Debout, face à elle, il paraissait immense. Le masque sombre qui recouvrait son visage l'empêchait de dessiner ses traits mais n'enlevait rien à la beauté de son regard. La couleur rappelait le gris de sa peau de loup. Sa curiosité poussa la chasseuse à dévisager la tenue de l'inconnu. Elle n'avait jamais vu pareil tissu. Les cheveux courts et la poitrine plate, son vis-à-vis arborait un physique similaire à tous ces gens qu'elle haïssait.
La femme s'avança vers elle avec assurance. Cera voulut reculer mais l'individue était déjà sur elle. Elle hoqueta de surprise à son toucher. Ses mains étaient grandes et ses doigts étaient longs. L'inconnue palpa ses bras puis ses jambes à plusieurs reprises, comme si elle évaluait un morceau de gibier. Le corps tendu, la brune se tint prête à riposter au moindre écart.
L'inspection finie, une bourse fut offerte à la personne qui tenait les rênes de sa soumission. La prisonnière suivit du regard l'inconnue s'éloigner, complètement déboussolée. Sa situation actuelle lui échappait complètement.
On l'amena à une nouvelle pièce pour la détacher et l'habiller de nouveaux vêtements. Cera passa ses bras dans les manches et son cou dans le col, comme elle avait vu d'autres femmes le faire précédemment. Le bout de tissu lui tomba sur les cuisses. Elle trouvait sa nouvelle tenue agréable à porter bien qu'un peu serrée au niveau des hanches.
- Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant ?
Sa question demeura sans réponse. Sa tortionnaire préféra éviter son regard, et son silence agaça la jeune femme.
- Généralement, quand une question est posée, on y répond.
Elle la vit déglutir avant de désigner sa gorge. Les sourcils froncés, la chasseuse se demanda où elle voulait en venir. Elle ne comprenait rien à ses gestes. La réalisation lui frappa au visage face à l'absence d'organe dans sa bouche : elle n'avait plus de langue. Cera déglutit devant cette vision improbable.
- On te l'a arrachée ?
Paume levée vers le ciel, elle inclina perpendiculairement son autre main avant de l'asséner sur sa voisine. On lui avait tranché la langue, réalisa-t-elle avec effarement et dégoût. Quel genre d'individu pouvait faire subir une telle torture à autrui ? Il fallait être complètement fou. La brune ne savait quel mot adresser à la victime dans cette situation. Ses excuses n'y changeraient absolument rien.
La femme à jamais muette l'invita à se baisser. On passa derrière elle et elle sentit comme un étau lui enserrer le cou. Elle voulut le retirer mais la surface lisse du collier ne laissait aucune prise possible. Cera ne pourrait le retirer d'elle-même. Ses doigts glissèrent curieusement sur l'ornement qui habillait désormais sa gorge.
Avant qu'elle ne puisse demander plus d'informations, elle fut emmenée par une tiers personne à la longue crinière blonde. La guerrière dégagea son bras pour aviser la nouvelle arrivante. Cette dernière n'arborait ni masque ni prestance particulière. Sa tenue rappelait celle de Cera qui ne manqua pas d'en faire la remarque :
- On porte la même chose.
- Bien joué, Sherlock. Maintenant, on y va.
Son sarcasme alimenta les forges de sa colère. Qu'est-ce que ça voulait dire « Sherlock » ? Si même sa propre langue commençait à lui jouer des tours...
- Aller où ? Pourquoi ?
- Chez ton nouveau chez toi, répondit-elle avec toujours autant d'aplomb. Maintenant, tais-toi et tiens-toi bien.
Une porte s'ouvrit et Cera respira l'air à plein poumons. La pluie déferla sur son corps, lui redonnant le sourire. Elle était dehors. La liberté était à portée de doigts. Elle huma l'air avec délice avant d'être de nouveau enfermé dans une boîte sombre. Elle voulut s'échapper, courir, sentir les gouttes de pluie lécher sa peau... A la place, elle admira l'extérieur à travers une vitre similaire à celle de sa précédente cage. La privation de ce court temps de liberté finit de lui miner le moral.
- Tu es la Treizième. Tu t’appelleras Treize à partir de maintenant.
