« Tit tit, tit tit tit »
Un bruit de télégramme, à l'ancienne, dirait certain, était la sonnerie qu'Agdanaé avait choisie lorsqu'elle recevait un message sur son téléphone.
Elle était là, en pleine nature, entourée des arbres qu'elle adorait, sentant l'écorce d'un charme contre sa paume. Elle était là, à rêvasser sur l'idée qu'elle puisse réussir à communiquer avec eux, les arbres, les plantes, voire les animaux. Elle était là, à espérer que la nature réponde à son attention et à l'affection qu'elle lui portait. Mais comme à son habitude, la nature restait muette. Majestueusement silencieuse, comme si l'être humain lui était totalement indifférent. Contrairement à son téléphone qui, lui, lui rappelait une fois de plus qu'une personne se souciait d'elle.
« On pourrait se voir ce soir ???? » marquait le texto qu'un numéro inconnu lui envoyait.
Ne prêtant guère plus d'attention à ce message, Agdanaé reprit sa promenade dans cette forêt de l'est de la France. Elle appréciait tout particulièrement ces forêts pour la variété d'arbres qui la composaient. Allant de troncs en troncs, effleurant l'écorce d'un chêne, puis caressant la branche épineuse d'un épicéa. C'était une jeune femme douce, le teint halé, des yeux profondément noirs et une longue chevelure havane. Elle venait de souffler ses 28 bougies en ce mois de juin.
De son côté, Malandre, lui, avait les yeux rivés sur son téléphone. Impatient de recevoir une réponse de cette belle inconnue croisée la vieille et qui avait eu la spontanéité de lui donner son numéro et un prénom, Aurore. Il sortait d'une séance au dojo et se sentait suffisamment serein pour aborder une discussion avec elle. Il avait noué dans un chignon ses cheveux blonds, ce qui laissait apparaitre un visage aux traits fins. Le bleu lagon de ses yeux n'avait pour cible que l'écran de son smartphone, et il se mordillait les lèvres de ne pas recevoir de réponse.
Ne tenant plus, il renvoya un message.
« Ou pourquoi attendre ce soir 😉 je sors de l'entrainement, on peut même aller boire un verre de suite ! 😉 »
Au son de télégramme, et intriguée par l'idée que quelqu'un puisse lui écrire à nouveau, Agdanaé finit par lire les messages.
D'abord très étonnée, elle fut ensuite très amusée et répondit sans savoir pour autant qui lui envoyait ces invitations.
« Si tu me trouves, je suis toute à toi pour le reste de la journée 😊 »
Ce n'était pas dans sa nature de répondre à un message. Et encore moins à un message d'un inconnu. Mais aujourd'hui, au sein de cette forêt, sans réfléchir, n'y savoir pourquoi, elle avait répondu et cela l'avait diverti un instant.
À la lecture de cette réponse, Malandre, lui, fut totalement déboussolé. Comment voulait-elle qu'il la trouve. Néanmoins, et de façon logique, il lui répondit qu'elle devait être devant le café dans lequel ils s'étaient croisés la veille. En retour, il reçut un smiley avec un large sourire et une phrase spécifiant que cela était impossible puisque son interlocutrice n'allait certainement pas dans des cafés.
« Euh, tu n'es pas Aurore ? La jeune fille que j'ai croisée hier sur la place ? »
« Pardon, je n'étais sur aucune place hier. J'étais, comme très souvent, dans la nature 😊 ».
Il comprit alors que l'élégante inconnue, c'était juste moquée de lui, et le numéro acquis avait été énoncé de manière très aléatoire. Il eut un fort pincement au cœur, puis détourna les yeux de son téléphone. À quoi bon continuer à discuter avec une inconnue qui en plus savait désormais qu'il cherchait à contacter une autre jeune fille. Néanmoins, par politesse, il lui envoya ses excuses pour l'avoir dérangée.
Agdanaé, quant à elle, bien désolée de la mésaventure de ce soudain compagnon, se contenta de lui envoyer son amusement à tout ceci et qu'elle le pardonnait bien pour ce même dérangement.
Tous deux purent alors retourner à leurs occupations.
Quelques minutes passèrent, et dans un même élan, les deux âmes reprirent leurs téléphones pour s'envoyer un message similaire.
« Au fait, je m'appelle Malandre. »
« Au fait, je me présente, je suis Agdanaé. »
Et tous deux se retrouvèrent fort amusés par cette spontanéité qui venait de les pousser à s'écrire la même chose.
Malandre étant plus habitué aux technologies, il tapait plus vite que sa partenaire de dialogue.
« Enchanté, Agdanaé ! Je suis dans le coin de Chamonix. Et toi ? »
« Enchantée également ! Perso, je suis dans le coin de Strasbourg 😊 »
« C'est marrant qu'on se soit répondu ainsi, tu ne trouves pas ? »
« Oui ! Mais sache que je ne fais pas cela... Je suis assez timide et pourtant j'ai envoyé ce message... J'avoue ne pas trop savoir pourquoi ! »
« Bien sache que de mon côté, j'ignore aussi pourquoi, mais j'ai eu envie... c'est tout ! »
Dans la suite de ces messages, Malandre expliqua à Agdanaé qu'il pratiquait de façon passionnée les arts martiaux et notamment le maniement du katana. Il lui avoua son intérêt pour les technologies, et les jeux vidéos, et fut amusé de voir qu'Agdanaé, elle, était totalement déconnectée de cela malgré son âge. Il lui expliqua pourquoi il préférait avoir un chat plutôt qu'un chien et à quel point il aimait vivre au pied des montagnes. Il lui raconta ses sorties à skis et son émerveillement journalier devant la beauté du paysage offert lorsque l'on est en altitude. Il lui donna même sa date d'anniversaire, le 25 février 1990, et du coup Agdanaé en déduit son âge, 26 ans.
La jeune femme, elle aussi, se livra quelque peu, expliquant son intérêt avide pour la nature, se risquant même à lui dévoiler qu'elle sentait une sorte d'harmonie avec elle, sans vraiment l'expliquer. Elle lui expliqua que c'était cette sorte de connexion qui l'avait poussée à faire des études dans le domaine biologique. Avec beaucoup de malice, elle lui parla de son compagnon, un Setter irlandais à la robe rouge feu nommé Iko. Et que celui-ci, contrairement aux chats que Malandre louaient, l'accompagnait partout avec beaucoup d'entrain.
Ils passèrent ainsi, sans s'en rendre compte, la fin de journée à parler, de façon franche et pour l'un comme pour l'autre, ils se sentaient sereins, en confiance. Le soir venu, ils se quittèrent avec la promesse de se recontacter dans un avenir proche.