’argent. Il ne portait aucun bijou, ni aucun signe ostentatoire de richesse. Il n’en avait aucun besoin. Il rayonnait naturellement.

- Seigneur Stylus, fondit Christelle. Voici mes parents, auprès desquels j’aurais espéré un peu plus d’enthousiasme.

- Votre père est prêtre de Chaak ? s’étonna Benjamin.

Christelle acquiesça.

- J’ignorais qu’il existait des prêtres de Chaak qui fussent mariés et pères de famille, dit Benjamin. Votre mère est laide pour cacher ainsi son visage ?

Syola rabattit sa capuche.

- Encore vous ? s’étonna Benjamin.

- Vous vous connaissez ? grimaça Christelle.

Syola aperçut les conseillers de l’empereur qui s’avançaient. Vincent Cypher fit un geste et poussés par les gardes, les curieux quittèrent cette partie des jardins qui se vida de tout visiteur extérieur.

- Christelle, je te présente ton demi-frère, dit Syola.

- Mon ? Quoi ? dit Christelle tandis que Benjamin fronçait les sourcils et clignait des paupières.

Les conseillers arrivèrent à portée.

- Que j’ai conçu avec mon amant, le conseiller Teflan Stylus, poursuivit Syola en désignant le concerné de la main.

Quelques rides par ci par là ne l’avaient en rien enlaidi. Syola sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle eut envie de le toucher, de l’embrasser, de le caresser, de le goûter. Elle dut lutter pour ne pas craquer.

- Ton amant ? répéta Christelle, abasourdi.

- C’est le terme approprié, non ? demanda Syola en se tournant vers Thomas qui serrait la mâchoire.

Teflan dévisagea Thomas puis annonça :

- Je vous croyais mort.

- L’échéance a été repoussée, répondit Thomas.

- On le saura, grogna Syola que la répétition de son mari commençait à exaspérer.

- Je suis navré, dit Teflan. Je vous croyais sincèrement mort sans quoi je ne vous aurais jamais volé votre femme.

- Vous ne semblez pas avoir eu d’état d’âme lors de sa conception, répliqua Thomas en désignant Benjamin d’un coup de menton.

- C’est elle qui m’a sauté dessus ! se défendit Teflan.

Syola rougit et se mordit la lèvre inférieure. Il n’y avait rien de plus vrai.

- Et toi, pauvre homme faible, tu n’as pas réussi à l’en empêcher, lança Belan Cortys.

- À t’entendre, on croirait qu’elle t’a violé, poursuivit Maxime Perone.

- Et si vous alliez voir ailleurs ? proposa Vincent Cypher à ses compatriotes.

Les conseillers s’égaillèrent dans les jardins voisins.

- Benjamin Stylus est mon frère ? s’étrangla Christelle.

- Demi-frère, précisa Thomas. Vous avez la même mère.

- C’est pas juste ! explosa-t-elle avant de disparaître en coulisse.

- Tu as ta réponse, Benjamin, dit Teflan. Ta mère est partie pour rejoindre son époux légitime. Je te l’aurais dit si je l’avais su mais je le croyais mort.

Benjamin acquiesça. Il se retenait clairement de pleurer.

- Retrouver ma mère n’est pas un cadeau d’anniversaire agréable, annonça-t-il avant de s’éloigner dans la direction opposée de celle prise par Christelle.

- Venez, prêtre Merlin, ils ont des choses à se dire, proposa Vincent Cypher en lançant un regard lourd au prêtre de Chaak.

Thomas grimaça mais suivit tout de même le conseiller Cypher plus loin.

- Ton mari te laisse avec moi ? lança Teflan, surpris.

- Il a confiance en moi, répondit Syola.

Teflan lui tendit la main. Le toucher ?

- Je n’ai pas confiance en moi, murmura Syola.

- Alors aie confiance en moi, dit Teflan. Je veux t’amener à l’écart pour que cette zone puisse être rendue au public.

Syola posa sa main dans celle de Teflan et instantanément, une chaleur l’envahit. Un nectar divin parcourut ses veines. Ses pupilles se dilatèrent et elle eut envie de Teflan plus fort que jamais !

Ils passèrent sous une arche de fleurs et se retrouvèrent sur une terrasse ouverte sur la capitale de l’empire Beera, éclairée par des torches un peu partout. Dans tous les quartiers, c’était fête. Des bals se tenaient sur chaque place. La fumée des rôtisseries chatouillait les narines. Quelques notes de musique et des éclats de rire parvenaient parfois jusqu’aux oreilles de Syola.

