Chapitre 28 : Une foutue marionnette

        Je suivais le chemin indiqué par la tiare du mieux que je le pouvais. À chaque fois que je me rapprochais un peu du but, je tombais sur un cul-de-sac. Évidemment, avancer dans le noir et devoir se cacher à chaque mètre n’aidait pas à la tâche. Malheureusement, même si j’arrivais à faire fonctionner cette chose, je n’avais aucun moyen de trouver la relique. D’après Ether et Cosmo, il y avait un espèce de lien, et ils arrivaient à savoir quand ils s’en approchaient. Ce n’était pas mon cas. En pensant à ça, mon cœur se serra étrangement. J’espérais qu’Ether allait bien.

        J’avançais en faisant attention à tout autour de moi, j’avais rarement été autant aux aguets. Dans un soupir agacé, je me retrouvai à nouveau en face d’un amas de débris qui m’obligeraient à faire un autour détour. J’avais l’impression que c’était ça, mon châtiment divin : Tourner en rond pour l’éternité. C’était on ne peut plus poétique.

        Je braquai la lumière sur le couloir en face de moi. Je distinguais une porte métallique qui avait l’air de donner sur une sortie. Au moins, ça ne serait pas une énième pièce cloisonnée. Peut-être que les temples avaient des vide-sanitaires ? 

         J’observais les coins, peu emballée à l’idée de me faire embusquer par une autre de ces saletés. Et quand je fus à  quelques pas de la porte, un fracas me fit sursauter. Je n’eus même pas le temps de réagir que la porte s’ouvrît à la volée. Un menton entra dans mon champ de vision et je reculai précipitamment. 

        — Jaïna ! 

        — Cirrus ?! m’exclamai-je.

        Cirrus referma la porte et plaça sa main dessus. À la manière de Maghla, la porte se verrouilla et je vis le métal se prolonger sur le mur. 

        Il s’adossa à la porte et haleta en laissa retomber sa tête sur le métal froid.

        — Mais bon sang, qu’est-ce que tu fiches ici ? le sermonnai-je. Tu es sensé être avec les autres à chercher la relique.

        Il reprenait difficilement sa respiration et leva le doigt en déglutissant.

        — Moi aussi je suis content de te revoir. T’as une sale gueule, tu sais ? ajouta-t-il en  me dévisageant.

        — Je ne plaisante pas. Qu’est-ce qui s’est passé ?

        Il désigna du doigt le chemin par lequel il venait.

        — Une malade m’a pris en chasse, répondit-il en se dégageant de la porte.

        — Quoi ? fis-je en le suivant du regard alors qu’il collait son oreille à la porte.

        — Tout se passait bien, fit-il en s’efforçant d’écouter à travers le métal. On était pas très loin de la relique. Et puis tout d’un coup, on s’est fait attaquer par cette meuf. Sûrement une haut placée dans cette secte de dingues. J’ai voulu m’occuper d’elle alors j’ai demandé à Cosmo et Ether de se tirer en vitesse. Puis d’un coup, y a eu un tremblement et un bruit pas possible qui venait d’en haut. Les murs se sont mis à bouger, cette gonzesse a essayé de me faire la peau en me rabâchant une histoire de vengeance. 

        Je zieutai la porte.

        — C’est elle que tu fuyais ? 

        Il tourna la tête vers moi et me fit les gros yeux.

        — Tu me prends pour qui ? Je suis pas une mauviette.

        Je levai les yeux au ciel.

        — Non, je… je fuyais des rats.

        Ce fut à mon tour de le juger.

        — Des rats ? 

        — Eh ! s’insurgea-t-il. Ces bestioles sont plus vicieuses que des pit-bulls. Et ils sont énormes. Va savoir depuis combien de temps ils trainent dans ces couloirs et ce qu’ils ont dû bouffer pour survivre.

        — Non, mais je rêve, marmonnai-je en lui tournant le dos. 

        Je braquai la lumière sur les chemins que j’avais empruntés en espérant qu’on ait pas fait trop de bruit. Tant qu’il n’y avait rien  — d’insurmontable — de l’autre côté de la porte métallique. Nous pouvions toujours passer. 

        — Qu’est-ce que tu regardes ? me demanda-t-il. Ça va ? T’as l’air… malade.

        — Tu n’as rien vu d’autre ? dis-je en me tournant vers lui. À part cette fille. Et les rats.

        Il secoua la tête.

        — J’aurais dû ? 

