-Chapitre 3-

Par Lu'

Après la glace, Carmène avait insisté pour aller dans la maison de Vania. Cette dernière ne souhaitait pas encore retrouver sa famille, sachant d’avance qu’elle ne pourrait quitter sa maison qu’au dernier moment pour partir à l’Ultime Pas, la dernière étape avant de devenir Chasseuse. Elle voudrait profiter du moindre instant avec son père et ses frères avant de s’en aller. Son cœur se serrait déjà à cette pensée.

Carmène pénétra dans la demeure avec sa bonne humeur habituelle.

— Bonjour monsieur Celta ! Hello Fred et Jordan !

— Bonjour Carmène, la salua Eric Celta en lui faisant la bise. Ou devrais-je dire Chasseuse Panthère.

— Pas encore tout à fait, rigola Carmène en s’éloignant vers Fred et Jordan tandis qu’Eric se dirigeait vers sa fille pour l’enlacer.

— Félicitations puce, lui chuchota-t-il dans le creux de l’oreille. Tu l’as bien méritée, ta place. Je suis très fier de toi.

— Merci papa.

Vania sentit les larmes monter. Elle aurait voulu ne jamais lâcher son père, comme s’il allait s’envoler, et le tenir tout contre elle. Mais en entendant les éclats de rire de Carmène et de ses frères, elle le lâcha et les retrouva.

Fred était un grand gaillard aux cheveux ébouriffés châtains et aux yeux bleu cobalt. Militaire de haut grade, c’était le plus âgé d’entre eux, et s’était déjà marié. Etait alors née Cléïa, un an plus tôt. Jordan, quant à lui, était de dix mois le cadet de Vania. Il était le seul des trois enfants à avoir une chevelure d’un blond tirant sur le cuivré et à avoir les yeux vairons : l’un cobalt, comme son frère, l’autre brun, comme sa sœur. Il était d’un charisme et d’une beauté impressionnants, et se destinait à devenir président ou ministre de Cascada, avec une préférence pour ce premier poste bien entendu. Son frère étant major de sa promotion, Vania ne doutait pas un instant qu’il y arriverait. Sans compter que leur père, assistant du ministre actuel de l’énergie, avait un réseau politique vaste. Vania se saisit d’un verre d’eau et le regarda longuement avant de le boire et rejoindre son amie, qui discutait avec Jordan. A vrai dire, elle se sentait presque étrangère dans cet environnement, pourtant si familier. Face aux prodiges qui l’entourait, elle n’était qu’un grain de sable, qu’une poussière. Peu importe qu’ils la pensent incroyable, elle le savait qu’elle ne devait ses notes d’examens qu’à la chance.

D’un coup de main, elle chassa ces mauvaises pensées. Il ne lui restait que deux jours, deux jours pour profiter de son ancienne vie qui, elle le savait, lui manquerait terriblement. Elle crocheta donc le bras de Carmène qui, charmeuse, commençait à un peu trop se rapprocher de Jordan.

— Allez beauté, viens, on va se changer pour la piscine ! déclara-t-elle.

Elle fit mine de ne pas remarquer le clin d’œil que s’échangeaient ces deux idiots alors qu’elle trainait Carmène dans sa chambre. Vania n’était pas dupe : elle savait depuis longtemps l’attirance que portait Jordan à son amie. Elle avait douze ans la première fois qu’elle avait ramené Carmène chez elle, et Jordan, timide à cette époque-là, lui jetait tellement de coup d’œil que Vania avait dû le rabrouer. Carmène, quant à elle, ne s’était jamais vraiment occupée de lui jusqu’à un an plus tôt. Invitée à passer une après-midi piscine chez Vania, son regard sur Jordan avait changé quand elle l’avait vu faire des longueurs. Des muscles ciselés, une peau dorée bronzée par le soleil, son regard si étonnant posé sur elle, sans oublier un sourire charmeur qu’il avait mis des semaines à mettre au point, Carmène avait succombé.

Elle n’avait bien sûr jamais rien dit à Vania, mais cette dernière n’avait pas besoin de mots pour deviner l’évidence. Feignant l’indifférence quand elle lui parlait de son frère, la jeune Celta voyait pourtant le regard de son amie s’illuminer dès qu’elle le voyait. Preuve plus évidente s’il en fallait, ils trouvaient toujours une raison pour s’effleurer le bras, s’adresser quelques mots, se chamailler, se toucher. Si bien qu’en cet instant, alors que Vania s’enfermait avec Carmène dans sa chambre pour se changer, elle se demanda un instant s’ils n’étaient pas amoureux. Et si c’était le cas ? Est-ce que Carmène renoncerait à lui, à un futur hypothétique avec Jordan lors de l’Ultime pas ? Un besoin impérieux de lui en parler la saisit. Si cette étape serait difficile pour elle, elle le serait encore plus pour Carmène si cette dernière était amoureuse, et elle se devait d’être là pour son amie.