- Ça m’a pris du temps mais j’ai fini par le demander à Anthony. Benjamin venait de perdre sa première dent de laie, précisa Teflan.

- Demander quoi ?

- Ce qu’est une créature de Chaak. S’il y avait eu des précédents. Si c’était symbolique ou s’il y avait quelque chose de réel derrière.

Syola serra la mâchoire. Les adeptes et prêtres du grand temple de K’Bar avaient été difficiles à convaincre. Pas étonnant que son amant ai douté. Teflan poursuivit :

- Il m’a dit tout ce que les livres savaient à ce sujet à savoir presque rien. Deux cas connus. Deux folles enfermées à l’asile.

Syola fronça les sourcils.

- Tu as raison, dit-elle. Il faut que j’écrive ce que c’est que de vivre avec Chaak au quotidien. Des créatures, il en aura d’autres et si mon expérience peut aider les suivantes et leur entourage…

- Excellente idée, approuva Chaak.

- Sais-tu pourquoi Chaak te hait ? demanda Syola.

Chaak gronda tandis que Teflan pencha la tête vers elle.

- Parce que j’ai essayé de lui voler sa créature ? proposa Teflan.

- Il te haïssait déjà avant et tu le savais. Tu me l’as dit dans ta chambre, le lendemain de mes noces avec Thomas. Pourquoi tant de haine ?

- Il a refusé de te répondre, supposa Teflan.

- Il déteste parler de toi, confirma Syola. Tu lui sors par les trous de nez mais pourquoi ?

- Parce que je ne le vénère pas ? proposa Teflan.

- Tu as réalisé une dizaine de fois le sacrifice ultime et tu ne le vénères pas ? s’étouffa Syola.

- Huit, pour être exact, la contra Teflan, bientôt neuf.

Syola sentit ses entrailles se nouer.

- Si tu ne vénères pas Chaak, pourquoi participer à ces sacrifices ?

- Pour toi, chuchota Teflan et une larme dévala sa joue.

- Pour moi ? répéta Syola, perdue.

Teflan resta silencieux et Syola ne le brusqua pas. Il ressemblait encore à ce petit garçon apeuré, celui qui l’avait fait craquer. Elle ne supportait pas de le voir ainsi. Il devait sourire. C’était primordiale, comme si sa propre vie en dépendait.

- C’est de mon père que je tiens mon talent en relations humaines, raconta Teflan. Il était ambassadeur. Ma mère était morte quand j’étais petit, trop pour me souvenir d’elle. Il m’emmenait partout. J’ai suivi ses traces. Durant mes voyages, j’ai rencontré de nombreuses femmes mais aucune n’a su faire battre mon cœur. Un jour, mon vieux père m’a fait remarquer qu’il était plus que temps que je prenne épouse. J’ai répliqué que j’attendais la bonne. Il m’a ri au nez, me disant que le grand amour n’existe pas, que je ferais mieux d’en prendre une gentille et en bonne santé, que ça serait déjà pas mal.

Syola caressait la main de Teflan, savourant ce contact, en profitant pour le soutenir moralement. Il se laissa faire et poursuivit sa narration.

- Mon père a fini par mourir. Mes cheveux ont blanchi et j’ai ressenti un immense vide. J’étais un diplomate accompli et reconnu mais ma vie n’avait pas de sens. Je me noyais dans ma solitude.

Syola devait se concentrer pour l’entendre tant sa voix, d’habitude souple et déliée, se hachait, s’entre-coupait. Il peinait, bafouillait, ce qui ne lui ressemblait pas du tout. Il fuyait le regard de Syola.

- J’ai fini par aller trouver une prêtresse d’Esteret et non, ce ne sont pas des prostituées !

- Je n’ai rien dit, se défendit Syola. Je ne sais que depuis hier qu’Esteret est la déesse de l’amour. J’ignore tout des affaires religieuses.

- Elle a regardé les lignes de ma main, poursuivit Teflan sans tenir compte de la réponse de Syola, et a sursauté avant de gémir puis de pleurer.

Syola ouvrit de grands yeux ahuris.

- Âme sœur, a-t-elle dit, puis elle s’est rembrunie, narra Teflan. Quand je lui ai demandé de m’expliquer, elle m’a répondu « Vous allez devoir attendre longtemps, vraiment longtemps ». Je lui ai répliqué que j’étais déjà vieux. Elle a haussé les épaules, m’a demandé sa pièce puis elle est partie.

- Tu as accepté l’immortalité dans l’espoir de retrouver ton âme sœur, comprit Syola.