        Je regardai à nouveau derrière moi pendant qu’il m’observait. Peut-être qu’il n’y en avait pas de l’autre côté ? Mais une chose était sûre, il y en avait du nôtre. D’une certaine façon, j’étais rassurée.

        — Ouvre la porte, lui intimai-je.

        — T’es pas bien ? Je t’ai dit—

        — Qu’il y avait des rats, je sais. J’en fais mon affaire. Ouvre-la avant qu’on y passe.

        Il me dévisagea puis marmonna quelque chose en s’exécutant à contre-cœur.

        — L’autre barjot est aussi de ce côté, grommela-t-il en déverrouillant la porte un peu trop fort à mon goût.

         — Tout comme Cosmo, commentai-je en scrutant les couloirs. 

        Cirrus ouvrit la porte et me laissa passer devant. La sortie débouchait sur une espèce de galerie qui avait dû être creusée pour faire office de passerelle.

        — Ça lie les deux parties du sous-sol, m’informa-t-il en fermant la porte. Je viens de là-bas.

        Il désigna le chemin en face de nous, bloqué par un éboulement.

        — C’est celui qu’on doit prendre ? demandai-je.

        Il secoua la tête et désigna un deuxième passage.

        — J’essayais juste d’éloigner la gonzesse. C’est celui là le bon chemin.

        — Où est-ce que tu l’as laissée ? 

        — L’éboulement nous a séparés.

        Je jetai un coup d’œil au chemin en face de nous. Donc elle était de l’autre de côté. 

        Devant, c’est l’enfer, et derrière, c’est encore pire.

        — Alors, restons pas là, fis-je en avançant vers le chemin de gauche.

        — Tu ne m’as pas répondu, lâcha Cirrus derrière moi. Qu’est-ce que j’aurais dû voir d’autre ?

        — Quelque chose de plus effrayant que des rats.

 

 

 

        

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        Nous avançions dans les tunnels. Jusqu’ici, mes prédictions avaient dû s’avérer justes : Nous n’avions croisé aucune goule. Je n’en avais pas parlé à Cirrus parce que je craignais qu’il panique à l’idée d’avoir laissé Cosmo seul. Enfin, il était avec Ether et j’étais pratiquement certaine qu’elle serait capable de se débrouiller mieux que Cirrus. Mais c’était ma parole contre la sienne et je n’étais pas sûre que ça suffise à le convaincre. Surtout qu’à ses yeux, en plus de la fille du culte qui s’en était prise à lui, il y avait aussi les Ô dangereux rats.

        Nous marchions dans la terre, la boue et la vase. Et entre deux flashs de lumière, un rat ou deux faisaient leurs apparitions. Cirrus sursautait à la mort en poussant même quelques glapissements. J’étais bien contente qu’on soit seuls. Pour l’instant.

        — Ça fait longtemps que tu as peur des rats ? demandai-je en regardant un de ces rongeurs courir devant nous.

        — Ouais…, fit-il dans un frisson. Depuis que je suis gamin. Entrainement traumatisant. 

        Je souris.

        — C’est pareil pour mon vertige.

        Il me lança un regard amusé.

        — Ta mère te faisait sauter des falaises ou quoi ? 

        Je ne répondis pas.

        — Quoi, sérieux ?! s’écria-t-il, incrédule. 

        — C’était des bâtiments, le corrigeai-je. Elle voulait m’apprendre à léviter.

        — Et qu’est-ce qu’elle avait contre les trottoirs ? Et les rez-de-chaussés ? 

        Je haussai les épaules.

        — Je suppose que pour elle c’était plus instructif.

        Il éclata de rire.

        — De te balancer du haut d’un gratte-ciel ? C’est qui ta mère, le colonel Serre-d’Aigle ? se moqua-t-il. Et ton père, il disait quoi ?

        Le colonel Charles Beckwith, plutôt ?

        — Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de lui, il est mort quand j’étais jeune. Mais il devait être d’accord, je suppose.

        Il se massa la nuque en frappant dans un caillou.

        — Ouais, pareil pour moi, fit-il. Mon père était tout le temps d’accord avec ma mère. Il était incapable de lui refuser quoi que ce soit. Et si elle dépassait les bornes, il se gardait bien de lui faire la remarque. Plus lèche-bottes que lui, tu trouvais pas, il était tout bonnement incapable de prendre des décisions. Tout pour sa meuf, ça me faisait pitié.

        — Tu n’avais pas de bonnes relations avec eux ? demandai-je en le regardant.

