Viviane poussa la porte de l’hôpital le lendemain après-midi et se dirigea vers le comptoir d’accueil. La réceptionniste leva la tête de ses papiers et la regarda d’un air interrogateur.
- Je viens pour voir Isabella Scharmer. Je suis sa professeur de français. Elle s’est évanouie hier pendant mon cours, ajouta-t-elle bien que cela ne présente aucun intérêt pour la réceptionniste. Mais Viviane ne pouvait pas se débarrasser de cette manie de vouloir plaire, se justifier pour être appréciée.
- Ah oui, mademoiselle Scharmer, chambre 349, au troisième étage, au bout du couloir à droite, répondit la réceptionniste avant de se replonger dans ses papiers.
Viviane se dirigea vers l’ascenseur, mais prise de remords, elle décida de prendre l’escalier. Un peu de gym ne me fera pas de mal, se dit-elle. Elle était presque arrivée au premier étage quand elle fut heurtée violemment par un jeune homme habillé d’un jean et d’un blouson noirs qui descendait les escaliers quatre à quatre. Elle n’eut que le temps de se rattraper à la rampe.
- Pardon, lui jeta en continuant à dévaler l’escalier un garçon.
Viviane se retourna, en colère.
- Faites attention, jeune homme ; vous avez failli me faire tomber, lui cria-t-elle en colère, en se penchant sur la rampe.
Il ne se retourna même pas. En un bref instant, elle vit son profil acéré, mais surtout elle eut le temps d’apercevoir un curieux tatouage sur sa nuque au crâne rasé : deux serpents rouges s’enroulant autour d’une croix noire dans un cercle de feu. Que fuyait-il ? Elle avait vaguement l’impression de l’avoir déjà rencontré. Mais quand ? Elle voyait tellement de jeunes et d’étudiants.
Elle gravit les dernières marches et se dirigea vers la chambre 349, encore légèrement sonnée par sa rencontre brutale. Elle frappa ; pas de réponse. Elle poussa la porte et entra. Son sang se figea dans ses veines. Elle ne voyait d’Isabella que ses cheveux dépassant d’un oreiller déposé sur son visage. Ses bras pendaient hors du lit et l’un d’eux était attaché à une perfusion. Quelque chose n’allait pas. Viviane se dirigea instinctivement vers le lit, souleva l’oreiller. Les yeux d’Isabella étaient ouverts et révulsés. Elle respirait encore, mais difficilement. Viviane l’appela.
- Isabella, Isabella, vous m’entendez, c’est moi, Viviane, votre prof de français.
Pas de réaction ! Viviane chercha le bouton d’appel des aides-soignantes, appuya nerveusement. Elle pensa en même temps que cela pourrait prendre du temps avant qu’elles viennent. Elle sortit en courant de la chambre et se dirigea vers le bureau des infirmières. L’une d’elles sortait justement du bureau.
- À l’aide, venez vite. Il y a un problème avec mon étudiante. Chambre 349.
- Que se passe-t-il ?
- Venez, c’est terrible, Isabella, l’oreiller…
- Calmez-vous, voyons, je ne comprends rien.
- Une tentative de meurtre.
L’infirmière ne comprenait toujours rien à cette suite de mots sans queue ni tête. Elle se dirigea vers la chambre Isabella. Elle comprit immédiatement l’urgence de la situation et appela le médecin.
Pendant que l’infirmière essayait de réanimer Isabella qui respirait encore faiblement, Viviane qui l’avait suivie, s’était approchée du lit et avait pris machinalement la main de son étudiante, espérant lui insuffler de la vie. Des larmes coulaient sans qu’elle s’en aperçoive. Isabella, son rire, ses immenses yeux bleus interrogateurs. Comment cela est-il possible ? Qui pouvait lui en vouloir à ce point ?
Des brancardiers entrèrent en poussant un chariot.
- Poussez-vous, madame ; ne restez pas là, nous allons l’amener en salle de réanimation.
Ils saisirent Isabella par les aisselles et par les jambes et la posèrent sur le brancard. Les longs cheveux noirs d’Isabella découvrirent son cou blanc pendant quelques secondes, suffisamment pour que Viviane puisse apercevoir le même signe qu’elle avait remarqué dans le cou du jeune homme qui l’avait bousculée dans l’escalier. Elle sentit un grand froid la saisir. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Les brancardiers poussèrent le chariot devant eux, l’infirmière les suivit. Viviane resta planter là, n’arrivant pas à réagir, une vague nausée au creux de l’estomac. Que devait-elle faire ? Elle regarda le lit défait, les tuyaux de perfusions qui pendaient, l’oreiller par terre… Frappé de stupeur, son esprit refusait de fonctionner.
Elle se dirigea lentement vers l’escalier, descendit et alla vers le comptoir d’accueil.
- Il y a eu un problème à la chambre 349 avec l’étudiante que je venais voir, Isabella Scharmer, je pense qu’il s’agit d’une tentative de...
Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Et si elle se trompait. Un doute l’assaillit.
- Je vous laisse mes coordonnées au cas où…
Elle lui tendit sa carte de visite. La réceptionniste leva un sourcil étonné et prit la carte e que Viviane lui tendait.
- D’accord, pas de problème, répondit-elle en haussant les épaules.
Viviane sortit de l’hôpital, respira profondément et se dirigea vers sa voiture. Tout cela n’était peut-être qu’une coïncidence. Je m’emballe trop vite, il doit y avoir une explication logique. J’y verrai sûrement plus clair demain. Pour l’instant, elle devait s’occuper des courses et passer récupérer Nicolas à l’école, puis préparer le dîner et corriger une cinquantaine de copies.
Mais au fond d’elle-même, un sentiment d’angoisse ne la quittait pas.