- Au bout d’un moment, je ne savais plus où j’en étais. Ma vie n’avait jamais été aussi vide de sens. J’ai même couché avec des hommes, pour voir, me disant que je m’étais peut-être trompé de bord. Pauvre Harlan. Je sais qu’il m’aime. Il me hait maintenant.

Syola avait remarqué la rancœur du conseiller Coern envers Teflan sans la comprendre. Elle saisissait mieux la raison de ses piques perpétuelles, reprises par un Vincent Cypher gêné.

- Je cherchais à prouver – à mes amis, à Chaak, à moi-même – que je méritais d’être là. J’ai tellement l’impression de flouer un dieu.

- Il réalise le sacrifice, dit Chaak. Il mérite la récompense. Nulle part dans ma demande il n’est précisé que les exécuteurs doivent me vénérer.

- C’est vrai, dit Syola et Teflan blêmit. Oh pardon ! Je ne te répondais pas à toi mais à Chaak. Attends, s’il te plaît, demanda-t-elle à son amant avant de se tourner vers Chaak. Aucun de vos sacrifices ne réclame une quelconque vénération.

- Tu sais, tant que les gens tuent en mon nom, ça me suffit.

- Teflan a tué en votre nom, cingla Syola.

- Et il a eu sa récompense ! fit remarquer Chaak. Nulle part il est écrit que je dois aimer l’exécutant !

- Mais vous aimez vos cultistes.

- Ceux qui me vénèrent, précisa Chaak.

- Je ne trouve quand même pas ça cohérent, termina Syola avant de redonner son attention à Teflan, pour le trouver les yeux écarquillés.

Il se reprit, inspira, expira puis souffla :

- Tu as vraiment l’air folle, à parler toute seule comme ça.

- Tu as fini par la trouver, ton âme sœur, fit remarquer Syola.

- Quand je t’ai vue dans ce marché, j’étais en chasse pour le sacrifice ultime. J’ai juste vu une proie idéale. Mon cœur était sec ou je n’ai pas su l’écouter. Je t’ai trouvée, oui, et je t’ai perdue. J’ai moi-même tendu le bâton pour me faire battre. Je t’ai donnée à un autre. Quel idiot ! Tout ce temps, pour rien. Tant de pauvres innocents torturés et tués, pour rien.

- Ils seraient morts que tu aies accepté ou pas, fit remarquer Syola. Les conseillers ne t’ont pas attendu pour réaliser leurs sacrifices et ils continueront à les faire sans toi. Teflan, s’il te plaît, ne participe pas au sacrifice ultime demain. Je suis là. Tu n’as plus besoin de temps de vie supplémentaire. Continue à élever ton fils et cède-lui ta place. C’est le cycle normal.

Les deux amants se dévoraient des yeux et Syola craqua. Elle embrassa Teflan, savourant son goût unique, tellement délicieux.

- S’il te plaît, murmura-t-elle en restant collée à lui.

- D’accord, dit-il. Je n’y participerai pas.

- Bien joué, ma créature, lança Chaak. Maintenant, j’apprécierais assez que tu te décolles de lui.

Teflan enroula ses hanches de ses bras et lui lança un regard séducteur.

- Je t’aime, dit-il.

- Je t’aime, répondit-elle. Tu sais, Thomas et moi allons sûrement rester ici un moment.

- Ah bon ? lança-t-il.

- Chaak veut que tous ses sacrifices soient répertoriés. Thomas est le prêtre en charge de cette mission et tes amis conseillers croulent sous les rituels non classés.

- Hun hun, s’amusa Teflan. Et donc ?

- Il me tarde d’apprendre à connaître mon fils. Tu sembles avoir fait de l’excellent travail avec lui.

- En dehors du fait qu’il veuille coucher avec sa propre sœur, tu veux dire ? Il faut dire… Thomas et toi avez fait du beau travail. Magnifique, votre petite.

Syola lui tapa gentiment le torse.

- Je m’en veux tellement, admit Teflan. Du mal que je t’ai fait.

Syola se lova dans le creux de son cou. Teflan lui caressa les cheveux. Ils restèrent ainsi sans bouger et silencieux. Un raclement de gorge les fit se reconnecter au présent. Thomas était là.

- Pardonnez-moi, conseiller Stylus, mais votre fils vous réclame.

- Bien sûr.

Les deux amants se dégagèrent l’un de l’autre. Chaak soupira d’aise.

- Où logez-vous ? demanda Teflan en remettant de l’ordre dans sa tenue.