        Il pouffa.

        — Ma mère me punissait en m’enfermant dans des cages à porcs dans les égouts. C’était sensé m’éduquer et m’aider à me remettre en question. Elle disait que c’était sa façon de m’aimer. La bonne blague, cracha-t-il avec amertume.

        — Certaines personnes ont leur propre définition de l’amour, dis-je sans m’en rendre compte.

        — Sauf qu’elle est incompatible avec la mienne, répliqua-t-il. J’ai essayé de lui faire entendre raison un milliers de fois. De lui faire comprendre que j’étais pas son putain de soldat. Mais elle n’écoutait pas. Elle était décidée à faire de moi sa…

        Il claqua des doigts en cherchant le mot.

        — Marionnette ? proposai-je.

        — Ouais ! Exactement. Sa foutue marionnette. J’avais l’impression qu’elle faisait un genre de projection, tu sais ? Comme si elle se servait de moi pour récolter mes mérites.

        Je voyais très bien ce qu’il voulait dire.

        — …Une marionnette que tu peux mettre à profit dans le but de t'apporter la gloire et le prestige que tu n'as pas réussi à obtenir par toi-même, murmurai-je en citant une phrase que Jennella avait dite à ma mère.

        — Putain, ouais, fit-il en hochant vigoureusement la tête. 

        — Et comment tu as fait ? lui demandai-je. Pour qu’elle comprenne ?

        Il ricana.

         — Elle n’a jamais compris. Il n’y avait rien à faire, répondit-il avant de se perdre dans ses pensées. C’est arrivé progressivement. Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai commencé à… m’en foutre. Je me disais "Eh, tu peux crever demain. T’as que ça à faire de lui obéir ?". Et un jour, j’ai rencontré un mec.

        Il me regarda avec un sourire en coin. 

        — C’était la goutte d’eau de trop, se moqua-t-il. C’était hilarant. Enfin, non. À ce moment là, je n’avais pas trouvé ça drôle. Mais avec du recul, ça l’est. Quoiqu’il en soit, ma mère n’est pas la personne la plus ouverte de la Terre. Ça m’a soulé et je me suis tiré.

         Je grimaçai.

         — Ç’a dû être dur comme décision. 

         Il haussa les épaules.

         — C’est la transition qui l’a été, admit-il. J’avais mon train quotidien, mes habitudes. Et puis d’un coup, je suis devenu un sans-abris vagabond qui se mettait à prendre des vies pour survivre. Mais une nouvelle routine a fini par s’installer. Et aujourd’hui, je ne suis plus seul, j’ai Cosmo et ça me suffit.

         Sa nouvelle famille…

        Il avait beau minimiser la chose, je trouvais ça plus que courageux. C’était quelque chose que je ne pensais pas être capable de faire. Ça demandait un type de courage que je n’avais pas. La force de caractère était définitivement une qualité admirable.

         — Pourtant tu veux que je l’emmène à Odium, lui rappelai-je.

        Il se crispa.

        — Je veux qu’il soit en sécurité, rectifia-t-il. 

        — Il l’est avec toi.

        Il secoua la tête, le regard nostalgique.

        — Plus pour longtemps

        Je regardai devant moi pendant qu’un rat traversait le couloir.

        — Il n’acceptera pas de me suivre.

        — Il n’aura pas le choix, déclara-t-il en tournant la tête vers moi. Tu devras le forcer.

        Il fouilla dans la poche intérieure de sa veste en daim et me tendit la main.

        — Une carte de crédit ? fis-je sans comprendre. Pourquoi ? 

        Il reporta son regard sur le chemin et enfonça ses mains dans ses poches.

        — Ton paiement. La moitié est à toi, l’autre, à Cosmo.

        Je baissai les yeux sur la carte. Une golden, en plus.

        — Tu me paies en avance ? dis-je sans le regarder. Qu’est-ce qui te dit que je ne vais pas le tuer et prendre tout l’argent ? 

         Je m’attendais à une remarque sarcastique comme d’habitude mais il répondit simplement :

         — Je le sais, c’est tout. 

        Je le dévisageai. Plus j’apprenais à la connaitre et moins j’arrivais à le cerner. 

        En plus, je venais tout juste de me rassurer en comprenant qu’Ether n’avait pas spécialement besoin de protection. Et aujourd’hui ? Je devais protéger Cosmo. Mais Cirrus avait raison, j’avais besoin de cet argent. 

