Quelques jours plus tard, Clara avait pris contact avec Gabriel. Au début réticent à l’idée de rencontrer cette inspectrice sortie de nulle part, l’homme avait finalement cédé quand elle avait évoqué sa mère devenue une âme égarée. Parler de son don à la famille des victimes, c’était quitte ou double : peu de personnes croyaient en l’occulte. Mais les quelques curieux qui acceptaient de l’écouter étaient souvent d’une grande aide.
En rencontrant Gabriel, elle comprit pourquoi celui-ci avait accepté son histoire sans broncher. Maigre, le dos voûté et le teint cireux, l’homme avait du mal à se remettre de la mort de ses parents. Il était prêt à tout entendre si ça concernait sa mère chérie. Peut-être qu’Huguette s’attardait parmi les vivants pour aider son fils à tourner la page.
— Je dois avouer que votre mère ne m’a pas facilité la tâche, j’ai dû attendre plusieurs mois avant qu’elle se livre à moi, expliqua Clara après s’être présentée. Encore maintenant, je sens que quelque chose l’empêche de se confier. Elle se contente de me ramener toujours au même endroit, au cimetière.
Gabriel lui lança un regard gêné.
— Qu’est-ce qu’elle vous a raconté ?
— Pas grand-chose. Votre mère souffre beaucoup, à tel point qu’elle n’arrive pas à communiquer avec moi verbalement, comme d’autres fantômes le feraient. Ce ne sont pas des mots qu’elle me partage. Plutôt des émotions, des souvenirs, une odeur familière ou le goût épicé d’un thé.
— Elle aimait beaucoup le chai, interrompit Gabriel avec un sourire.
— Sur ce point, on s’entend bien ! Mais j’ai besoin de vous pour combler le reste de son histoire.
D’une voix tremblante, Gabriel lui raconta son enfance, douce grâce à l’amour inconditionnel de sa mère, mais aussi dure à cause de son père agressif. Il parla des coups, de la violence aussi bien morale que physique, des fuites d’Huguette, puis de son retour auprès d’un conjoint toxique, faute d’argent.
— Quand ma mère est morte, j’étais presque soulagé. Je me suis dit qu’au moins, elle ne souffrirait plus. Ça m’a aussi permis de couper les ponts avec mon père. Je n’ai plus eu de nouvelles de lui jusqu’à sa mort, l’été dernier. Là encore, ce fut un soulagement… J’ai eu l’impression d’être enfin libre.
L’homme confirma qu’il avait fait incinérer son père, mais qu’il n’avait jamais récupéré les cendres. Il avait ensuite vendu l’appartement familial afin de recommencer à zéro, de préférence au soleil. Rien de tout cela n’expliquait pourquoi Huguette était venue hanter Clara, et surtout, pourquoi elle s’était manifestée plus de trois ans après son décès.
— Monsieur Damiens, sans vouloir rentrer dans les clichés, pensez-vous que votre père est responsable de la mort de votre mère ? Serait-il possible qu’Huguette essaie de rétablir la vérité ?
— Je ne sais pas. Ça fait longtemps que je n’habite plus chez mes parents. Quand ma mère est morte, c’est le médecin du village qui m’a prévenu. Il m’a dit qu’elle était morte d’une rupture d’anévrisme, sans souffrir. Je ne l’ai revu qu’à la maison funéraire. Elle semblait paisible.
Alors que Clara allait prendre congé, Gabriel s’approcha doucement d’elle.
— Est-ce qu’elle est là ? Ma mère…
Clara secoua la tête. Étrangement, c’était la première fois depuis bien longtemps que son fantôme attitré ne s’était pas manifesté.