- À l’herboristerie, répondit Thomas.

- Non ! Non ! Restez au palais. Je vais vous faire préparer un appartement, pour vous deux et votre fille. Cela sera plus aisé pour vous, prêtre Merlin, pour travailler. Plus aisé également pour Syola de croiser notre fils totalement par hasard dans les couloirs. Quant à votre fille, je la présenterai à notre maître de la musique. Vu son talent, il sautera de joie.

- Nous n’en demandons pas tant, assura Thomas.

- Ça me fait plaisir, assura Teflan.

Il salua d’une légère inclinaison de la tête puis s’éloigna avant de disparaître derrière des haies.

- Mission accomplie, indiqua Syola. Il ne participera pas au sacrifice ultime demain.

- Rester loin de lui en revanche… grommela Thomas.

- Des câlins et un baiser. C’est tout ! promit Syola. Tu m’en veux ?

- Non, ma douce, assura-t-il. Je suis rongé de jalousie mais je ne t’en veux pas. Je comprends, ne t’inquiète pas. Je vais devoir apprendre à faire avec. Comment Chaak le prend-il ?

- Il ronchonne mille fois plus que toi, s’amusa Syola.

- Ta relation avec lui me dépasse, assura Thomas.

- En parlant de ça, tu vas devoir écrire sous ma dictée.

- Ah ?

- Je vais écrire mes mémoires, afin que les créatures suivantes et leurs entourages soient un peu mieux informées.

- Excellente idée.

- Chaak a dit la même chose.

- Les grands esprit se rencontrent, en conclut Thomas.

Ils rirent tous les trois.

Teflan ne mentait pas. Syola, Thomas et Christelle reçurent une suite immense, avec pas moins de quatre chambres, toutes avec salle de bain, deux boudoirs et un salon commun. Christelle sautilla de joie, regardant partout, détaillant chaque tableau, tapisserie, chandelier avec des yeux brillants.

Christelle partit se laver. Thomas l’y encouragea, ravi à l’idée que sa fille en ressorte habillée. Syola profita de sa propre salle de bain pour se relaxer, elle aussi.

- C’est quoi, une âme sœur ? demanda-t-elle tout en flottant dans l’eau chaude.

Ne recevant aucune réponse, elle insista :

- Je peux tout aussi bien me rendre auprès d’une prêtresse d’Esteret et lui poser la question.

Chaak gronda puis soupira.

- De temps en temps, Esteret désigne deux êtres vivants. Ils deviennent liés. Ce sont des âmes sœurs. Tu sais, quand Teflan te répétait que vous ne formiez qu’un : il n’avait pas tort. Il y a un peu de lui en toi et réciproquement.

- Comment Esteret choisit-elle les deux personnes liées ?

- Je n’en sais rien. C’est son domaine, pas le mien.

- Elle désigne toujours une paire d’êtres vivants ?

- Oui.

- Quand les lie-t-elle ?

- Comment ça ? demanda Chaak.

- Je n’étais pas née quand Teflan a vécu sa première vie. Pourtant, la prêtresse d’Esteret l’a reconnu comme étant une âme sœur. Comment est-ce possible ?

- Vous étiez déjà âmes sœurs, confirma Chaak.

- Je n’étais même pas née ! insista Syola.

- C’est parce que le temps n’est pas linéaire.

- Quoi ?

- Le temps n’est pas linéaire, répéta Chaak avant de balayer la main devant lui. S’il te plaît, laisse tomber. Tu es humaine. Tu ne peux pas comprendre. Je te demande de simplement l’accepter.

Syola grimaça mais accepta l’idée de ne pas saisir tous les détails.

- C’est pour ça que tu te sens tellement bien en sa présence, indiqua Chaak, et incomplète loin de lui. Quand vous vous êtes retrouvés ensemble, dans cette chambre, le lendemain de tes noces avec Thomas, j’ai voulu intervenir pour vous séparer, te rappeler à tes obligations envers moi. Esteret est intervenue et a appelé les autres dieux à la rescousse. Je t’ai dit que Sera s’était dressé contre moi pour protéger l’enfant à naître. En fait, il était déjà là avant, m’empêchant d’intervenir contre la conception même de Benjamin.

Syola serra la mâchoire. Ce matin-là, elle avait trahi son mari et son dieu. Elle n’en était pas fière.