        — Il ne va pas apprécier, commentai-je.

        Pour toute réponse, il se contenta de hausser les épaules, maintenant morose. Je soupirai en retenant un frisson fiévreux et nous fîmes le reste du chemin en silence.

 

 

 

 

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        Lorsque nous arrivâmes au bout du tunnel, nous trouvâmes une porte qui semblait se verrouiller automatiquement de l’extérieur. Il était possible de passer dans le tunnel depuis l’autre côté, mais impossible de quitter le tunnel. Assez logique, question de sécurité. Ç’aurait été plus logique si elle ne pouvait pas se déverrouiller par un coup de pouvoir magique métallique.

        Cirrus prit soin de la re-verrouiller alors que j’inspectais les environs. La porte conduisait bien à l’autre partie du sous-sol qui était donc tout à fait identique à l’endroit d’où je venais. Ce qui voulait donc dire que nous n’étions plus seuls. Ô joie.

        — Bon, s’exclama Cirrus avec entrain, son coup de blues disparu. Je pense pouvoir rebrousser notre chemin de tout à l’heure, mais je ne suis pas sûr de—

        — Chut ! lui intimai-je, d’un geste de l’index.

        Ce qui était pratique avec le fait d’être aux côtés de quelqu’un qui comme Cirrus, est qu’il connaissait les bases de la survie. Cirrus se tut immédiatement, aux aguets. Après un moment de concentration, il murmura :

        — Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as entendu quelque chose ? 

        Je regardai le fond du couloir mais ne distinguai aucun son. 

        — Je n’en suis pas encore sûre, avouai-je. 

        Avant même que n’aie eu le temps de finir ma phrase, j’entendis un bruit sec. Nous nous retournâmes vivement avant de voir quatre rats sprinter à travers le couloir.

        — Ces saloperies de rongeurs, cracha-t-il. Toujours à faire chier.

        Quatre rats qui fuirent dans la même direction ne présageait rien de bon. Une chose était sûre, nous n’irions pas à gauche. 

        — Passons par là, dis-je à Cirrus en tournant à droite. 

        — Quoi ? Non, ce n’est pas par là que nous sommes—

        J’agitai la tiare de Maghla dans la main.          

         — On trouvera un autre chemin.

        Il fronça les sourcils mais ne protesta pas. 

        Le point rouge clignotant avait grossi, ce qui voulait dire que nous nous étions rapprochés. Mais ce n’était parce que ces monstres étaient derrière que ça voulait dire qu’ils n’étaient pas devant non plus. J’espérais vraiment qu’Ether n’était pas tombée eux. Ils avaient résisté à toutes mes attaques, et même si elle pouvait s’en sortir, rien ne garantissait que ses pourvoir à elle auraient meilleur effet. 

        Pour l’instant, il fallait que nous nous rendions là où était la relique. Ether y serait sûrement. C’était notre objectif, et elle n’avait aucune raison d’être ailleurs. Et elle me l’avait déjà prouvé : Elle était tout à fait capable de suivre un plan sans agir impulsivement. Enfin, à part pendant la soirée du Primedia. Et celle de la poursuite de Khamm. Et à Sumeru quand elle était sortie de la boutique. Et aussi quand elle avait débarqué dans ma chambre en pleine nuit. Et foncé en voiture dans un Séquoïa.

        OK. Elle y arrivait difficilement.

        — Est-ce que ça va ? me demanda Cirrus en se penchant à ma hauteur.

        — Hein ? 

        Il baissa les yeux sur ma main et je remarquai que j’avais serré le poing à m’en blesser la paume.

        — Relax va, on peut gérer cette secte de mes deux. Surtout maintenant que t’es devenue pro dans le vol de tiares, ajouta-t-il avec un sourire en regardant celle que j’avais dans la main.

        — Ce n’est pas la secte qui m’inquiète et je ne l’ai pas volée, avouai-je en baissant les yeux sur le "chemin" qu’indiquait la tiare. On me l’a donnée. 

        Nous débouchâmes sur ce qui ressemblait à un sanctuaire sous-terrain. Le genre d’endroits où on devait y faire des milliers de sacrifices humains et de rites vaudous. Bref, une ambiance charmante qui me fila la chaire de poule. La ressemblance avec celui où je m’étais faite attaquer plus tôt dans la soirée n’y étant pas pour rien. On était beaucoup trop à découvert.

        Cirrus agita sa main devant moi, m’arrachant à ma contemplation.

