Depuis son entretien avec Gabriel Damiens, Clara n’arrivait pas à se sortir de la tête l’histoire de ce conjoint violent, qui n’avait jamais été inquiété malgré les plaintes déposées par Huguette. De son côté, la défunte ne faisait plus rien pour l’aider, à part l’attirer encore et toujours vers le cimetière. Clara finit par se dire que la réponse était là, sous la pierre tombale. Après plus de trois ans passés sous terre, elle doutait que le cadavre révèle quoi que ce soit pendant une autopsie, mais il fallait essayer. Il en allait du salut d’Huguette et de la santé mentale de Clara.
Elle avait donc passé plusieurs semaines à convaincre le fils Damiens de déterrer le corps de sa mère. Même s’il existait plusieurs options légales pour exhumer un corps, elle savait qu’une demande de la famille serait le moyen le plus rapide. Quand Gabriel avait accepté, Clara crut que le dénouement était proche.
Mais le lundi 5 novembre 2018, c’est un cercueil vide que Clara découvrit, ébranlant ses maigres théories. Quand elle réalisa que sa pénible valse avec Huguette n’était pas près de se terminer, l’inspectrice lâcha un juron. Sans compter le bazar administratif que cette découverte allait entraîner. Qu’importe, Carla avait passé trop de temps avec Huguette pour l’abandonner maintenant. C’était devenu personnel.
D’un pas décidé, elle entraîna Gabriel à l’écart du site d’exhumation pour l’interroger. Il marmonna quelques mots à propos d’une fournaise en panne, mais paraissait plus inquiet que surpris. Carla le fit s’asseoir sur un banc pour qu’il reprenne ses esprits.
— Après cette découverte, l’enquête va prendre un tournant plus officiel, précisa Carla. On va sûrement vous poser des questions intimes.
— Je sais. Je m’y attendais.
— Comment ça ?
— Dites, est-ce qu’elle est là ? Maman, elle est avec vous ?
Gabriel la fixait avec un mélange d’appréhension et de supplication. Cela faisait plusieurs jours que Clara n’avait pas senti la présence d’Huguette, mais quelque chose dans le regard de ce fils endeuillé la poussa à entrer dans son jeu.
— Bien sûr. Elle voudrait vous dire que tout ira bien. Qu’elle vous aime et… qu’elle vous pardonne.
— Oh, ‘Moun, je suis tellement désolé !, s’écria Gabriel en regardant tout autour de Carla. Tu sais, quand tu es morte, je pensais que je ne m’en remettrais jamais. J’étais si triste. En colère aussi. Puis ‘Pop est mort à son tour et j’ai découvert qu’il nous avait caché une petite fortune. Au moins, en partant avant lui, tu t’es épargnée une nouvelle déception. Moi, j’allais enfin vivre ma vie comme je l’entendais. Tout lâcher et partir loin. Recommencer.
Gabriel laissa échapper un sanglot. Sur ses genoux, ses mains formaient un nœud serré.
— Et puis elle est réapparue comme une fleur, deux mois après la mort de papa.
L’homme leva les yeux vers Carla, mais l’inspectrice ne dévoila aucune émotion. Si ses neurones crépitaient face à ces nouvelles informations, son visage restait impassible.
— Elle a sonné à l’appartement, un soir d’août. J’étais en train de faire le ménage avant la mise en vente et de trier les bibelots. J’ai failli faire un malaise en la voyant, alors que pour elle, c’était normal. Elle était même guillerette quand elle m’a raconté ce qu’elle avait fait. Pour elle, la seule façon d’échapper à mon père, c’était de feindre sa mort… Ça semble un peu tordu, mais dans notre village, le médecin s’occupe aussi du funérarium, alors elle l’a mis dans la confidence. Il a rédigé un faux certificat de décès et le jour de l’enterrement, ma mère s’est même glissée dans le cercueil pour peaufiner son mensonge. Ensuite, elle s’est enfuie au Portugal, où elle pensait finir paisiblement sa vie.
Rongé par la culpabilité, Gabriel fuyait maintenant le regard de Carla et s’appliquait à fixer ses pieds.
— Quand mon père est mort, le médecin a appelé ‘Moun pour la prévenir. Sans mon père dans les parages, elle s’est dit qu’elle pouvait enfin revenir et tout m’avouer. Tout est bien qui finit bien… C’est ce qu’elle s’est dit. Mais jamais elle n’a pensé que j’étais mieux sans eux. Hein maman, tu ne t’es pas dit qu’il était temps de me laisser tranquille ?! Moi je voulais juste passer à autre chose !
D’une main, il essuya les larmes qui s’étaient mises à couler, puis se tourna doucement vers Clara.
— Avant même que je comprenne ce que je faisais, j’ai frappé ma mère avec le premier objet venu. Un bougeoir. Il était lourd. J’ai frappé fort. Je crois qu’elle n’a pas souffert.
Voilà pourquoi le cercueil était vide. Huguette était morte deux fois. Une première fois, le 12 avril 2015, pour échapper à une relation toxique. Et une deuxième fois pendant l’été 2017, de la main d’un fils désespéré.
Clara comprit aussi pourquoi Huguette était restée si évasive à propos de sa mort. Elle ressentait le besoin intense de dire à son fils qu’elle lui pardonnait. Mais le seul moyen d’y parvenir, c’était d’aller voir Clara, une femme aux dons surnaturels. Une femme qui travaillait dans la police et qui ne pouvait pas fermer les yeux sur un crime.
— Gabriel Damiens, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre d’Huguette Damiens.
FIN
Un grand merci pour cette nouvelle brillamment écrite !
Contente que ça t'ait plu en tout cas !