- Tous les dieux et déesses étaient en pâmoison devant ce couple d’âmes sœurs se trouvant. C’est un événement rarissime. Quand Benjamin est né, Sera m’a libéré. Tout ce temps, la rage avait monté en moi. Je bouillais. Cela n’excuse rien. Je n’aurais quand même pas dû te faire de mal. Je m’en veux tellement. Tu as fait au mieux vu la situation et moi, j’ai laissé ma haine se déverser sur toi.

Syola garda le silence.

- La réaction de Teflan m’a pris par surprise, indiqua Chaak. Jamais je n’aurais imaginé qu’il te fasse du mal. Il vénère Artouf ! Bon, d’accord, il sait occasionner de la douleur. D’ailleurs, Kopos apprécie Teflan.

- Kopos ?

- Le dieu de la souffrance. Il faisait partie de mes opposants lui-aussi. Tu te rends compte ? Kopos ! Lui et moi sommes liés par nature ! Quand j’ai vu ce que Teflan t’infligeait, je me suis reculé et ma rage a disparu, remplacée par une infinie tristesse. J’ai susurré le poison de la culpabilité dans le cœur d’Imrane. Je l’aime bien, lui. Il a répondu à mon appel. Il a aidé Thomas à s’enfuir. La suite, tu la connais.

Syola resta muette. Elle ne savait trop comment réagir. Cette confession la laissait sans voix. Elle se sentait dépassée.

- Tout ça pour te dire que tu n’as pas à t’en vouloir, assura Chaak. Tu n’y peux rien. Teflan est ton âme sœur. Tu es attirée vers lui, tel un aimant. C’est normal. Et puis, si Thomas, un simple humain, est capable de surmonter sa jalousie, je peux peut-être moi aussi faire un effort.

Syola leva sur le dieu de la mort un regard interrogateur.

- Si vous vous contentez de câlins et de baisers, je suppose que… Après tout, Teflan a compris que tu m’appartenais vraiment, que ça n’était pas que symbolique. Alors je me dis…

- La dague de Sera est sous votre gorge ? s'enquit Syola en fronçant les sourcils.

Chaak regarda à côté de lui, où le vide prévalait.

- Non mais Esteret va m'aider à lutter contre mes mauvais côtés. Tu as bien travaillé, ma créature, poursuivit Chaak. Mes adeptes au temple citadin sont soignés par Eoma qui transmettra ce savoir et sa compassion aux suivants. Ma parole est respectée et transmise au grand temple. Mes cultistes préférés reçoivent leurs produits d’Eoma. Les adeptes du grand temple savent faire pousser les plantes et se soigner eux-mêmes. Il est grand temps de penser à toi.

- A moi ? répéta Syola, abasourdie.

- Tu devrais utiliser ta position de maîtresse d’un conseiller de l’empereur adorateur d’Artouf.

- Pour ? demanda Syola.

- Faire en sorte de devenir l’assistante du guérisseur impérial, proposa Chaak.

Le cœur se Syola rata un battement.

- L’assistante du… Vous êtes sérieux ?

- C’est ce dont tu as toujours rêvé. Tu m’as bien servi. Tu mérites d’être heureuse.

- Il n’acceptera jamais ! Je pue la mort.

- D’où l’importance de profiter de ton statut de maîtresse d’un conseiller de l’empereur adorateur d’Artouf.

- Vous accepteriez que j’assiste un guérisseur qui sauve des vies ?

- Il ne fait que repousser l’échéance, rappela Chaak.

Syola explosa de rire avant de devenir sérieuse.

- C’est tellement difficile !

- Quoi donc ?

- La proximité de Teflan me rend folle de désir. J’aime baiser avec Thomas mais ce n’est pas pareil. Il est adorable, je ne dis pas…

Chaak bondit dans le bain. L’acte vif prit Syola par surprise qui sursauta et cria. Chaak attrapa ses poignets, les maintenant au-dessus d’elle et l’embrassa, la faisant taire. Lorsqu’il libéra sa bouche, elle souffla :

- Vous ne pouvez pas passer vos journées à me dominer sexuellement. Vous n’avez pas des âmes de personnes décédées à prendre soin ?

- Je suis ici et là-bas, indiqua Chaak en ricanant.

- Vous faites tout ça en même temps ? s’amusa Syola.

- Le temps n’est pas linéaire, répéta Chaak.

Syola n’eut pas l’occasion de poursuivre l’échange. Chaak, tout en maintenant ses poignets de sa main gauche, plongea sa main droite sous l’eau pour la fouiller, titillant son clitoris tout en effleurant ses muqueuses internes. Il la fit jouir encore, et encore, jusqu’à ce qu’elle demande grâce et même après.

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