- Quoi ?
- Tu es la treizième à ce poste, répéta l'inconnue en inspectant ses ongles.
- Mais pourquoi--
- Tu as été vendue à la Maison Emrys. Estime-toi heureuse de ton sort.
- Heureuse ? Je ne le suis plus depuis longtemps, rétorqua Cera, amère.
Depuis qu'elle avait quitté son île, son bonheur n'existait plus. Sa joie de vivre s'était envolé à l'arrivée de ces étrangères sur le camp. Elle ne leur pardonnerait jamais. La brune tenait à se rappeler de chaque visage qu'elle avait rencontré, de chaque expression moqueuse pour, un jour, se charger personnellement de leur cas. Elle leur ferait alors ravaler leurs sourires suffisants et leur impression de toute puissance.
- Je te mets en garde tout de suite. Respecte chacun de ses ordres si tu ne veux pas subir un châtiment similaire à cette préparatrice.
- « Préparatrice » ?
- Celle qui s'est occupée de toi. On leur coupe la langue à ces femmes-là.
- Pour--
- « Pourquoi », se moqua-t-elle. Tu n'as que ce mot à la bouche. Réfléchis un petit peu. Qu'est-ce qu'il se passe quand on coupe la langue à quelqu'un ?
- Elle ne peut plus parler.
- Bingo ! Un vrai petit génie...
- Je ne comprends pas la moitié des mots que tu emploies.
- Rien d'étonnant. Tu restes une sauvage. Ton manque d'éducation est flagrant.
La jeune femme suivit son regard. Qu'est-ce qu'elles avaient ses jambes ? Consciente de l'attention, Cera serra ses genoux l'un contre l'autre. L'attitude de son interlocutrice la désarçonnait complètement.
Un fossé métaphorique se dressait entre les deux pour une raison qui échappait à la principale victime. Elles venaient de se rencontrer et cette pimbêche la traitait avec mépris. Sous ses yeux, la chasseuse avait l'impression d'être une moins que rien. Pourtant, si elle en croyait le collier qui entourait son cou, elles étaient dans la même situation. Elles avaient le même statut.
- Qu'est-ce qu'on attend de moi ?
- Notre Maître va sûrement t'envoyer dans la Fosse aux lionnes.
Maître ? Fosse aux lionnes ? Par bonté d'âme, l'inconnue-sans-nom apporta d'autres précisions :
- La Fosse aux lionnes est l'endroit où les femmes se battent pour leur vie. La Maison gagnante remporte les paris qui ont été misés. En résumé, tu risques de mourir dans peu de temps. Tu es la treizième après tout.
- Pourquoi envoyer des femmes se battre ? C'est totalement insensé.
- Ce sont des hommes. Ils font ce qu'ils veulent depuis quelques années.
- Des hommes ?
Des « hommes » ? Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Une autre espèce ?
Elle l'entendit soupirer à ses côtés, lésée par son ignorance, mais Cera avait besoin de repères. Elle devait obtenir le maximum d'informations si elle voulait survivre. Lâcher dans le brouillard actuelle, elle ne ferait pas long feu.
- Nous sommes des femmes et ils sont des hommes. On vous a vraiment privées de tout sur votre petite île...
« Je vais te simplifier la définition en te disant que les femmes ont de la poitrine et un vagin, ce que les hommes n'ont pas. Tu les reconnais généralement physiquement : cheveux courts, barbe, torse plat... Bon, ce n'est pas le cas de tout le monde mais pour une ignorante comme toi, ça suffira. »
- Nous sommes pareils, conclut la jeune femme après mûres réflexions.
- Si tu le dis...
Le silence revint dans le « moyen de déplacement ». La brune était fascinée par ces moyens qui permettaient de se déplacer d'un endroit à un autre, rapidement, et sans fournir le moindre effort. Avec une telle boîte, elle aurait pu faire facilement le tour de l'île.
Elle se pencha davantage sur l'écran invisible à l'apparition de la verdure. Des champs et des arbres se déployaient à perte de vue. Chez elle, les espèces naturelles étaient loin de ressembler à ce qu'elle avait actuellement sous les yeux. Les troncs étaient rangés en colonne, les buissons étaient taillés et de l'eau s'écoulait à travers la bouche d'un oiseaux. Un tableau assez curieux et pittoresque pour Cera qui n'avait connu que la nature sauvage.