        — Tu m’entends ? insista-t-il, incrédule. Comment ça "donnée" ?

        — Une fille que j’ai aidée, répondis-je distraitement en scrutant les environs. Elle connait Cosmo. C’était pour le retrouver. 

            Il fit une grimace immonde d’incompréhension et je plaquai instinctivement ma main sur sa bouche alors qu’il était sur le point de lâcher un "Hein ?" sonore.

        — Pas maintenant. C’est beaucoup trop calme et j’ai un mauvais pressentiment.

        On nous observait. J’en était sûre. Mais si c’était comme tout à l’heure, alors ces choses resteraient immobiles tant que nous ne faisions pas de mouvements brusques.

         Cirrus se dégagea de ma main et se mit à observer la pièce.

        — Qu’est-ce que tu as vu quand tu étais seule ? demanda-t-il sombrement en me regardant. Qu’est-ce qu’il y a d’autre ici ? 

        — Ce qui les a tous tués, en haut.

        Il fallait qu’on se sorte de là. Et je savais précisément comment, même si je détestais le faire. Si j’avais eu le choix, j’aurais préféré que nous tournions en rond ici indéfiniment. Mais je ne l’avais pas.

        — Couvre-moi, lui demandai-je. Je vais nous trouver une sortie, mais ne fais pas de bruit. 

        Cirrus ne comprenait pas mais hocha tout de même la tête.

        Je fermai les yeux en ignorant ma migraine poignante et me concentrais, comme je l’avais fait pour retrouver Vanessa pendant la soirée du Primedia. J’essayais de canaliser le souffle du vent à travers mes oreilles. Mais au lieu de danser librement comme je l'avais espéré, l'air semblait se heurter aux obstacles invisibles, rebondissant sur les murs du temple comme des vagues contre des rochers. Chaque tentative de faire résonner mes sens avec les sons lointains était comme essayer de traverser un brouillard dense, où chaque pas en avant était freiné par une force invisible.

       Les bruits de l'extérieur semblaient lointains, presque imperceptibles. Chaque frémissement, chaque souffle de vent, était étouffé par l'épaisseur de l’air. Je serrais les dents et forçai ma concentration malgré la pression grandissante. Mes muscles se crispaient pendant que je fronçais les sourcils dans un effort intense pour percer cette barrière. 

        Puis, soudain, comme si une porte avait été ouverte dans mon esprit, les sons s’amplifièrent. Chaque bruissement, chaque murmure dans le temple semblait maintenant résonner à travers moi avec une clarté surprenante. Les moindres détails sonores étaient perceptibles à travers mes oreilles hypersensibles. 

        Au loin, devant nous, j’entendais des bruits de pas. Une personne, seule. J’essayais de trouver Ether et Cosmo et réussis à distinguer presque imperceptiblement des voix, mais je ne pouvais pas garantir qu’il s’agissait d’eux. J’essayais de me focaliser dessus un peu plus pour, au moins, distinguer le grain de voix. Un homme et une voix. Mais les sons étaient grisaillés. 

        En élargissant mon champ d’écoute, j’entendis plusieurs bruits assourdissants : Des grincements, des pas, des claquements, des frottements, des grognements. Et l’un deux était… beaucoup trop proche.

        J’ouvris les yeux, le cœur tambourinant. Au moment où je levais les yeux vers le plafond, Cirrus hurla à m’en éclater les tympans et me percuta alors qu’une goule se jetait sur nous. Au cas où j’entendais encore, une autre bête suspendue au lustre métallique lâcha un rugissement strident qui acheva de me rendre sourde.

        J’essayais de me relever mais je fus prise de vertige alors qu’un bourdonnement interminable envahissait mes oreilles. J’avais l’impression que quelqu’un enfonçait une barre de fer brûlante de part et d’autre de mes oreilles. Par delà les sifflements de mes oreilles, tous les sons se mélangeaient, si bien qu’il m’était impossible d’entendre ce que Cirrus me disait jusqu’à ce qu’il me tire par le bras pour me forcer à me redresser.

        Je titubais et il me rattrapa tant bien que mal alors que je suivais son regard. Une goule, plus petite que celles que j’avais vues, nous faisait face. Je levai les mains, mais avant que j’aie pu faire quoique ce soit, le lustre se décrocha et s’écrasa sur elle. Le métal se répandit autour d’elle jusqu’à en faire une cage alors que Cirrus mettait mon bras autour de ses épaules. 

