« Alors mon vieux, toi qui voulais pas de gosse, voilà que tu te mets à adopter. Tu ne respectes même plus tes propres principes, tu n'as pas honte ? Ils doivent vraiment avoir quelque chose de spécial ces deux là. » proclama Riton.
Nous étions à table tous les trois pendant que les gosses faisaient leur vie dans le salon. Je leur avais dit de ne pas trop s'éloigner, et Théo leur avait proposé son lit pour la nuit. Lui dormirait dans le canapé. Un hamac allait faire l'affaire pour moi et Riton allait rejoindre sa petite femme avant que le jour ne se pointe.
« Ils étaient mourants et la Gamine a essayé de me tuer. Je te l'accorde, les premiers temps étaient spéciaux. »
« Et tu n'as pas peur qu'elle pique une crise et qu'elle attaque quelqu'un ? » s'enquit Théo, « Tout à l'heure j'avais vraiment l'impression qu'elle allait me tuer. Ça fait peur. »
« Oui je sais, je suis désolé pour ça. Moi-même, la nuit, je ne dors que d'une oreille, mais elle a l'air de savoir réfléchir et elle voit bien que ce n'est pas dans son intérêt de s'en prendre aux habitants du village. Je m'engage à m'occuper d'elle si un jour elle fait une connerie. »
« Tu veux dire que tu l'abandonneras ? Ce n'est pas un peu extrême comme punition ? »
« L'abandonner ? Pour qu'elle recommence autre part ? Si elle reste seule, elle deviendra un bandit ou pire. Elle a besoin de quelqu'un pour lui dire ce qui est bien et ce qui est mal, comme son frère d'ailleurs. »
« En parlant de bandits, » rajouta Riton, l'air soucieux, « Hector a encore fait des siennes : il a attaqué un bled dans le sud. Les fermiers ont perdu une bonne partie de leur bétail : la bande les a bouffés dans le champ en tenant les propriétaires en joue. »
« Ils les ont bouffés devant eux ? » demandai-je « Pourquoi ? Ils ne pouvaient pas juste prendre la nourriture et repartir dans la forêt ? Manger en tenant des fermiers en joue ça ne doit pas être pratique. »
« Les fermiers avaient refusé de leur donner à manger, alors Hector a voulu leur montrer ce qu'était la faim. »
« Mmmh... J'apprécie le geste. »
« Quoi ? Tu acceptes qu'on fasse ça ? » protesta Théo « Ils n'ont rien fait pour mériter cette nourriture. D'où est ce qu'ils ont le droit de faire ça ? »
« Tu sais d'où vient la bande d'Hector, Théo ? Il s'agit de pauvres types qui n'ont pas le droit d'être sur le territoire. Ils sont venus clandestinement. Ils ne savent pas parler la langue. Ils ne savent pas comment ça marche ici. Et ils ne se feront jamais intégrer si on les y aide pas.
Hector je le connais bien, c'est un camarade de boisson. Il me disait qu'il voulait créer un état libre. Où tout le monde pourrait avoir sa place. Un monde où la faim et la solitude n'existent pas. Même pour les nouveaux, les étrangers, les parias et les exclus. Les ''nobody''. Ceux qui n'existe tellement pas qu'on a déjà oublié leur existence à l'instant où on les quitte des yeux.. »
« C'est un utopiste au grand cœur ton brigand ! » enchérit Riton.
« Et sa communauté ? Elle ne peut pas cultiver ses propres champs pour se nourrir plutôt que de piquer aux autres ? »
« Elle le fait. Sur de petites parcelles de prairies qu'elle se procure dans l'illégalité la plus totale. Ils n'ont pas d'argent pour acheter les terrains ; aussi, ils doivent rester discrets pour ne pas se faire repérer. Et la famille d'Hector s’agrandit. Il a trop de bouches à nourrir. Chez lui, il doit y avoir plus de douze langues différentes, la non-communication et la faim mènent au conflit. Il doit gérer les pulsions de sa belle et grande famille. Alors oui, il s'en prend à ceux qui ont trop. »
« Et s'ils venaient te voler des moutons, tu leur dirais ''Alors oui, bien sûr ! Servez vous, ceci est ma chair, livrée pour vous. »
« Non, je leur foutrais trois paires de claques. Mais je leur donne déjà une petite partie de ma laine. Ça leur fait des vêtements pour l'hiver, ils en ont besoin.
Tu sais Théo, ils ne m'ont pas forcé. Ils m'ont demandé. Ils n'ont pas tous voulu être comme ça. Certains ont une famille qu'ils essayent de nourrir. D'autres sont de sales merdes qui aiment détruire pour le plaisir de faire souffrir, je ne te le cache pas. Mais ceux-là, je les repère, et ils ne rentrent pas chez eux. Et même si Hector prône l'amour entre tous ses frères, il a fini par apprécier mes services. »
« ...Et tu en fais quoi de ces types ? »
« Pourquoi crois-tu que les loups n'attaquent pas souvent mes moutons ? Parce que je fais comme Hector avec sa famille : je leur file à bouffer. »
Mais qu'il continue ça m'a surpris. de même que le "j'apprécie le geste". C'est étonnant d'ailleurs qu'aucune remarque ne soit fait si il a eu des bléssés / des morts.
"Ils n'ont pas d'argent pour acheter les terrains". Encore un point ou je m'étais trompé, j'imaginais que le monde avait déjà trop coulé pour que ce ne soit plus forcément le critère principal. Etant donné qu'entre chaque village, il y a souvent une distance importante. Après ce peut-être aussi juste interdit par principe, et vérifié juste pour prouver que l'état est bien tout puissant....
J'ai pas posté de comm sur le chapitre précédent, mais j'ai adoré le "Moi c’est Riton, mais vous pouvez m’appelez Riton ". Un bon fou-rire. J’essaierais de le caser lors d'une prochaine rencontre.
En tout cas, j'apprécie le dosage entre : univers désenchantés (avec une société en voie de disparition), l'humanité que malgré cela les personnages ont tissé entre eux, avec les petites touches d'humour pour faire passer cela comme du petit lait.
Ça fait longtemps que je n'ai pas publier, il est temps que je m'y remette.
Ça fait longtemps que je n'avais pas eu de commentaire, ça fait plaisir ce que tu dis =)