— Carmène ? s’élança Vania, puisant dans son maigre courage pour lui en parler.

Cette dernière, déjà fin prête pour plonger dans la piscine, se retourna et lui renvoya un regard noir comme la nuit pétillant.

— Oui ? Oh t’absuses Vania, comment tu fais pour mettre autant de temps à te changer ?

Vania hausse les épaules et indiqua à son amie la place libre sur son lit pour qu’elle s’asseye. Carmène plissa des yeux, devinant une discussion sérieuse sans arriver à deviner son sujet. Elle s’assit donc et entoura de son bras les épaules de Vania.

— Tu as peur, n’est-ce pas ?

— Non, répondit Vania. Enfin si, un peu, mais c’est normal. Pas toi ?

— Que nenni ma jeune amie ! s’exclama-t-elle, les yeux brillants de joie mais également d’une pointe de tristesse que Vania savait reconnaitre. A nous la liberté ! La gloire et…

— Je ne parle pas de ça, Carmène, la coupa Vania d’une voix douce.

Son amie retira son bras de ses épaules, puis la regarda comme si elle la voyait pour la première fois.

— De quoi tu parles, alors ?

La voix de Carmène était partie légèrement dans les aigus, preuve qu’elle savait que son amie allait la coincer. Et ses épaules tendues témoignaient de son angoisse.

— Je parle de Jordan et toi, Carmène. Non, avant que tu ne dises quoi que ce soit, écoute-moi. Je ne suis pas aveugle et, si je ne connais pas la teneur de votre relation, elle ne me dérange pas. C’est juste qu’on va sauter l’Ultime pas dans deux jours Carmène, et je veux que tu saches que si tu as besoin d’en parler, je suis là. D’accord ?

Carmène hocha la tête, puis se leva. Vania était assez discrète pour ne pas lui faire remarquer les larmes qui perlaient au coin de ses yeux ni le tremblement de ses mains. Visiblement, son amie s’était donné beaucoup de mal à cacher cette peine secrète.

— J’ai chaud ! déclara alors Carmène, avec un sourire qu’elle ne parvint pas à rendre joyeux. Je vais me rafraichir à la piscine, rejoins-moi quand tu seras prête.

Sans attendre la réponse de Vania, elle s’en fut. Vania soupira, puis s’allongea sur son lit. Elle savait que Carmène lui en voulait, mais cela ne durerait pas longtemps. Elle viendrait probablement se confier dans les jours, peut-être les heures à venir. En attendant… La piscine les attendait.

Vania se déshabilla et enfila rapidement un maillot de bain deux pièces. Un instant avant de rejoindre son amie, et son frère puisqu’elle avait entendu un hurlement suivi du bruit d’un plongeon qui ne pouvait provenir que de lui, elle jeta un coup d’œil à son miroir.

Comme tous les Venturiens, elle avait la peau foncée de ceux qui ont passé leur vie au soleil, mais plus claire que celle de Carmène. Ses yeux bruns en amande étaient la partie de son corps qu’elle préférait : ils avaient, après tout, la couleur du chocolat, son aliment favoris. Pour le reste, elle avait un visage rond assez commun, voire légèrement enfantin, et son corps, bien que finement musclé, n’avait pas les courbes engageantes de Carmène, ce qu’elle déplorait particulièrement. Ses seins, en forme de poire, étaient trop petits à son goût, et si ses fesses étaient fermes, elles n’étaient que peu bombées. Pas étonnant qu’elle n’ait jamais eu de petit ami en dix-neuf ans d’existence. Cela dit, elle n’avait jamais été particulièrement attirée par la gente masculine, ni même par la féminine. Mais savoir qu’elle ne plaisait pas lui faisait ressentir un curieux mélange de frustration et de jalousie, émotion qu’elle chassa bien vite en se détournant du miroir et en retrouvant Carmène et Jordan, qui s’étaient lancés comme deux adolescents insoucients dans une bataille d’eau.

 

**

 

Plus tard, Carmène pris congé pour retrouver sa propre famille. Comme d’habitude, elle avait retardé ce départ le plus possible, jusqu’à l’heure du dîner. C’était quelque chose que Vania n’aurait jamais compris, elle qui aimait tant sa famille, si elle n’avait pas vu de ses propres yeux l’enfer que sa meilleure amie subissait chaque jour. En effet, lorsqu’elle avait insisté à quinze ans pour que Carmène l’invite pour une fois chez elle, cette dernière avait fini par craquer et accepter. S’était alors déroulé le dîner le plus triste et le plus gênant qu’elle ait eu à vivre.