        Il me hurlait quelque chose que j’étais incapable d’entendre. Je secouai frénétiquement la tête en répétant "Je n’entends rien, je n’entends rien". Je n’entendais même pas ma propre voix. J’essayai de ne pas angoisser en me rappelant que j’avais bien d’autres raisons de paniquer. Et Cirrus me le rappela lorsqu’il se mit à presser le pas.  

        Alors que nous courrions dans les couloirs, mon bras autour des épaules de Cirrus, je sentais quelque chose perler le long de mon cou. Après avoir touché du bout des doigts, je vis qu’il ne s’agissait de rien d’autre que de sang. Mes oreilles étaient donc bien aussi fichues que je le craignais.

        Du coin de l’œil, je vis des goules foncer droit vers nous depuis l’autre bout du couloir. D’un geste de la main, je créai un mur de braise. Ça ne les retiendrait pas, mais au moins, nous gagnerions du temps. Pendant que Cirrus en embrochait autant que possible, je m’appliquais à en repousser du mieux que je le pouvais. Il me hurlait quelque chose et c’est au bout de la dixième tentative que je réussis à comprendre "Regarde ce que dit la tiare ! "

         Je la sortis de ma poche et, à mon grand soulagement, nous semblions être tout proches de ce objet sacré de mes deux. Si nous pouvions juste passer à travers le mur…

        Comme si quelqu’un avait entendu mon souhait, une gigantesque porte à double battant se trouvait là, en sortant des couloirs. Si on y avait ajouté des LED et de la signalétique clignotante, je n’aurais même pas sourcillé. Le genre de pièce typique de boss en fin de donjon dans les jeux vidéos.

        Je poussai Cirrus vers celle-ci. Pendant qu’il la déverrouillait, je fis apparaître une autre fournaise autour de nous. Je n’entendais rien, mais je voyais les silhouettes s’agiter dans tous les sens de l’autre côté des flammes. Cirrus m’empoigna ensuite avant de refermer l’immense porte. Je levai les doigts, et allumai les torches suspendues au murs. 

         En m’adossant à la porte, je perdis soudain l’équilibre. Mes mains tremblaient tellement qu’on aurait dit que je m’entrainais déjà à l’applaudissement de sourds-muets. Je ne savais même plus si ce que je sentais perler le long de ma nuque était le sang de mes oreilles ou juste la transpiration de ma fièvre. Et le plus difficile à gérer était mes frissons. Mes épaules s’agitaient tellement que j’aurais facilement pu me mettre à la danse orientale. J’inspirai profondément en me jurant, que si je survivais à ça, je ne sous-estimerais plus jamais l’effet des poisons.

        J’inspectai la salle à travers mon regard embué. Même si la porte était tape à l’œil, la salle n’avait rien de spécial. Non, en fait, ce n’était même pas une "salle" à proprement parler. Il n’y avait pas de fenêtres, ni de meubles, ni de constructions. C’était juste… de la pierre. quatre-vingt dix mètres carrés de murs, plafond et sol en pierres. 

        Mais il n’y avait aucun doute : La tiare indiquait que la relique était juste en face. Ce qui voulait dire un autre passage secret. 

        — Elle est devant nous, dis-je à Cosmo probablement en hurlant. Il devrait y avoir une dalle à bouger pour ouvrir le passage.

        Il me regarda d’un air incrédule et répondit quelque chose. Comme je fronçais les sourcils, il cligna des yeux et s’approcha de moi. Son regard s’assombrit quand il remarqua le sang qui perlait des mes oreilles — entre autres, je suppose. Il me répéta quelque chose, comme pour confirmer ses suspicions et je secouai la tête. 

        Il fit une grimace inquiète puis, soudain, il écarquilla les yeux en tournant la tête vers le fond de la pièce. 

        Je suivis son regard.

        Je n’avais fait que balayer la salle des yeux, ma vue brouillée n’y étant pas pour rien. Et je ne m’attendais sûrement pas à voir quoi que ce soit d’autre. 

        Ou du moins, personne d’autre.

        S’avançant vers nous, dans la tenue typique mais tout de même plus sophistiquée que celles de ces autres religieux, j’eus du mal à la reconnaître. Je plissai les yeux. Des cheveux bruns relevés en chignon, une peau crème, des yeux tendant légèrement vers le vert. Une démarche assurée et un air grave.

        Neela. 

        La pseudo maîtresse de maison qui m’avait empoisonnée à Vargues. 

        

                

 

 

        

        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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