CHAPITRE 3

UN MOIS AVANT LA CAPTURE DE JIO : SOÖ

            Dans la lumière de la lune, les reflets de l’eau prenaient une couleur bleutée qui donnaient une atmosphère fantomatique à la salle circulaire. L’homme se tenait là, pensif, et on l’aurait pu croire paralysé s’il n’avait pas cligné des yeux de temps en temps. Il ne parlait pas, il observait, perdu dans ses pensées. Des pensées sombres, cruelles. Des pensées violentes, comme il les aimait. Quand son pisteur entra dans la pièce, il se détourna du paysage nocturne et l’interrogea du regard.

- Vous aviez raison, maître, le mage d’ombre se trouve bel et bien dans le domaine Nowise.

Il l’avait trouvé. Sa prochaine victime résidait donc chez son cher géniteur, comme il l’avait pressenti.

- Dis-moi, Addal… Comment est-il traité ?

L’homme sembla surpris de cette question mais ne tarda pas à donner sa réponse :

- M. Nowise traite son valet avec égards, maître, le garçon est en bonne santé et semble paisible, si ce n’est heureux. Votre… Père semble porter un certain attachement à ce jeune mage.

Un rire mauvais monta depuis le fond de la poitrine de Soö. Alors comme ça, le Duc Nowise, le monstre, le cruel, s’était attaché à un gosse, qui plus est, un gosse qui n’était pas le sien. Un simple bâtard qu’il avait recueilli dans l’après-guerre, et ce garçon était bien traité. Pas de coups pour lui, pas de sanctions, mais une chambre bien douillette et des repas chauds, un emploi honorable auprès d’un membre de l’assemblée des 9 mages.

- Comment est-il ?

Son mercenaire le décrivit comme un jeune homme paisible qui cachait en lui une certaine peur, il essayait de ne pas se faire remarquer et l’homme avait eu le plus grand mal à le filer puisque l’adolescent n’utilisait pas sa magie. Pire : C’était comme s’il l’éteignait. Il semblait se retenir de l’utiliser tout comme il se retenait de faire une bêtise lorsqu’il était en colère. Il semblait avoir autant peur de lui-même que de cette autre chose qu’il fuyait. Il avait une toute puissance à portée de main mais refusait de s’en servir et se scarifiait pour éviter de perdre son calme. C’était à peu près tout, on pouvait deviner à ses cheveux sombres et sa peau métissée, qu’il était d’origine Psalienne. Il semblait désirer profondément quelque chose : sa liberté. On aurait dit qu’une partie de lui avait été comme… brisée. Soö se lécha la lèvre du dessus avec un sourire désireux. Il ne savait pas quoi penser de ce jeune homme. Ses sentiments étaient contradictoires. Il le détestait, après tout, c’était légitime, le garçon avait réussi à s’attirer les faveurs du Duc Nowise et avait à disposition un pouvoir immense. Oui. Il aurait haï n’importe quelle personne se trouvant dans cette situation. Pourtant, d’un autre côté, le gamin l’attirait, l’intéressait, il ressentait une curiosité morbide et se demandait comment réagirait ce jeune homme face à un ultimatum ? Jusqu’où irait-il pour protéger sa liberté et fuir son passé ? Il se demanda pourquoi, comment le jeune mage avait trouvé le cran de s’enfuir de sa guilde, celle qu’il avait construite, comment avait-il pu simplement s’enfuir sans en subir les conséquences alors que lui, Soö, avait dû causer un véritable massacre dans sa famille pour retrouver sa liberté, et encore aujourd’hui il se réveillait chaque jour avec un souvenir de son père : ce maudit sceau qui l’empêchait d’utiliser son pouvoir, de retrouver son frère. Par-dessus tout, pourquoi ce jeune garçon s’obstinait-il à rester bon ? Pourquoi n’allait-il pas au plus simple, pourquoi Soö n’avait pas réussi à le formater à la violence, comme tous les autres mercenaires sous ses ordres ? Autant de questions sans qu’aucune réponse ne se proposât à lui. Le maître de la guilde fut sur le point de crier, il avait envie de frapper et de rire à la fois, il adorait et détestait ce qu’il ressentait en ce moment. Soö Nowise était quelqu’un de très contradictoire. Il sourit, un sourire faux, un sourire cruel et carnassier qui le fit ressembler à un monstre dans la pâle lueur lunaire.

- Je veux ce garçon Addal, je le veux. Je veux le posséder, pour moi tout seul. Je veux savoir ce qu’il est, qui il est pour résister à mon formatage. Et je veux qu’il m’aide à retirer mon sceau. Je veux qu’il aille détruire la personne qui l’a protégé durant ces dernières années.

A cet instant, Soö paraissait fou à lier, il sembla s’en rendre compte et son attitude changea. Il pencha la tête, comme si un discours se déroulait en lui, puis leva de nouveau les yeux vers son pisteur qui attendait des ordres.

- Après tout, c’est comme si je le sauvais, non ? Si. Evidemment, je le sauve de mon père, tôt ou tard, Nowise découvrira que c’est un mage d’ombre… Et à ce moment-là… (il rit.) Apporte-le-moi, Addal, s’il te plaît, apporte-moi ce garçon, fais-le revenir ici, dans son passé.