Déjà apprenties pour devenir Chasseuses, Vania s’était retrouvé face à monsieur et madame Deboussi qui, s’ils étaient dissemblables en apparence, avaient tous deux le même air ferme et la même aura écrasante d’autorité. Vania avait dû subir un interrogatoire très personnel, allant de simples questions sur ses parents, jusqu’à celles, plus intimes, de l’âge auquel elle avait été réglée ou encore si elle était toujours vierge. L’interrogatoire s’était fini au milieu du plat de consistance. Croyant que c’était fini, Vania avait souri à Carmène pour la rassurer. Cette dernière lui avait rendu un regard triste, juste avant que ses parents ne reprennent la parole. Ils avaient alors étalé toute la vie de leur fille, mais surtout ses failles et ses faiblesses, n’hésitant pas à mettre Vania en avant pour l’humilier. « Tiens bien ta fourchette, prend exemple sur ton amie. Regarde comme elle se tient droite, elle. », « Ne mange pas autant, les Chasseurs n’acceptent pas dans leur rang les phoques adipeux. », « Mais quelle maladresse, Vania, elle, ne s’étouffe pas avec ses petits pois. ». Vania était sortie de cette soirée épuisée d’avoir retenu sa colère envers le couple Deboussi et avait invité Carmène à passer autant de temps qu’elle le souhaitait chez elle. De toute manière, son père et ses frères l’adorait.

Vania sortit de ses pensées lorsque son père l’appela pour passer à table. Au menu, un gargantuesque repas pour fêter sa réussite. La femme de Fred, une jolie Terrienne au teint couleur lait et aux yeux mordorés, était venue avec Cléïa. Vania aimait beaucoup sa nièce, petite et potelée, qui souriait et riait gaiment à la moindre grimace. Un beau bébé.

Les discussions continuèrent jusque tard dans la nuit, chacun étant conscient que, bientôt, Vania ne pourrait plus les voir. Lorsqu’il fut temps d’aller se coucher, la jeune fille se sentit soudain très triste. Elle allait renoncer à tout cela, pour l’idée d’une gloire qui n’avait aucun goût, du regard des autres et pour sa meilleure amie.

Cependant, Vania n’eut pas à se morfondre longtemps dans son lit. Alors que les songes commençaient à s’inviter dans ses divagations, quelqu’un la secoua par l’épaule, la faisant se lever en sursaut. Au-dessus d’elle, se tenait Carmène, le visage bouffi et les yeux rouges.

— Carmène ? balbutia Vania, tentant de réveiller son cerveau embrumé. Mais comment es-tu rentrée ici ? Qu’est-ce que… Tu vas bien ?

Ce n’est que quand cette dernière inclina légèrement la tête que Vania remarqua soudain les cascades de larmes qui perlaient sur ses joues. Jamais encore elle n’avait vu son amie si mal en point. Il lui arrivait déjà rarement de pleurer, la retrouver en pleine nuit avec ce regard de détresse était absolument inédit. Vania attira donc sa meilleure amie contre elle et commença à la bercer comme elle l’aurait fait avec un enfant.

— Chut ma belle, chut… ça va aller.

Carmène hoqueta tout contre elle, et la serra entre ses bras aussi fort que possible. Vania caressa doucement son dos et remarqua soudain la fenêtre ouverte de sa chambre. Son amie avait escaladé la façade de sa maison avant de crocheter sa fenêtre, le tout avec assez de discrétion pour que Vania ne l’entende pas. Si elle ne l’aimait pas tant, Vania en aurait presque eu peur.

— Non ça va pas aller… Ca va pas aller du tout… chuchota Carmène, d’une voix si emplie de peur et de tristesse que le cœur de Vania se brisa.

Cette dernière passa les mains dans les cheveux de jais de son amie, les sourcils froncés. Peu importait qui mettait Carmène dans cet état, elle lui donnerait une bonne leçon.

— Raconte-moi tout.

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Eldir
Posté le 18/10/2019
Rhaaa le suspense est insoutenable ! Si on était dans le trône de fer c'est pile à ce moment qu'on changerait de personnage. Merci beaucoup de partager ce texte.
Lu'
Posté le 22/10/2019
Merci beaucoup pour ce beau commentaire :) j'espère que la suite vous plaira, pour le coup, vous devez avoir beaucoup d'attentes ^^'
Lea782004
Posté le 18/09/2019
Hey !

J'aimerais d'abord relever une faute : *deux adolescents insouciants

Un beau chapitre intriguant ! Hâte de savoir ce que Carmène s'apprête à dévoiler. Je n'ai trop rien à dire, l'histoire continue, ton style ne change pas, et la lecture est toujours fluide ;)
Lu'
Posté le 23/09/2019
Hey :)

Merci pourla faute!

Et merci aussi pour ce beau commentaire ;)
Lea782004
Posté le 25/09/2019
Je t'en prie ;)
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