La boîte s'immobilisa devant un immense bâtiment de pierres et de briques. Sa voisine ouvrit la porte et s'extirpa à l'extérieur, rapidement suivi par la nouvelle arrivante qui glissa sur la banquette. La porte à double battant était ouverte sur une silhouette familière. La personne qui l'avait achetée était là, sans son masque. Le visage fin et les cils longs, la beauté de l'homme dépassait l'imagination. Ses cheveux noirs coupés courts rendait le gris de ses yeux encore plus sévère. Il ouvrit la boucle pour ordonner dans sa langue :
- Dix. Dépose les bagages dans ma chambre.
Sa compagne de route quitta son côté pour obéir à son Maître. Son nom d'emprunt était Dix. Elle pouvait enfin identifier son visage à quelque chose.
Cera dévisagea sans vergogne le jeune homme. Il avait une poitrine plate, les cheveux courts et des poils au menton. Il cochait tous les critères donnés un peu plus tôt. Celui-ci se détourna d'elle pour entrer dans la maison. Ne sachant pas quoi faire d'autre, la brune suivit ses pas.
La paume de ses pieds passa de la terre graveleuse à la fraîcheur des dalles blanches. Son regard embrassa l'intérieur qui se montrait encore plus impressionnant que l'extérieur. Un lustre de la taille de dix noix de coco était suspendu au milieu du plafond. Divers tableaux étaient accrochés au mur afin d'accrocher le regard des visiteurs et d'accentuer le faste des lieux.
L'homme emprunta l'un des deux escaliers qui rejoignait l'étage supérieur. Il passa une porte en bois, décorée de jolies arabesques et gardée par un homme qui refusa l'entrée à Cera. Cette dernière resta sur le palier non sans lui adresser un regard noir. Que devait-elle faire à présent ? Où devait-elle aller ? Elle s'apprêtait à faire demi-tour quand une voix résonna de l'autre côté de la porte. On la laissa enfin passer.
A l'intérieur, un lit aux draps sombres et une penderie en bois de chêne. Des fenêtres à la françaises venaient apporter de la lumière à la pièce. Penseuse, Cera détailla les moulures aux plafonds : des jolies oiseaux qui convolaient autour d'un centre commun. Le luminaire était aussi sombre que le reste de la chambre.
La jeune femme finit par capter le regard de l'homme aux yeux lunaires. Il soupira puis commença à se dévêtir. La brune suivit le spectacle sans montrer le moindre signe de gêne. Elle était habituée à voir des corps nus. Voir une paire de seins ou des fesses ne la faisait plus rougir. Elle restait cependant curieuse de découvrir le corps d'un homme. Que pouvait-il bien y avoir sous ces couches de vêtements ? Quelles différences y avait-il entre un homme et une femme au bout du compte ?
-Je sais que tu viens des îles LUX. Une sauvage qui m'as coûté une petite fortune. 9 800 pièces d'argent, c'est une sacré dot pour une femme comme toi.
Cera dévisagea son torse nu. Il ne montrait que du muscle tandis qu'elle supportait de la graisse. Son regard glissa sur ses bras où les biceps étaient plus définis que les siens. Plus bas, ses hanches avaient fondues pour montrer une silhouette droite et fine. Ses abdominaux n'étaient pas aussi développés que ceux de la jeune femme qui avait travaillé son corps jour et nuit mais son corps restait assez svelte et sportif.
Sa curiosité s'arrêta sur la chose qui pendouillait entre ses deux jambes. Elle n'avait jamais rien vu de pareil.
- Prends ces affaires et va les déposer dans la trappe. Je t'attends dans la salle de bain.
L'homme disparut derrière une porte. Cera resta quelques instants immobile, le cerveau fonctionnant à plein régime. Dix lui avait parlé de l'absence d'un vagin mais elle n'avait pas précisé son remplacement.
Au lieu de ramasser les vêtements comme il l'avait demandé, elle se rendit directement dans la pièce attenante...